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NE SURTOUT PAS LIRE MERCI
Alden Galaz'ar
Messages : 40
Date d'inscription : 01/04/2016
Age : 255
Localisation : Dans le monument aux morts.
Première Fortune d'Oro
Alden Galaz'ar
Alden était de retour. Le Comte De la Maison Galaz'ar extirpa de la poche de son gilet un objet – étrange objet en vérité – relié à son habit par une chaînette : c'était une montre à gousset, toute constituée d'argent. Il ouvrit le chapeau : la montre était montée à l'envers. Chacun des chiffres occupait la mauvaise place, la plus fine aiguille, celle que l'on nommait la petite trotteuse, galopait en sens-inverse. Tic tac. Tic tac. Infatigable. tic tac. CLAP. Alden referma sa montre ; il la glissa de nouveau dans sa poche : petite aiguille à tête folle, songea-t-il, plutôt que d'indiquer la mauvaise heure, seulement le premier quart d'un tour, tu te complais à m'induire en erreur.
Il porta, quoiqu'involontairement, un coup d’œil à sa main, précisément celle qui avait tenu la montre, un instant plus tôt. La cicatrice était toujours présente. Il regarda ses pieds – car il ne portait point de souliers, ses jambes étaient blanches, immaculées et nues – et reconnut les blessures qui ornaient ses pieds. Quelle tristesse. Peut-être ces marques de sa torture disparaîtraient-elles un jour de sa peau ? La malédiction du lycodon le grandirait, avait promis le Prince Démon. Comme la bête, Alden avait dû ramper pour sortir des enfers, devenant ainsi un être affamé, sans cesse en chasse ; il avait besoin de sucre, de crème, de lait afin de grandir indéfiniment.

Oui, il deviendrait très vite très grand, très – très – grand.

Il était de retour chez lui, dans son manoir à Ambbör. Dans ce patio où il se trouvait, il y avait au centre du péristyle, au milieu des fontaines et des escaliers couverts de lierres et de rosiers, où l'air embaumait des arômes de roses, un majordome qui le reconnut sans doute, parce qu'il se jeta à ses pieds pour couvrir ses doigts de baisers. Le comte de Galaz'ar s'enquit immédiatement de savoir où se trouvait sa fille, Shiumeï. Parce que cette rose, là, sur la droite, comportait plusieurs pétales qui fanaient déjà. Mais on lui apprit que la comtesse, depuis dix ans maintenant, habitait la capitale du royaume, Garay, où elle bénéficiait de tout un pavillon à Volage : les terres du roi.

À ce nom, le comte de Galaz'ar frissona. Les terres d'Asarith Lune-Pâle. Ses mains, ses pieds le brûlèrent.

Que faisait Shiumeï chez le roi ? Il sentit l'incompréhension, la névrose, la colère envahir chaque portion de son corps ! Il voulut soudain se gaver, bourrer cet estomac de démon : de sucre, de crème, de mousse, de lait ! De toutes ces choses magnifiques dont l'enfer l'avait privé durant dix années. Oui, se gaver jusqu'à ce que colle, littéralement, cette chose rouge qui lui servait de sang, sous sa peau et qu'il en oublie la trahison de sa fille, chair de sa chair. Pour se changer les idées, il ordonna qu'on lui préparât un déjeuner. Et copieux !

Le domestique lui donna le peu de nouvelles que le manoir avait de sa maîtresse. Enfin, il offrit au maître de retour un minuscule verre en cristal, qu'il serra nerveusement entre ses doigts.

«  Que monsieur notre maître goûte donc, dit le majordome en se prosternant, c'est une nouvelle boisson qui est apparu, toute récente, à Oro et que l'aristocratie aime bien. Nous l'appelons de l'absinthe.

Alden goûta l'absinthe. Elle revigora tous ses sens. Les ballottements courbes, aux reflets dorés, de la boisson lui évoquèrent la délicatesse d'un cou de femme : il eut soudain très faim – encore plus faim ! Il noua une serviette autour de son cou, empoigna couteau et fourchette en argent. Devant ses yeux, le valet déposa un plat, souleva la cloche, présenta ce qu'on lui servait : c'était une assiette pleine, pleine – il en avait l'eau à la biche, il salivait sur sa serviette – de vers qui remuaient, se tordant dans tous les sens !

- Bon appétit notre maître, dit le valet.

Il commença par piquer un ver, du bout de sa fourchette puis lui arracha la tête entre ses dents bien blanches. Oh ! seigneur ! quel bonheur ! Quelle jouissance ! L'enfer d'Érélanth l'avait privé si longtemps de ce plaisir.

- Sais tu comment reconnaît-on un esprit mauvais ? dit le comte à son serviteur. Comment le différencie-t-on d'un humain ?

Il avait plongé sa tête tout entière dans son assiette, et gobait tout son plat, léchait son assiette, léchait la nappe. Comme le valet se taisait, il éclata de rire en observant un ver se tordre affreusement entre ses doigts :

- Il faut lui arracher les yeux. Lentement. Avec une pince chauffée au rouge. Si il hurle, c'est un humain. Si la pince le brûle, voilà une vierge. Et si il ne ressent aucune douleur... c'est un démon.

Il se leva de table et porta un verre de vin à ses lèvres.

- Ma fille habite chez le roi Asarith depuis dix ans, dis-tu ? Ô, enfers ! Je devrais peut-être lui pardonner... Oui, peut-être. Dis-moi, toi qui sais tout ce qu'il est advenu ces dernières années... ma chère fille sait-elle que c'est la cause du roi si j'eus beaucoup, beaucoup de mal ?

~



En vérité, le comte Alden De Galaz'ar n'aurait su dire si il était tout-à-fait vivant ou bien tout-à-fait mort. Sans doute son état était celui entre les deux. Il ne tarda point à se mettre en route : très vite, il arriva à Garay : il s'introduit à Volage. Etre un esprit maléfique avait ses avantages ; personne ne le voyait. Il lui sembla que ses serviteurs, au sein de son ancien manoir à Ambbör, demeuraient les seuls sur terre. Régulièrement il envoyait sa main, comme un réflexe, vers la poche de son gilet afin de consulter sa montre à rebours, mais il se fit violence, chaque fois, afin de n'y point céder. La population à Garay l'étonna. Il s'en était allé seulement dix ans, et les hommes avaient triplé en nombre, au minimum.

- Ces satanés humains se reproduisent plus vite qu'ils ne s'entretuent !

Il réfléchissait, tandis qu'il traversait les murs du palais, à la recherche de sa traîtresse de fille. C'était si drôle de se dire que l'homme, depuis qu'il pense, a pressenti et redouté un être nouveau, plus fort que lui, son successeur en ce monde, et que, le sentant proche et ne pouvant prévoir la nature de ce maître, il a créé, dans sa terreur, tout le peuple fantastique des êtres occultes, fantômes vagues nés de la peur. Ah ! le vautour avait mangé la colombe, le loup avait mangé le mouton ; le lion avait dévoré le buffle aux cornes aiguës ; l'homme avait tué le lion avec la flèche, avec le glaive, avec la poudre ; mais lui, le comte de Galaz'ar allait faire de l'homme ce qu'il avait fait du cheval et du bœuf : sa chose, son serviteur et sa nourriture, par la seule puissance de sa volonté. Malheur à eux !  Si les vampires étaient le Mal, les démons, eux, étaient l'incarnation du Vice. Voici ce qu'il était. Et cela avait un nom : Le Gardien des Secrets ! Il était si facile de marier le fanatisme avec la terreur ; naissait de ce couple terrible la chute d'une nation.

Volage était grand. Le roi avait pourvu, dans ces dizaines de pavillons luxueux où lui et ses courtisans, ses esclaves, ses gardes et ses serviteurs habitaient, à tous les moyens de plaisir. Il y avait des bouffons, il y avait des improvisateurs, des danseurs, des musiciens, il y avait le beau sous toutes ses formes, il y avait le vin. En dedans, il y avait toutes ces belles choses et la sécurité. Mais au-dehors, il y avait Alden.

Au fur-et-à-mesure qu'il approchait du palais, qu'il hantait les couloirs, qu'il déambulait dans les cours à la recherche de sa fille, un bruit sourd, étouffé, fréquent vint à ses oreilles, semblable à celui que fait une montre enveloppée dans du coton. Ce son-là, il le reconnut bien aussi. C’était le battement du cœur du roi Asarith Lune-Pâle. Il accrut sa fureur, comme le battement du tambour exaspère le courage du soldat ! Ce si étrange bruit jeta en Alden De Galaz'ar une fureur irrésistible. Pendant quelques minutes encore il se contint et restai calme. Mais le battement devenait toujours plus fort, toujours plus fort ! Il croyait entendre un coeur qui allait crever. Et voilà qu’une révélation s'empara de lui : l'heure du roi Asarith était venu ! Les enfers avaient vomi Alden, c'était pour mieux avaler l'âme de Lune-Pâle ! Le compte à rebours d'Asarith avait commencé.

Il erra ainsi plusieurs jours, invisible, parmi les murs et les palais de Volage, à la recherche des appartements de sa fille. Une nuit, il croisa une petite fille près des cuisine. Sa bouche s'épaissit à la vue de cette petite enfant qui embrassait, qui nettoyait, qui suçait une pâte de sucre dans les ténèbres de la nuit. Il eut soudain très, très faim, lui aussi. La pâtisserie qui se frottait contre les dents de la petite fille avait la forme d'un sein, trouva Alden, d'un sein de femme. Il envisagea, l'espace d'une seconde, de goûter à cette petite fille, la mordre, la déchiqueter, vider sa carcasse comme celle d'un porc ; puis il se ravisa.

- Je ne vais point te tuer. Cela serait bien trop doux !

Tic tac. Tic tac. Le compte à rebours d'Asarith, dans sa poche, contre son sein, dessus son cœur de démon, lui, le GARDIEN DES SECRETS, se poursuivait.

~



Enfin, il la trouva ! Sa très chère fille. Elle était là – bien sûr, bien sûr qu'elle était là. Pourquoi ne l'aurait-elle point été, d'ailleurs ? Et comment ? Shiumei De Galaz'ar n'avait point bougé, en dix ans. Elle était toujours aussi belle. D’ailleurs, le mouvement de son corps appuyait aussi cette idée, – car elle se balançait d’un côté à l’autre avec un mouvement très-doux, constant et uniforme. Alden avait pour sa fille de charmants transports sitôt qu'il la revit : le Gardien des Secrets lui effleura littéralement la joue. Mais elle crut entendre respirer dans les couloirs, au milieu des candélabres où flambait les flammes tremblotantes, le fantôme de sa propre folie. Alden ne sut que dire. Etait-ce possible que sa fille eût à ce point regréssé durant son absence ? Qu'elle ne put point le voir ? Non ! C'était impensable !

Elle occupait une résidence privée à Volage, à deux pas du palais d'Asarith, et y évoluait en maîtresse de maison mais le comte n'était point dupe : Shiumei était surveillée. Elle travaillait pour Asarith, elle était son esclave ! Elle, sa fille ! Après ce qu'on lui avait fait, à lui ! Ses mains, ses pieds le firent souffrir.

Pourquoi sa petite fille baisait-elle ainsi les genoux du roi et de la reine, leurs talons, leurs chevilles ? Ne savait-elle point que les fausses flatteries excessives, autant que le sucre, finissaient par jaunir les dents des hypocrites ; les affichant, au final, bien mieux aux yeux de l'opinion que celui qui n'en usait toujours qu'avec réserve ? Outre tous les baisers de Shiumei, qui huilaient maintenant les orteils d'Asaratith, le visage résolu et soumis de la comtesse outragea Alden et il voulut gifler sa fille !

Il eut soudain envie – très, très envie – de la museler ; elle qui faisait honte au manoir, à la maison De Galaz'ar ! La réduire au silence, elle ainsi que son insupportable passivité, sa soumission face au roi Asarith ! L'idiote, l'inutile, la garce ! Qu'avait-elle accompli toutes ces années ? Sinon placer sa bouche sous le pied du roi ? Alden devint fou de fureur.

On est bien féroce, quand on revient des enfers.

Quelle épouvante que cet homme sur ce trône devant sa fille, chaussé des souliers du tyran, coiffé de la couronne de la Mort ! Les rumeurs publiques d'Oro lui attribuaient plus de crimes qu'il y avait de jours en une année. Tout en Asarith Lune-Pâle, jusqu'à sa longue chevelure blonde et bouclée, ses doigts blancs faits d'angles et poudrés de fard, faisait enrager Alden !
La voila, la Shiumeï, qui passait ses journées – l'air dépressif en plus, la folle – à obéir aux ordres du roi en dînant une fois par semaines d'excellentes saucisses RAMIENNES finement épicés qui faisait envie au démon qu'était devenu Alden.

Comme Shiumei s'arrêtait un matin à regarder un rosier qui portait trois fleurs magnifiques, Alden s'approcha. Alors elle vit, cette fois, elle vit distinctement, tout près d'elle, la tige d'une de ces roses se plier, comme si une main invisible l'eût tordue, puis se casser comme si cette main l'eût cueillie. Puis la fleur s'éleva, suivant la courbe qu'aurait décrite un bras en la portant vers une bouche, et elle resta suspendue dans l'air transparent, toute seule, immobile, effrayante tache rouge à trois pas de ses yeux. Éperdu, Shiumei s'était jetée sur elle pour la saisir. Bien sur, elle ne trouva rien ; Alden avait disparu : il ricanait. Alors sa fille fut prise d'une colère furieuse contre elle-même ; car elle ne comprenait point ce qu'elle venait de voir. Alden jubilait.
Mais était-ce bien une hallucination ? devait penser sa fifille. Il la regardait, se retourner pour chercher la tige, elle retrouva immédiatement sur l'arbuste, fraîchement brisée, entre les deux autres roses demeurées à la branche. Le Gardien des Secrets s'éloigna.

