La perle ignore sa valeur, la fleur son parfum ; pour l'emporter sur la perle et la fleur, jeune fille, ignore ta beauté.
« Qu'en penses-tu mon enfant ? disait l'Elfe en laissant courir ses doigts sur le drap de tissu. La Maison Galaz'ar semble bien y être parvenu.
Et laissa Shiumei contempler de ses yeux, puis toucher de ses doigts, le drap blanc.
- Je viens enfin de créer la soierie parfaite. L'immaculée fibre. La toile à peindre parfaite.
Il désigna du doigt les immenses tréteaux de bois qui servaient de chevalet afin de soutenir les toiles démesurément grandes que le Comte aimait collectionner. La plupart étaient vierges. Sur les autres, on trouvait essentiellement des représentations picturales de sa propre personne. Des heures, des journées entières de pause, servant à immortaliser le Comte de Galaz'ar au fil des Tours. Enfin, quelques toiles représentaient simplement des tâches de peintures -cela ne pouvait être que de la peinture, n'est-ce pas ?- rouge sur fond blanc, dans une disposition tout-à-fait singulière. Il semblait sur certaines que le peintre -sans nul doute Alden- avait laissé la peinture s'installer à sa guise, giclant, coulant, sans réelle envie de figuration.
De nouveau, le Comte Elfe Noir caressa le tissu blanc que ses employés et serviteurs venaient de creer. La douceur sous les doigts était digne de draps royaux ! Même Lune-Pâle ne devait en posséder de tels.
- Mais cette fibre a été conçue, selon ma volonté, pour Finil, poursuivit Alden. Pas question de gâcher une telle beauté en la flétrissant. Ce textile a une élégance jusqu'à présent inégalé. Juge, ma fille.
D'un claquement de doigt, un des domestiques du Comte laissa couler le contenu d'une amphore sur la toile qui s'imprégna bien vite d'une tâche pourpre que la lumière paraissait caresser.
- Du vin simplement, soupira le Comte. Mais vois comme le blanc de ma toile aime embrasser ce rouge purpurin. Vois comme les couleurs s'harmonisent ensemble !
Il prit sa fille avec lui et tourna le dos à la salle artistique dans laquelle il se trouvait, bordée d'immenses verreries.
- Je devrais la commercialiser, bientôt. Très vite, toutes les grands familles du Royaume se les disputeront.
Et il emmenait sa fille, au travers les couloirs du manoir. C'était l'arrivée récent des premiers jours de Vamyse sur Oro. Le soleil éclairait toutes choses, on sentait dans les fleurs s'ouvrir et frémir les chairs. L'atmosphère avait des odeurs de fruits et de pétales. Le Comte aimait cela. Une main froide sur l'épaule de sa fille, il la conduisit dans une autre pièce du manoir. Tout en Alden respirait la perfection, que ça soit dans ses allures, ses attitudes ou ses habits.
- Une autre de mes créations est également prête, ajouta le Comte. Je veux te la présenter.
Ils descendirent un escalier, passèrent dans une pièce secrète qui se trouvait sous le manoir. Shiumei devait être surprise de l'absence de lumière. Habituellement, le manoir était toujours éclairé. Mais l'Elfe Noir son père était nyctalope, et l'obscurité ne le gênait nullement. Ils dépassèrent une grille, puis pénétrèrent dans une sorte de chambre non meublée qu'aucune lumière naturelle ne baignait. Escorté par plusieurs domestiques, ces dernières abaissèrent humblement la tete lorsque Alden et Shiumei les dépassèrent enfin. Le Comte poussait plus sa fille en avant qu'il ne l'y invitait.
Alors, sur une table, elle put voir un jeune enfant qui semblait dormir. Ses paupières était closes. Shiumei remarqua enfin, accroché partout sur les murs, épinglés, des papillons de toutes tailles et de toutes espèces. Et pas que. Il y avait également des chenilles, des vers, des larves et des cocons. Le jeune garçon, tout à fait pale, gardait les bras le long du corps et les paupières bien closes. Alden ordonna que la lumière soit faite, et deux domestique vinrent éclairer le dormeur immobile. Alors, Shiumei put voir que ses paupières avait été cousues. Ses jambes de même, l'une avec l'autre, tandis que ses bras étaient épinglés le long de son flanc.
- Tu sais ma fille, reprit le Comte un sourire au coin des lèvres, que je déteste les insectes. Ils sont nuisibles pour les plantes et les fruits. Mais je suis forcé d'admettre qu'il y a bien quelque chose que j'admire chez eux.
Et il caressa du bout des doigts, comme s'il fut en verre, le corps nu de ce jeune garçon au teint pâle, si pâle et immobile qu'il semblait sculpté dans le marbre le plus parfait qu'il soit.
- La métamorphose. L'évolution.
Et il tourna ses yeux brillants vers sa fille.
- Le ver qui prend son envol afin de devenir papillon. A l'image de la graine qui croît sous la terre afin de devenir un jour une magnifique fleur qui s'ouvrira aux rayons de Lotyë.
Le Comte tira alors de sa ceinture un couteau en argent, et entreprit de rompre un à un tous les fils qui emprisonnaient son "wormboy". Lorsqu'il ouvrit les yeux, tombant nez-à-nez avec l'Elfe Noir, l'enfant se noya dans ses larmes. Mais il pleurait silencieusement. Le Comte le prit au bras et entreprit de quitter la salle.
- Suis-moi ma fille. La métamorphose n'est pas encore faite.
Et il emmena sa toute nouvelle oeuvre d'art prendre un bain. Entièrement nu lui aussi, le Comte de Galaz'ar, beau comme à son habitude, s'attelait à laver les joues du petit, le décrassant de l'imperfection de telles larmes. Pas une cicatrice, pas un hématome sur sa peau laiteuse. La blancheur du garçon était si étrange qu'il ne paraissait pas véritablement humain. Une fois que l'Elfe Noir l'eut bien débarbouillé, il invita sa fille, debout près de la gigantesque baignoire thermale et qui regardait, à entrer elle-aussi dans l'eau.
- Si tu veux comprendre la corolle et la fleur, avança le Comte en retirant les tous derniers lambeaux de fil sur le jeune enfant, tu dois comprendre la métamorphose. Maintenant que j'ai libéré le ver du cocon, des ailes doivent lui pousser.
Et il hocha la tête à l'attention de sa fille.
- Je te fais cadeau de la larve, ma fille. Eblouis-moi en invoquant le papillon, d'accord ?
Comme Shiumei ne paraissait pas convaincu, il releva légèrement sa tête du bout de son index et reprit, d'une voix si douce qu'elle faisait frissonner.
- Tu es d'accord, n'est-ce pas ?
Alden sortit de son bain, on lui passa un peignoir. Ses domestiques aidèrent l'enfant à en sortir également, et on le vêtit. Il était pour le moment incapable de marcher.
- Pour la première fois dans l'histoire de Ryscior, sourit de toutes ses dents Alden, je vais recréer la métamorphose. Je ferai de cette larve un ange.
Il disparut dans le couloir en annonçant :
- Promène-le un peu. Qu'il prenne le soleil. Qu'il s'épanouisse. Après tout, cette petite graine est un peu comme ton petit frère, n'est-ce pas ? »
- Spoiler: