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[Terminé] [PV Phadransie] "Mes bras sont nés des ténèbres : j’édifierai les ténèbres."
Noire
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Noire
Je suis la fleur des murailles
Dont avril est le seul bien.
Il suffit que tu t'en ailles
Pour qu'il ne reste plus rien.

Hugo



Tous ces événements avaient changé l'âme de Phadransie. Rebelle, insoumise, solitaire, cela elle l'était déjà. D'autres caractéristiques venaient gonfler ces attributs-là.

Cela faisait presque deux Tours qu'elle avait été débarquée de force sur l'Île Noire. Les tortures et les traitements malsains qu'elle avait enduré venait de former en elle une noirceur nouvelle. Ce qui changeait véritablement un esprit, songeait une fois Phadransie, n'étaient ni les coups que lui attribuaient jours après jours et tour-à-tour Briza ou les maîtres des bêtes, ni l'agenouillement imposé avec violence par cette race qui se croyait supérieure en tout, ni même le fait de laisser se consumer dans les braises encore fumantes toutes une part de son visage, non. Ce qui changeait et détruisait un esprit, c'étaient les opérations que pratiquaient les Elfes Noirs en vue de l'améliorer, et d'en faire selon leurs bons souhaits un objet animé utile ou une machine de guerre qui brillerait dans les arènes.

Livrée à Teken'lil, Phadransie avait déjà passé des jours quasi entiers attachée sur une table n'ayant d'opération que le nom, et la douleur était si intense tandis qu'on lui enfonçait millimètre par millimètre ces dards d'acier dans le bras qu'elle en avait perdu sa toute-raison. Elle avait renié Brecianne cette fois-là.

Livrée au Seigneur Uthorin, haut-prêtre Noir, c'étaient des lunes entière qu'elle avait passé attachée sur cette fameuse table basse en pierre sombre et glaciale, et tandis qu'il dilatait ses chairs, millimètres par millimètres, tout ce qui faisait que Phadransie était jusqu'à présent Phadransie mourut.

Elle retrouva son bras. Des bras de chairs et d'or, des bras nés du chaos, des bras nés des ténèbres. C'était d'ailleurs dans les ténèbres qu'avait travaillé Uthorin toutes ces lunes.

Phadransie La Noire avait retrouvé son bras. Son bras gauche, entier, tranché jusqu'à l'épaule par Théoden d'un revers de hallebarde qui avait pour dessein de mettre fin à ses jours. Et Uthorin lui avait rendu sa main droite, tranchée sur Lame d'Or par le Capitaie Drakk James Korlanos, il y avait si longtemps qu'elle peinait à s'en rappeler. Et lorsqu'on y regardait, son bras et sa main paraissaient les plus normaux du monde. La peau était légèrement hâlée comme le reste de ses chairs, les ongles présents, tous les doigts à la bonne place, les veines, légèrement noirâtres sous la peau, pulsaient doucement. Son sang était rouge et coulait comme il le devait.

Phadransie La Noire avait retrouvé son bras.

On la rendit à Briza après plus de quatre lunes de séparation. Uthorin était mort dans l'effort, reconstituer des bras à partir de rien, même pour le plus grand des prêtres de Ryscior, cela n'avait pas été synonyme de vie. Phadransie La Noire s'en réjouissait. Ainsi, elle demeurait certaine d'être la seule au monde touchée par un tel miracle. Elle retint également le nom de cette divinité Noire. Elle ne l'avait jamais entendu auparavant. Silir. Silir lui avait donc rendu son bras et ses mains.

On ne la traînait plus en laisse. Le collier qui, depuis deux Tours à présent était cinglé autour de son cou, ne paraissait pas avoir d'ouverture. Elle apprit par la suite que les colliers tels que celui que Lokhir lui avait passé autour de la nuque le jour où il l'avait achetée se nommaient mirvonkel, en ancienne langue, ou un dérivé du commun mêlé à l'ancien, Phadransie l'ignorait. Le mirvonkel était l'attribut des esclaves de l'Île Noire. Il s'agissait d'un instrument que seules les plus puissantes familles possédaient. Un mirvonkel cinglé autour du cou d'un esclave marquait sa position éternelle d'esclave, et le collier, outre sa capacité de se resserrer ou se dilater à volonté selon la traction exercé par le maître sur la laisse ou la chaîne, ne s'ouvrait jamais. Il n'y avait pas de système d'attache. Il n'y avait pas de serrure ou de clé. Seuls les maîtres avaient le pouvoir de l'ôter, si ils le désiraient, mais un esclave affublé du port du mirvonkel devrait le porter jusqu'à sa mort, car il serait esclave jusqu'à sa mort. Le mirvonkel plus les lettres formant le mot "BRIZA" marquées au fer rouge sur la poitrine de Phadransie indiquaient clairement qu'elle ne s'appartenait plus.

Phadransie La Noire ne désespérait pas. Bientôt, Briza cette pute mourrait, et elle, à présent dotée de ses deux mains, pourrait fuir l'Île Noire. Elle ne baissait pas le regard lorsqu'elle répondait à ses "maîtres". Elle ne leur donnait jamais de raison de se réjouir. Elle ne les laissait pas la désespérer. Une fois libre, elle qui avait presque tout perdu, songerait bien à rentabiliser chaque instant, chaque Tour, chaque lune, chaque jour et chaque seconde de son existence, de son règne à venir !

Son homologue Andelzzer était présent avec elle. On l'avait parquée avec les autres esclaves, de nouveau, dans la propriété de Lokhir, parti en mer avec le Seigneur Émeraude. Et les nouveaux esclaves acquis par la maison durant les lunes que durèrent son absence, les insoumis, s'effrayaient clairement de cette esclave-là, à l’œil noir, à la figure déchirée et léchée par les flammes, et qui parlait toute seule.

« A l'époque, disait Andelzzer assis à côté d'elle sans la regarder, la noirceur était déjà en toi. Mais elle ne s'était pas encore emparée de toi. Ah. L'Île Noire ! On t'offre des bras au prix de ton âme...

Il ne souriait jamais lorsqu'il parlait, mais cette fois-là Phadransie sentit les commissures de ses lèvres s'étirer.

- Ton dressage aura pris plus de temps que je ne l'escomptais, reprit-il, mais au final tu es devenu exactement ce que je voulais que tu deviennes pour me seconder. L'Île Noire aura très bien réussie à te briser.
- Me briser ? Moi ? Me briser moi ?

Ce n'était pas le compte de La Noire que de se laisser dire de telles bouffonneries ! Elle faillit devenir folle de rage en lâchant entre ses dents :

- Me briser ? Moi ! Phadransie La Noire, terreur des mers et plus grand cauchemar de Brecianne Leocadas ?! Pauvre fou ! Personne ne m'a dressé ! Ils ont tous échoué ! On a pas réussi à me briser ! Ni Lokhir ! Ni sa pute de fille ! Ni Uthorin ! Personne !

Et elle riait.

- Allons, reprit Andelzzer. Lokhir est intouchable pour toi. Tu t'écrases devant lui lorsqu'il passe dans les couloirs. Ta fidélité doit aller au Capitaine du Seigneur Émeraude. Tu te languis de verser le sang pour ta Maîtresse. Tu éprouves du respect pour Uthorin. Et tu es sur le point d'adopter le panthéon Noir.
- Si le panthéon Noir peut m'apporter une puissance incommensurable, terrifiante et unique, plus noire qu'aucune autre, si les Dieux de mes ennemis me permettent de tenir Ryscior au creux de la main, de voir Briza crever dévorée par des fauves, si il peut m'aider à envoyer jusqu'à Canërgen les âmes de siresse de Théoden et Everhell, alors oui, je l'adopterai.
- Tu deviendrais une parfaite Elfe Noire, avança Andelzzer.
- Si cela doit être ainsi.
- Tu hais toujours autant cette race ? Maintenant qu'ils t'ont rendu tes mains ?
- Plus que tout. J'abhorre jusqu'au son du mot qui les définit...

Un silence tomba dans l'écurie. Adossée contre l'une des cloison, La Noire tentait de saisir une part de ciel entre deux chevrons de la charpente.

- Mes bras sont nés des ténèbres : j'édifierai les ténèbres. J'égorgerai tous mes opposants afin de prendre le pouvoir. J’étoufferai dans l’œuf toute lumière sur Ryscior. J’élèverai un règne de terreur sur les mers. C'est une promesse.
- Tu es donc bien devenue une Elfe Noire...

Phadransie La Noire sourit alors à son compagnon.

- Et une bien meilleure que toi ! Je vais commencer par apprendre à maîtriser mes nouvelles mains, ici, dans les arènes Noires ! Puis je précipiterai la mort de Briza. Alors, je m'enfuirai.

~



Plusieurs jours passèrent au sein desquels Phadransie ne vit ni de loin ni de près les arènes Noires. On l'avait de nouveau envoyée aux chantiers, sans doute afin qu'elle se muscle encore, ou le temps que Briza organise toute cela.

La Noire se souvint de quelle manière elle avait manipulé Nyx afin que cette dernière se sacrifie pour elle. Pour qu'elle puisse tuer Damia. Au final, escomptant le fait que Briza avait deviné ses machinations, avait-elle plutôt réussie ou échoué ? Damia était morte comme elle l'escomptait, vrai. Mais Phadransie songea qu'elle avait mal mené sa barque. Une victoire parfaite aurait conduit à l'absence de tous soupçons sur sa personne.

Elle voulut refaire un test.

A présent qu'elle avait des mains et des nouveaux bras, elle devrait les utiliser. Entamer une ascension sociale sur l'Île Noire lorsqu'on était une esclave humaine était impossible, mais elle avait bien une idée. N'était-elle pas Phadransie La Noire, après tout ? Elle les surpassait tous.

Elle chercha à se faire reconnaître comme chef, voire maîtresse, parmi les esclaves. Bien sûr, elle se fichait pas mal des espèces d'automates émaciés, muets, plus morts que vifs et qui constituait le gros des esclaves de la maison de Lokhir. Il s'agissait des esclaves brisés, et brisés depuis des Tours. Phadransie s'imposa très facilement comme leur supérieure. On ne la nourrissait plus dans une gamelle en privée, maintenant qu'elle avait des bras on estimait qu'elle pouvait se nourrir dans la niche, cette gamelle commune, que les maîtres des bêtes balançait dans l'écurie le soir.

Elle arracha aux autres esclaves le droit de manger et se nourrir en premier. Elle obtint même d'eux qu'ils s'écartaient dès qu'elle s'approchait d'eux, et si elle désirait un endroit spécial où se poser, là où la paille était plus propre ou l'air, en journée, plus frais, ils ne la lui disputaient jamais.

Le plus difficile fut de s'imposer auprès des derniers esclaves, ceux présents que depuis quelques Lunes, moins d'une Lune pour certains. Il y eut des bagarres qui se déclenchèrent. Phadransie pu jouir plus d'une fois de la sensation de toute-puissance qui faisait frissonner tout son corps d'extase lorsque ses doigts se refermaient sur la nuque de l'un d'entre eux et qu'elle le soulevait à la seule force de son bras ! Ils étaient si maigres qu'ils ne pesaient rien ! Elle, mangeait mieux et avait reprit du poids. Et ses journées sur les chantiers l'avaient effectivement musclé. Mais surtout, elle possédait ces bras nés des ténèbres ! Si puissants. Si fermes. Si noirs. On la craignait. On s’exécutait à ses mots. Rapidement, elle devint l'unique voix et autorité au sein de l'écurie lorsque le maître des bêtes n'était pas là. Et à voir cette esclave au double visage digne de présider aux tortures des enfers régner sur ces pantins sans voix, sans volonté et sans âme qu'étaient les esclaves de Lokhir, l'on se serait cru devant un bien funeste tableau dont la toile demeurait faite de nos tourments les plus secrets.

Un jour, le maître des bêtes vint la trouver. Il prétendit que sa maîtresse l'avait rappelée auprès d'elle. Phadransie l'avait regardé dans les yeux :

- Je te suis.

De rage, le maître avait balancé son fouet sur cette esclave qu'il n'avait jamais aimé, qu'il n'avait jamais eu la chance de briser, et ce dernier s'enroula avec force autour du bras de cette dernière qu'elle leva afin de protéger son visage !

- RESTE A TA PLACE !!! hurla le maître, conscient qu'il n'avait pas le droit de l'abîmer, en ramenant son fouet et l'envoyant au sol d'un coup de pied dans les reins !

La Noire éclata de rire malgré les coups furieux de son supérieur. Consciente de sa position, elle sentait son esprit invincible ! Et pour cet abrutit d'Elfe, son corps l'était aussi ! Elle appartenait à Briza. Il ne pouvait l'abîmer !

Elle suivit le maître des bêtes, boitant, douloureusement, les reins marqué des coups de bottes et du fouet, jusqu'à Briza. Sa très chère Briza.

- Je suis là. »
Jeu 18 Aoû 2016 - 16:12
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Dargor
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Briza fut très satisfaite des progrès réalisés par Honma. Ce travail à la carrière, et les bras réalisés par Uthorin au prix de sa vie lui avaient fait le plus grand bien. Elle avait même profité de l’occasion pour retrouver une certaine force de caractère et s’imposer parmi les esclaves. Cela était une bonne chose. Toutefois, avant de l’envoyer entre les mains d’un maitre d’armes qui saurait lui enseigner quelques techniques de base pour le combat en arène, et en espérant qu’elle ne soit pas confrontée à un fauve qui la mettrait en pièce par pure soif de sang des elfes noirs, il fallait lui apprendre à rester à sa place.

Elle l’invita donc un beau jour à venir la rejoindre dans la salle d’armes de leur domaine, avant d’aller se fatiguer au chantier.

« Ton travail là-bas est terminé, dit-elle en lui jetant une épée, et en prenant pour sa part un fouet. »

Elle vit Honma étonnée. C’était normal, car l’épée qui lui avait été confiée était d’une facture elfique, apte à tuer et à trancher quand elle le souhaiterait. Et elle, Briza, n’avait pas d’armes.

« Voyons ce que tu vaux, dit-elle, et attaque-moi. »

Elle vit que son esclave se méfiait, hésitant un peu quant à la conduite à tenir. Cela était normal. Après tout, une telle nouveauté avait de quoi être perturbant. Ou être un pur piège.

« Si tu ne le fais pas, Honma, c’est moi qui vais t’attaquer, dit-elle. Allons, penses à toutes les fois où tu as dû subir mes remarques exaspérantes… Où tu as juré de me tuer… »

Honma, à son crédit, n’hésita plus très longtemps avant d’attaquer. Mais cette attaque était attendue, et elle se retrouva de l’autre côté de Briza sans la toucher, cette dernière ayant esquivé d’un pas léger, puis brandissant son fouet.