Pendant qu'il hantait les couloirs, satisfait de sa mauvaise blague, un chef de partie poudra de sucre un choux à la crème, qu'il fit rouler plusieurs fois sur ses lèvres avant de le servir le soir à Shiumei – sans doute pour son dîner – et le voyant faire, Alden en gémit de plaisir.

Les jours passaient. Il devenaient plus fort.

Voilà, qu’un soir Alden la sentit heureuse. Il sentit qu’une passion nouvelle vivait en elle. Elle palpitait comme dix ans plus tôt ; son œil flambait, ses mains étaient chaudes, toute sa personne vibrante dégageait cette vapeur d’amour où l'oeil d'Alden venait s'étonner.
Son attention l’enveloppait comme un filet. Il ne découvrait rien, pourtant.
LE comte attendit une semaine, un mois, une saison. Elle s’épanouissait dans l’éclosion d’une incompréhensible ardeur ; elle s’apaisait dans le bonheur d’une insaisissable caresse. Et, tout à, coup, il devina !

Un soir, un soir, comme elle rentrait d’une longue promenade à cheval, elle tomba, les pommettes rouges, la poitrine battante, les jambes cassées, les yeux meurtris, sur une chaise basse, en face d'Alden qu'elle ne voyait point. Il l’avait déjà vue comme cela ! Elle était heureuse ! Il ne pouvait s’y tromper !

Alors, perdant la tête, pour ne plus la contempler, il se tourna vers la fenêtre, et aperçut un valet emmenant par la bride vers l’écurie son grand cheval, qui se cabrait.
Elle aussi suivait de l’œil l’animal ardent et bondissant. Puis, quand il eut disparu, elle s’endormit tout à coup. Alden songea toute la nuit.

Chaque matin, dès l’aurore, sa fille partait au galop par les plaines et les bois ; et, chaque fois, elle rentrait alanguie, comme après des frénésies d’amour. Oh, oui ! Il avait compris ! Il était jaloux maintenant du cheval nerveux et galopant ; jaloux du vent qui caressait son visage quand elle allait d’une course folle ; jaloux des feuilles qui baisaient, en passant, ses oreilles ; des gouttes de soleil qui lui tombaient sur le front à travers les branches ; jaloux de la selle qui la portait et qu’elle étreignait de sa cuisse tandis que le nom des Galaz'ar – son nom ! – tombait dans l'oubli.

Il résolut alors de se venger. Elle passait chaque matin par le même sentier, dans un petit bois de bouleaux qui s’enfonçait vers la forêt. Le comte de Galaz'ar sortit avant l’aurore, avec une corde dans la main et un couteau, comme pour un meurtre. Il courut vers le chemin qu’elle aimait ; il tendit la corde entre deux arbres ; puis attendit dans les herbes. Il entendit son galop lointain ; puis l’aperçus là-bas, sous les feuilles comme au bout d’une voûte, arrivant à fond de train. Oh ! Alden ne s’étais pas trompé, c’était cela ! Elle semblait transportée d’allégresse, le sang aux joues, de la folie dans le regard, oubliant son nom, sa Maison, sa honte ! et le mouvement précipité de la course faisait vibrer ses nerfs d’une jouissance solitaire qui le rendait fou !

L’animal heurta le piège du démon des deux jambes de devant, et roula, les os cassés.

Elle ! Alden la reçus dans ses bras. Oui, dans ses bras ! Il se sentait désormais fort à porter un bœuf. Puis, quand il l’eut déposée à terre, il s’approcha du cheval qui henissait de douleur et le regardait ; alors, pendant qu’il essayait de le mordre sans, naturellement, y parvenir, il lui mit son couteau dans le cou.. et il le tuai... comme un homme.

~



Le lendemain, pendant que sa chère fille déjeunait, à Volage, chez Asarith, il s'approcha furtivement. Sans doute le sentit-elle – même si elle ne pouvait le voir – car elle demanda :

- Mon père, est-ce bien vous ?

Il lui hurla à son oreille !

- Tais-toi ! N'adresse point la parole à un esprit démoniaque !

Il sourit. Il se calma.

- Ma fille, il faut sourire à un esprit démoniaque. Pourquoi ne souris tu pas ? Ne m'aimes-tu donc plus ? M'as-tu toujours haï ? Te fais-je peur ? Menteuse ! Ne nie point ! Crois tu que tu puisses tromper le gardien des secrets ?


Fou, comme il l'était évidemment lors de cette seconde et très-extraordinaire rencontre avec sa propre fille, traversé soudain par mille sensations contradictoires, parmi lesquelles dominaient un sadisme devenu soudain extrême, le comte De Galaz'ar enfonça soudain son index dans l’œil de sa fille ! Avec toute l'adresse d'un aspic, retors, rapide, rigoureux, bien rude, il lui arracha cet œil ! Sa fille bascula de sa chaise, sa tête prise dans ses mains, hurla et pleurant sans comprendre, sans le voir !

- Et bien ? se moqua-t-il en portant ce mignon œil à sa bouche. Qu'avons-nous là ? Ne pleure pas, ma petite fille. Tu déjeunes à la table des réjouissances de l'enfer !

Déjà, des valets s'étaient précipités auprès de leur maîtresse, la soutenait, appelaient du renfort en voyant son visage en sang : on crut à une tentative d'assassinat. La tête d'Alden tournait d'euphorie, il croqua dans cet œil, il le lécha, le mordit, l'avala. Soudain il lui semblait que ses oreilles tintaient ; mais on se précipitait toujours autour de Shiumei, et toujours on s'affairait à la soulager. Le tintement devint plus distinct ; – il persista et devint encore plus distinct ; Alden voulut se débarrasser de cette sensation ; mais elle tenait bon. Tant qu’à la fin il découvris que le bruit n’était pas dans ses oreilles. Sans doute car le son augmentait toujours, – était-il vraiment le seul à l'entendre ? C’était un bruit sourd, étouffé, fréquent, ressemblant beaucoup à ce que ferait une montre enveloppée dans du coton. Le cœur, oui le cœur maudit d'Asarith ! On emmena Shiumei sur un brancart.

- Il n'y rien de plus vrai que la souffrance dans ce monde, ma fille...

On mit Shiumei au lit après avoir appelé un médecin. Il banda son oeil. Elle dormit - longtemps - deux ou trois heures - puis Alden s'approcha – ho, oui ! - comme un cauchemar. Il voyait bien que sa fille était couchée et qu'elle dormait, et qu'il était un esprit invisible aux yeux du monde... il le sentait et le savait... et il sentait aussi que c'était le moment d'en finir et de se réveler.

Il s'approche de Shiumei, la regarde, ôte les couvertures, la palpe, monte sur son lit, s'agenouille sur sa poitrine, défait ses vêtements, touche ses seins, lui prend le cou entre ses mains et serre... serre... de toute ses force pour l'étrangler.
Elle se réveille, elle se débat, la malheureuse ! Liée par cette impuissance atroce, qui la paralyse dans son songe ; elle veut crier, - elle ne le peut ; - elle veut remuer, - elle ne le peut ; - elle essaye, avec des efforts affreux, en haletant, de se tourner, de rejeter ce démon qui l'écrase, qui viole son intimité et qui l'étouffe,- elle ne peut pas !
Et soudain, elle le renverse, affolée, couverte de sueur, allume une bougie.

En basculant, Alden vomit sur la poitrine nue de sa fille les vers qu'on lui avait servi, trois mois plus tôt au manoir Galaz'ar ! Pendant ce temps, Shiumei dirige la bougie droit vers lui ! Alors elle le voit ! Mais furtivement – si furtivement, si furtivement qu'on ne saurait bien l'imaginer, – jusqu’à ce qu’enfin un seul halo de la bougie pâle, comme une auréole, s’élançât de la flamme et s’abattît sur le visage blanc du démon, sur le visage blanc de son défunt père ! Elle le vit avec une parfaite netteté, – son visage, d’un blanc terne comme la Mort, qui glaçait la moelle dans ses os ; mais elle ne pouvait voir que cela de sa personne ; car elle avait dirigé la bougie, comme par instinct, précisément sur le seul endroit du corps d'Alden que les mortels auraient pu voir. Il lui sourit. Elle remarqua alors les vers qui tentaient d'entrer dans sa bouche, ses oreilles, elle hurla, laissant tomber la bougie !

- Ma fille, est-ce bien une façon de saluer son cher père, après tout ce temps, ma petite chérie ?

Le Gardien des Secrets se glissa de nouveau sur le lit, comme un serpent dans son trou. Il passa son doigt, son magnifique doigt entre les seins de sa fille et en récupéra les vers ; il les porta à sa bouche, léchant longtemps – très longtemps – ce doigt ; puis il recommença jusqu'à nettoyer toute la poitrine de sa petite fille.

- Ma petite chérie j'étais un cadavre si exquis, lorsque le roi Asarith Lune-Pâle mit fin à mes jours... »

Mar 5 Mai 2020 - 20:59
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Shiumei Rokeinawa Galazar
Messages : 131
Date d'inscription : 30/10/2015
Comtesse Galaz'ar
Shiumei Rokeinawa Galazar
Dix tours étaient passées depuis la mort de père mais à aucun moment, Shiumei n’avait connu une telle humiliation. Asarith avait fait d’elle une de ses proches conseillères mais les dieux savent que ses conseils n’étaient qu’illusoires, qu’un mirage dans les dunes de Ram. Le but était tout autre : la surveiller et l’avoir proche de lui pour mieux la contrôler. La bête aux crocs acérés qu’elle était se trouvait en cage et avait été domestiquée pour donner la patte à son maitre. Et pourtant chaque jour qui passait, elle devenait plus forte. Elle s’était entrainée aux armes, à la cavalerie, à la stratégie, à l’économie, à la gestion de son domaine et encore bien d’autres études qui avant lui étaient étrangères. Mais elle ne savait qu’en faire… elle était lâchée sans guide dans l’arène d’Oro avec le plus grand des maitres-esclavagistes qu’a connu ce monde : la lune d’Oro brillerait toujours de mille feux pour le purifier dans la haine. Elle, la comtesse de Galaz’ar, n’était que le produit de la haine. Sa dignité, sa foi en elle-même et sa violence était perdue mais il y avait bien une chose que jamais Asarith n’avait pu lui retirer, peut-être dans un plaisir malsain et dans l’espoir de plus : sa beauté.
Mais elle gisait dans son propre sang, son œil arraché. Elle qu’on voyait comme l’un des plus grands bijoux que connaissait la noblesse d’Oro, elle avait été souillée de son propre sang. Et elle avait du mal à accepter cela. Tous rodaient autour d’elle pour la soigner mais elle ne voyait qu’une spirale de violence et de vengeance. Elle était une bête à deux doigts de devenir un monstre. Elle ne souhaitait que leur sang : sa faim était insatiable. Elle ne goutait que des repas sans plaisir depuis si longtemps et voilà que son instinct de chasseur se révélait enfin. Elle avait envie d’y céder dans un carnage sans fin : tous les tuer et les déchiqueter sans en épargner aucun, massacrer les femmes et les enfants dans le plaisir charnel du sang. Elle souhaitait voir dans leurs yeux la peur et le désespoir face à la cruauté de la bête. Mais… Mais elle ne pouvait pas faire cela. Sa vengeance serait encore plus plaisante que ce plaisir. Elle ne désirait qu’une chose : voir Asarith mourir dans la pire des tortures, exulter face à son tourment et voir Canargen déchirer son âme quand elle le transformerait en vampire avant de le tuer. Elle en tremblait de plaisir juste à y penser et sa jouissance pouvait se lire sur son visage, si on ne le confondait pas avec de la folie à cause de sa douleur logique. Mais elle n’en sentait pas le moindre tintement tellement que ces pensées étaient ailleurs. Elle voyageait sous les violons dans les plaisirs que Filyon jalouserait : la vierge aux mille-et-un plaisirs. Puis elle sombra dans le noir… tout était fini, pour le moment.

Elle était loin, dans un rêve peut-être. Tout lui paraissait familier dans ce décor. Elle flottait au-dessus de tout et voyait tout. Elle se trouvait dans le manoir, dans son bureau. La richesse opulente des lieux ne laissait aucun doute, si ce n’est que la disposition des objets était différente. Elle se trompait donc, elle était dans celui de père, lors d’une époque aujourd’hui révolue. Elle revoyait un lieu disparu, un lieu du passé. Puis son père apparut face à elle, assis en face de son bureau sur lequel était posé un vase avec une rose blanche enfermée sous une cloche. Sauf que la rose était étrange. En s’avançant de plus près, elle put voir que la rose avait changé d’apparence. C’était elle sous la cloche, endormie dans un profond sommeil dans un nuage blanc de douceur. Son père, Alden, y avait mis sa griffe pour la protéger du monde extérieur : des terreurs de la lune blanche qui éclairait depuis la fenêtre l’ensemble de la pièce. Puis l’une des fenêtres s’ouvrit d’un coup violent et une brise commença à s’éveiller dans la pièce. Le vent s’intensifia pour devenir une tempête, en apportant son père tel du pollen. Il était si violent qu’il brisa la cloche en morceaux pour la forcer à se réveiller… dans la douleur. Elle se sentait opprimée.  Une douleur à la gorge la serrait et elle ne pouvait plus appeler à l’aide son père. Ses cris étaient étouffés et elle se réveilla dans la souffrance.
Shiumei repoussa d’un coup violent son agresseur qui atterrit dans une grâce surnaturelle. Le souffle court reprenant enfin une première respiration, elle prit la bougie la plus proche pour mieux cerner ce qui tenait face à elle. Elle éclaira une image évanescente de son père. Elle ne savait que rien, n’y que faire. Et lui prit l’initiative dans le duel.

- Ma fille, est-ce bien une façon de saluer son cher père, après tout ce temps, ma petite chérie ?

Tel le serpent qu’il était de son vivant, il se mouvait vers sa proie pour mieux l’avaler alors qu’elle restait obnubilée. Et même dans ce geste immonde, il y avait de l’élégance. Comme si la beauté du vers commençait à naitre sous les doigts de l’ancien comte Galaz’ar.

- Ma petite chérie j'étais un cadavre si exquis, lorsque le roi Asarith Lune-Pâle mit fin à mes jours…

L’un après l’autre, chaque vers connut son moment de gloire, sous les doigts d’Alden. Et elle restait sans bouger, à le regarder d’incompréhension tandis qu’une pincée de haine se lisait dans le fond de sa seule pupille. Elle le savait au fond d’elle-même qui était son agresseur. Et la bête détruit ainsi l’une de ses chaines, mais ils en restaient tant.

- Est-ce ainsi que la beauté Galaz’ar se doit d’être souillée, père ? Dans le sang et la peur ? N’est-ce pas pourtant ce qui était prié d’être fait à nos ennemis ? Ou alors les temps ont changé.

Puis elle s’avança envoutante, et retira son bandage pour montrer ainsi ce cauchemar à son père. Il l’avait balafré et elle souhaitait qu’il puisse mieux le voir. Un pas devant l’autre, son bassin oscillant tel un pendule, elle marchait de manière sensuelle vers son père. Et quand enfin elle put être à portée alors qu’Alden trépignait surement d’impatience face à son action, la chasseresse plongea sa main vers l’œil gauche de son père et lui arracha elle aussi. Mais son but était tout autre que celui de son père : lui ne voyait le plaisir que dans la destruction et la mort, elle n’en voyait que dans la beauté et le développement. Une fois arraché, elle prit l’œil de son père et le mit à la place du sien qui avait été mangé. Puis avec une dose de magie innée pour les siens, elle lui redonna vie et l’agrémenta à son propre corps. Dans les flammes de la bougie, on pouvait maintenant voir la comtesse nue aux yeux verrons : son œil droit, l’originel, d’un bleu comparable aux domaines d’Ariel, et le gauche, le nouveau, d’un orangé doré, synonyme de la richesse des Galaz’ar.

- Ainsi maintenant, nous ne faisons plus qu’un, père. Vos enseignements seront les miens et ma vengeance, la vôtre. Mais il faut attendre. Il nous a encore beaucoup à apprendre avant de pouvoir le tuer sous la grâce de la déesse unique à la beauté écarlate. Si vous n’avez pu le faire, je ne suis pas encore capable d’y arriver, en étant si jeune.

Elle souffla ensuite sa bougie et son père disparu tel un mauvais souvenir. Elle se retrouvait seule face à son envie de sang. Elle toucha son œil pour voir s’il n’avait pas disparu mais il trônait encore aux mêmes endroits, comme le présageait le miroir qu’elle avait saisi par la suite. Elle était différente mais avait retrouvé sa beauté. Il ne restait plus qu’à fêter cet heureux évènement dans un festin sans nom. À sa fenêtre, elle pouvait voir qu’aujourd’hui était une nuit où la lune était voilée sous les nuages, un bon présage, encore. Elle l’ouvrit pour ainsi sentir l’air frais sur son visage. Elle pensait prendre une arme pour fêter cela, puis se rappela que c’était elle le monstre. Un monstre ne se battait qu’à coup de griffes et de crocs. Une fois la fenêtre passée, elle sauta de toit en toit. Elle était la mort dans la nuit.
À l’extérieur de la ville, les sons étaient à la fête. Tous étaient conviés, les anciens comme les jeunes, dans l’ivresse et le plaisir. Encore de ces plaisirs que la plèbe pouvait connaitre, dans l’indolence et la langueur, ils trainaient leur condition en dessous de l’animal pour la vampire. Ils n’étaient que des êtres à emmener à l’abattoir et le boucher c’était elle. Un d’eux, un jeune homme solitaire rodait dans une ruelle crasseuse, juste sous ses yeux. Elle fonça vers lui, les yeux pétillant de plaisir alors qu’elle pensait à sa faim enfin rassasiée. À peine l’eut-il aperçu que la peur se lisait dans son visage. Il savait qu’Elis était proche pour lui et il voulut crier pour empêcher ce désastre d’arriver mais quand il souhaita le faire, elle était déjà sur lui d’un bond puissant, telle la panthère qui sautait sur sa proie. Elle le tenait par la gorge et le souleva de toutes ses forces. Un sourire de malice se dessinait sur son visage au fur et à mesure que les gargouillements et les derniers souffles de vie se lisaient sur le jeune homme sans défense. Il se débattait, essayait de la frapper de toutes ses forces mais elle ne sentait rien. Elle restait de marbre à la douleur pour n’exulter que de plaisir. Puis une fois lassée, elle lui prisa la nuque d’un coup sec pour ensuite se repaitre de son sang dans un carnage sans nom. Plus personne ne pourrait reconnaitre sa victime une fois son œuvre d’art finie et elle le signerait d’une manière qu’aucun ne puisse douter de sa nature vampirique. Les rumeurs voleraient au plus haut d’une présence vampirique à Volage, sans réellement en savoir plus sur sa véritable identité. La peur régnerait ainsi son œuvre pour en cristalliser son souvenir dans le cœur des hommes.
Une fois sa prière en Filyon finit, elle se retourna pour regarder son premier spectateur. Elle le salua encore une fois cette nuit-ci.

- Père, j’ai grandi comme vous avez pu le voir. Ou plutôt j’ai changé en votre absence. Je ne suis plus la même et je n’ai rien perdu du mordant des Galaz’ar. Il m’a seulement fallu trouver du soutien et de l’apprentissage chez le meilleur qui soit, votre assassin, pour avoir l’espoir de vous venger, lui dit-elle la larme à l’œil. Vous m’avez manqué.

Elle courut ensuite dans ses bras pour l’enlacer cette fois-ci. Elle était heureuse de le voir et d’ainsi pu comprendre qu’il n’était pas que le fruit de son imagination. Après tant d’années, son espoir de le voir revenir s’était exaucé.
Mer 6 Mai 2020 - 14:24
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Alden Galaz'ar
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Localisation : Dans le monument aux morts.
Première Fortune d'Oro
Alden Galaz'ar
Le roi était à son bureau, occupé à écrire. Alden De Galaz'ar le voyait. Mais lui, Asarith Lune-Pâle, le tyran, le monstre – oui le monstre ! – , le sanguinaire, pouvait-il seulement le voir ? Il était le Gardien des Secrets, un être supérieur. Un être invisible, insaisissable et invincible. Son sang bouillonna à l'intérieur de ses veines lorsqu'il vit le roi. Le tintement devint plus distinct dans ses oreilles ; – il persista et devint encore plus distinct ; Alden se tapissait dans l'ombre plus abondamment pour se débarrasser de cette sensation ; mais elle tint bon et prit un caractère tout à fait décidé, – tant qu’à la fin il en eut mal dans toute la tête. Sans doute il devint alors très-pâle ; – mais il était là, dans ce bureau, dans cette chambre avec le roi qui écrivait à son office, sans corps, sans visage, sans regarde – et pourtant il le regardait. Le son augmentait toujours, c’était un bruit sourd, étouffé, fréquent, ressemblant beaucoup à ce que ferait une montre enveloppée dans du coton. Enroulé dans une robe de chambre bysse, le roi Asairth rédigeait – sans nuls doutes – des cachets royal pour chacun des notables d'Oro. Il avait une fossette tout près de son nez, au-dessus des lèvres qui figurait, pourtant sans le faire réellement apparaître, un sourire sur son visage, comme s'il avait deviné, par-dessus son épaule, la présence du Gardien. Mais cela était impossible. Car Alden était invisible, n'est-ce pas ? En était-il absolument certain ? Non.

Si.

L'ancien Comte s'approcha : il sentait que cet être immortel et terrible qu'était le roi Asarith se trouvait au jour d'huy trop petit pour être dangereux, qu’il pouvait demeurer ici à écrire, qu'Alden lirait chacune de ses phrases par dessus son épaule.

Ses mains et ses pieds le torturèrent de nouveau.

Son esprit était trop bouillant, guidé par sa soif de vengeance, il se laissa emporter après sa vanité, au lieu de quitter la chambre il approcha du roi. Encore. Encore. Encore, un peu plus. Il en vint à admirer chaque courbe, chaque trait, chaque teinte de son visage blanc.

Asarith Lune-Pâle ne bronchait point.

Alors Alden explosa ! Sa langue, qui récitait la puissance du Prince Démon et l'honneur qu'il avait eu de le rencontrer, s'activa dans sa bouche ; aussitôt tous les cadres accrochés au mur explosèrent en quinze milliards de morceaux ! Les draps du lit se déchirèrent quand il ordonna à l'enfer de les déchirer. Asarith avait beau être prompt et babillard, gorgé de sa propre éternité, il bondit de sa chaise lorsqu'il baissa les yeux sur ses mains et constata qu'un sac de noeuds gigantesques, composés de dizaines de serpents, les lycodons - ces êtres de l'enfer ! mordaient ses doigts ! Alors son propre bureau se renversa sur lui, il manqua être écrasé. Des dizaines de serpents tombaient des murs, du plafond, de nulle part jusqu'à tous converger vers le roi, qui dut, pour sauver sa vie – peut être – s'élever sur son propre bureau, renversé. Enfin, Alden souffla toutes les bougies de la chambre.

Asarith n'avait point poussé un cri, n'avait point poussé une respiration plus fort qu'une autre. Tic tac. Alden consulta sa montre en argent : l'aiguille, qui trottait toujours à l'envers, indiquait le milieu du cadran. Sans un mot, il se retira. Dans son dos, il entendit son assassin demander, d'une voix calme en apparence mais qu'il devinait alors pleine de trouble :

- Qui est là ?

Le coeur du roi battait de plus en plus vite, de plus en plus fort. Ce cœur, dit tout haut Alden en quittant le pavillon royal, crèverait très bientôt.

~



- Et te crois-tu vraiment née, ma fille, toi, jeune, belle, avec le coeur jadis gonflé de noblesse, pour vivre chaque jour et dormir chaque soir auprès de ce tyran qui a profané mon corps et mon nom ? Cette sangsue qui se gave, tous les jours sans que tu t'en aperçoives, de ta splendeur et de ta vie ?


La pauvre Shiumei, foudroyée par le retour de son défunt père, n'avait point grand chose à répondre au Gardien des Secrets. Puis, une sorte de lassitude calme succédait à cette question violente, elle resta sans mouvement, soupira doucement, remuant seulement les yeux. Chaque fois qu'Alden voulait l'énerver, enfin, la remuer, la bouger – la dinde ! - elle se refermait comme si on l'eût tuée. Il se contentait donc toujours de coucher auprès d'elle la nuit, même s'il savait qu'elle ne dormait plus, il l'entourait de ses bras et s'enivrait des parfums de sa chevelure : elle restait sa fille, dinde ou pas. Il fallait sans tarder la faire sortir de cette basse-cour, évaille de la pétrification des âmes.

~



Certaines choses avaient changé depuis le retour d'Alden. Sa faim, particulièrement, était dévorante. Si sa fille était devenue une sorte de monstre qu'il ne parvenait point vraiment à identifier – il savait qu'elle lui cachait très bien son jeu, sa nouvelle nature – lui, de son côté, d'affamé devenait dévorant. Comme la crème, les framboises, le beurre et le lait disparaissaient régulièrement des cuisines, le chef finit par déposer une plainte auprès du roi, persuadé que des misérables s'amusaient à chaparder dans ses réserve sitot que tombait la nuit.

Alden mangeait comme dix. Il gavait son corps de sucre, jusqu'à entendre craquer sa salive dans sa bouche quand il l'avalait. Il ne prenait point un gramme. En revanche, il grandissait. Le voici, à présent, qui dépassait Shiumei de deux bonnes têtes. Avait-il déjà été aussi grand de son vivant ? Très honnêtement, le comte de Galaz'ar ne s'en souvenait guère.

Il écrivit un poëme à sa fille une nuit, alors qu'il venait de dévaliser les dernières jarres de lait et réserves de beurre de la cuisine – il ne touchait jamais ni à la viande, ni au pain, ni aux légumes – en pensant qu'occuper son esprit distrairait forcément son ventre.


Ma fille,

Ôte tes fleurs, défais ton peigne,
Penche sur moi tes cheveux longs,
Torrent de jais dont le flot baigne
Ta jambe ronde et tes talons.

Croise tes cuisses sur ma tête
De façon à ce que toutes langues,
Taisant toute sotte harangue,
Ne puisse plus que faire fête

Allons, quel serait le coucher
Ici, puisqu’un simple toucher
Me ferait tuer tout galant,
Qui te toucherait, mon enfant.




Une nuit, comme il arrosait ses lèvres de poudre à crème dans les cuisines, on alluma soudainement une bougie. Il entendit craquer l'allumette très près de son oreille. Alors il s'interrompit, car la femme – c'était une femme, et Alden reconnut immédiatement la pâtissière – le vit. Sans doute la mortelle créature prit du plaisir à voir le comte ainsi affairé, grand de taille et beau dans son costume, gourmand jusqu'à mordre : gourmande, la pâtissière l'était sans doute, elle aussi, sourde à entendre rugir l'enfer à côté d'Alden et ouverte à tous les désirs du comte. Il trempa une fraise dans une jarre de lait qui était là et invita l'énorme créature à la goûter – sans mentir, la pâtissière de Volage était au moins aussi grasse qu'il était grand ! Elle lécha le beurre sur ses doigts. Il colla de la crème sur les siens. Elle moula de la gélatine sur ses épaules. Il versa du lait sur ses lèvres. La bouche de la pâtissière était sucrée, crémeuse, pâteuse. Il suça longtemps – longtemps – le jus praliné coulant le long de sa jambe, jusqu'à son pied, il souleva un peu sa robe de chambre et ses doigts devinrent brûlant sous cette peau en pâte d'amende, mordant dans cette femme énorme. Mais la compagne d'Alden prit peur peut-être, car elle s'enfuit bien vite, renversant la bougie dans sa course. La pauvre créature retournait moisir dans son lit, sous ses couettes, en s'imaginant, sans aucun doute, avoir rêvé.

Alden, rassasié pour la nuit, regagna la chambre de sa fille. Elle sentit qu'il venait de partager quelque chose avec quelqu'un d'autre qu'elle. Quoi ? Quelque chose. Quelqu'un, pensait sans doute sa fille, l'avait vu. C'était la seule personne après Shiumei. La comtesse de Galaz'ar devenait-elle jalouse de l'énorme pâtissière disgracieuse ? Alden jubilait et se gobergeait de la situation.

La nuit suivante, elle le retrouva. Oui, sans doute avait-elle cru à un rêve ! car elle fondit littéralement dans ses bras, en ballottant toute sa graisse, ses bonnes joues roses, les plis transpirants de sa chair.

- Suis-je folle, monsieur ? lui demanda-t-elle en soupirant.
- Mais non !
- Etes-vous un prince des enfers ?
- Je suis bien plus que cela...

Il la renversa sur la table ; sur sa poitrine nue, il versa le contenu entier de pâte à meringue qu'il lécha, lécha, lécha... Elle l'appela « incube ! » Il n'en avait cure.

Bien vite, il prit l'habitude de quitter la chambre de sa fille la nuit, afin d'aller la retrouver, elle. Shiumei était certaine, désormais, qu'il se passait quelque chose avec son père. Le cuisinier s'arrachait les cheveux chaque matin en pleurant sur ses pertes ! Il implora le roi Asarith Lune-Pâle de faire quelque chose !

Enfin, rien ni personne ne put empêcher l'affamé comte de Galaz'ar de retrouver chaque nuit la truie de pâtissière à ce rendez-vous de leur boulimie commune. Il fondait, à chaque heure, dans son corps tout mou comme dans un énorme muffin : était-il possible d'être si heureux ? Tic tac. Tic tac.

Un jour, Shiumei gagna ses appartements : elle tomba nez-à-nez avec son père qui ébattait, dans son lit, nageant sous la graisse d'une répugnante créature. Il faisait fondre entre ses cuisses des bonbons. Le lit tout entier s'était changé en pâtisserie : les oreillers, les couettes, les baldaquins, les draps étaient inondés de lait, de farine, de gâteaux, de miel, de sucre, de macarons...
Elle grimpa sur lui pour enfoncer entre ses dents un entonnoir ; d'un geste tâtonnant, elle chercha sur le lit tout ce qu'il y avait à disposition : elle enfonça des litres et des litres de crème sucrée, molle, pâteuse, rosée, dans la bouche du comte qui en gémissait de plaisir. Puis une fois que le Gardien des Secrets commença à rendre sa pitance par rejets, il la supplia de broyer le tout afin que cela glisse mieux dans son gosier : elle se servit d'une moulinette afin de broyer le tout et il put l'avaler encore, encore, encore, inlassablement. Enfin lorsque ce fut fini, il décida d'un bain à deux : ils devaient ébattre dans une baignoire de lait, sous une montagne de crème !

Le comte Alden de Galaz'ar essuya la crème autour de ses lèvres, il se saisit d'un sucre qui fondait entre les plis graisseux de sa compagne et le laissa fondre sous son palais, puis il se leva du lit et salua sa chère fille.

- Mon enfant, je te présente ma nouvelle amie ! Elle sera ta mère, désormais. »

La pâtissière, coulante de sueur et collante de sucre, ne salua point Shiumei. Plutôt, elle attira à elle son comte, son fantasme, son démon, son incube peu importe et l'embrassa goulûment. Ses lèvres roses descendirent le long du cou du comte, jusqu'à ses épaules, son torse, son ventre...jusqu'à ses pieds qu'elle mangeait, gloutonne, dévorante et alors seulement elle grimaça parce qu'il y avait entre ses dents le goût du sang. Alden contempla ses mains. Elle saignaient.

Ses plaies infligées par le roi dix ans plus tôt se rouvraient subitement. Il se leva d'un bond, courut jusqu'au cabinet de Shiumei et entreprit de bander ses blessures, en tremblant.
Lun 11 Mai 2020 - 16:54
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Shiumei Rokeinawa Galazar
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Comtesse Galaz'ar
Shiumei Rokeinawa Galazar
La goutte de mots tomba et résonna dans son océan. Et elle ne pouvait laisser cela se faire sans aucun mal.

- Mon enfant, je te présente ma nouvelle amie ! Elle sera ta mère, désormais.

Cette vache qui osait se tenir devant elle, un tas de graisse d’une mocheté dépassant la truie, ne daignait même pas la regarder et n’avait d’yeux que pour son père qu’elle osait embrasser. Elle avait pu accepter beaucoup de vices de la part de son père, et reconnaissait d’ailleurs la plupart des siens mais là ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Elle brisa son verre en main tellement que sa colère montait. La servante fut vite rappelée à sa place à ce bruit lui rappelant la réalité de la scène. Elle voulut prendre les devants pour s’occuper de la comtesse mais à peine elle s’avança vers celle-ci que Shiumei la gifla.

- N'oubliez pas votre rang avant d’agir. Je n’accepterais plus aucun écart, dit-elle sur un ton insultant et supérieur.

Désemparée, la femme ne savait que dire et préféra se taire, ce qui permit à la comtesse de se calmer. Elle attendit plusieurs minutes sous le regard pesant de la comtesse, avant de partir quand celle-ci fut lassée de ce petit jeu, ce qu’elle montra d’un signe de la tête. La pâtissière une fois sortie, Shiumei s’avança vers son père et la regarda droit dans les yeux.

- Ne croyez pas que l’amour que je vous porte et votre mort vous croit permis de tout au nom des Galaz’ar. Osez souiller encore une fois ce nom et je vous rappellerais l’excellence que cela signifie d’être membre de cette famille.

Cette fois-ci, Shiumei ne s’exprimait plus de la même manière à son père. Elle lui parlait comme elle s’adressait à un enfant capricieux à qui on doit apprendre la discipline. Elle était en colère de l’insulte que venait de porter son père à sa propre famille. La mère fut le mot de trop, alors que déjà l’acte lui avait donné envie de vomir devant l’immondice de la situation. Son père n’était plus que l’ombre de lui-même à ses yeux après cela. Elle en avait vu un modèle et une raison de vengeance et voilà qu’il crachait sur tout cela de la pire des manières. Elle ne savait que faire et elle lui ordonna de sortir comme le dernier serviteur car elle avait besoin de réfléchir seule, ce qu’elle ne tarda pas à faire au plus vite.
Ainsi donc, son père avait changé comme elle… en bien ou en mal, seul le temps le dira mais au vu de ses dernières actions, le doute faiblissait d’instant en instant. La rose se doit d’être belle et de posséder des épines à la moindre des agressions. Et le jardinier se doit de couper les mauvaises herbes qui poussaient au milieu des belles fleurs. Elle n’espérait ne pas en arriver là mais si elle le devait, elle le ferait elle-même. La force était en sa possession. Il ne lui manquerait plus que le courage le cas échéant.  Déjà l’absence de son frère à ses côtés avait été une déchirure. Il avait soit déserté, soit était mort ou se cachait des partisans de la Lune-Pale. Et elle s’apprêtait à penser à la mort de son propre père. Ainsi donc, le nom de Galaz’ar était synonyme de mort et de solitude. Avant son arrivée, son père fut toujours seul à se cacher et elle devait connaitre maintenant le même destin dans la cour du roi. Mais tout cela serait du futur. Elle devait d’abord nettoyer le nom de sa famille et pour cela elle aurait besoin de tuer la témoin de cette décadence, et pour marquer le coup pour son père, elle se devait de le faire dans les règles de l’art.

Plusieurs jours plus tard, alors que la pâtissière faisait ses courses matinales dans Volage, elle fut vite accueillie par deux des gardes de la rose Galaz’ar. Les deux jumeaux, Neige et Rose, l’attendaient dans une ruelle encore endormie. Chacun se tenait d’un côté en chipotant à leur lame pour intimider la dame. Ne sachant que faire, elle essaya quand même de passer plutôt que de finir dans la mâchoire de la bête, avec l’espoir futile que cette escorte n’était pas la sienne. Après tout, elle n’avait vexé personne à ses yeux qui justifierait l’intervention d’une garde armée, surtout dans la belle Oro. Ce royaume n’était pas connu en effet pour être le joyau de la civilisation. En tout cas, c’était ce qui se disait chez les petites gens, mais les autres connaissaient la vérité. Là où réside un soleil puissant, plus sombre sont les ténèbres et la garde de Shiumei avait d’ailleurs été engagée pour cela. Elle ne souhaitait pas des hommes vertueux refusant le moindre de ses ordres sous cause de l’honneur. Elle n’en avait cure que de concepts de moindre importance. Elle ne voyait que la beauté pour les illuminer, la force pour les contrôler et la puissance pour les effrayer. Filyon lui avait montré la voie et jamais elle ne s’en écarterait. Elle deviendra la plus belle des reines pour guider ce royaume vers la rédemption, et même pour cela elle devait voyager dans les abysses, elle le ferait. Personne n’était tout blanc et cela n’avait aucune importance si les bruits de ses actions étaient inconnus. Une fois cette quête réalisée, elle reviendrait dans la lumière pour tous les guider. N’était-ce pas sa destinée de vaincre ou de chuter dans l’action ? Elle n’était qu’une vampire qui rêvait d’atteindre le soleil. Et ainsi, elle atteindra l’éternité dans la toute-puissance. Mais avant d’en arriver là, elle devait régler d’autres problèmes.
Quand la pâtissière essaya de passer du côté de Rose, dans l’espoir que les crocs de la femme au chapeau fleurie soient moins affutés, elle fut jetée à terre. La terreur se lisait dans ses yeux alors qu’elle reculait dans la boue qui composait la rue. Le bruit des bottes de Neige claquait au sol comme le bruit de la mort. Chaque pas était plus fort que l’autre et battait au rythme de son cœur qui tonnait à toute vitesse. Elle n’osait pas se retourner car la vue d’un seul monstre lui suffisait. Elle se fit dessus, de peur, tandis que Blanche elle aussi s’avançait sur elle. Elle vit le monstre tout de noir et de blanc dont les fleurs mauves dénotaient avec le reste de sa tenue qui la regardait avec mépris. La garde avait le regard du prédateur qui s’amusait avec sa proie avant de la déchiqueter. Seulement sa mission était toute autre, elle ne devait pas la tuer. Puis elle ne prenait pas de plaisir dans une action aussi simple, à l’inverse de son frère bien plus sadique qu’elle, qui ne put s’empêcher d’assommer la demoiselle d’un coup de botte bien placé, avec le sourire. Après tout, la comtesse avait demandé qu’elle soit en vie et n’avait aucun point précisé la méthode. Même si elle était barbare, il ne fallait pas nier son efficacité. Il ne restait plus qu’à déplacer le corps. Elle aurait bien laissé la tâche à son frère pour ne pas salir mais vu le poids du spécimen, ils devraient s’y mettre à deux. Encore une fois, la vache créa des ennuis autour d’elle.

~

Dans un autre lieu, quelque temps après cet évènement, l’ancien comte faisait encore des siennes à Shiumei, avec qui elle s’était à moitié disputée et réconciliée dans des phrases aussi mièvres que possible, comme ils en avaient le talent. L’un reprochait la nature nouvelle de sa fille tandis que l’autre se défendait en disant qu’elle l’avait fait par amour pour lui et par vengeance envers le roi d’Oro. Après plusieurs dizaines de minutes de débat, n’encourant à rien comme toujours, ils furent interrompus par l’appétit titanesque du mort. Jamais il n’arrêtait et déjà circulaient de nombreux bruits d’une présence étrangère, si pas magique dans les murs du palais. À cause de ça, les tours de garde n’avaient fait qu’augmenter sous les ordres d’Asarith, surtout depuis son agression, au grand dam de la vampire dont le champ était bien moins libre pour ses appétits passagers et nocturnes.
Mais alors qu’il tenta de traverser la porte, il fut arrêté net dans sa tentative en se prenant le mur. Il était bloqué, comme si le mur le contenait tels des barreaux. Il réessaye une nouvelle fois, alors qu’un homme frappa à la porte de la comtesse.

- Sur ordre du roi, faites-moi rentrer, dit un homme portant un encensoir.

