Nynaeve avait découvert avec curiosité Vindex, la capitale de Ram, bien qu’ayant été déçue de ne pas pouvoir se promener à sa guise dans les rues de la ville. Elle avait bien du mal avec la façon dont il fallait se comporter en tant que femme, mais puisqu’il en était ainsi, autant éviter de froisser leurs hôtes, même si elle devait pour cela adopter un comportement qu’elle réprouvait. Sa mère avait été claire. Elle devait en apprendre un maximum sur le continent lors de son voyage, quitte à devoir faire passer la politesse et les convenances avant ses sentiments personnels, même parfaitement justifiés. C’était là un rôle qui demandait une certaine maitrise de soi, surtout pour l’esprit libre de l’elfe blanche, mais puisqu’il devait en être ainsi, soit. Puis il y avait eu cette elfe des profondeurs.
Nynaeve avait appris l’existence des elfes des profondeurs lors de son séjour sur l’Ile de Valaam, où on lui avait parlé de ces elfes à la peau noire et aux cheveux blancs. Mais pour le coup, elle ne s’était pas attendue à en croiser une dans le harem du sultan de Ram, ni une qui lui demanderait d’office une remarque concernant la broche que lui avait donné sa mère. Voilà tout ce qui avait surpris Nynaeve. Sa mère avait peut-être eu tort en lui confiant la broche d’or. Peut-être avait-elle eu raison. Toujours était-il qu’elle s’était fait reconnaitre.
Pour le coup, la bouche de Nynaeve se mit en action avant ses pensées, et c’est presque machinalement qu’elle choisit de cacher la vérité.
« Je suis heureuse qu’elle fasse un bel effet, vu le prix qu’elle m’a couté, dit-elle. »
Consciente qu’elle n’avait même pas répondu à la question de l’elfe des profondeurs, elle s’empressa d’ajouter sur un ton naturel une petite précision.
« Je l’ai obtenue chez un orfèvre en débarquant. Il y en a un dont la boutique donne presque sur le port. Elle était en vitrine et me plaisait bien. »
C’était partiellement vrai. Si l’orfèvre se trouvait bien proche du port, il n’y avait pour ainsi dire aucune chance qu’il ait été en possession de la broche d’or. Mais ça, Nynaeve se garda bien de le dire. Elle observa par une fenêtre du harem. Le soir était déjà venu, et elle ne souhaitait pas avoir à prolonger cette discussion, aussi prit-elle le premier prétexte qui lui vint à l’esprit.
« Maintenant, je suis au regret de m’excuser et de gagner ma chambre madame. Le voyage m’a épuisée, je le crains. Ce fut tout de même un plaisir de recevoir votre compliment, soyez-en sûre. »
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Gingens, avant d’avoir pu envoyer quelqu’un chercha Lucidia, se trouva bien gêné. Le sultan était revenu plus tôt que prévu, et puisqu’il y avait un émissaire de la nouvelle île de Teikoku, il avait hâte de le rencontrer. Il avait donc fallu expliquer à Korien que bien que garde du corps de la princesse, c’était lui qui allait devoir être le représentant de Malene dans ce palais. Situation qui gênait le garde du corps, peu au fait des méthodes de la politique et de la diplomatie.
Le sultan les avait donc fait venir dans un jardin, où les trois hommes se retrouvèrent seuls. Il fallait avouer que Qassim Anar était extrêmement prévenant envers Korien, et évita, tout au long des présentations, de lui poser des questions trop gênantes. Gingens se surprit à penser que cette situation devait déjà s’être présentée de nombreuses fois à lui.
« Ainsi, vous venez de la lointaine Teikoku ? demanda Qassim Anar, en piochant dans une coupelle de dattes.
-C’est en effet mon origine, répondit Korien. L’impératrice Junnyi et l’empereur Yoritomo m’ont choisi pour les représenter. Enfin, ils ont choisi leur fille, la princesse Nynaeve. Et ils m’ont désigné pour me charger de sa sécurité sur le continent. »
Les mots de Korien étaient un reproche à peine voilé fait au sultan, mais celui-ci ne sembla pas en prendre ombrage.
« Et puis-je savoir pourquoi avez-vous choisi Gingens et Lucidia Tucil pour vous introduire les cours royales ?
-Je me permets de répondre à sa place, ô sultan, répondit Gingens. Il se trouve que comme vous le savez sans doute, mon épouse et moi-même avons beaucoup voyagé sur le continent, et de par le sang royal qui coule dans mes veines, il nous a souvent été donné d’être reçus par les dirigeants des différents royaumes. De plus, les exigences que vous connaissez mieux que moi de la politique et de la diplomatie me poussent à me tenir fréquemment au courant des différents changements politiques. Et vu que mon père ne semble toujours pas avoir l’intention de nous quitter, Lucidia et moi-même, nous nous sommes spontanément offerts, afin de reprendre la route et de revoir de vieux amis.
-Je suis certain, répondit le sultan, que Dalya apprécie votre initiative. Elle voit peu de gens à part des prétendants depuis un tour, et je crois que la présence de votre épouse lui fera du bien. Combien de temps souhaitez-vous rester ?
-Aussi longtemps qu’il le faudra, répondit Gingens. D’ailleurs, puisque nous parlons de mon épouse, ne serait-il pas de bon ton d’aller chercher les dames qui nous accompagnaient ?
-Il est bien tard pour cela, répondit le sultan. Ne les dérangeons pas plus ce soir, je pourrai toujours rencontrer la princesse demain matin. »
Il avait prononcé cette dernière phrase en regardant Korien, avec le regard d’un homme qui cherchait à montrer sa supériorité.
« Vous savez, sultan, répondit Korien, la princesse Nynaeve est habituée à veiller tard, car elle devra hériter du trône.
-Ma fille aussi doit hériter du trône, et je ne la crois pas si endurante, répondit le sultan. »
La discussion se poursuivit ainsi. Gingens put assister à une joute verbale entre cet homme et cet elfe. Les deux protagonistes, à n’en pas douter, ne s’appréciaient pas, et Gingens pouvait aisément voir pourquoi. Korien n’aimait pas les traditions de Ram, et il l’avait clairement fait savoir au sultan, qui n’avait pas apprécié la façon dont Korien lui avait parlé, et défendait son point de vue bec et ongle. Aucun des deux ne monta d’un don dans la conversation, faisant assaut de politesse dans leurs reproches, mais cela ne trompait personne.