« NE PORTE JAMAIS LA MAIN SUR UN ELFE NOIR ! rugit-elle en l’abattant, encore et encore, jusqu’à ce qu’Honma soit au sol, en train de protéger son visage de ses bras pour éviter qu’il ne se fasse écorcher.
« Je vois, dit Briza en arrêtant, que tu sauras désormais tenir ton rang. C’est une bonne chose. Demain, tu auras un maître d’armes, ma chère Honma. Un maître d’armes humain, comme il convient pour une vermine comme toi. C’est un vétéran des arènes. Un survivant pourrait-on dire. Quand ils deviennent trop vieux pour combattre, ces quelques survivants sont appelés à former les nouveaux gladiateurs, on a besoin d’eux pour ça. Tu seras l’une de ses sept élèves du moment. Cet apprentissage durera dix-sept jours, car les premiers combats arriveront aussitôt après. Ton premier est déjà programmé. Tu verras une amazone parmi les autres élèves. Observe-la bien. Elle sera ton premier adversaire. Elle vient droit de la mission que nous avons effectués ensembles dans la Jungle. Elle appartient à une famille rivale, et plus particulièrement à un jeune noble que je veux mort. Mais comme je ne peux pas avoir sa tête à mes pieds, du moins pas tout de suite, je veux que ma championne tue la sienne. Note-le bien, je ne veux pas seulement que tu la tues, je veux que tu la mettes en pièces. Lentement. Je veux que ce crétin entende les cris de celle qu’il a choisi pour lui ramener argent et réputation. Et je veux que TU sois l’instrument qui me permettra d’anéantir ces espoirs. Peux-tu faire ça Honma ?
« Il va sans dire d’ailleurs que tu dois changer de nom. Honma, Stupide, ça ne convient pas à une gladiatrice, pas vrai ? Alors j’ai trouvé un nouveau nom pour toi, qui conviendra bien mieux à ce que tu es. Otania sera désormais ton nom. Tu te demandes ce que cela signifie ? Berserk. Car je sais qu’au combat, tu auras une férocité et une rage de vaincre que l’on ne verra que rarement dans les arènes, Otania. Sinon tu mourras de toute façon. Et parce que les berserks sont des gens stupides, puisqu’incapables de se contrôler au combat. Mais stupides dans un sens qui est différent de celui d’Honma, puisque celui-ci qualifierait plutôt des femmes comme Damia. Je suppose que tu vois ce que je veux dire ? Parfait. Je t’invite à prendre tes nouveaux quartiers à présent… »

La nouvelle chambre d’Otania était spartiate. Un lit en prenait la moitié. Un lit avec en guise de matelas de la paille, un coussin mal rembourré pour oreiller, et une couverture en laine grossière. Il y avait une fenêtre avec des barreaux, et la porte fermait à clé. Clé que possédait Briza, mais pas Otania. En conséquence, celle-ci serait enfermée dans sa chambre à la guise de sa maitresse, comme il se devait. Après l’avoir enfermée pour sa première nuit, avec de quoi manger qui avait été amené par une esclave de rang inférieur, Briza s’éloigna, en espérant qu’Otania se montrerait rentable.
Lun 29 Aoû 2016 - 23:15
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Noire
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J'ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils. J'ai appelé les fléaux, pour m'étouffer avec le sable, le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l'air du crime. Et j'ai joué de bons tours à la folie.

Rimbaud



Phadransie La Noire était telle qu'elle était. Á cinq Tours, enfant de la rue, elle s'était frottée pour la première fois de sa jeune existence à un groupe d'enfant plus fort qu'elle. Le conflit qui s'ensuivit ne fut point illustre pour elle, et elle finit au caniveau d'Argenterie, entre la fange, les rats et les fientes des quartiers les plus noirs. Elle s'était relevée, et quelques Tours plus tard dirigeait aux côtés de son meilleur ami Sacha la bande la plus organisée de délinquants juvéniles de la capitale.
Á ses quinze Tours, elle était tombée face à face avec un Capitaine Elfe Noir, Andelzzer, qui l'avait violée. Elle s'était alors donné les moyens de l'éliminer grâce aux arts martiaux, et moins d'une Lune plus tard le Grand Val faisait feux de tous bois quelque part entre la Passe et l'Océan des Elfes Noirs. Il n'y avait aucun survivants.
Á ses seize Tours, elle avait fait la connaissance du pirate Drakk James Korlanos qui l'avait accueillie à bord de son Galion Déité sous le mépris le plus subtil et la morsure du fouet. Après avoir tenté de mettre fin aux jours de ce dernier, elle s'autoproclamait moins de deux Tours plus tard Capitaine en second de ce trois-mâts qu'était le Galion Déité.
Plus tard, âgée de vingt-quatre Tours -c'était il y a donc plus ou moins deux Tours- elle fut trompée et trahie par le Capitaine du brigantin l'Eradicate, le Prophète Baldassare Everhell. Elle se découvrit quelques Lunes plus tard un don de divination qui lui faisait entrevoir l'avenir et l'élevait au-dessus du sort fixé par les Dieux sur le commun des mortels.
Il y avait deux Tours, elle s'abandonnait au pire des châtiments entre les griffes de ses ennemis jurés : les Elfes Noirs. De cela était en train de naître la déification, l'apogée de tout ce qui faisait jusqu'à présent Phadransie La Noire. Encore plus dure. Encore plus terrifiante. Encore plus Noire. Chaque fois que l'on portait un coup à Phadransie, elle ripostait avec dix fois plus de force, d'amertume et de puissance.

Andelzzer ne lui appairaissait plus. Peut-être le but de son mentor avait été fixé. Peut-être, satisfait d'avoir réussi à transformer son élève en Elfe Noire, plus Noire qu'eux-même, avait-il choisi de se retirer et regagner son plan mortuaire ? Selon Phadransie, il s'agissait de toute autre chose. A présent qu'elle s'était faite Noire, elle s'était élevée au-dessus d'Andelzzer et avait banni pour l'éternité le fantôme de son inspirateur dans les ténèbres des halls post-mortuaires.
Toutes les nuits, les ténèbres occupaient toute la place dans ses rêves. C'était une sensation et une place impossible à décrire. Il y faisait sombre, aucun œil humain n'aurait rien pu y discerner, avec un trouble inégalé, un malaise lourd qui pompait toute l'oxygène qu'aurait pu contenir l'endroit, mais Phadransie avait malgré tout cela la sensation de se trouver dans le hall d'un grand palais. Il s'agissait simplement d'un rêve, pas même d'un cauchemar. Nulle lumière, nulle présence, nul son. Chaque nuit, elle tentait de gravir cet escalier invisible qui devait sans doute la mener plus avant dans ce palais. Peut-être était-ce là que son âme était venue se nicher ? Peut-être ce château sans fenêtres sans meurtrières était-il le plan qu'elle rejoindrait à sa mort ? Elle se posait peu de questions. Ces rêves ne la dérangeait pas.

Phadransie La Noire retint la leçon de cette salope de Briza. Bien que ce fut cette dernière qui l'avait provoquée, elle ne comptait pas réitérer cette erreur qu'elle avait faite : celle d'attaquer un Elfe Noir. De toutes façons, elle se doutait bien que Briza, sa pute de mère et neuf Elfes sur dix auraient été plus puissants qu'elle en combat singulier. Elle accueillit la chambre, le lit et la couverture avec un réel plaisir -la première grappe du premier fruit que son ascension sociale lui prodiguait !- mais accueillit avec plus de plaisir encore la nouvelle d'un maître d'armes qui allait la former.  Á présent que La Noire demeurait de nouveau en présence de ses deux bras, il était plus que temps de rattraper le temps perdu.

Il demeure un affluent, une période du cours de la vie de Phadransie qui ne fut jamais mise en avant au travers les mots. Cependant, il s'agit d'un échelon ô combien important dans l'édification de sa personne.
Sitôt que le Grand Val fit feux de tous bois, avec, à son bord l'Elfe Noir Andelzzer et le corps sans vie de celui qu'on surnommait Calfat, le chien de ce dernier, Phadransie, âgée de quinze Tours, chavira jusqu'à s'échouer sur un confetti d'île, perdu en plein océan, à la frontière entre la Passe et les eaux Noires du Sud. Blessée, lourde d'un briquet à mèche d'amadou qui lui sauva la vie dans un premier temps, elle fit rapidement la connaissance avec la vie de naufragée. Par chance, le climat dans ces eaux demeurait toujours chaud. Chaud et humide.
Dans un premier temps, elle dû apprendre à sa saisir de nourriture. L'île demeurait déserte de présence humaine. Tout juste y avait-il des oiseaux en haut des cocotiers, des crabes en pagaille sur la plage, des poissons dans la mer et des petits singes noirs vivants, de la taille d'une pomme, qui pendaient en grappe le long des branches les plus hautes des arbres qui s'élevaient dans la minuscule jungle qu'abritait l'île. Si elle voulait manger, Phadransie dû apprendre.

Cueillir les fruits, qui pendaient en masse aux branches, mais toujours aux branches les plus hautes, impliquait apprendre à grimper aux arbres. De nature menue, élancée et agile, Phadransie ne tarda pas à développer plusieurs techniques, dont une infaillible qui consistait à s'aider d'une liane et qui, enroulée aux poignets et passée autour du tronc, soutenait les pieds et les cuisses et rendait l’ascension possible. Il va de soi qu'un comptable Oréen n'ayant jamais vu d'autres paysages que les vignes sur la route d'Ambbör à Garay se serait trouvé en grande difficulté si jamais il aurait dû se livrer à cet exercice aussi technique que physique. Phadransie sut bientôt dénicher les meilleurs lianes pour cette activité, en un seul coup d’œil, et grimpait si vite qu'un naturel, si il y en avait eu, n'aurait pu l'égaler à la course. Elle aurait pu faire des réserves de fruits, n'étaient point les moyens qui manquaient, mais elle se l'était interdit. Cela l'obligeait ainsi à réitérer cet exercice qu'elle aimait  une fois par jour au minima, sous le zénith du milieu de journée, sous la pluie ou sous le vent. Elle mangeait autant de fruits qu'elle le voulait, et à la voir parcourir les cinq, huit ou dix mètres de tronc en quelques secondes, elle aurait pu faire pâlir un gecko.

Attraper à la main les poissons qui se trouvaient emprisonnés, lorsque la marée baissait, derrière le barrage de rochers qu'avait fabriqué Phadransie, impliquait une dextérité extrême. Mais son œil savait suivre la nage tranquille de son dîner, et sitôt qu'elle armait un bras, elle l'abattait sur la cible que sa prunelle avait rencontrée. L’œil était le viseur. Le cerveau l'amorce. Et le bras était la poudre qui venait frapper en plein cœur. Elle savait utiliser à bon escient chacun des doigts de ses deux mains. Elle coordonnait si bien chacun des éléments de son corps, qu'elle laissa bientôt de côté, de façon définitive, la canne d'infortune qu'elle s'était confectionnée dans un premier temps. Le briquet lui permettait de cuire sa manne. Bientôt, toute la mèche fut consumée. Phadransie apprit à manger le produit de la mer cru. Elle ne laissait rien à l'abandon, arrachait la tête avec ses dents, gobait les yeux, se repaissait de la chair fraîche, blanche, suçait les arrêtes, chaque écailles et remerciait Ariel, les premiers jours, pour la viande qu'elle lui procurait dans son exil. Ainsi, Phadransie mangea autant de poisson qu'elle le voulait, et à la voir les saisir à la main de façon si rapide qu'un œil humain ne parvenait à suivre le mouvement, on ne doutait pas que cette enfant avait hérité des connaissances en arts martiaux et plus particulièrement celle de la technique secrète des trois coups.  

Mais la volonté de fer de la jeune Phadransie ne s'arrêtait pas là, et elle se refusait de passer ses journées à manger, boire et dormir. Elle n'oubliait pas les leçons de son défunt Maître, Keshdar Falcon, expiant aux bottes d'Andelzzer, et surtout n'oubliait pas ses réprimandes. Elle n'était pas assez bonne, elle ne maîtrisait pas la technique secrète. On ne maîtrisait pas les arts martiaux en quelques semaines. Alors elle s'entraînait, jours après jours, avec une adresse, une rage, une résolution et un acharnement qu'on ne pouvait lui contester ! C'était la force de la jeunesse, les débris d'une vie, l'affût d'une âme paisible, exilée au bout du monde.

Ses pieds-nus pouvaient tout supporter. L'écorce comme le sable brûlant en pleine journée, la roche comme les bois morts, la bourbe comme le tranchant des hauts-récifs qu'elle foulait volontairement, quitte à se retrouver la plante des pieds en sang et ne plus pouvoir remarcher avant plusieurs heures. Alors, elle recommençait aussitôt l'exercice. Sa peau durcit, comme recouverte d'une armure qui la rendait invulnérable et insensible à toute douleur, toute coupure. Elle courait sur n'importe quel terrain, savait gravir n'importe quel rocher ou n'importe quel arbre ! Cela était très différents des ruelles de Port-Argenterie, ou du pont briqué du Grand Val. Si, à cette période là, un cordonnier échoué sur l'île, et avec tout son paquetage, eût proposé à la jeune femme de confectionner des bottes à sa taille, elle les aurait refusées sans sourciller. Les échardes qui lui auraient arrachées des larmes du temps du Grand Val ne la piquait même plus au bout de quelques semaines, et il aurait fallu qu'elle empale son pied sur un dard d'au-moins trois fois la taille de celle de l'écharde avant qu'elle ne grimace sous l'effet de la douleur. Elle escaladait, grimpait, bondissait, glissait, cheminer où elle le voulait. Phadransie détestait avoir les deux pieds au sol, immobiles, et jamais ne vit-on femme plus encline à la voltige dans les arbres et sur les roches que Phadransie à cette période de son existence.

Elle nageait également très bien. Une de ces activités préférée, et de celle qui la musclait le mieux, était la nage à contre-courant. Elle laissait sur la plage les maigres habits qu'elle portait, et, une fois en haut du monticule de récifs bordant la sépulture des vagues, elle se laissait tomber dans le vide, fendait les flots et nageait, se fichant comme d'une guigne de ceux-la qu'on appelait tiburon, ces gros poissons aux dents en triangle et qui pointaient leur dorsale par-dessus la surface. Elle plongeait également très bien, au fil des Lunes parvenait à nager plus loin, à respirer plus longtemps. Elle fit, plus d'une fois, la course avec ceux-là qu'on nommait dauphins, si tant est qu'elle dépassait la barrière de corail, ou que l'un d'eux -ce qui s'était déjà vu- la franchissait aussi. La nage harmonisa et apaisa son esprit, forgea son corps, purifia son souffle, et assouplit ses membres. Elle faillit une fois être emportée par un grain soudain qui venait du côté du ponant, et ajouta bientôt la prudence et l'observation à ses habitudes aquatiques. Le meilleur marin d'Argenterie, si il eut la même constitution et la même taille que Phadransie, n'aurait pas été en mesure de la battre à la course sous l'eau.

Tout comme ses pieds se furent endurcis, ses mains également. Elle creusait le sable afin d'en extraire les œufs de tortue qu'elle gobait également, ou les crabes qui ne manquait pas sur la plage de grains blancs. Si au début ses doigts se trouvaient en sang et qu'elle devait les jours suivants s'aider d'un morceau de bois mort, au bout de quelques Lunes il lui sembla que ses mains demeuraient des roches, et qu'elle pouvait tout briser avec. Elle eût une fois la bonne fortune de se saisir d'une tortue. Jamais Phadransie ne trouva dans le beau monde matière qui fut plus résistante que la carapace de tortue, et elle faillit se briser les deux poings à essayer de la fêler. Elle usa au final d'autre procédé afin de l'ouvrir. La viande de tortue demeure depuis ce jour sa préférée.

Une autre viande qu'elle goûta, fut celle des singes noirs qui pendaient aux branches des arbres les plus verts de l'île. Comme il était impossible d'attraper ces singes à la main, malgré toute la dextérité et la vaillance de Phadransie sur les branches, car sitôt qu'on les approchait de trop près, ils poussaient des hurlements terribles, et bondissait de branches en branches, bien plus légers et habiles que n'importe quel bipède, elle mit au point un autre procédé. Frustrée d'être tenue en échec sur cette île qu'elle considérait comme la sienne, elle voulut se confectionner un arc et des flèches, mais après plus d'une dizaine de tentatives, n'y parvint jamais. Elle tailla alors des ramifications de bois en pointe acérées qu'elle accrochait à ses hanches ou dans son dos à l'aide de carquois d'infortune faits à partir de lianes. Elle s'entraîna au lancer, suffisamment de temps afin qu'elle puisse percer en pleine tête les grappes de petits singes noirs depuis une branche voisine. Ainsi touchés, ils lâchaient prise, déjà tournant de l'oeil, et s'écrasaient sur le sol tandis que leurs compatriotes remettaient leur manège de cris et de bonds à des dizaines de pieds au-dessus d'eux. Ceci fonctionnait également avec les oiseaux au grand bec et les oiseaux bavards, les caméléons ou les lézards. Quelquefois, remarqua Phadransie, pour en revenir aux singes, leurs pattes pendaient inertes, mais c'était leur queue qui, toujours accrochée aux lianes ou aux branches, les empêchait de rependre leur cervelle dégoulinante au pied du tronc plus bas. Mais ça n'était pas un problème pour la jeune Phadransie qui grimpait aux arbres comme personne. La cervelle de ces singes était, de leur corps, la partie la plus nourrissante et celle qu'elle préférait. Leur viande cuite lui rappelait celle des rats d'eau, qu'elle avait déjà goûté à Port-Argenterie.

Un beau jour, après plusieurs Lunes de survie, Phadransie découvrit l'existence d'animaux autres que les oiseaux, les caméléons, les tortues, les singes et les reptiles. Elle fut étonnée de ne point les avoir rencontré avant, mais mit cela sur le compte de leur habitude à détaler sitôt qu'ils la sentaient, même à plus d'une lieue. Une petite horde de sanglier résidait dans la jungle. Était-ce le fruit d'importation d'anciens boucaniers ? Phadransie ne trouva jamais la moindre trace que des hommes autres qu'elle eurent un jour vécu et boucané ici. L'île était minuscule et il fallait à peine une journée afin d'en faire le tour, après tout. Phadransie prit plaisir à chasser le sanglier. Elle confectionna des piques de bois plus robustes, plus élancées et plus longues, certaines de près de cinq pieds de hauteur. Et elle maniait ses lances avec une maîtrise qui tenait du prodigue, à terre comme entre les branches des arbres ! Un jour, elle tenta de faire sécher les boyaux du sanglier sur un récif plat, au soleil. Avec, elle confectionna une arme mortelle qu'elle entourait autour de ses deux poignets. Il lui suffisait de croiser les bras soudainement, et si elle se fût trouvé derrière un homme, la corde de boyaux venait lui écraser la glotte, la tranchant aussi sinon mieux qu'une lame, et le tuant sur le coup et sans un bruit !

Une fois, elle repéra une laie encadrant une portée de six petits. Phadransie, dissimulée derrière un buisson épais, ayant pris grand'soin de se placer face au vent afin que ce dernier ne porte pas son odeur à son ennemi, arma son bras, visa et lança ! Hélas, la pointe de son arme ripa contre le cuir épais de la laie, et n'eut pour autres conséquences que de faire couler le sang. Les laies, avait noté la jeune femmes, surtout lorsqu'elles encadraient une portée, demeuraient bien plus dangereuses que cet espèce de sanglier qui détalait à tout va et qu'on trouvait sur l'île. Aussitôt, dans un braiment rauque, l'animal chargea, et Phadransie n'avait rien trouvé de plus amusant que d'échapper à une laie enragée à qui elle promit de faire la peau ! Ses pieds foulaient les sols pourvus d'échardes sans aucun problème, elle volait plus qu'elle ne courrait ! Sitôt qu'elle l'aperçut, elle bondit de toute sa hauteur, bras levés au-dessus de sa tête afin de saisir une branche épaisse et plus basse que ses sœurs, son corps s'élança, ses jambes passèrent par-dessus sa tête et en moins d'une seconde elles s'enroulèrent autour de ladite branche, échappant par la même à la laie furibonde qui n'était capable que de suivre une ligne droite ! Allongée sur son perchoir, Phadransie assista à la fuite de son dîner sans trop de déception. Elle reprit son chemin en sens inverse, et pas une fois ses pieds ne touchèrent le sol.

C'était là le genre d'exploit dont était capable Phadransie à cette époque. Et si on lui eût parlé en ces termes, d' ''exploit'', elle aurait ri. A sa vue, il ne s'agissait que d'un entraînement de tous les jours dans le but d'améliorer son corps et son esprit, qui lui avait été imposé par les Dieux, Ariel ou un autre, peu lui importait ! Il fallait bien manger. Quand on est libéré de ses lendemains, plus rien ne compte hormis l'instant présent, et l'âme de Phadransie atteignit une harmonie et un équilibre qui permit par la suite à son corps de gagner en force, souplesse et puissance. Elle se servit de tout cela afin de perfectionner son trois coups, et ce, jusqu'à ce qu'elle le maîtrise, vraiment, qu'elle le sente et qu'elle soit capable de dispenser la mort du bout des doigts. Elle passait des heures entières à frapper dans le vide, en équilibre dans les arbres, alternant coups de pieds puis coups de poings, tournant sur elle-même, toujours plus vite, quitte à parfois subir un faux pas, une fausse impulsion et s'écraser en bas ! Elle savait faire sauter l'écorce d'un arbre d'un coup de talon ! Elle savait faire de même avec deux de ses doigts, en vue de son trois coups ! Lorsqu'elle se préparait à taper, le monde paraissait tourner au ralenti autour d'elle, et les points qu'elle voulait, qu'elle devait atteindre lui apparaissaient comme évidents à atteindre.

Bien sûr, tout cela n'était valable que sur une cible fixe.

Un beau jour débarqua du méchant monde sur son île. Des êtres puants, à la démarche saccadés, grognant et désarticulés comme autant de pourceaux immondes vomis par les enfers. On appelait ça des zombies, Phadransie l'apprit par la suite. Elle parvint à en terrasser plus d'un, écrasant leur crâne pourris de son talon, faisant exempt d'un trois coups presque parfait avant de se faire capturer et comparaître devant un certain Jack Lissander qui la rabandonna au rivage quelques heures plus tard, une caisse emplie de bouteilles de rhum -dont les trois quarts demeuraient vides- pour toute compagne. Ils avaient été ses seuls visiteurs en plusieurs Lunes de solitude. Mais la solitude, face à la folie d'un monde où le blessé endormi ne sentait plus ses douleurs, et le captif rêvait peut-être de liberté, jusqu'à son réveil où il devait se retrouver enchaîné comme une bête fauve dans la plus horrible prison, loin de la mer ou entre les planches d'un navire sans autre espoir que la mort ou l'esclavage, était la toute-bienvenue. Après un Tour et demi d'exil, loin de la civilisation, Phadransie fit la rencontre d'une femme en rouge, d'un vieil homme aux muscles saillants, bâti comme une montagne, et de ceux qui étaient les tout-premiers marins du Galion Déité. Ils venaient apparemment, en expédition, se ravitailler en nourriture et en eau, et en profitaient afin de faire un peu d'exploration, cette île leur étant apparemment inconnue.
Après tant de temps passé dans la jungle, Phadransie en était devenue comme une naturelle. L'instinct animal que l'on retrouvera pas la suite en sa personne ne fut jamais aussi fort qu'à cette période où elle ne s'était pas même surprise de ne plus languir apercevoir un vaisseau au large. Si elle fixait plusieurs heures dans la journée l'horizon, c'était plus par habitude que par réelle envie de quitter cet exil. Elle souhaitait rentrer ''chez elle'', bien sûr, mais un jour et un jour ça n'était pas aujourd'hui.

Aussi, quand l'équipe du Galion Déité entreprit de s'enfoncer dans la minuscule jungle, sans se douter qu'ils étaient suivis, lorsqu'ils récoltèrent à la source de l'eau claire, en remplissant plusieurs tonneaux, Phadransie, ainsi que la bête qui choisit de défendre son territoire, passa à l'attaque ! Les marins furent surpris, elle causa des ravages dans les rangs, armés de ses couteaux de bois, bondissait plus haut qu'un singe, frappait avec la rapidité de l'aspic, rugissait comme le tigre et semait la confusion. Armés de mousquets, quelques marins firent feu mais par chance, leur décharge se perdit dans les frondaisons. Les autres s'abstinrent de peur de blesser leurs camarades dans la confusion. On maîtrisa Phadransie au bout de plusieurs minutes et les officiers et les marins ouvraient des yeux ronds comme des billes en la touchant du bout de leurs bottes ou de la crosse de leur mousquet ou leur tromblon.

«  Quoi ? Comment ? Une gamine ? Une femme ? Par la Garce ! Qu'est-ce que cela fait ici ?

Ils la prirent pour une sauvage, accoûtrée comme elle l'était et refusant de leur faire le moindre mot, répondant à leurs questions par des grognements, un regard foudroyant et des crachants en plein visage. Ils la cinglèrent à l'aide d'une perche de bois et d'une corde, qu'ils cinglèrent comme un collet autour de son cou, et elle eut enfin le loisir de découvrir le fameux Déité ainsi que le Capitaine Korlanos.

- Que me présentez-vous là ? demanda à l'homme taillé en V le Capitaine, mains jointes derrière le dos en se penchant vers Phadransie. Que voulez-vous que j'en fasse ? Sais-tu parler ? Tu as un nom ?

A l'écoute des grognements et des insultes Port-Argenteriennes que leur faisait la ''sauvage'' que Red et ses hommes avaient ramené de l'île, ainsi que de son prénom qu'elle leur crachait au visage ''Phadransie'', Korlanos comprit très vite qu'elle n'était pas née sur l'île. Phadransie lui apprendra d'ailleurs, plus tard, le naufrage du Grand Val qui fut la cause de son exil sur ce confetti. Korlanos, jugeant que cette charmante personne s'était calmée un tant soit peu, choisit de lui laisser sa chance en la faisant sortir des geôles du navire. Il jugea que, si elle venait d'Argenterie et avait navigué, elle était apte à la manœuvre à bord de son Galion. Il n'avait pas encore posé la main sur la poignée de porte de sa cabine que sur le pont c'était déjà le grabuge. Phadransie avait déjà arraché de ses dents la peau du cou d'un Officier, et terrassé trois autres pauvres types dans une belle démonstration martiale. Alors qu'elle s'élançait sur le vieil homme colossal qui semblait avoir été taillé dans la roche, elle fut surprise de l'esquive qu'il lui fit ! Elle avait toujours, jusque là, surpris ses adversaires par ses capacités physiques et martiales, et aucun n'avait fait preuve d'une vitesse supérieure à la sienne en esquivant l'un de ses coups ! Elle apprit par la suite que cet homme, un montagnard de l'Est qui fut moine la première moitié de sa vie, puis marin la seconde, était le Lieutenant Premier du Galion Déité. Son nom : Ryu Le Kill. Il était connu dans tout Argenterie, c'était l'homme fort du Port. On disait de lui qu'il égorgeait des bœufs à mains nues. Seulement, Le Kill vieillissait, et sa vue ainsi que son ouïe ne demeuraient plus aussi bons que lors des Tours passés au monastère.

Phadransie passa sous le chat à neuf pour son comportement avant de voltiger toute la fin de journée, plus souple qu'un singe, dans la mature. La suite de l'histoire est connue, elle tenta d'assassiner Korlanos la nuit-même, un nuit de ténèbres sans lune, avec Lame d'Or et il lui trancha la main droite sur Lame Noire avant de la clouer sur la porte de sa cabine. Puis, voilà le plus étrange, il avait cautérisé et bandé la plaie lui-même, comme si Phadransie eût été sa propre fille. Peut-être s'était-il pris de tendresse pour cette gamine furieuse un peu sauvage. Le Capitaine Korlanos lui fit boire de l'eau de congie avec du jus de citron et laver la plaie avec de l'eau-de-vie. Mais c'est la gorge qu'elle lava à l'eau-de-vie et la plaie au jus de citron. Il lui avait donné des vêtements et du repos à bord, et même une cabine, dix jours avait-il dit, pas un de plus ni un de moins. Une fois ce délai passé, le fameux Kill était allé la voir, et lui fit le marché suivant : soit elle trouvait sa place parmi l'équipage du Galion Déité et on la traiterait comme telle, soit elle choisissait de s'entêter, ou se montrait incapable à la manœuvre, et dans un tel cas elle passerait par la planche.  Phadransie Nuit Noire, nommée par le Capitaine, que tous à bord raillaient comme Phadransie La Noire fit le bon choix. Elle apprit que le nom de la femme en rouge était Red, et qu'elle courtisait le Kill en vue d'une place d'Officier à bord.