L’homme, un mage selon ses dires, portait une veste aussi noire que ses braies. Il camouflait en partie son visage derrière ses cheveux longs et gras attachés en une queue de cheval. Et encore, si ce n’était pas ses explications aussi inutiles que complexes qui faisaient qu’on souhaitait oublier sa présence, le rendant d’un ennui inimaginable. Seulement la comtesse dut rentrer dans son jeu et le retarder d’un maximum car en même temps que l’encens pénétrait dans la pièce, des pustules et des brulures apparaissaient de plus en plus sur son père. Au début amusée par la scène, elle joua le jeu, mais quand elle vit le visage terrifié de son père devant cette magie, elle prit le problème sérieux. Son but à elle était de retarder un maximum le mage alors que son père trouvait une échappatoire. La porte et les murs étaient bloqués de tout côté, il ne restait plus qu’une solution : les fenêtres. Alden, d’un coup se rapprochant d’une certaine part à la magie vu qu’il n’entra à aucun moment avec le verre, fit exploser en mille morceaux les fenêtres pour s’y enfuir, sous le regard émerveillé du mage qui avait eu raison sur sa théorie : un fantôme, un esprit ou une créature du même style rodait en ces lieux.  Il s’y enfuit et fut accueilli en bas par une dizaine de gardes qui ne purent le voir. Ce fut un jeu d’enfant pour lui de les traverser, cette fois-ci sans faire le fier et en se faisant oublier au maximum. Tous furent abasourdis et se mirent à fouiller partout alors que le fugitif était sous leur nez. Et pour laisser encore plus de temps à son père, Shiumei arriva à convaincre le mage de rester auprès d’elle le temps que sa garde arriva. Rose alertée par les bruits courut de toute vitesse à la chambre de sa maitresse, ayant compris que le bruit venait de chez elle.

- Qu’a-t-il bien pu se passer, comtesse Galaz’ar ?, dit-elle tout en jugeant le mage.

D’un signe de la tête, Shiumei fit comprendre au mage qu’il pouvait disposer. Elle avait ainsi gagné tout le temps possible pour que son père trouve un abri, espérant qu’il apprendrait ainsi la leçon sur sa gourmandise. S’il continuait à vivre caché en faisant oublier, les recherches seraient sûrement abandonnées. Une fois l’homme dehors et la porte fermée, Rose s’avança vers la comtesse et lui glissa à son oreille les mots les plus doux qu’elle aurait pu souhaités à cette heure.
Elle demande à ses serviteurs de préparer ses fournitures pour l’un des hôtels qu’elle avait achetés avec la fortune familiale au début de son arrivée. En effet, ayant bien vite compris que la situation durerait, elle avait fait l’acquisition de plusieurs commerces, hôtel et auberge, sans oublier les maisons de passe, autant pour camoufler ses activités, surtout nocturnes, que pour qu’acquérir du capital directement sur place. Sa famille n’était-elle pas la première fortune du royaume ?  Et elle ne comptait pas casser cette règle. Quand on lui demanda ce qu’elle faisait à sortir du palais sans l’autorisation d’Asarith, elle prétexta qu’elle refusait de dormir une nuit de plus là où un esprit maléfique avait rodé. Même si les ordres sur elle étaient précis, les gardes et les serviteurs royaux ne sachant que faire dans cette situation acceptèrent son excuse. Elle était au moins libre pour un jour ou deux, ce qui était parfait pour son activité. Il ne lui restait plus qu’une seule chose à faire pour bien faire imprimer son erreur à son père. Et pour cela, elle devait bouger. Elle prit donc route vers la ville, au Lys d’argent, l’un des plus beaux hôtels que la ville connaisse, où de nombreux aristocrates et nobles se donnaient rendez-vous, surtout quand la propriétaire s’y rendait. Ce soir serait une fête merveilleuse pour tous et Shiumei ferait son maximum pour que tout soit mémorable. D’ailleurs beaucoup avaient déjà été préparés sous les ordres de Neige avant même l’arrivée de la comtesse, ayant deviné ses pensées et ses désirs comme se doit de le faire tout bon serviteur. N’étaient-ils pas les meilleurs pour rien ?

~

Quelques heures passèrent et déjà était connu de tous le drame qu’avait connu la Rose d’Oro, comme on l’appelait bien souvent parmi les puissants en raison de ce blason, une rose blanche sur un fond noir, qu’on représentait même quelquefois accompagnée d’une lune dans le coin supérieur droit pour montrer son affiliation à la couronne et sa fonction. Nombreux s’étaient démenés pour être invité à sa soirée, dans le but de bien se faire voir. D’ailleurs, il y avait beaucoup de partisans de la couronne avec qui la comtesse avait eu l’honneur à plusieurs reprises de s’entretenir. Si elle était prisonnière et en le reconnaissait dans le fond d’elle-même, eux étaient complètement envoutés et ne transgresseraient en aucun point le moindre ordre du roi. Après elle comprenait cette attitude. Qui ne pouvait pas être attiré par une personne de son acabit. Son visage était celui d’un empereur tout puissant, au charisme et à la puissance dont peu pouvait témoigner, et chacune de ses paroles était aussi douce que du miel. Et personne ne pouvait douter de sa rhétorique qu’il avait eu le temps de maitriser après tant de tours sur ce monde. Quand on le regardait, on ne voyait qu’une armure inviolable capable de faire ployer les forts et de récompenser les justes d’un simple sourire. Elle en avait froid dans le dos juste à y penser… à reconnaitre cette maitrise qu’elle ne possédait pas. Après elle avait aussi des fidèles qui lui picoraient dans la main dans l’espoir de plus, ce qu’elle entretenait bien sûr par diverses faveurs.
La soirée commença sur un spectacle où les plus célèbres troubadours avaient été invités pour chanter et louer les dernières nouvelles du monde en même temps que de divertir leur public. Bien sûr, tous savaient que ce n’était qu’éphémère et seuls les moins renseignés apprenaient réellement de nouveaux éléments sur l’actualité. Ce qui expliquait d’ailleurs que la majorité préférait parler en même temps que les bardes chantaient car la politique ne connaissait pas le sommeil. Tout était une raison pour s’approcher de certains, se renseigner d’autres, s’allier aux suivants et surtout trahir les derniers. Dans ce capharnaüm, Silir régnait tel un titan même si personne n’osait se l’avouer. Il murmurait des conseils avisés dans l’oreille de quelques chanceux tout en préparant sa toile de discorde. Si la Lune-Pâle dominait du haut de sa tour d’ivoire la politique du royaume, au pied de celle-ci les combats faisaient rage sans que le sang ne coule parmi les nobles. Une fois le premier spectacle réalisé, on passa au repas qui fut pantagruélique. Tous les mets préparés étaient des spécialités d’Oro : du poisson au produit de la chasse. Frais et venant directement des meilleurs marchands de la ville, les cuisiniers avaient dû travailler au plus vite pour préparer un maximum dans ce temps plus que limite. Et pourtant les éloges furent nombreux pour la cuisine, qui plurent au palais de la majorité tandis que les autres suivaient l’avis du troupeau. On demanda même au chef de se montrer pour recevoir les compliments de plusieurs nobles complètement conquis par sa cuisine, ce qu’il accepta avec plaisir, sous le regard de la comtesse heureuse de la situation.
Une fois que minuit sonnait sur les horloges, tous les invités furent demandés sur la piste où commencèrent les doux sons de la valse. D’autres musiciens s’étaient rajoutés à la troupe du début et tous ensemble jouaient un plaisir pour les oreilles, tandis que les nobles dansaient, certains avec respect, d’autres dans l’espoir que le jeu continuerait autre part. La comtesse fut invitée par de nombreux prétendants. Elle accepta bien sûr le premier courageux qui avait osé lui demander sa main pour cette danse, puis continua cette scène avec tous les autres. La situation avait de quoi lui faire plaisir car beaucoup voyaient d’un bon œil d’attirer la main Galaz’ar dans ses filets, dans l’espoir d’y voir une montée sociale rapide sans même se douter de leur jugement excessif sur la comtesse à l’allure chétive. Elle n’était pas une poupée qu’il pourrait exhiber mais un monstre qui les dominerait à coup sûr. Puis surtout elle ne voyait pas la peine de se marier. Tandis que tout se passait parfaitement, Neige quant à lui dansait avec sa sœur tout en prenant la peine de rester tous les deux proche de leur maitresse. Même dans les moments chaleureux comme ceux-ci, le danger pouvait toujours se montrer, même si bien sûr tous les deux savaient que la comtesse n’aurait aucun mal à se défendre ayant appris à connaitre certains de ses plus noirs secrets depuis le temps.
Le reste de sa garde était dispersé en plusieurs lieux. Caligula, Eleonore et Alice se tenaient dans le manoir prêt à répondre aux moindres de ses ordres en même temps qu’ils s’occupaient de la propriété. Quant aux autres, par exemple Vlad et Morgana, ils parcouraient le reste des terres de son domaine et du royaume pour porter au plus loin possible ses paroles. Ils étaient ainsi tous les treize les représentants les plus proches de la famille Galaz’ar, si bien sûr on oubliait Sir Arlequin qui opérait quant à lui à l’étranger avec son cirque. Les dernières nouvelles qu’elle avait réussi de lui il y a déjà quelques semaines le disaient dans l’ancienne Salicar à observer la reconstruction du nouveau royaume réunifié d’Hasdruba, là où résidait les restes de l’ancienne famille royale d’Oro.
Les danses durèrent plusieurs heures où Shiumei prit la peine de converser avec tous pour prendre des nouvelles et montrer sa présence malgré les rumeurs sur une possible agression de tous. Certains s’étaient attendus, soi-disant à cause de sa fragilité, à la voir cacher et elle leur montrait leur contraire sans même qu’un doute ne se lut sur son visage car elle connait toute la vérité sur cet esprit. Il devait d’ailleurs rôder non loin, à l’affut à observer le moindre fait et geste de sa fille. Puis petit à petit, les invités partirent chacun leur tour alors que la nuit continuait à avancer vers les petites heures, sans même que la vampire ne ressentirent, comme à son habitude, la fatigue. Ainsi l’un après l’autre, elle leur souhaita la bonne nuitée et les remercia de leur venue. La garde Galaz’ar patrouillait dans les alentours de l’hôtel prête à répondre à la moindre agression. Ils ne comptaient pas que l’honneur de la comtesse fut entaché par une bavure quelconque.
Arriva ensuite le moment où tous les invités étaient sortis et ils ne restaient plus dans la salle que la comtesse assisse sur un fauteuil recouvert de soie, aussi moelleux qu’un nuage alors que se tenaient derrière elle ses deux gardes.

- Asseyez-vous. La nuit n’est pas finie pour nous. Il nous reste tant à faire. Avez-vous demandé à nos serviteurs les plus fidèles de tout apporte en bas, Neige, dit-elle d’une voix chaleureuse.

Ils obéirent tous les deux à ses ordres, l’une en montrant sa gratitude face à cette attention tandis que l’autre ne fit qu’affirmer à la demande de sa supérieure.
Une fois que tous les serviteurs s’étaient pressés de tout ranger en bas, le plus vite possible se sentant plus que dévisagés et mal à l’aise à cause de la présence de la Galaz’ar, Shiumei put sortir de son fauteuil pour descendre en bas, là où allait se tenir le clou de cette merveilleuse soirée. Elle n’avait attendu que cela de toute la journée et pouvait enfin en profiter, avec une légère malice. Elle espérait que son père tarda un peu à arriver, lassé du petit jeu qu’elle avait opéré toute la soirée en plus de sa fuite du matin. Elle aurait ainsi parfaitement le temps que tout soit prêt à sa venue.
En bas, ligotée et assommée se tenait la pâtissière prisonnière dos contre un piquet. Neige n’ayant aucune patience et sans qu’aucun ordre ne fut proféré, la réveilla en lui jetant un saut au visage. Étant encore sous le choc de son agression, ce que le réveil n’améliora pas, elle regarde toute part autour d’elle avant de voir ses deux agresseurs et la comtesse juste face à elle. Elle put voir le regard noir et terrifiant de la vampire qui trépignait d’impatience d’en finir avec elle tout en ayant l’envie de la faire souffrir un maximum pour sa simple existence au côté de son père. Pour Shiumei, la truie allait payer son pêché.  Elle lécha ses bobines à la simple idée et son visage ne fut qu’un plaisir lui confirmant la situation. Elle s’avança vers la femme qui se débattait de toutes ses forces pour s’en sortir mais ses liens métalliques étaient trop serrés pour qu’elle n’ait l’espoir de s’échapper.

- Connaissez-vous vos pêchés ? Vous êtes punis pour votre laideur d’âme dont votre corps n’est que le reflet. Je m’assurerais pour vous ne manquerez à personne en ce bas monde.

En disant cela, elle la gifla de toutes ses forces par pure malice. Elle voulait se défouler sur celle qui avait osé courtiser son père. Elle était à ces yeux le plus grand déchet mais comme son père l’avait apprécié, elle comptait l’embellir. Elle n’était que la chrysalide et Shiumei en ferait un beau papillon. D’un claquement de doigts, elle ordonna à Neige à commencer l’opération. Il sortit un couteau pour commencer la scène et se mit à sourire à la simple idée de ce spectacle tandis que sa sœur se retourna pour ne pas y assister. Quant à la comtesse, elle continua à fixer le regard terrifié de la femme qui ne savait plus où donner de la tête entre elle et le couteau. Mais avant de commencer le premier acte, elle fut bâillonnée pour être sûre que les couinements de la truie ne réveillèrent pas l’ensemble du quartier. Elle n’avait désormais plus aucune échappatoire.
Il commença par inciser le dessous du pied droit. L’écorchement allait commencer et il durait plusieurs dizaines minutes tandis que la cible souffrirait comme un damné. Il ne restait plus qu’une fois le début commencer, à tirer doucement la peau de sa victime pour en retirer chaque partie. Mais elle ne comptait pas la tuer ainsi. Cela serait trop violent et elle savait se montrer indulgente. Elle n’attendait que l’apothéose de la douleur et de la souffrance se lisent sur l’ensemble du corps de sa victime pour passer à la suite. Rose la préparait en effet un peu plus loin : la marmite pleine d’or bouillant continuait à chauffer. Pendant ce temps-là, son frère n’en était qu’au premier genou et il continuait de tirer sous les cris étouffés de sa victime. La truie gueulait comme le tonnerre mais personne ne pouvait l’entendre sous son bouillon, dans l’une des caves de l’hôtel.
Après une dizaine de minutes de souffrance, Shiumei ordonna à Neige à s’arrêter, ayant déjà à son goût bien assez torturée la femme qui était en sueur. Des rictus d’horreur et de douleur se lisaient sur l’ensemble de son visage et elle tremblait de toute son âme face à la situation.