Depuis petite, Phadransie était une âme qui avait le besoin vital de s'élever. Ses pieds ne restaient jamais en place, sur le sol. Ce qu'elle aimait le  plus à bord du Grand Val c'était battre de l'aile dans le gréement en compagnie de son formateur, le Knife. Partie de rien, elle souhaitait régner sur le monde entier, et jamais le Galion Déité ne vit femme plus déterminée à réussir. Cependant la punition de Korlanos était pour elle une lamentation sans nom. Elle avait déjà supporté la perte d'un œil, par le feu. Perdre en ce jour sa main, par l'acier, était pire que le reste.

Sans sa main droite, Phadransie ne savait plus grimper. Alors que, la veille, elle bondissait dans les enfléchures et dans les haubans, paraissait voler sur les vergues et les hunes, se laissait glisser le long des bastaques, impressionnant par là tous les gabiers de bord par son agilité, son aisance et sa souplesse, elle ne parvenait même plus à gravir en un temps estimé comme ''normal'' une échelle de corde ou de huniers. Elle eut honte de sa décadence, et cette honte se chargea de colère. Elle dû renoncer à jouer les jeunes singes parmi les gabiers sous le gréement.

Sans sa main droite, Phadransie ne parvenait plus à nager. Elle essaya plus d'une fois, mais s'épuisait vite, évoluait lentement et se dirigeait mal. N'importe quel drôle aurait pu la battre à la course et elle évita donc autant que possible de se divertir par la natation.

Sans sa main droite, elle dut renoncer à l'utilisation de sa corde en boyaux de sanglier. Il s'agissait pourtant d'une arme qu'elle avait imaginé elle-même, confectionné elle-même, allant jusqu'à tuer le sanglier de ses mains pour lui en extraire les boyaux. Et en dépit de l'orgueil qu'elle lui prodiguait, c'était une arme fort efficace, car très peu coûteuse, légère et qui permettait de tuer n'importe qui en un silence solennel si tant est qu'on fut suffisamment discret pour approcher de dos la cible désignée.


Sans sa main droite, Phadransie La Noire perdit toute l'efficacité de son trois coups. Elle perdit en vitesse, elle perdit en équilibre, elle perdit en efficacité. Elle en voulut longtemps à Korlanos pour cela. Il avait épargné sa vie, mais qu'elle était chère la facture dont il la pourvoyait ! Elle compensa cette disgrâce par des coups puissants portés de ses jambes mais son trois coups demeurait à ce jour sa plus grande fierté et la source d'une bonne part de son orgueil. Sa main ne repousserait jamais. Elle la narguait, là, clouée sur la cabine de Korlanos, pourrissant jusqu'à ce qu'un jour le Kill dise ''stop'' et on expédia le machin putréfiant à la gueule des Grand'Eaux.  

Korlanos la confia aux soins de son Second. Le Capitaine s'était clairement pris d'affection -certains disaient amour, mais Phadransie La Noire avait plus l'air d'une bête sauvage et damnée que d'une femme- pour cette gamine de pas même dix-sept Tours qui arborait le cache-oeil et le crochet, un sourire cruel aux lèvres, et qui ne montait jamais dans le gréement ni ne se baignait dans la mer.

Le Kill enseigna à Phadransie beaucoup de ce qu'il savait. C'était un Second compétent, qui promit de lui apprendre à lire et à écrire si un jour elle le désirait. Phadransie n'était pas dupe. Elle savait que le Kill l'avait pris sous son aile car Korlanos lui en avait donné l'ordre. De toutes façons l'aile de cette montagne de muscle qui ne portait jamais de bottes ne valait point l'aile de Korlanos, et Phadransie apprit grandement des deux hommes. Korlanos lui enseigna l'art de l'escrime. Le Kill lui apprit le lancer de couteaux. Korlanos lui apprit à lire une carte marine. Le Kill lui enseigna les arts martiaux. Korlanos lui apprit tout ce qu'il y avait à apprendre pour un Officier à bord d'un bâtiment tel que le Galion Déité. Le Kill lui instruisit le secret de plusieurs figures martiales simples mais efficaces. Phadransie palia comme elle le put à son infirmité.

Ça n'était un secret pour personne, à bord du Galion Déité, que le vieux Kill pouvait disparaître à tout moment, foudroyé par un adversaire plus jeune et plus puissant lors d'un abordage, ou sur les quais d'Argenterie où Korlanos faisait souvent escale. Il devait désigner ainsi, en accord avec le Capitaine, la personne parmi les Lieutenants de bord qui récupéreraient ses bottes -façon de parler, bien sûr- si il devait lui arriver quelque chose. Le premier combat qu'il perdrait serait aussi le dernier pour Ryu le Kill. Un jour, Phadransie La Noire, qui bénéficiait d'un rang spécial à bord, même si elle y travaillait en tant que matelot, surprit une conversation entre le Capitaine Korlanos et son Premier Lieutenant. Il était justement question de cette succession à bord, après qu'une fièvre terrassa le Kill pour deux jours et deux nuits, lui qui n'avait jamais été malade de sa vie. Le Kill annonçait à Korlanos que Madame Red serait parfaite pour un tel rôle, sitôt qu'elle passerait le grade d'Officier puis de Lieutenant. Korlanos donna sa bénédiction pour le passage au grade d'Officier, mais il éprouvait des irrésolutions quant au fait de la nommer Première Lieutenant. Il évoqua le cas de Reginald Thorn, Sous-Lieutenant qui présentait bon nombre de qualités et dont il ne doutait pas de la loyauté. Il présentait surtout le cas de Noire, prétendant qu'elle possédait les qualités de corps et l'ambition qu'il recherchait chez la personne qui le seconderait. Le Kill soutenait qu'il n'était pas d'accord, que Phadransie n'avait aucune expérience, qu'une folie naissante l'assombrissait, que c'était une sauvage et une furibonde et que cela n'était pas bon pour un tel poste. La conversation s'arrêta ainsi. De toutes façons, le Kill était peut-être vieux mais loin d'être mourant.

La peste soit de Noire ! s'écria un jour Madame Red au bras de son amant dans l'intimité de sa cabine. Je serai Capitaine cent fois avant qu'elle ne devienne Second !

Le Kill promit à sa belle de convaincre le Capitaine de lui laisser la former à la place de Première Lieutenante sitôt qu'elle se serait faite aux bottes de l'Officier de quart. Dès cet instant, Phadransie La Noire raya le Kill de sa mémoire. C'était devenu une sorte de jeu entre elle et Madame Red, et elle ne perdait jamais aux jeux. Le Galion mouilla à Port-Argenterie cinq ou six semaines après. La Noire s'arrangea pour attirer son éducateur une nuit sans lune, le haut d'un créneau de pierre non loin de l'Amirauté de la cité. L'endroit était désert, il n'y avait pas de gardiens posés avec une ou deux bouteilles de rhum près de la poterne ou le long des remparts. Phadransie savait le Kill plus fort qu'elle l'était. Plus puissant, plus expérimenté, c'était un château-fort et ses coups à elle le chatouillaient à peine. Elle aurait pu se débarrasser de ce fils de pute en mettant du poison dans son grog, par exemple, mais c'aurait été sous-estimer là grandement la fierté et l'orgueil de Phadransie La Noire. Ce qui la faisait jouir par-dessus tout, c'était tuer de ses mains. Elle n'empoisonnait jamais. Le Kill l'avait formé aux arts-martiaux. N'était-il point normal que ça soit la frappe mortelle et paralytique des trois coups, ou de l'arc de trois, ou de la botte à la une, deux, trois, peu importe comment on l’appelait à travers Ryscior, qui le mette à terre ? Elle ne cacha pas même ses intentions, et lui dit d'une voix lugubre et œil dans les yeux qu'elle comptait le tuer pour voler sa place de Second à bord du Galion Déité.

Lorsque le combat s'engagea, il eût très rapidement l'avantage ! Phadransie se mangea plusieurs coups de poings qui lui éclatèrent les lèvres et plusieurs alvéoles dentaires ! Elle esquivait en bondissant, avec toujours autant de souplesse, autant de dextérité, mais le Kill, de par sa corpulence, sa robustesse et la puissance de ses coups, n'avait besoin de la toucher qu'une fois pour la sonner une ou deux secondes ! On aurait dit un dauphin harcelant une orque. Prenant appui au murs, bondissant autour des mâchicoulis, glissant entre les jambes et son adversaire, tournant sur elle-même, Phadransie La Noire éprouva à pleins poumons l'ivresse d'un tel duel.
Mais duel qu'elle perdait ! Un coup l'envoya rouler aux pieds des créneaux, elle se redressa de justesse, arrête un coup de poing qui lui aurait brisé la nuque net, tourna comme un moulin autour du poing fixe du Kill, attaqua par un retour de jambe qu'il arrêta de son autre main avant de renvoyer Phadransie au sol, manquant de lui fendre l'arrête dorsale en deux ! La douleur irradiait dans son corps, et elle sut qu'elle avait gagné la partie au moment où le Kill, comme bloqué dans ses mouvements par une jambe paralysée soudainement, perdait en vitesse et en efficacité. Elle se rua sur la faille de son adversaire, arma sa main gauche -sa seule main viable- et terrassa son adversaire après un trois coups correctement exécuté !

Les deux vipères sifflantes qui se tordaient en rampant au sol s'éloignaient déjà du moribond dont l'écume noyait les lèvres avant qu'il ne tourne de l'oeil.

- Lorsqu'on danse dans un nid de serpent, faut pas s'étonner de se faire mordre ! lui fit La Noire en essuyant le sang qui maculait son visage et son corps douloureux.

Le Kill avait une mauvaise vue, c'était bien connu. Noire prit le temps de retrouver un rythme cardiaque normal, la tête lui tournant et le sang battant tellement fort dans ses tempes que cela la mettait au supplice. Madame Red arriva, comme l'épilogue d'un putain de roman, la mine ravagée en se penchant sur son amant encore chaud. Noire avait prit plaisir à le garder en vie à l'aide de son trois coups. Le poison ferait le reste.

- Apprend à te méfier de la peste, Madame Red. »

Et elle quitta le parapet et les remparts, afin de rejoindre le port en contrebas, titubant comme si elle fut ivre. Elle alla rendre visite immédiate à Korlanos, le mit au détail de la mort de son Premier Lieutenant et proclama qu'elle prenait son rôle de Second. Korlanos ne s'y opposa pas, Phadransie ayant prit soin de tuer le Kill à terre et non à bord. Mais Drakk James Korlanos prit soin de lui faire payer ses prétentions. Puisqu'elle avait tué elle-même son professeur et formateur, Korlanos annonça qu'il lui donnait le poste de Seconde du Galion Déité, comme elle venait de le saisir elle-même, mais en contrepartie il ne formerait plus. Il ne lui enseignerait ni la littérature, ni l'art de la  navigation ni celui de commander, ni les connaissances géographique qui lui manquaient ainsi que les nombreux secrets dont il était le détenteur. Si Noire, qui s'était avérée être une excellente élève, souhaitait poursuivre dans les arts martiaux, elle devrait se trouver elle-même un maître. Korlanos ne l'entraînerait plus au sabre non plus, ni à tirer au tromblon, à la mitraille, à l'espingole ou à la couleuvrine. Et si elle le mécontentait dans ses fonctions, il la destituerait.

Phadransie La Noire jugea cela comme de bonne guerre, et son objectif atteint passa les Lunes et les Tours qui suivirent à se consacrer à la bonne maîtrise de ses fonctions, la conservation de ses connaissances martiales, la chasse au trésor et aux artefacts et l'art de l'intimidation et des tortures. Korlanos la trouva suffisante en tant que Première Lieutenante. Son île lui manqua le premier jour, peut-être. Pas les six Tours qui suivirent.

~



Pharansie La Noire avait à nouveau de bras et des mains. Ce fut comme passer un portail qui été demeurait fermé durant des Tours. Elle se rappela qui elle était, ce qu'elle avait été, ce qu'elle avait été capable de faire lorsqu'elle avait ses deux mains. En vérité, Briza ne s'attendait certainement pas à ce qui allait suivre, dans ces arènes. Elle écouta avec attention les conseils de son maître d'arme. Elle ne parlait pas, gardait les lèvres closes tout le long de la séance. Elle observait avec attention ce que son esprit en ebullition trouvait à observer.

Briza l'avait renommé Berzek. Phadransie riait intérieurement de la débilité de cette Elfe. Evidemment, la folie dont elle souffrait, ainsi que les traitements, ne pouvaient chez elle être lavés que par le sang chaud. Lorsqu'elle s'était battu, elle perdait le contrôle et l'on pouvait pour cela la comparer à un chien enragé, ou même un coq qu'on lâchait sur un autre. Jusqu'à présent, l'instinct lui avait sauvé la vie. Mais après tout, Briza ne l'avait faite combattre que contre quelques humains, insignifiants. A présent que Phadransie avait retrouvé ses deux bras et ses deux mains, tout serait différent. A présent, elle pouvait de nouveau nager. Elle pouvait de nouveau escalader. Grimper. Voltiger. Voler. Mais La Noire se promit de conserver secrètement ce savoir-là. Au moins jusqu'au jour J.

Elle avait très bien analysée son adversaire. Elle était sure de sa victoire. L'Amazone ne connaissait rien de la civilisation et des arènes. Elle avait passée sa vie entière dans le territoire le plus inhospitalier de Ryscior. Elle ne connaissait rien aux humains.
Phadransie avait passé plus d'un Tour dans la jungle, sur son île. Bien sûr, elle ne la comparait pas à la Grande Jungle du Continent, mais se ventait de posséder au moins une petite partie du savoir de l'Amazone. S'ajoutait à cela sa connaissance de la civilisation et des hommes, sa connaissance des arènes Noires, qu'elle avait déjà vu lors de l'exécution de Nyx. Sans compter les leçons enseignées et retenues auprès de personnalités notables qui l'ont marqué de façon ou d'une autre. Le Knife et le Kill qui lui apprirent à lancer les couteaux, domaine dans lequel elle avait toujours excellé. Korlanos lui avait enseigné les bases du combat à l'épée, élément qu'Everhell avait repris durant le Tour que dura leur collaboration. Phadransie eut ainsi en elle les connaissances d'une bonne lame de l'Ouest et d'une bonne lame de l'Est. Falcon et ce même Kill lui offrirent une petite part de cet océan de secrets qu'étaient les arts martiaux. Andelzzer lui avait apprit à devenir une parfaite Elfe Noire, comploter, enquêter, machiner, maîtriser. L'Île Noire l'éduqua à supporter coups sur coups. Sérieusement, comment cette Amazone pourrait-elle gagner le combat face de tels désavantages ?

Une seule question l'obsédait car elle n'en possédait pas encore la réponse. Mettre tout cet apprentissage en application sitôt qu'elle serait dans les arènes ne lui posait aucun soucis. Mais saurait-elle prouver à la foule qu'Otania était un surnom qui ne lui convenait pas le moins du monde ? Saurait-elle, une fois le sang de l'Amazone sur ses poings ou sur sa lame, ne plus perdre le contrôle ?

Elle arrivait à un stade où perdre le contrôle de son corps et de son esprit devenait synonyme de mort. Ses pieds l'élevaient depuis toujours, jusqu'à la perte de sa main, au plus près du ciel sous le gréement. Maintenant qu'elle avait retrouvé des bras dignes de son nom, elle s'en servirait pour attraper tous ceux qui lui faisaient de l'ombre, et les balancer à plus de dix-mille pieds sous terre.  

Elle choisit d'emmerder Briza en agissant, dans l'arène, de façon à ce que le surnom qu'elle lui avait collé ne lui aille pas du tout. Si elle voulait un jour régner, il fallait apprendre à se contenir.
Lun 5 Sep 2016 - 18:41
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Dargor
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Le Maitre de l'Intrigue
Dargor
Le jour du premier combat était enfin arrivé pour Otania. Briza prit place dans l’amphithéâtre qui serait le lieu de son triomphe. C’était une petite arène. Les elfes noirs pouvaient à peine s’y trouver à plus d’une centaine. Mais ce n’était pas grave, il fallait toujours commencer quelque part après tout. Et à petit maitre de gladiateur, petite arène. Tout cela était normal. Même si Briza aurait aimé commencer directement dans les plus grands cirques de l’Ile, juste pour sa gloire personnelle, elle était consciente que sa gladiatrice s’y serait fait tailler en pièce par les tueurs experts qui fréquentaient ces arènes.
En parlant de tailler en pièce… Cela pouvait bien résumer le combat qui eut lieu lorsqu’Otania entra dans l’arène. L’amazone ne tint pas longtemps. Une victoire sans l’art, mais avec la manière, personne ne put le nier. Aussi, les applaudissements des elfes noirs emplirent rapidement l’amphithéâtre. Dans l’arène, Otania leva le bras, l’air victorieux. Briza ne s’en rendit pas compte. L’aurait-elle fait, elle aurait encore plus apprécié son triomphe. Mais avait-elle vraiment à se soucier de sa gladiatrice ? Après tout, que cette dernière croie ce qu’elle voulait, c’était son choix. Mais tandis que les maîtres des bêtes la faisaient sortir de l’arène et envoyaient une meute de chiens des plaines nettoyer ce qui restait de son adversaire, les applaudissements des elfes noirs continuaient à résonner pour Briza.
Car après tout, les esclaves ne sont que cela. Des esclaves. Ceux qui sont applaudis, dans les arènes noires, sont les maîtres qui les ont trouvé et formé à tuer. Ou bien alors les rares elfes noirs volontaires pour eux-mêmes descendre dans les arènes, mais ceux-là ne se trouvaient dans les cirques les plus prestigieux, ceux dans lesquels la reine elle-même se rendait…
Mar 20 Sep 2016 - 21:34
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Noire
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Noire
Il a mis son manteau de pluie
Parce qu'il pleuvait
Et il est parti
Sous la pluie
Sans une parole
Sans me regarder
Et moi j'ai pris
Ma tête dans ma main
Et j'ai pleuré

Prévert



Le maître d'arme qui avait eu pour charge de former Phadransie à survivre à ses prochains combats avait été de suite très clair sur son sort : "Toi, tu survivras pas" avait-il dit.

Leur groupe était composé de six futurs gladiateurs, en plus du maître humain, ancien gladiateur survivant, et de Phadransie La Noire.  

« - Les Elfes Noirs aiment les tanks et les berzerk. Tu n'es ni l'un ni l'autre. Je maintiens que tu ne survivras pas au-delà de ton premier combat.

Et le maître s'était détourné d'elle, lui filant une épée bâtarde et la laissant, telle mort en sursis, s'amuser un peu avec un autre futur gladiateur qu'il considérait également comme sans aucunes chances dans les arènes Noires. Il s'agissait d'un prince Ramien dont le navire avait eu la mauvaise fortune de croiser une nuit celui d'Elfes Noirs.



Spoiler:


Le Maistre était un ancien gladiateur qu'un dernier duel dans les arènes avait privé de sa toute-mobilité. Et afin que jamais il ne l'oublie, une cicatrice ornait sa joue gauche, juste sous l’œil. Il n'avait nul besoin de béquille pour se déplacer, et son bras était resté maître dans l'art de manier la hache, la lance ou l'épée, mais n'importe quel adversaire avec un tant soit peu de renom l'aurait envoyé au tapis sans sourciller. Il n'était plus rentable dans les arènes, donc les Elfes Noirs se servaient de lui afin qu'il entraîne les futurs gladiateurs. Il mettait beaucoup d'espoir en Croc-de-Fer et Croc-de-Feu, deux natives de l'Île Noire que la race dite supérieure n'avait élevée que dans le but de combattre et tuer.



Spoiler:


Croc-de-Fer, sœur jumelle de Croc-de-Feu (d'après ce qu'il se disait, car selon Phadransie deux femmes dont l'une à la crinière couleur ébène et l'autre blonde comme les blés ne pouvaient être jumelées) était apte au maniement de toutes les armes ! Lourdes comme légères, à deux comme à une main, corps-à-corps ou à distance, cette gladiatrice (qui avait déjà mené quelques combats par le passé, rien de sérieux) était taillée dans le roc, et comme un homme. Ses muscles pulsaient sous sa peau toujours couverte d'un film de sueur, et avec ou sans arme en main, elle savait tuer. Le public commençait à l'apprécier depuis qu'elle avait fait imploser la tête d'une de ses adversaire en la compressant de ses seules mains, lui faisant jaillir les yeux des orbites et concluant le tout dans un bain de sang. Croc-De-Fer était la mort silencieuse, au contraire de sa sœur, elle ne souriait jamais et ne parlait jamais lorsqu'elle combattait, à l'entraînement ou dans les arènes. Autrement dire que nul n'avait jamais entendu le son de sa voix. Pour Phadransie, une femme née de l'Île Noire, qui n'avait jamais rien connu d'autre que cette vie d'animal de foire, et qui ne désirait rien connaître d'autre, n'était qu'une bête immonde, une couleuvre à qui elle écraserait volontiers la tête sous son talon le moment venu.



Spoiler:


Croc-De-Feu, c'était la même chose que sa sœur. Aussi grande, aussi lourde, aussi carrée, ce qui la différenciait de sa jumelée était sa voix. Future cantatrice, Feu excitait les foules par ses rugissement de fauves et ces cris perçants, jusqu'à présent toujours de victoire, lorsqu'on la lâchait telle une bête dans les arènes. Croc-De-Feu avait pour habitude de briller avec des lames chauffées au rouge, ou alors en brandissant sur ses adversaires une lance dont l'embout flambait ! Les Elfes Noirs prenaient ainsi plaisir à avoir recréé une sorte d'Amazone, moins rapide et agile, certes, mais compensant cet handicap par sa hargne de vaincre et sa force physique. Le Maistre avait été très clair avec Phadransie. Un coup de Croc-De-Fer ou Croc-De-Feu sur Phadransie la tuerait. En revanche elle, même si elle parvenait à toucher, n'aurait jamais assez de force dans les bras pour percer la peau d'acier et les muscles de fer de ces deux gladiatrices-là. Elle était bien trop maigre, disait-il. Il allait de soi que le public attendait une rencontre entre Feu et Fer avec impatience.



Spoiler:


Ancien Capitaine d'Argenterie, Le Capitaine Roc comme l'on disait, ou Roc Noll brillait fut un temps sur l'Océan des Elfes Noirs avec son Maraud Noir. Mauvais coup de Virel, où vengeance personnelle de Finil, il s'était frotté le mauvais jour à des Ravageurs des Mers, et l’Écumeur avait finis là. Il avait bien tenté de faire sauter son bâtiment, mettant lui même feu aux soutes et à la Barbe du Maraud, le faisant faire feux de tous bois (ce qui lui avait valu par la suite une jolie défiguration, qui donnait ainsi à Roc un air bien familier avec Noire, lorsqu'on savait que les deux avaient été pirates et marqués par les flammes de l'enfer.) mais il avait survécu et ce furent les Noirs qui le repêchèrent. Mauvais calcul. Il n'avait encore jamais combattu, mais sa maîtrise des armes à poudre ainsi que du sabre n'était pas à parfaire. Il rappelait Korlanos à Phadransie, en bien plus large du haut de son mètre quatre-vingt-quinze et ses cent kilos. L'air lugubre, le Capitaine déchu ne pipait mot, en fait il la fermait continuellement, prisonniers des Elfes Noirs depuis bientôt quatre Tours , quelque chose au fond de son regard semblait indiquer à La Noire qu'il n'était pas entièrement soumis. Elle songea que si elle devait choisir une personne sur toute l'île avec qui s'évader, elle aurait choisi Roc.



Spoiler:


Pour sa part, Mokato appartenait à une tribu sauvage en terres Ramienne. Les "civilisés", très naturellement, avaient donc choisis de la réduire en esclavage, acheminant le tout par convoi maritime d'un point à l'autre de leur empire. Mauvais calcul pour eux là aussi, l'on disait que c'était Lokhir en personne qui leur était tombé dessus. Ainsi donc, à la tête du Seigneur Emeraude, il s'était rendu maître d'un convoi de trirèmes bourrés d'esclaves. Mokato était une sorte de grand guerrier parmi les siens, grand et large d'épaule, sur la lignée des Crocs et de Roc, il faisait plus penser à un ours qu'un humain. Mokato n'avait mené encore aucun combat dans les arènes, mais il s'était battu toute sa vie durant dans le désert contre les hordes de chacals et les minotaures. Le Maistre disait qu'il avait une chance de briller ici, sur l'île Noire. Dernier détail, les Elfes Noirs n'appréciant pas les esclaves mécontent ou qui protestaient trop, on lui avait proprement tranché la langue avant de le soumettre à coups de fouet. Mokato combattait fièrement pour son Maître, à présent.



Spoiler:


Les Elfes Noirs recherchaient, comme l'avait si bien souligné à Phadransie le Maistre, des tanks ou des berzerks. Ainsi, on musclait les gladiateurs jusqu'à ce qu'ils demeurent capable de décapiter un bœuf à mains nues ou de lui déchirer la jugulaire d'un revers des dents ! A ce jeu-là, on appréciait les Ogres ou les Orcs. Orga, semi-Orc donc, constituait un potentiel intéressant. Haute de près de deux mètres, cent-trente kilos si l'on ôtait ce qui constituait son "armure", elle entrait plus dans la catégorie tank que berzerk. Les Elfes Noirs aimaient donc lui opposer, en contraste, des adversaires légers, agiles et menus. Des Amazones la plupart du temps. Mais vu que les Amazones étaient fort rares, même ici, Orga n'en avait pas encore combattu. Son seul combat se limitait à une rixe avec une gladiatrice humaine à qui elle avait brisé net la colonne vertébrale d'un coup de hache.



Spoiler:


Enfin venait Oneho, le plus récent en terme d'arrivage. Sur l'Île Noire que depuis quelques semaines, ce prince du sud de Ram débarqué à Orodreth, au nord de l'Île devait s'illustrer parmi les arènes ou mourir. Bien qu'il demeurait plutôt grand de taille et bien fait, le Maistre l'avait jugé pas assez en muscle, trop chétif et manquant cruellement de force. Il ne serait pas un bon berzerk, assurément, d'autant plus qu'il ne portait jamais le premier coup lors des entraînements. Et au vu de sa constitution, lui avait-il dit, il ne ferait pas un bon tank non plus. C'est ainsi qu'il l'avait placé avec Phadransie, une épée en main en lâchant à leur intention un : "faites vos armes ensemble ; de toutes façons vous n'irez pas bien loin." Ah oui, détail intéressant s'il en était, en tout cas pour La Noire, Oneho embrassait le doux rêve de s'évader de l'île ! Il parlait d'une femme et d'enfants qui l'attendaient à Ram !

- Ne veux-tu pas t'évader, toi aussi ? avait-il demandé à Phadransie une fois.
- M'évader ? Alors que le plus amusant commence maintenant ?

Ils n'avaient plus parlé d'évasion après cet échange. Le prince était une bonne lame de Ram, Phadransie le reconnaissait ! Son esquive était fort bien travaillé, ses coups précis et assurés même si ils n'étaient pas portés par un bras de cinquante kilos !

- Que se passera-t-il le jour où tu seras désarmé dans l'arène ? lui fit un jour Phadransie.
- Je ne serai jamais désarmé. Lorsqu'on est désarmé lors d'un duel, on le perd.
- Je suis la preuve que non, arrangea-t-elle en songeant à son combat sur les quais de Karak-Tur avec Théoden.  
- Je ne serai jamais désarmé, avait répété Oneho.
- On ne choisit pas de l'être.

Son sabre, pourtant de très bonne facture et bel acier, avait volé en éclat ce jour-là !

- C'est pas pour rien, reprit La Noire un sourire aux lèvres, que ces fils de pute d'Elfes forment des gladiateurs au combat au corps à corps. Ils aiment le sang. Et ils aiment voir des gladiateurs qui ne se pissent pas dessus lorsqu'ils se font désarmer.

Mais le prince s'était entêté.

- Ma lame, c'est la continuité de mon bras. Je ne la perdrai jamais.

Phadransie se faisait un plaisir d'avance de désarmer ce prétentieux inutile si un jour ils devraient combattre l'un contre l'autre dans les arènes.

- Les Amazones sont des bêtes aimées du public, lui expliqua un jour sans attention le Maistre, on les lâche face à des tanks ou des berzerks. Mais toi tu n'es ni l'un ni l'autre. Ni même une Amazone. Ils ne t'aimeront jamais.

Agacée, La Noire avait serré les dents.

- Je ne leur demande pas de m'aimer !
- Mais moi on me demande de te faire survivre a ce combat, et je maintiens que c'est impossible.

Phadransie n'était pas de haute taille, certes, mais elle n'en demeurait pas moins petite. Menue en revanche, elle l'était. Et même si Briza l'avait expédié à la carrière plusieurs semaines dans le but de la muscler, ça n'était pas encore ça. A côté de cette troupe de futurs gladiateurs, elle passait presque pour une enfant du haut de ses vingt-six Tours.