- Je vais me montrer indulgente. Tu ne mourras pas simplement. Tu deviendras une légende, riche à foison et immortelle, après que je n’en ai fini avec toi.

La marmite d’or fut amenée pour le plus grand plaisir de la comtesse qui ne put que sourire face à la surprise qu’elle réservait à son père. Neige prit des outils adaptés à la situation, au vu de la température que dégageait l’or. Il prit un creuset qu’il fit immerger dans l’or pour le porter ensuite avec une pince dans la bouche de la femme terrifiée.

- Une cuillère pour maman, lui dit Neige, légèrement amusé.

Une fois le début opéré, la situation se répéta longtemps, même après la mort de la femme qui connut le trépas rapidement après la seconde partie de l’opération, dans une douleur extrême. Le but était de faire couler l’or en elle et sur elle pour qu’elle devienne une allégorie de la souffrance pour les générations futures. Ainsi la pâtissière connut la mort de la main de la comtesse en devenant immortelle. Mais même une fois coulée dans l’or, la mocheté de la pâtissière était encore trop présente aux yeux de la Galaz’ar. Mais si son père pouvait apprendre la leçon, qu’il le fasse en voyant son erreur. Une créature infâme le reste, même au contact des plus grands.
D’ailleurs, une fois l’opération achevée, elle resta seule dans la cave en appelant son père dans l’espoir qu’il arrive pour voir son cadeau dont elle était fière. Elle n’était plus sa petite fille soumise aux moindres de ses caprices, elle était le monstre qu’il avait forgé en l’éduquant. Après lui avoir appris à tuer et à trouver la beauté dans la mort, il devait voir l’achèvement de son éducation, à son grand dam. Jamais elle ne laisserait choir son père dans l’erreur.
Ven 15 Mai 2020 - 16:53
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Alden Galaz'ar
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Première Fortune d'Oro
Alden Galaz'ar
Alden avait, depuis plusieurs jours, la sinistre sensation de la fatalité invincible ; il éprouvait au clair de lune, loin des hommes, ce frisson qu'avait le mineur en descendant aux puits des mines ou celui de l'alpiniste une demi-seconde après la chute. Il était mélancolique. Touché par ce fond noir de la pensée misérable des humains ; il méditait sur l'impossibilité d'une vie heureuse pour des millions d'âmes. C'était si terrible. Quoi donc ? Cette vie. Pourquoi l'avait-il choisie ? Était-ce donc sa faute ? A qui la faute, alors ?

Bon sang, qu'il avait faim depuis qu'on l'avait chassé ! Sur ordre du roi, l'encensoir avait enfumé tout Volage : le palais, les jardins, les pavillons, les galeries et la caserne. Il ne pouvait plus y rester. Lorsqu'il demeurait trop longtemps en ces lieux, il avait des éblouissements à croire qu'il allait tomber. Et puis sa peau rougissait et le brûlait atrocement, la fumée le trouait sans que ça n'ait l'air de rien. Il avait des douleurs que rien ne pouvait guérir, des courbatures digne d'un grand président de soixante-quinze ans. A la fin de la réception donnée par sa fille, à l'issue de laquelle son ardent sucre d'orge qu'était la pâtissière avait finie en statue dorée, il s'était pris de fureur avec Shiumei. Non, point à cause de la pâtissière, plutôt à cause du ton supérieur qu'elle employait avec lui ces derniers jours. Ce ton mielleux, arrogant, hautain, insolent. Qu'avait-il donc fait, pour créer un enfant insolent ? Leurs disputes de plus en plus fréquentes, il lui avait dit un matin ces deux mots : « je pars. » et, effectivement, il était parti. Oh. Alden n'était point allé bien loin ! Il y avait un bois qui s'ouvrait sur une immense forêt au sortir de Volage : les aristocrates de tous les pavillons y pratiquaient la chasse, le roi la pratiquait aussi. Alden demeurait ici. Sous ses pieds des parterres de fleurs sauvages, sur sa tête les oiseaux qui chantaient dans les frondaisons. Il y avait des hommes plus à plaindre. Dans l'ensemble, les animaux sauvages l'évitait. Le Comte de Galazar se gardait bien de ne point interrompre ses larcins dans ses fonctions gloutonnes : mais loin des manoirs, des pavillons, il lui était plus difficile de dérober de la crème, des framboises, du chocolat ou du lait ; de plus, chaque fois qu'il parvenait quand même à s'introduire dans une cuisine, il s'empressait de rejoindre les bois, inassouvi à cause de la mesure de son ventre. Il restait quelquefois deux ou trois jours sans manger : la faim le torturait tant qu'il demeurait prostré au sol des heures, mort ou presque. De ce fait, il avait grandi encore, mais bien peu. Il était haut de six bons pouces, en réalité six et demi.

Ce qui le fascinait en ces lieux, c'étaient les abeilles. Il y avait une belle ruche à deux pas, sous les branches d'un grand chêne, les petites ouvrière confiantes et charmées en édifiait chaque alvéole. Les abeilles sortaient de la ruche et prenaient leurs vol au sein des airs sur une invisible route embaumée, sous l'inclinaison tendre des fleurs sauvages, des boutons entr'ouverts des églantiers. L'abeille cédait toujours à ce désir qui la pressait ; elle aperçoit un lys et descend s'y plonger, chaque fleur est pour elle une mer de délices et elle plonge en chacune comme au fond d'une coupe, n'en sortant que pour trébucher sous une poudre d'or. Son fardeau l'alourdit, mais elle vole. Alden comparait muettement les jets de lumière du crépuscule, avec ses couleurs légères et chatoyantes, aux battements d'ailes d'une abeille. En vérité, toutes les beautés du monde étaient des abeilles. La fleur est une abeille, le sucre est une abeille. La fortune, l'ivresse. La gloire. La gloire est une abeille. Elle bourdonne. Elle pique. Ah, elle s'envole aussi. La candeur est une abeille, que tue son aiguillon.

Un jour, deux jeunes enfants qui cueillaient des fraises dans ce bois aperçurent la ruche : c'étaient deux jeunes messieurs, comtes de Volage. Ils envisagèrent de l'enfumer, afin de faire fuir les abeilles et récupérer le miel, mais Alden leur apparut et leur ordonna de n'en rien tenter. Il éloigna les garçons. Les abeilles le remercièrent chaleureusement. La nuit tombée, le Gardien des Secrets alla trouver sa fille ; il la vit qui se promenait seule, au bord d'un ruisseau. Il n'y eut nulles affections, nulles caresses, nulles chaleur entre ce père et sa fille : quelque chose, quelque part entre eux, était déjà mort à leurs yeux. Ce n'était plus sa petite chérie, cette bête aux pieds du trône qu'il avait en face de lui. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher de la trouver belle à se damner, son coeur avait un reste de tendresse pour son enfant. Il n'y eut le temps que pour une seule phrase : « je vais détruire Volage. » Ce fut ce qu'Alden dit à Shiumei, avant de se retirer. Un reste de tendresse, oui. On pouvait appeler ceci comme cela.

~





Il imposa sept fardeaux, sept plaies aux aristocrates de Volage. Le premier jour, tout le bétail et les animaux des manoirs et du palais moururent subitement. Le second jour, des milliers de serpents, les lycodons, envahirent la place. Il en vint de partout, ils se glissaient dans le mobilier, passaient par les trous des murs, rampaient dans la minceur des planches au sol, reposaient dans les lits. Le troisième jour, tout ce qui poussait dans les terres de Volage moururent. Il n'y eut plus une seule fleur de vivante dans les jardins, plus un seul arbre auquel il resta des feuilles. Le quatrième jour, des vers envahirent sans raison les viandes. Les salaisons ne purent plus en repousser aucun, les vers se tordaient dans le grenier et les réserves et, une fois qu'ils eurent dévoré toutes les viandes, ils s'attaquèrent au pain et aux fruits. Le cinquième jour un rosier immense, plus dense qu'un sous-bois et plus grand qu'une cathédrale poussa autour de Volage, emprisonnant le roi et tous ses courtisans. Des roses noires de la taille d'une assiette éclosirent en bouquets, embellies par leurs épines, aussi grandes que la lame d'un couteau de boucher. Les nobles tranchèrent l'immense rosier toute la journée durant. Le lendemain il reparut, plus grand, plus épineux, plus dense. Le sixième jour, il advint que les morsures des lycodons frappaient de fièvres terribles les hommes. C'était désormais l'heure de la plus grande des terreur pour les habitants de Volage. Enfin, à la fin de la semaine, l'horreur atteignit son apogée lorsque la matrone officielle de la cour fit accoucher une marquise d'un porc. L'animal ne survit point à sa monstrueuse naissance. La marquise ne survit point à l'immense opprobre qui la frappa sitôt que fut répandue la nouvelle et que le roi Asarith Lune-Pâle, entre deux tartines de miel dont il raffolait, fut forcé de chasser de sa cour cette fornicatrice de pourceaux. Cette septième plaie était cependant pour tous la plus difficile : il fallait reconnaître en celle-ci le plus obscène et le plus terrible des sortilèges, qui péchait contre l'ordre divin lui-même. Ce fut également ce qui motiva Sa Majesté Lune-Pâle à partir chasser dans les bois. Parce que l'immortel Asarith n'était pas né de la dernière pluie, et qu'il savait très bien à qui il avait à faire.

~




Le roi n'avait pris pour chasser qu'un fusil ainsi qu'un couteau dont la lame était damasquiné et la garde sculptée dans de l'ivoire de Volance par un maître orfèvre d'exception. Il avait insisté afin de partir seul, jugeant inutile de s'entourer de gardes, se pensant suffisant afin de faire plier à terre le genou du démon qui terrorisait sa cour. Érélanth, à son avis, n'avait libéré le démon lycodon que pour l'éprouver. Il approcha d'Alden qu'avec des précautions défenses, et la prudence qu'on avait face à un piège. Ce démon qui dérobait des migniardises dans les cuisines ne pouvait être qu'un disciple de l'enfer d'Érélanth, le Prince de la Gourmandise ; le roi en avait fait une évidence dans son esprit. Il était, en effet, tout pareil à un piège avec ses serpents siffleurs et ses roses noires ouvertes vers lui. Il n'avait d'indulgence pour aucun démon que leur nature rendait agressifs ; il les avait toujours traité avec la plus grande dureté, parce qu'il sentait toujours vivant au fond de leur coeur contraint, de leur coeur enchaîné, de leur coeur de bête, cette éternelle folie qui frappait aussi les hommes, bien qu'il fussent rarement au service d'un roi démoniaque.

Les deux hommes se trouvèrent.

Ils se firent face au bord d'un grand lac, sur lequel quelques canards flottaient en silence, quelques crapauds croassaient bruyamment. Alden sentait la résolution dans le regard de son ennemi, plus enflammé qu'un bûcher de sorcières, dans cette extase silencieuse où l'âme d'Asarith se mêlait probablement, dans cet élan sûr, ce premier pas décisif qu'il fit jusqu'à lui, qui l'indigna un instant parce qu'il pouvait lire toute la suffisance du roi dans ce pied qui se posait sur la terre humide et froide ; il sentait cette résolution dans le parfum même du roi, dans la blancheur de ses mains, dans ses paupières mi-closes, et dans la gueule de son fusil quand il l'épaula avec rudesse.

Tranquillement, Alden continua d'avancer vers le tyran. Une vingtaine de pieds le séparait de l'homme qu'il voulait voir mort. Érélanth s'était soulagé d'une âme en laissant Alden quitter les enfers ; il était de bon ton que le comte de Galazar en offrît une autre à son ancien maître.

Celle d'Asarith.

Le roi ferma un œil pour mieux viser. Son index jouait avec le chien. Les dorures moulées sur le canon de l'arme reflétaient leur or dans sa prunelle.

Il allait tirer.

Alden était dans sa ligne de mire.

Mais alors, une abeille qu'Alden avait sauvé du feu vint à son secours : elle alla flairer la bouche rose du roi et piqua ces lèvres qui avaient mangé des tartines de miel quelques heures plus tôt : le roi tira à cet instant !

Alden sentit la balle fendre l'air à un pouce de son oreille. Asarith disparaissait maintenant derrière une nuée de fumée, enveloppé d'une odeur de poudre. Ses mains et ses pieds bandés le firent souffrir atrocement.

Alors le défunt comte De Galazar se jeta sur son ennemi et il entreprit de le tuer, à mains nues ! En conséquence, le roi Asarith avait involontairement lâché son fusil dans l'herbe et parvint à se défendre à la seule force de ses muscles. Mais dans son avidité, il voulut tirer à lui ce fusil qui était à ses pieds, et Alden put le mordre à la gorge en occasionnant un fort saignement sur sa royale personne ! Il tente de briser sous ses poings tous les os d'Asarith s'il le peut, mais le despote ne laisse rien passer ; il oppose à chaque coup de poings deux coups de pieds ; Oro l'assiste, l'univers retient son souffle.