Puis vint le jour du combat tant attendu. La Noire avait passé des heures à tourner et retourner en sa tête les différents procédés guerriers qui lui permettront de vaincre une Amazone. Elle avait fait le point sur ses avantages naturels, ses compétences, ses connaissances et celles de son adversaire. L'Amazone n'avait aucune chance face à elle, avait-elle finalement conclu. On avait mis entre ses mains une lame elfique basique, cette fameuse bâtarde. Entre les doigts de son adversaire, une lance de presque deux mètres de long. Déjà, songeait La Noire, ces merdeux d'Elfes me font partir avec un net désavantage. Mais elle s'en amusa.

Histoire de bien déroger à son nom, "Otania" elle n'attaqua pas une seule fois, se contentant d'esquiver, parer et dévier tous les coups de l'Amazone. Puis au bout de cinq bonnes minutes, le public s'impatientait et s'ennuyait, et le montrait ! Il ne se passait rien, et aucune goutte de sang n'avait été versée. Alors elle esquiva un ultime coup de lance, bloqua l'arme de sa rivale avec la sienne, bondit comme en ce temps-là, sur l'île, avec une souplesse animale dans les jambes. Elle prit appui en équilibre sur la javeline de la lance et porta un coup qui traversa le poitrail de l'Amazone de part en part ! Cette dernière recula, chancelante mais toujours en vie, lâchant son arme.

Un bon Elfe Noir, songea Phadransie, aurait sans doute profité de cette aubaine pour la tailler en petits morceaux, très lentement. Mais elle n'était pas une "bonne" Elfe Noire. Elle était l'élite de la société Noire.

Alors Phadransie lâcha son épée, elle se jeta en avant sur l'Amazone encore déstabilisée et lui arracha le cœur de sa man nue. Tandis que son adversaire s'écroulait à ses pieds sous quelques ultimes convulsions, elle porta le cœur à sa bouche et en dévora un morceau avant de le lever à bout de main. Victorieuse.

~



- Tu as peut-être du potentiel, lui dit le Maistre l'air encore sceptique. Mais tu as surtout eu de la chance. Cette Amazone n'était pas moins fine que toi. Un de tes coups porté à Croc-De-Fer ou Croc-De-Feu par exemple, n'aurait clairement pas eu le même effet.

Phadransie en avait assez des leçons de morale de ce Maistre.

- Je leur ai plu.
- Ton visage leur a plu, corrigea le Maistre. Et ta dernière action.

Phadransie ne dit rien, la violence de son visage défiguré au feu semblant lui revenir comme un choc.

- Il faut qu'un gladiateur Noir doive tout à son mérite, non à sa faveur ou à son visage.
- Je ne suis pas née comme ça, lâcha d'une voix sèche Phadransie.
- Je m'en doute. Tu devrais plutôt remercier ta maîtresse, ton visage t'estimera auprès d'eux. Plus les spectateurs t'estiment, plus tes chances de survivre s'accroissent.

Lassée, Phadransie La Noire avait lâché aux pieds du Maistre sa lame avant de s'en retourner.

- Où vas-tu ?
- Tu te trompes du tout au tout vieil idiot, avait-elle tonné sans daigner le regarder, ce n'est pas mon visage que le public devrait regarder. Ce sont mes bras. Tu diras à Briza, ma "Maîtresse" qu'elle trouve un adversaire digne de moi, la prochaine fois. »
Mar 27 Sep 2016 - 13:49
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Dargor
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Le Maitre de l'Intrigue
Dargor
« Je vois, maugréa Briza après avoir parlé au maitre des bêtes. »

Elle devrait féliciter Otania pour cela. Non vraiment, c’était une belle performance qu’avait réalisé sa gladiatrice. Réussir à se faire directement limoger de son groupe de gladiateurs, simplement pour avoir cassé les pieds du maître des bêtes. En temps normal, elle aurait rappelé à ce misérable humain qu’il n’aurait pas eu le droit de s’opposer à ses choix. Mais les maîtres des bêtes gladiateurs jouissaient d’un statut particulier, et obtenaient le droit de gérer la vie de leur groupe selon ce qu’ils estimaient être juste, dès lors qu’ils n’allaient pas obstinément contre les choix des elfes noirs.
Dans les faits s’ils jouissaient du soutien de leur propriétaire, seuls ceux qui étaient hiérarchiquement au-dessus dudit propriétaire pouvaient lui imposer quelque chose. En tant que fille de l’échevin de la ville, Briza aurait pu lui imposer de garder Otania, mais en vérité, les arènes obéissaient à leurs propres codes. Ici, elle n’était qu’une propriétaire de gladiatrice d’amphithéâtre. Et malgré cela, Otania arrivait à obtenir le seul rang qui était inférieur. Alors même qu’elle avait réussi à donner à sa maitresse des applaudissements lors de son dernier et seul combat en arène. Elle était promise à un grand avenir pourtant… Pourquoi le gâcher ainsi ?
Elle s’éloigna, et alla chercher son esclave, à laquelle elle repassa sans mot dire sa laisse. Otania n’aimait pas cela… Ou plutôt Honma n’aimait pas cela, puisque tel serait à nouveau son nom désormais, mais le regard de glace de Briza sembla suffire à lui faire comprendre qu’elle mourrait dans des souffrances peu enviables si elle lui déplaisait dans les temps qui allaient suivre.

Elle n’échappa pas au fouet. Beaucoup. Avec une violence inouïe. Briza ne dit rien pendant ce temps, elle estima qu’Honma avait certainement compris ce qui n’allait pas. Jusqu’à ce qu’elle soit certaine que son esclave ne bougeait plus, Briza frappa. Et même là, elle continua à frapper un peu, pour se défouler. Elle laissa les esclaves s’occuper de leur semblable. A ce stade, peu lui importait qu’Honma vive ou meure, elle changeait officiellement de maitresse. Le grade qu’elle avait atteint dans la hiérarchie des gladiateurs était plus un boulet qu’un outil pour son maître, il était donc régulier que leurs propriétaire s’en séparent. Pour un temps, car si le gladiateur devait se remettre à monter dans la hiérarchie, le nouveau maître était tenu, selon les accords du contrat qui était usuellement signé dans cette situation, de le rendre au précédent. C’était donc une sorte de prêt.

---

Son nom était Reïna. Elle était une elfe noire du commun, qui n’avait jamais atteint le grade de la noblesse. Mais elle était plus riche que la plupart des nobles, car malgré sa tâche jugée dégradante, en raison de l’affluence qu’il y avait régulièrement dans les cirques et amphithéâtre, tout elfe noir qui y travaillait sérieusement pouvait espérer devenir vite riche, même s’il était affecté à une tâche qui n’était pas honorable.
Distraire les enfants de la société elfe noire. Après tout, même si ces enfants étaient peu nombreux, même s’ils étaient éduqués pour être des tueurs et des politiciens sans empathie, il fallait bien de temps à autre qu’ils se retrouvent entre enfants pour jouer. Et avant les adultes de préférence, car comme les enfants de toutes les races, ceux des elfes noirs avaient besoin d’un sommeil dont leurs aînés n’avaient pas besoin. Voilà pourquoi le cirque leur était ouvert avant le spectacle pour adultes, puis leurs mères ou nourrices ou tuteurs ou autres venaient les chercher, s’assurer qu’ils aillent dormir, avant de revenir voir le vrai spectacle des gladiateurs.
Ce poste était jugé comme dégradant car tout devait être faussé. Mais elle était riche, donc elle s’en fichait. Au final, elle avait plus de pouvoir qu’elle n’aurait jamais pu en avoir autrement. Après tout, les places au cirque restaient payantes, même pour les enfants.

« Honma hein ? Cela veut dire stupide, mais ça, je suppose que tu le sais, dit-elle à sa nouvelle gladiatrice. »

Elle l’avait déshabillée pour pouvoir examiner ses muscles, voir ce qu’elle pourrait faire d’elle. C’était une gladiatrice qui avait très souvent gouté au fouet qu’elle avait devant elle. Classique. Elle était habituée à ce genre de choses. La plupart des « gladiateurs » qu’elle recevait étaient des gladiateurs qui avaient déçu par leur attitude. Ils savaient souvent bien se battre ! Parce que s’ils étaient juste mauvais, alors ils seraient morts dans l’arène. Mais leur attitude avait déçu. C’était des gladiateurs rebelles, qui refusaient de plier à l’autorité des elfes noirs. Il fallait les manipuler selon des méthodes plus subtiles pour les pousser à obéir. Faire semblant d’être plus douce que le commun des elfes noirs, pour mieux leur faire exécuter ce qu’elle voulait. Tout en restant autoritaire, cela allait de soit.
Et en exécuter un de temps en temps distrayait les enfants et leur rappelait au passage leur rang, ce qui était parfait.

Honma était le cas typique de ce qu’elle recevait. Une crétine d’humaine très classique, ennuyeuse et sans intérêt. Simplement, comme c’était une grande gueule, d’après son ancienne maitresse, elle se retrouvait là pour insubordination. D’accord.

« Tu es musclée, et tu as l’air agile, dit-elle après que sa gladiatrice, rhabillée, ait dû faire plusieurs exercices physiques pour montrer ce qu’elle savait faire. »

La plupart des exercices mettait en jeu sa vitesse et son agilité. Elle était lente, manquait de souplesse, se mouvait avec la grâce et l’élégance d’un lézard de la Jungle… Elle serait donc parfaite pour les enfants, qui n’étaient pas très exigeants.

« Face à eux, dit Reïna, sache que tu feras avant tout de la mise en scène. Toi et les autres gladiateurs, vous serez déguisés, et l’issue du combat sera décidée à l’avance. Par moi. Tu n’as pas envie de la changer, même si j’ordonne ta mort comme issue. Ne t’en fais pas, c’est assez rare que je demande une mort. Tu es tombée à un rang si bas que les gladiateurs font habituellement tout pour ne pas me rejoindre, ou sont exécutés avant.
« Comprends bien une chose Honma la stupide. Si tu es ici, c’est parce que personne ne veut de toi. Parce que tu as déçu, par ton incompétence et la stupidité qui justifie ton nom. Tu te crois peut-être unique, exceptionnelle ? Des comme toi j’en ai plusieurs ici. D’ailleurs pour éviter de te confondre avec les autres Honma que j’ai ici, je vais te rebaptiser… Shruinan. Cela veut dire « Ennuyeuse » dans ta langue. Tu n’y vois pas d’inconvénient j’espère ? Ah oui, tu en vois peut-être mais je m’en fiche. Et si ce nom te va, sache que je m’en fiche aussi. Désormais tu es mon jouet, et je dois jouer avec toi pour distraire les petits enfants des elfes noirs. Félicitations, tu vas distraire les enfants. Tous les jours dans l’arène tu devras mettre du maquillage, te déguiser pour jouer ton rôle, selon une mise en scène déterminée… Regarde moi par exemple. »

A ce moment, elle sembla se fondre dans les ténèbres, comme une ombre violette. Shruinan n’eut pas le temps de comprendre ce qui arrivait. Derrière elle, semblant émerger du sol, Reïna émergea, et lui plaça une dague entre les omoplates. Elle l’enfonça. Lentement. Mais pas assez profondément pour tuer l’humaine. Juste assez pour faire mal.

« Tu es morte, dit-elle. Mais tu es morte dans une mise en scène, Shruinan l’ennuyeuse. C’est ce que les enfants réclameront. Quand cela t’arrivera, dans l’arène, tu seras priée de tomber au sol et de faire semblant de crever, peu importe. Tu le feras dans un déguisement haut en couleur, car les enfants sont toujours amusés par ce qui est coloré. Le visage blanc, les yeux encadrés de noir… Le nez rouge, tiens. Et des vêtements jaunes, verts et orange. Nous te ferons passer pour une humaine du royaume d’Hasdruba, les gens de là-bas, ces « chevaliers », aiment à revêtir des couleurs bizarres parait-il. Ce sera donc parfait. »

Elle retira la dague, et repassa devant Shruinan.

« Tu es un jouet vivant maintenant. Comme tous les gladiateurs que tu vas rencontrer dans le mess qui t’attend derrière cette porte. Bonne chance, jouet. Au fond du mess, une autre porte mène au dortoir. Il n’y a pas d’autre issue, et pas de fenêtre. En cas d’incendie, vous mourrez tous. Mais ce n’est pas vraiment une mort, que de perdre des jouets dans un incendie… Ça se remplace aisément après tout. »

Puis elle la jeta sans ménagement et sans prévenir dans le mess en question, après en avoir ouvert la porte. Elle l’observa tomber de l’escalier qui donnait sur la salle, et depuis son plan surélevé, observa la trentaine de jouets entourer la nouvelle venue. Elle savait ce qu’ils allaient lui dire. Qu’elle était peut-être terrible, mais toujours plus tolérante que les elfes noirs habituels. Qu’ils disent ce qu’ils voulaient. S’ils s’estimaient heureux ou malheureux, ce n’étaient pas les affaires d’une elfe noire plus riche que bien des nobles.
Jeu 6 Oct 2016 - 10:34
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Les aubes sont navrantes. Toute lune est atroce et tout soleil amer.

Rimbaud



Spoiler:



Briza n'avait pas dit un mot à Phadransie, tout juste un regard, mais bien plus éloquent que toute autre menace.  Toujours muée dans son silence, elle avait cinglé au mirvonk'el de son esclave la laisse qui servait à la soumettre par strangulation et suffocation. Phadransie abhorrait cette laisse, tout comme elle abhorrait ce mirvonk'el. Briza le savait. Et toutes deux savaient qu'elles savaient.

Suivies par le maître des bêtes, lui aussi silencieux, mais retors comme une anguille et aux yeux de corbeau, Phadransie La Noire fut menée jusqu'à la cour extérieure de l'arène. Il se trouvait là, plantés en terre, deux pylônes éloignés l'un de l'autres de quelques pas. Le maître des bêtes se chargea de déshabiller Phadransie avant de lier ses poings en X aux deux-dits pylônes. Elle ne voulut pas qu'une vaine résistance entraîne de fâcheuses conséquences (à comprendre la mort !) pour elle, alors elle fit en sorte qu'il n'y en ait pas. Phadransie, toute La Noire qu'elle était, se laissa lier sans un mot. Le maître serra bien, prenant un soin évident à mutiler la peau avec la corde de cretonne.

Le fouet, Phadransie connaissait bien. Depuis gamine, elle était une habituée du chat à neuf. Ça faisait bien saigner. Ça faisait bien hurler. L'on disait parfois sur les Grand'Eaux que les plus belles floraisons étaient celles de la douleur. Si cette affirmation demeurait vraie, alors Phadransie La Noire aurait été la plus compétente des horticultrice tant elle avait pris plaisir durant son séjour sous le pavillon du Galion Déité à cultiver bon nombre de ces fleurs-là ! C'est qu'elle avait toujours aimé les hurlements de ces suppliciés-là, même si elle leur préférait davantage ceux qui se trouvaient sous son crochet aux appêtits insatiables. Le fouet de Briza, elle avait appris à bien le connaître aussi. Cela faisait plus de deux Tours qu'elle était sur l'Île Noire. Son Île... C'était un fouet en cuir de bœuf, noué sec et tressé à la garde-chiourme, dont la queue se divisait en trois embouts sur lesquels elle y avait fixé trois crocs taillés en forme de pointe. Ça faisait bien saigner. Ça faisait bien hurler. Mais jamais Phadransie, en ses deux Tours d'esclavage, n'avait laissé à Briza lui ravir ne serait-ce qu'un seul cri de douleur. Le fouet du maître des bêtes était plus basique, moins travaillé, la queue noué en bouffette simple et elle le supportait plus facilement.

Mais cette-fois là, cette salope de Briza semblait bien décidée à la faire hurler !

Si la brûlure indéfinissable du fouet ne rendait pas fou, elle avait au moins le mérite de faire plier les plus intraitables esprits et les plus intraitables corps, soumis ainsi à sa morsure, liés nus entre ces deux pylônes. Bien des esclaves insoumis avait dû passer par là par le passé, songea Phadransie.


"CLAC !"


Le premier coup fut administré avec tant de violence que même le maître des bêtes, posté à une distance raisonnable de Briza dont la rage palpable faisait sourire sous son masque d'ulcération La Noire, sursauta. Phadransie dû se mordre la langue et la joue jusqu'au sang afin de ne lâcher aucun cri ni gémissement. Elle devait se concentrer.


"CLAC !"


Elle avait développé une méthode efficace, afin de lui permettre de supporter la douleur lorsque cette pute d'Elfe Noire levait son fouet sur elle. Pour chaque coup, un nom et un visage. Le nom et le visage de ceux qu'elle devrait tuer sitôt qu'elle quitterait l'Île Noire. Car Phadransie La Noire n'oubliait jamais, jamais rien.



"CLAC !!"


Asarith.


"CLAC !!"


Lamepoison.


"CLAC !!"


Théoden.


"CLAC !!!"


Gibbs.


"CLAC !!!"


Everhell.


"CLAC !!!"


Briza.


"CLAC !!!"


Le Mais..tre.


"CLAC !!!"


Les chairs éclataient en lambeaux sous la puissance du bras de l'Elfe ! Le sang giclait en gerbe, les queues râpaient contre l'os ! Phadransie serrait les poings à s'en faire blanchir les phalanges !


"CLAC !!!"


Le maître...des bêtes.


"CLAC !!!"


Dh...auln..yre.


"CLAC !!!"


Reste concentrée. V...murr


Elle refusait d'offrir à cette ordure de siresse d'Elfe le moindre gémissement, la moindre supplication, le moindre cri ! Mais au niveau de son dos et de ses flancs, les chairs cédaient, elles se déchiraient comme du papier, éclataient comme des abcès et suintaient de sang comme des tumeurs ! Elle chercha alors à se libérer de ces liens qui la maintenaient immobilisée aux piliers, mais le maître des bêtes avait pris grand'soin de bien serrer ses nœuds ! Et à la façon dont Briza portait ses coups, tous plus rapides, plus violents, plus forts, plus poignants, elle ne comptait pas mettre fin à cette séance de sitôt ! Au contraire, elle frappait avec toujours plus de rage, de violence, se délectant -Phadransie le sentait !- de la peau qui partait en miettes, arrachées sur le vif par chacune des trois queues du fouet ! Un couteau enfoncé d'un demi-ongle dans la chair n'aurait jamais été autant douloureux !


"CLAC !!!"


As...a..rith.


"CLAC !!!"


L...am...e...p...oi...s...on.


Briza frappa, avec violence. Si fort et si longtemps, qu'elle arracha bien plus d'un ou deux cris à Phadransie. Et même là encore, elle ne s'arrêta pas ! Elle ne s'arrêta pas même une fois que tout le corps de sa victime désormais muette pendait avant, les bras ballants, oscillants et inertes, et que son corps entier se secouait de spasmes à chacun des coups. Elle mit fin à la torture une fois que la fatigue gagna son bras. Pour La Noire, elle dura une éternité.

« Je tuerai tous ces bâtards. TOUS !
- Nous les traquerons, tu massacreras autant d'Elfes Noirs que ton cœur noir en réclamera, j'en suis convaincu, répondait Korlanos dont le profil abrupt vacillait à la lueur d'une bougie.
-Ils se croient maîtres des eaux, il n'en est rien !
-Je suis d'accord avec toi sur ce point Noire. Mais pourquoi les détestes-tu ?
-Tout le monde les détestes.
-Ta haine envers ces tueurs est plus grande que ça.
-C'est vrai. Je les détestes plus que tout le monde. Ma route a déjà croisé celle de l'une d'entre eux. Et même si il était un paria pour les siens, croyez moi, il l'a regretté !
-Je ne remets jamais en doute tes paroles.
-Je ne serai jamais rassasiée de leur sang !

J'en suis une, maintenant. Je meurs en me détestant toi-même...



« Elle est morte, madame. annonça sans émotion le maître des bêtes à Briza qui se frottait l'épaule, douloureuse, après avoir vérifié que La Noire ne respirait plus.
- Parfait.

Phadransie se réveilla trois jours plus tard, en enfer. Comme tous les jours depuis plus de deux Tours.

~



Trois Lunes passèrent. Trois Lunes durant lesquelles Phadransie La Noire ne vit plus Briza, et Briza ne vit plus Phadransie La Noire. Ce fut également trois Lunes où elle ne prononça plus un mot, plus un seul, se montrant au regard de cette pute de Reïna un jouet discipliné et qui nécessitait donc peu d'attention et de correction de sa part. La Noire avait été bandé par les esclaves parqués dans l'arène, la nuit suivant sa flagellation, et les trois Lunes passées à se produire, dans un genre tout différent de celui qu'elle connaissait dans les arène Noires avaient à peine suffit à ce qu'elle se rétablisse. Reïna n'était pas une Elfe Noire aussi appliquée et rigoureuse de Briza, Phadransie s'en rendit compte très vite. La nuit, elle quittait le dortoir, arpentait le mess. Elle réfléchissait, elle retournait le sol sableux de ses doigts, elle guettait une faille. Au bout de la troisième Lune, elle la trouva. Et peu avant que ne s'entame la quatrième, elle parvenait à fuir l'arène et le mess de Reïna !

Comme un cheval de race, même déjà vieux, ne perd rien de sa fougue et dresse encore l'oreille à l'heure des combats, ainsi Phadransie La Noire, à l'aube de sa convalescence et à l'apogée de la décadence, prenait ses jambes à son cou, à demi-nue, sous la lune pleine d'un ciel sans étoile tombant sur Menrenwen ! Il lui suffisait de tendre l'oreille, de humer l'air afin de sentir la direction qu'elle était amenée à prendre ! Le port de Menrenwen ! L'astre éclairait toute la ville, les bas-quartiers, les fosses aux sangsues, les rescapés misérables, les mendiants. Tout ! La Noire atteignit le port plus de trois heures après avoir quitté totalement l'arène ! Ses pieds nus étaient en sang, mais elle y était habituée. Un moindre mal, voilà ce que cela était. Elle demeurait là, perchée sur un tertre, abandonnant toute-entière sa conscience, son esprit et son âme au roulement familier du flot montant. Les dockers Noirs prendraient bientôt leurs services. Ces carcasses de vaisseaux qu'étaient les arches de Menrenwen se mettraient en branle, à la façon de harpies hideuses et émaciées, leurs figures de proue macabres et toutes aussi décharnées les unes que les autres avant. La Noire retint admirablement un sanglot, les poings fermés. Elle était libre.

Mais c'était sans compter sur son orgueil.

Alors elle reprit sa course ! Elle voulait atteindre son objectif avant l'aube ! Assassinant à dextre et à senestre les hurlements dans son cerveau dérangés lui hurlant de repartir vers le port, s'embarquer sur une Ravageuse Noire et foutre le camp de l'Île Noire ! Pour toujours !

Mais Phadransie La Noire préférait la situation d'esclave, vivre comme une sous-merde parmi les être qu'elle abhorrait (mais qui lui ressemblaient !) le plus, plutôt que crever en tentant de s'évader ! La liberté, c'était une doctrine, une idéologie. Il était facile au pirate qui avait le vent en poupe et le pied sur un beaupré de causer liberté à son auditoire ! La réalité était toute autre. Un esclave ne rêvait jamais de liberté. Un esclave rêvait de tyrannie. Et il était ce tyran. Ou bien il ne lui restait plus qu'à crever, lui aussi, comme un chien !

La Noire atteint le domaine de Lokhir à l'aube, comme elle se l'était imposé ! La providence devait lui sourire, car elle tomba nez-à-nez avec Briza, matinale, qui sortait chasser.

- Tu ne me soumettras jamais, je ne serai jamais ton chien. Mais je suis suis ton esclave. Laisse-moi combattre pour toi, je te rapporterai de l'argent ! Si je perds un combat dans les arènes Noires, un seul, tu n'auras qu'à me prendre tout ce qu'il me reste, et ce que j'ai de plus précieux. Ma vie !

Elle arracha l'oripeau qui lui tenait lieu de broigne, révélant les lettres sur son poitrail formant le mot "BRIZA" marqué au fer rouge quelques Lunes plus tôt.

- Ça n'est pas Reïna ma maîtresse.

Elle apposa ses mains autour de son cou, oscillant autour du mirvonk'el clos, des larmes coulant sur sa joue.

- A cause de ce collier de fer, j'ai bien trop de maîtres sur cette île. C'est par la servitude qu'on oublie qui l'on est. Shruinan, Otania, ce sont des conneries. C'est de Honma que tu parlais en cinglant la laisse autour de mon cou, non ? Alors ça sera Honma. »
Mer 19 Oct 2016 - 3:29
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Dargor
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Briza avait depuis longtemps donné … Honma, ou quel que soit son nom, elle s’en moquait, à Reina, et voici qu’elle l’avait devant les yeux à nouveau. Certes il était question d’une restitution de sa propriété si elle était performante dans les arènes devant les enfants, mais là, ça n’était de façon évidente pas le cas. La fille de Lokhir soupira. Elle avait d’autres préoccupations que cette humaine. Son travail de corsaire, la politique… Même quand elle l’avait possédée, au final, elle n’avait jamais été rien pour elle.
Elle consentit néanmoins à lui répondre.

« Tu n’es rien, lui dit-elle tout simplement. »

Et sans prévenir, elle la poignarda, et la repoussa dans la rue, devant sa propriété. L’humaine était au sol, baignant dans son propre sang. Elle allait mourir, et quelqu’un la ramasserait pour mettre son cadavre dans une fosse commune. Briza s’éloigna, oubliant déjà cet épisode.
Elle avait d’autres préoccupations plus importantes.

---

« Hector ! Elle se réveille. »

L’intéressé alla voir la femme brûlée qu’il avait ramassé dans une rue. Elle était effectivement en train de se réveiller. Avec l’aide d’Urik, il la maintint en place pour l’empêcher de trop remuer avant qu’elle ne soit capable de comprendre ce qu’il allait lui dire.

« Je me présente, dit-il. Je suis Hector. A ma gauche, c’est Urik. Y’en a d’autres qui vivent dans ce baraquement, mais ils sont sortis pour l’instant. »

Le baraquement, c’était effectivement le mot qui décrivait cet endroit. Il s’agissait d’un ensemble de planches de bois souvent vermoulues et mal assemblées, qui ne tenait en place que par quelques cordes et clous de mauvaises qualités qui avaient été placés bien stratégiquement. Il n’y avait pas de sol, c’était directement de la terre, ou plutôt de la boue, car elle avait été bien trop piétinée sur place pour être stable. Mais il y avait des murs, un toit, et quelques planches qui formaient des sortes de meubles : des lits principalement, sans matelas, sans oreiller, avec pour toutes couvertures des tissus de diverses qualités mités. Les deux hommes étaient vêtus de haillons et particulièrement maigres.

« Bienvenue chez nous, ajouta Hector. Je te fais le résumé. Tes maitres elfes noirs t’ont laissée pour morte dans la rue, et tu serais morte si on t’avait pas ramassée. On est les esclaves qui ont réussi à s’échapper. On vit au pied des murailles elfes noires, en dehors de leurs villes, parce que loin de leurs villes, c’est beaucoup trop dangereux, les chiens des plaines rôdent et attaquent tous ceux qui s’aventurent hors de vue des murs, qu’ils soient seuls ou en groupe. On reste ici parce que les elfes noirs ont la flemme de nous chasser principalement. Et tous les jours, on part dans la rue essayer de ramasser de quoi manger, ou dans les égouts des elfes le cas échéant. On fait leurs poubelles. C’est pas une chouette vie mais c’est toujours mieux que d’être à leur service. C’est dans une expédition comme ça qu’on t’a trouvée gisante dans ton propre sang.
« Bouge pas trop pour l’instant, tu rouvrirais ta blessure. Comme tu peux le voir, on avait pas franchement les moyens de la soigner de façon propre, alors c’est assez fragile. Au moins tu t’es pas infectée. C’est l’avantage de ces lames elfes noires, quand elles sont pas empoisonnées, elles sont tellement propre et leurs coupures tellement nettes que c’est pratiquement impossible que ça tourne au dégueulasse. M’enfin t’es pas encore à l’abri note. Quand tu seras remise faudra que tu commences à bouger un peu, à aller en ville… Comme je vais le faire là. Bonne journée. Et si tu peux bouger dans la journée, ce qui me semble peu probable, mais après tout j’suis pas toubib, évite de t’aventurer dans les champs elfes noirs qui sont pas loin. Il y a une limite à la tolérance qu’ils ont pour nous… Et si tu les entends qui rôdent dans le quartier, et quand ils le font ils sont pas discrets, fais la morte. Sinon t’es bonne pour retourner les servir pendant un bon bout de temps. »
Ven 21 Oct 2016 - 10:39
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Noire
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— Descendez, descendez, lamentables victimes, 
Descendez le chemin de l'enfer éternel! 
Plongez au plus profond du gouffre, où tous les crimes 
Flagellés par un vent qui ne vient pas du ciel, 

Bouillonnent pêle-mêle avec un bruit d'orage. 
Ombres folles, courez au but de vos désirs; 
Jamais vous ne pourrez assouvir votre rage, 
Et votre châtiment naîtra de vos plaisirs. 