Asarith parvient, par un miracle, à repousser Alden ! Mais on n'immobilise point la charge d'un taureau furieux à mains nue, il faut la contenir de son mieux, et choisir d'exposer sa vie faute de quoi la bête empalera toute chose vivante sur ses cornes. Alden a perdu du terrain : qu'importe. il lutte à demi-nu contre cet adversaire, l'enfer l'a gorgé de fiel ! Le corps des deux hommes se heurtent, ils sont de même taille, de même masse, leur détermination sont identiques. Alden frappe de toutes ses forces le dos de son assassin contre l'arrête d'un rocher, ce dernier hurle de rage, il veut arracher l'unique oeil de ce démon avec son doigts ! Personne ne refuse de céder, mais les deux lutteurs boivent chacun la sueur de l'autre ! Un coup de poing d'Alden paraît briser la mâchoire d'Asarith ; le roi le pilonne à son tour, il l'écrase sur le tronc d'un églantier, brisant l'écorce sous la puissance des chocs ! Une seconde, le visage d'Alden disparaît sous un précipice de bois et de feuilles puis il se jette sur le meurtrier et réussit à l'étrangler ! Tandis que ce dernier lutte pour sa vie, que les coups de poings fusent d'une part et d'autre sur le corps des deux adversaires, Asarith parvient à glisser la main jusqu'à son baudrier ventral et extirpe la dague damasquiné du plus bel acier qu'il porte sur lui ! il la plante jusqu'à la garde dans la clavicule d'Alden : les arbres et le vent sont les seuls spectateurs muets de l'os qui se rompt net, cassant en son milieu !

Alden recule un peu ; il rit. Asarith est-il stupide ? Pense-t-il réellement qu'une vulgaire lame blesserait un être supérieur tel que lui ? Le Gardien des Secrets !

Mais alors son rire meurt au fond de sa gorge. Il porte la main à son cou : elle en devient toute rouge. Il saigne.

Il meurt.

D'un coup de botte au visage, le roi le jette au sol. Alden, désormais, boit son propre sang à l'intérieur de sa bouche. Ses mains et ses pieds le brûlent tant que son corps entier et pris de spasmes incontrôlés. Alors le roi Lune-Pâle le soulève, fort comme un boeuf, pour le balancer dans le lac. Aussitôt, parmi l'eau glaciale et les poissons silencieux, Alden, comte maudit De la Maison Galaz'ar coule, mécaniquement. La bouche du lac s'est refermée sur lui, tout est noir – noir et rouge, ses plaies aux mains et aux pieds se sont rouvertes brutalement – elle lui cache la silhouette d'Asarith, cette silhouette blanche qui se détachait du tableau sombre qu'est la nuit.

Alors les eaux troubles entraînèrent hors de la poche de son gilet sa montre. Alden la vit flotter, à deux pouces de son visage. Il la saisit dans sa stupeur, malgré son engourdissement. Il ouvre le chapeau : la montre montée à l'envers a sa grande aiguille qui trotte inlassablement. Un instant il contemple chacun des chiffres qui occupe la mauvaise place sur le cadran, la trotteuse qui galope en sens-inverse, et les petites aiguilles qui indiquent trois quarts. Il avait tout faux.

«  Non, dit-il. Cette histoire ne prends pas fin maintenant.

Il nagea jusqu'à la surface où il réapparut en prenant son souffle. Asarith avait disparu. Le comte de Galaz'ar s'étendit de tout son long sur l'herbe. Non loin, un cygne tendit élégamment son cou gracieux vers lui. Les premiers rayons de l'aube pointèrent le bout de son nez.

- Voici l'arme avec laquelle je te tuerai bientôt... dit Alden en ôtant de son propre corps le couteau à la lame damasquinée.

Non, le sort n'était point conjuré. Tandis que sa main frémit en recevant la rosée du matin, larmes du jour, il tâta sa blessure. Il lui semblait encore sentir le parfum de l'haleine d'Asarith, de sa bouche, de sa chair. Tout cela ne faisait qu'approfondir sa rage consumée.

Soudain bondit hors d'un fourré une biche ! La bête tressailli en apercevant Alden ; c'était une biche au pelage blanc, et l'aube peignait la beauté innocente et parfaite dans ses prunelles tremblantes. Alden, surpris de la sueur qui imprégnait le pelage, des frissons qui agitaient ses jambes, de l'écume qui paraissait en bulles aux commissures de la bouche, comprit alors que la biche était présentement chassée. Au sortir de son fourré, une douzaine de chiens ainsi qu'un aristocrate de Volage déterminé. Avec un fusil dans la main.

~




- Savez-vous, mademoiselle de Galazar, comment reconnaît-on un esprit mauvais ? dit le roi Asarith Lune-Pâle à Shiumei. Et comment le différencie-t-on d'un humain ?

Il était venu la trouver à l'intérieur de ses appartements. Depuis deux semaines maintenant, l'atmosphère qui régnait à Volage, autour du roi et parmi ses courtisans, était épouvantable et étouffante. Les nobles passait leurs journées à prier, cernées de roses noires, d'épines et de serpent. De plus en plus de courtisans quittaient Volage, certains quittaient même Garay : les prêtres avertissaient les population : la malédiction qui avait frappé le palais pouvait tout autant frapper la capitale entière. Asarith fit un signe au mage qui l'accompagnait. Ce dernier portait un plateau en argent chapeauté d'une cloche. Le roi ôta la cloche.

- Il faut lui arracher les yeux. Lentement. Avec une pince chauffée au rouge.

Dans le même temps, il découvrit la cloche et se saisit avec une main ganté de la pince sous la cloche. Il l'apporta au feu de la cheminée et la regarda rougir.

- Si il hurle, c'est un humain. Si la pince le brûle, nous avons une vierge. Et si il ne ressent aucune douleur... c'est un démon.

Le roi se tourna vers la comtesse de Galazar et esquissa un léger sourire à son attention. La pince rougissait, elle rougissait inlassablement, elle rougissait sûrement.

- Il faut lui arracher les deux yeux. souffla-t-il à Shiumei. Je suis certain que, pour la sécurité des populations de Volage, vous ne rechignerez point à vous livrer à cette expérience.

Les yeux vairons de la comtesses restaient fixés sur la pince qui chauffait. Le roi reprit :

- Ce sera rapide, mademoiselle la Comtesse. Si vous brûlez, votre innocence ainsi que votre âme d'enfant, immaculée et fort belle, je n'en doute pas une seule seconde, transparaîtront aux yeux de tout Oro. Vous seriez surprise d'apprendre que j'ai conjuré le démon Feu votre père la nuit dernière ; vous seriez également fort aise de me laisser m'assurer...

La pince était prête. Il s'approcha de Shiumei. Deux gardes l'immobilisèrent.

- que vous n'avez eu aucun contact, ni rien partagé avec le lycodon.

Il approcha la pince de l’œil de Shiumei, cet œil doré, cet œil qu'elle avait volé à son père quelques semaines plus tôt.

- Inutile de vous débattre ni de crier, mademoiselle la comtesse. J'ai déjà fais cela ; ça sera proprement exécuté, je vous le jure !

Tout-à-coup un bruit de verre brisé, suivi d'un grand vacarme empêcha le roi de finir son affaire. Tous sortirent des appartements de Shiumei afin de se rendre dans le hall, où ils se trouvèrent nez-à-nez avec une biche paniquée. Le pelage de l'animal était rempli de copeaux de verre ; de ces plaies terrible à voir sur une si jolie bête, des sillons de sang gouttaient doucement sur le sol. Les gardes d'Asarith Lune-Pâle dégainèrent leurs rapières afin d'empêcher l'animal, dans la panique qui l'enveloppait des sabots aux oreilles, de blesser une ou deux dames. Mais leur intervention ne fut point nécessaire, car soudain parut dans ce même couloir le vicomte Ghisbert D'Augérant qui, sitôt qu'il eut repéré la biche, épaula son fusil et tua sa malheureuse cible avec une seule balle, qui décora les tapisseries murales et le sang de débris d'os et de cervelle mêlée. A la vue du roi, monsieur D'Augérant posa le genou au sol et se prosterna bien bas, s'excusant pour la gêne occasionnée. Il pistait la biche aux bois depuis l'aube ce matin et, dans sa panique, l'animal chassé avait soudainement exécuté un volte-face pour se perdre dans la foret de roses puis dans Volage. Enfin, Ghisbert D'Augérant vit la comtesse de Galazar et baisa sa main.

Il avait depuis toujours – donc depuis dix ans – un faible de tous les diables pour madame de Galazar. Il était bon de savoir cependant que l'intérêt était ce qui le gouvernait le moins, et qu'il était homme à aimer sérieusement quelqu'un qui aurait d'honnêtes procédés pour lui. Personne ne savait croire combien il était attachée à madame le Comtesse et respectueux envers toutes ses maîtresses : il était vrai qu'il était digne de la dernière d'entre elles toutes, que jamais on ne se comporta avec une maîtresse d'une façon plus noble et plus distinguée. Elle tâchait en vain de lui dissimuler ses besoins – car chacun sentait bien qu'une habitante de Volage en avait toujours d'une manière ou d'une autre : il avait une pénétration surprenante pour les découvrir, et c'était alors entre eux des combats de générosité les plus touchants du monde, quand bien même Ghisbert D'Augérant ne rêvait, nuit et jour, que de Shiumei De Galazar. Le Vicomte avait résolu à dessein de ne pas irriter les désirs de la jeune femme, de ne rien précipiter, et de laisser passer autant de temps qu'il le faudrait avant de lui demander sa main ; main qu'il avait eu plusieurs fois le bonheur de baiser respectueusement derrière les jardins du Duc de Vaux-Santerre. C'était une promenade tapissée de grandes haies taillées, arbustes d'ifs, de houx et de cyprès, dans des cheminements soigneusement dessinés, ordonnés dont les allées se trouvaient ornées de pierres figurant des bustes de personnages ayant appartenu à la Maison De Vaux-Santerre, très proche de la Maison Lune-Pâle comme on pouvait s'y attendre. On y trouvait également des fontaines, dont l'eau aux heures les plus froides de l'année gelait, ainsi que de petites terrasses, des tonnelles ou bien des volières. Mais aucune de ces beautés, aux yeux de monsieur le vicomte d'Augérant, ne valait la petite main pâle de Shiumei, tendue au-dessus une jambe nonchalamment croisée sur le genou, enveloppé sous l'hermine et la martre zibeline, les pieds dans des boîtes charmantes couvertes de velours cramoisi, doublée de fourrure et bouclée par du cristal. Et chaque jour, Ghisbert d'Augérant rencontrait les yeux de cette femme à la promenade, pour lui faire une profonde et respectueuse révérence en trois actes (comme l'on faisait habituellement aux seules Duchesses) à laquelle il se trouvait bien honoré qu'elle répondît par un petit hochement de tête, lasse de cet amour qu'elle n'avait jamais partagé.

Asarith posa la pince chauffé au rouge sur le plateau de son serviteur, jugeant sans doute que le temps de juger de l'intégrité de la comtesse n'était pas encore venu.

- Ghisbert, dites à vos gens d'emmener cette carcasse hors des appartements de mademoiselle de Galazar ! Cela est fort inconvenant.

L'homme exécuta une révérence sous sa perruque blanche et bouclée.

- Ce sera fait comme Sa Majesté et mademoiselle le désireront, assura-t-il.

Mais alors que ladite Majesté Lune-Pâle s'apprêtait à quitter les appartements en désordre, que déjà l'on attachait les pattes de la biche à la selle d'un cheval afin de la tracter hors du hall, une liane du rosier, toute hérissée d'épines, ondula jusqu'au roi, vicieuse comme un aspic, pour venir s'enrouler autour du cou blanc et serrer, serrer, serrer ! A chaque seconde les épines s'enfonçaient plus encore dans la chair, bien vite le roi se mit à saigner, ses mains tremblèrent en tentant de délier cette liane, sa figure devint respectivement rouge, bleue, verte puis bien pâle !

- A l'aide ! Appelez un docteur ! Que quelqu'un aide Sa Majesté : elle étouffe !

Ce ne fut bientôt que panique dans les appartements de Shiumei ! Aussitôt, tout Volage accourut auprès du souverain qui asphyxiait, incable de parler ni de respirer ! On tenta bien sur de délier la liane, mais elle tint bon ; on voulu la rompre avec un couteau, mais elle tint bon. On emmena Sa Majesté sur une civière, jusqu'à ses appartements avec force cris et pleurs !

Le vicomte entraîna Shiumei à trois pas, il prit une nouvelle fois sa main et la baisa. L'un de ses yeux disparaissait sous un cache-oeil.

- Je vous présente tous mes hommages, mademoiselle la Comtesse. Le roi demeure mal en point. Il va agoniser durant deux ou trois jours : au bout de quatre, il sera mort. Que diriez-vous, maintenant, de me prendre comme époux ? Nous nous retirerons à Ambbör, là où est la place des véritables Galazar, afin d'admirer, depuis notre capitale, le clou du spectacle et notre triomphe. Devenez ma femme, j'abandonnerai mon nom au profit du vôtre et ainsi, il y aura de nouveau, comme cela aurait dû toujours l'être, le comte de Galazar à la tête de sa Maison... »
Sam 23 Mai 2020 - 16:00
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Shiumei Rokeinawa Galazar
Messages : 131
Date d'inscription : 30/10/2015
Comtesse Galaz'ar
Shiumei Rokeinawa Galazar
Depuis sa venue sur Volage, Shiumei ne pouvait plus compter les tentatives de séduction envers sa personne. Certains voyaient en elle du pain béni avec la richesse des Galaz’ar et la position du comté, d’autres juste une beauté à conquérir. Dans les deux cas, ils s’y trompaient. Galaz’ar ne ploierait jamais l’échine face à une puissance inférieure. Déjà, la soumission au roi fut des plus humiliantes, jamais telle calomnie ne serait répétée avec d’autres. Quant à se fier à sa beauté et à sa réputation qui valait le titre de la Vierge d’Oro, cela serait oublié sa nature secrète de vampire. Le chasseur deviendrait vite chassé par l’instinct de la comtesse qui ne verrait qu’en cet homme inutile une proie des plus délectables. Elle en saliverait presque à imaginer la face du malheureux démolie par la dure vérité de sa nature vampirique. Elle avancerait vers lui et le soumettrait à sa puissance surnaturelle pour en faire l’un de ses sous-fifres dans une orgie sanguine délicieuse. Ses crocs embrasseraient d’un baiser mortel sa jugulaire pour lui transmettre son poison de non-vie et ainsi le faire ployer devant elle. L’imagination réveillait en elle l’excitation et sa faim insatiable de sang. Seulement elle se tenait en public et devait se tenir pour cacher son envie qui faisait briller ses pupilles de joie. Elle en tremblerait presque si elle n’avait pas exercé ses talents de comédienne lors de ses dix années à jongler dans la cour d’Asarith.

- Quelle délicieuse attention que vous me faites monsieur le vicomte, dit-elle alors qui lui embrassait la main. Seulement ma position est des plus difficile et une retraite vers ma demeure familiale me ferait quant à elle du bien, surtout face à tous ses évènements de ces derniers jours, continua-t-elle d’une manière à la limite de l’exagéré en tournant de l’œil. Votre présence pourrait peut-être me rassurer, si ce n’est trop vous demander.

Elle tenait ainsi la clé de sa retraite, ou plutôt de sa fuite complète en dehors des barreaux de sa prison dorée. Il ne restait plus qu’à réunir ses forces pour ensuite entériner sa domination complète et une alliance diplomatique ne ferait que renforcer sa force, même si le mariage la déplaisait au plus haut point. Elle ne connaitrait plus jamais l’amour en dehors de celui paternel qu’elle avait perdu, il y a déjà longtemps. Et son retour n’avait été qu’une illusion, son père étant devenu une monstruosité et pourtant… elle ne pouvait s’empêcher de lui éprouver de l’amour. Il restait son père malgré sa nouvelle nature comme elle restait sa fille malgré sa transformation. Dans cette famille compliquée qu’était celle des Galaz’ar, tout n’était qu’un jeu difficile et déchirant face à des dilemmes fous. C’était d’ailleurs ainsi qu’elle avait grandi, face aux demandes folles de son père lui ayant appris par des moyens retors la dureté de la vie en la chassant d’abord comme une proie pour faire d’elle une meurtrière.
Après sa première victime n’avait pas été des plus combattive, n’étant qu’un enfant, pourtant un voile s’était brisé en elle, celui de la raison et de la mesure. Petit à petit, la déchirure s’était agrandie pour faire d’elle ce qu’elle était : une vampire assoiffée bien de plus pouvoir que de sang. Elle ne souhaitait que dominer l’entièreté d’Oro et une fois sa domination éternelle stabilisée, elle continuerait vers d’autres terres. Sa soif ne serait que révolue une fois sa puissance sans égal et que plus jamais elle ne devrait ployer l’échine face à quelqu’un. Elle serait la reine parmi les reines et tous embrasseraient ses pieds pour la moindre des faveurs, qu’elle accorderait avec parcimonie et dédain tout en prenant du plaisir à les voir picorer ses restes.
Mais il fallait rester réaliste et préparer toutes ses étapes avec la minutie d’un orfèvre. Elle se tenait dans un jeu d’échecs complexe face à une multitude d’adversaire et non un seul, se cachant tous derrière des motifs divers et complexes. Certains préféraient picorer la main d’un puissant alors que d’autres ne souhaitaient que le pouvoir. Il fallait ainsi jongler avec cela pour ressortir victorieux de ce jeu difficile. Sa première action serait de faire reculer sa reine qu’elle venait enfin de libérer en apportant un de ses pions sur la fin du plateau derrière ses lignes. Ensuite il ne restait plus qu’à juger si les dires du vicomte se montreraient véridiques. Si c’était le cas, l’armée Galaz’ar montrerait enfin les crocs et prendrait d’assaut la capitale malgré la menace des elfes noirs restant et composant l’élite de la couronne. Mais le nombre et l’absence de leader jouerait pour les Galaz’ar et ainsi la capitale serait mise en échec et mat après une attaque éclaire. Les oriflammes de la Rose voleraient ainsi sur les murailles de la capitale en moins de quelques mois.
Mais si les mots du vicomte s’en trouvaient erroné et que le roi y survivait, Shiumei aurait à se faire oublier pour quel temps et espérer ainsi lécher ses plaies pour mieux attaquer par la suite. Jamais avec le roi survivant, même s’il était au plus bas, le comté de Galaz’ar ne pouvait espérer prendre la couronne seul. Et même si l’alliance diplomatique et des maisons avec le Vicomte d'Augérant augmentaient sa puissance, cela ne suffirait pas sans d’autres appuis pour rétablir la balance des forces. Puis il le restait surtout le dilemme personnel envers son honneur et sa chasteté qu’elle gardait pour une raison que les dieux eux-mêmes ne savaient pas… une folie possiblement.

La proposition fut acceptée avec un tel plaisir du vicomte que la vampire s’en sentait presque mal et vigilante face à sa réaction. Même s’il ne savait pas qu’il fonçait droit vers la tanière d’un monstre, l’instinct de survie des hommes était aussi bas ? Puis elle sentait en sa personne une interrogation qu’elle n’arrivait pas à résoudre. Une énigme indissoluble qui la gênait. Mais elle aurait le temps pour cela en route.
Les affaires de la comtesse furent préparées en une journée et tout un cortège se mettait en route pour repartir avec tous ses hommes et ses affaires avec leur comtesse à leur tête surveillée par sa garde d’élite. La sortie de Shiumei fut des plus discrètes pour une personne de son rang et aucun cortège d’adieux ne lui fut accordé, en grande partie car l’attention de tous se tournait vers le chevet du roi et la difficulté des évènements à Volage. Déjà dans la population, des rumeurs se répandaient vers le fait que le roi aurait provoqué l’ire des dieux, ce qui bien sûr n’était pas étranger aux agents Galaz’ar présent dans la capitale. Le but était d’affaiblir la position royale pour n’avoir que plus facile à cueillir le fruit défendu une fois atteignable.
Le voyage dura une longue semaine au vu de la lenteur du convoi. La comtesse put reconnaitre de nombreuses terres connues, surtout une fois sur son territoire, qu’elle n’avait plus croisé depuis une dizaine d’années. Elle en était heureuse. Quant à sa relation avec le vicomte, elle restait cordiale malgré les quelques tentatives audacieuses de celui-ci qu’elle avait repoussé avec une plus grande politesse en prétextant d’être tourmentée par tous ses évènements, encore une fois. Un élément obstruait son regard et l’empêchait de trouver ce qui la déplaisait chez le vicomte. Elle ressentait qu’une énigme coulait à flots et n’attendait que d’émerger de cet individu. À force, elle ne pensait plus qu’à cela, tout comme une adolescente ne fait que penser à son amour juvénile envers le plus tendre homme de son entourage. Cela en devenait dérisoire et quand la clé lui fut enfin donnée, elle comprit son malaise. Depuis une semaine, elle se tenait face à la personne qui lui était la plus chère au monde sans même l’avoir reconnu. Lors d’un des arrêtes que connut le convoi au soir, dans sa tente qui se tenait au milieu du campement, elle demanda à tous ses hommes de se retirer et fit appeler le vicomte, en repoussant que d’un doigt toutes les possibles rumeurs face à cet agissement. À peine eut-il le temps de lui baiser la main qu’elle voulut vérifier son hypothèse en défaisant d’un mauvais rapide le cache-œil de la personne face à elle. La vérité fut pour elle un électrochoc face à ce vide. Elle se tenait face au visage auquel elle avait arraché l’œil il y a déjà plusieurs semaines. Une larme faillit couler sur son doux visage suite à la vérité et elle ne put empêcher d’embrasser l’homme face à elle pour lui souhaiter la bienvenue.

- Père… dit-elle d’une voix enjouée et tremblante. Je ne vous avais pas reconnu. Excusez-moi, père. Votre disparition me fut des plus difficiles et j’ai cru vous avoir perdu une seconde fois.

Même si au plus profond d’elle-même, elle ne savait où se positionner avec le comte de Galaz’ar, elle l’aimait. Il ne lui restait plus qu’à embrasser son amour pour enflammer le doute qui trainait en elle sur la nature monstrueuse de son père. Les vampires n’étaient pas eux aussi détestés à cause de leur existence. Il ne fallait que détruire cet apriori qui devait fort possiblement avoir un fond de vérité. Seulement, là où vole la nature, la raison ne peut pas toujours rivaliser à armes égales. C’est pourquoi elle oublia vite les derniers griefs avec son paternel.
Son père, d’un geste doux et affectueux, essuya les quelques larmes qui perlaient sur ses joues. Il rendit ainsi l’affection de sa fille à sa manière, avec une douceur âcre et une certaine distance, que Shiumei avait appris à apprécier.

- Votre beauté ne peut être entachée par de si tristes larmes, ma fille.

Ainsi donc, la ferveur et l’exaltation Galaz’ar connaitrait le repos pour une nuit. La nuit était douce et la lune était couverte par les nuages, empêchant au regard du roi de se porter loin sur ces terres. De plus, elle était en phase déclinante et bientôt elle disparaitrait dans le ciel pour renaitre sous un nouveau cycle, ce qui ne serait possiblement pas le cas pour la Lune Pale. Si tout était doux et délicieux, les pensées guerrières pouvaient disparaitre au moins pour l’instant pour mieux se renflammer par la suite. Une nuit de retrouvailles avant d’abattre les tambours et de sonner les cors de guerre dans les plaines et prairies des Galaz’ar. La rose avait retrouvé ses épines et bientôt elle grandirait pour tout emporter sur son passage. Par la flamme et l’épée, la Rose venait de ressusciter en cette nuit embrumée.

~

Shiumei avait déjà regagné Ambbör depuis quelques jours et tous n’attendaient que ses ordres pour savoir sur quel pied danser. La situation devait être pareil un peu partout dans le royaume et les ennemis environnants dont la Cité-État d’Alénarque devait en profiter pour lécher ses plaies et mieux reprendre ses anciens territoires si aucune initiative n’était prise. Les rumeurs, ou plutôt les dires vus leur force, sur l’état du roi ne faisait qu’amplifier de jour en jour et peu de puissants ne devaient pas être au courant. Ils attendaient juste la confirmation de son décès ou de sa survie qui ne tarderait pas à venir. Quant à l’entente avec son père, elle était difficile comme à son habitude. Même s’ils s’étaient réconciliés, une fêlure s’était créée qui ne se résorberait jamais complètement. Pourtant ses quelques jours furent l’occasion de remettre les pendules à l’heure avant les évènements finaux.
Un nuage de poussière se levait et arrivait vers le manoir Galaz’ar, avec deux étendards : celui du roi et celui des missives urgentes. La comtesse attendait à la fenêtre de son bureau dans lequel elle avait tourné tel un lion en cage dans l’attente de nouvelles. Des membres de sa garde personnelle l’avaient prévenu de l’arrivée de ses hommes depuis déjà quelques heures et chaque minute depuis cet instant fut aussi long que l’éternité. Elle avait espéré en savoir plus mais selon les informations qu’elle avait reçues, les agents royaux avaient pour ordre de ne parler qu’en présence de la comtesse, ce qui devait lui réserver une surprise de renom.
Une fois que la troupe royale composée d’une petite dizaine d’hommes avait mis pied à terre devant le manoir, la comtesse et sa garde d’élite sortit pour les accueillir. Seulement les formalités s’en arrêtèrent vite, même envers sa personne. À peine eurent-ils distribué la missive scellée qu’ils faisaient déjà signe de partir en réquisitionnant de nouvelles montures, ce qui leur fut donné de bonne grâce en raison de privilèges royaux.  Ainsi donc les nouvelles devaient être au plus grave pour que toutes les formalités soient tombées aux oubliettes. Shiumei ne tarda pas d’ouvrir la missive en brisant le sceau d’un coup sec, ne sachant cacher son excitation. Le silence était à son comble avec les hommes autour d’elle et même son père depuis la fenêtre de son bureau l’observait. Asarith Lune-Pale, Souverain d’Oro et Seigneur des Cités-États oréennes, n’était plu. Un certain plaisir se lisait sur son visage et les proches de la comtesse comprirent bien vite la nature de la nouvelle. On fit mander de faire sonner toutes les cloches du comté en la mémoire du roi et aussi pour signaler la levée des troupes. L’armée Galaz’ar venait de lever le pied de guerre vers la capitale d’Oro pour prendre ce qui lui était dû. La comtesse n’avait plu qu’à sortir son armure étincelante et les armes au côté de ses douze gardes d’élite. Une nouvelle aube allait briller sur le royaume, pour le meilleur ou pour le pire. Tel serait l’enjeu des prochains jours : que tous les hommes sortent de leur chaumière pour prendre les armes et lever la plus grande armée composée de mercenaires, de l’armée officielle du comté et des paysans devant prendre les armes. À mort pour l’usurpateur elfe noir, à mort pour la Lune-Pale et que la noblesse d’Oro prenne le pouvoir. Tel était le dicton du cœur de Galaz’ar.
Jeu 11 Juin 2020 - 16:57
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