Baudelaire




Hector et Urik m'ont retrouvée au pied d'une ravine, en périphérie de la cité Elfe Noire de Menrenwen. J'étais grièvement blessée et j'ai fais une chute terrible. Le sang que je laissais à chacun de mes pas montrait que j'avais marché un bon moment avant de chuter C'est du moins ce que Hector et Urik m'ont dit. Je n'ai aucun souvenir de ce moment ni de ceux qui l'ont précédé. Confronté à une réalité insupportable, il n'est pas rare que l'être humain se réfugie dans son imagination. Plutôt que de se laisser briser l'âme... On érige autour d'elle des remparts. On se réfugie dans un sanctuaire intérieur. Un jardin secret où l'on est à l'abri de toutes choses. Lorsqu'on est forcé de quitter ce refuge, le seul moyen de continuer à supporter la réalité, c'est d'en occulter les souvenirs pénibles. Pour moi, ce sont les souvenirs d'un temps où je fus l'esclave soumise aux caprices d'un ou d'une Elfe Noir nommé ''Briza''. Je connais ce nom, car je l'ai gravé sur la poitrine, au fer rouge. Il paraît que les Elfes Noirs font tous subir ce genre de traitement à leurs esclaves, ceci afin de ne pas les confondre, car ces derniers sont nombreux. Cette marque au fer rouge sur mon corps, c'est l'un de mes souvenirs. Un souvenir dont je saurais dire s'il est si pénible puisque je l'ai oublié. Qui sait, peut-être choisirais-je d'y renoncer si je pouvais m'en souvenir ?

Il y a trois choses dont je suis absolument certaine à ce jour. J'ai été l'esclave de cet Elfe Noir, ce ou cette ''Briza'' pour une durée indéterminée. Je viens de l'océan. Et je suis une guerrière.

Les deux derniers points me sont hurlés par mon instinct. Toute une vie passée à se battre, ou toute une vie à bord d'un bateau. Ou encore, toute une vie passée à bord d'un bateau, à se battre sur les océans. Ce genre de chose ne s'efface pas de l'esprit en un battement d'aile. Le souvenirs peuvent partir. L'instinct, lui, reste.



Le petit groupe d'anciens esclaves, menés par le duo Hector et Urik, et qui se terraient au pied des murailles noires de Menrenwen, avait leur vie réglée comme du papier à musique. Les membres agissaient presque toujours en duo. En même temps, ils étaient toujours terriblement seuls. Ayant connu ce que la vie avait de pire à montrer, la plupart ayant tout perdus, ils semblaient vivre sans craindre les lendemains, motivés par leurs besoins charnels. Lorsqu'il fallait manger, on s'aventurait en ville. Lorsqu'on ne trouvait rien en ville, il fallait chasser. Et peu importait les chiens des plaines qui risquaient de jaillir des fourrées. Quand l'un des membres de la confrérie d'humains mourrait, on ne le pleurait pas. On creusait un trou dans la boue, rapidement, sans un mot si on avait la chance de disposer du corps. Si on ne l'avait pas, tout au plus on se rappelait de temps en temps qu'avait existé un jour un type ou une femme nommé comme ci ou comme ça et qui fut notre compagnon d'infortune, notre voisin misérable, notre frère d'arme.

La première fois que j'ai vu mon visage, j'ai été interdite. Horrifiée. On aurait dit que les plus cruels démons avaient jaillis hors de leurs plans inférieurs aux torrents de flammes, afin de me marquer de leurs mains. Mais je savais qu'il n'en était rien. C'était juste-là l'oeuvre de ''Briza''. Méritai-je ce châtiment ? Je l'ignore. Sans doute mon ''maître'' a-t-il fait preuve de zèle. Mais lorsque j'ai contemplé mon visage, pour la seconde fois. Lorsque j'ai plongé au fond de cet œil noir comme on plongerait au fond d'un puit de ténèbres ou d'une eau trouble. Lorsque je me suis attardée sur cette peau calcinée, sur le plus horrible des masques qu'un être humain pouvait être obligé de revêtir, j'ai su, au fond de moi, que la face que je contemplais était bien la mienne. Ce visage m'était familier.

L'Île Noire. L'île de nos ennemis. Forteresse naturelle de pierres noires et d'obsidienne. Capitale des ténèbres où les râles d'agonie se mèlent aux coups du sort. Berceau du peuple oppressé, le peuple le plus nombreux de l'île, le plus fier, le plus divisé. Menrenwen, cité échevine la plus décadente de l'histoire de Ryscior. Des milliers de Tours de règne et de terreur. Des milliers de Tours d'offrandes, d'hécatombes, de conquêtes à la gloire du chaos. Des milliers de Tours d'un empire...

«  - qui s'étend aujourd'hui à nos pieds.

Noire, le visage dissimulée derrière un large capuchon, l'oeil bandé, ne prit pas même la peine de regarder le visage de son compagnon de route.

- Tu embelis les choses, Brume.

Il haussa les épaules.

- Il faut bien que quelqu'un le fasse, Noire.

Depuis que Hector et Urik l'avaient récupérée, le clan avait pris l'habitude de la surnommer ''la nouvelle''. Jusqu'au jour où Brume s'était adressé à Urik en demandant à trouver ''Noire'', et tous avaient jugés que ce patronyme allait comme un gant à la nouvelle. Depuis, tous la surnommait Noire. Elle-même ignorait son véritable nom.
Habituellement, les mots que prononçaient Noire étaient rares. Dissimulée sous son capuchon, un bandage sombre sinistre sur son œil, elle conservait une allure de spectre silencieux qui se plongeait souvent dans un mutisme presque inquiétant, comme s'il tentait encore et toujours de mettre le doigt sur d'anciens souvenirs si précieux. Brume leva également le capuchon de la loque qui lui servait de manteau, plongeant son visage et ses grands yeux dans la pénombre.

- Repartons. Avec de la chance nous aurons un lapin aujourd'hui.

Il s'acarta alors, sans un mot, de la butte rocheuse sur laquelle ils se tenaient, lui et Noire, leur offrant ainsi la toute-contemplation de Menrenwen. Vu d'ici, tout paraissait tellement petit. Brume était le meilleur chasseur du clan. Hélas, faute d'un bon matériel, il capturait rarement autre chose que des rats aux alentours des murailles de la ville. Il se contentait d'un vieil arc, qu'il avait lui-même raccomodé, trouvé dans les rues de la cité noire. S'ajoutait à cela une épée usée, que le jeune homme avait baptisé Sourcelame. En réalité, il s'agissait plus d'une grande dague que d'une épée, car la taille de la lame ne dépassait pas celle d'un demi-bras humain. Mais cet arc et Sourcelame étaient à eux-deux l'équipement de Brume, ancien esclave des Elfes Noirs, et ils lui avaient sauvé la vie plus d'une fois. Cela faisait deux lunes, aujourd'hui, que Noire comptait comme l'une des leurs. Elle avait rapidement remarqué ces sortes de duos qui naissaient d'eux-même au sein de la confrérie. Comme être accompagné d'un allié dans la situation précaire qui était leur quotidien multipliait soudainement les chances de survie, chacun disposait d'un ''ami''afin de couvrir ses arrières -ou simplement pour se rassurer ou alors avoir la futile illusion de ne pas crever seul et loin de tout si jamais l'action entreprise s'avérait être la dernière-. Brume était le plus solitaire, le plus distant, le plus réservé du groupe. Etrangement, il s'était bien entendu avec Noire, doucement au fil des jours. Ils avaient progressé ensemble, commençant par s'entraîner, s'introduire en ville, dans les égoûts des Elfes Noires. Et Noire avait rapidement insisté afin de prendre du recul. Lassée de se nourrir des déchets des Elfes et de rats, elle avait entraîné son acolyte plus loin. Sans toutefois négliger le danger, leur chasse quotidienne les éloignait tous les jours un peu plus du QG. Puis un jour, ils ne revinrent pas à la nuit tombée. Hector, Urilk et les autres les crurent morts. Puis trois jours plus tard, comme une fleur, Noire et Brume s'étaient pointés, deux lapins morts dans leurs sacs. Pour la plupart des rénégats humains, cela faisait des Tours qu'il n'avait plus mangé de viande autre que celle de rats. Depuis cet événement, la situation s'était renouvelé, et plus personne ne s'inquiétait du sort de Brume et de Noire. Ils connaissaient le danger, les prédateurs, la pluie, le froid. Si ils les ignoraient trop ou se faisaient surprendre, ils mourraient. C'était aussi simple que ça. On aurait une pensée pour eux les jours de pluie, et voilà tout. La dureté d'une telle vie ne laissait pas le temps aux embrassades et aux bons vœux. Brume appréciait de plus en plus sa nouvelle compagne. Ils s'entraînaient à l'épée ensemble, maniant leur deux pointes d'acier respectives de façon fort admirable. Parfois, Brume paraît une attaque de sa compagne, s'arrêtait afin de lâcher un ''ça, c'est une passe de l'Ouest. Sultanats'' avant de reprendre. Parfois, il avait l'impression que toutes ses théories concernant les origines de Noires étaient fausses. Il découvrait là une botte ''de l'est : l'Empire'' puis un senestre ''originaire à coup sûr des côtes intérieures''. Sa nouvelle compagne l'intriguait sur tous les points. Et il se surprenait à tout lui céder.

- Tu as de la chance d'avoir perdu tes souvenirs, lui confia-t-il la nuit tombée blottit contre elle et le ventre vide, espérant lutter ainsi contre le froid. Tout ce que les Elfes Noirs font subir à leurs esclaves. Tu as de la chance de ne plus revivre ça en boucle la nuit.
- Mes nuits sont noires, lui répondit la jeune femme. Je n'y entends rien, je n'y contemple rien. A part un voile gigantesque d'obscurité.

Brume avait tatoué sur le torse un nom, ''Alévith'' . Celui de son ancien maître.

- Renonce, lâcha-t-il à son oreille.
- Non.
- Renonce.
- Et si j'ai quelqu'un, qui m'attend ? Hors de l'Île Noire ?
- Et si tu n'as personne ?

Brume avait toujours été tranchant et glacial dans ses propos. Très direct, il disait toujours ce qu'il pensait, parfois sans attendre la réponse de son interlocuteur.

- Oui, mais si j'ai quelqu'un ? insista Noire.
- Tu n'as de toutes façons pas les moyens de t'enfuir de là. Contente toi de ce que tu as. Moi je dis que c'est une chance de ne plus se souvenir. Imagine, te rappeler qui tu es, pour au final te rendre compte que tu n'as personne.

Noire laissa un silence passer. Au loin, un condor poussa un cri perçant. Cette pensée, bien sûr, l'avait hantée. Elle se blottit davantage contre Brume, l'enlaçant dans ses bras. C'était la première fois, après deux mois de promiscuité et des dizaines d'opérations à travers Menrenwen et ses pourtours, qu'elle tentait quelque chose de si intime avec le jeune homme.

- Je ne serai jamais seule. Je t'aurai toujours, toi.

Il grommela, mais ne trouva rien à répondre à cela. Noire songea que si la température chutait encore au cours de la nuit, il gèlerait. Ils s'endormirent.

Lorsque leur expédition repris le lendemain, Noire fit les frais de la mauvaise humeur de son compagnon. Eloigné du clan et du QG depuis des semaines, ils gravissaient des rochers, prenaient toujours plus d'altitude, afin de gravir, puis descendre les cols noires, principal et plus important obstacle situé sur la route menant au grand port de Saïrla. Afin de ne pas se perdre, Noire et Brume usaient de tactiques, de vieux trucs de guide forestiers, disait Brume, et ne s'éloignaient jamais du sentier principal, emprunté la journée par les voitures Elfes Noires. Ils prenaient également soin de marcher contre le vent, quitte à faire des détours lorsqu'il le fallait, afin de ne pas attirer à eux les voraces chiens des plaines. Une petite éternité loin de tout plus tard, se profilait devant eux le port. C'était, bien sûr, Noire qui avait insistée afin que Brume l'accompagne. En vérité, encore plus directe que ça, la jeune femme après avoir arpenté le port de Menrenwen, avait argué que c'était là que l'attendaient ses souvenirs, et que, avec ou sans Brume, elle tenterait le voyage jusqu'à Saïrla. Peu désireux de la perdre, grommelant, Brume avait accepté de l'accompagner. Au fond, elle en aurait mis sa main à couper, Noire savait qu'il était heureux de faire ce voyage. Pour quelqu'un que la vie avait privé de rêves et de but, se fixer un objectif, aussi futile et à la fois immense que celui d'atteindre le port de Saïrla afin de le contempler, était une petite renaissance en soi. Lorsqu'ils furent attaqués par une horde de loups noirs, le duo Brume et Noire fit mouche, tant et si bien que le jeune homme fut intimement convaincu que sa compagne avait dû être gladiatrice, dans les arènes Noires. Enfin, ils atteignirent Saïrla.

Noire avait une arme secrète qu'elle aimait rappeler à Brume. Ils évoluaient parmi les Elfes Noirs, sur le port.

- Avec ça, disait Noire en désignant le mirvonk'el, le collier magique cinglé autour de son cou, personne n'osera nous emmerder.

Le mirvonk'el était un signe des puissantes familles Elfes Noires, qui permettaient de désigner leur esclave. Il symbolisait aussi la soumission absolue, et signifiait qu'il n'existait aucun moyen, pour l'esclave, d'espérer un jour échapper à son statut de servant. Un mirvonk'el cinglé magiquement autour d'un cou, ne s'ouvrait jamais plus. Une fois qu'on devenait esclave des Elfes Noirs, on mourrait esclave des Elfes Noires. Il suffisait à Brume et Noire de ne pas regarder dans les yeux les Elfes, et de ne pas se faire remarquer. De nombreux Elfes se servaient d'esclaves humains afin de charger et décharger les nombreuses arches Noires à l'ancre.

- Alors ? demanda Brume à Noire.
- Toujours rien. Aucun de ces bâtiments ne me parlent non plus. Je les trouve...laids.
- Et celui-ci ? Il est un peu différent des autres, non ? Demanda le jeune homme en s'arrêtant près du flanc d'une arche gigantesque dont la figure de proue représentait une elfe élancée à l'expression sadique.

Carguées contre leurs vergues, les voiles violettes, déchirées, ressemblaient à autant de silhouettes torturées enchaînées au fond d'indescriptibles tourments physiques et psychiques. Descendant la passerelle de l'arche noire, un Elfe borgne à la chemise blanche et au chapeau plumé de noir, les yeux rouges brillants, plissés face au vent du large, porta une main en visière et contempla quelque chose au loin. Sa chemise ouverte laissait voir en plus de deviner les muscles pectoraux qui saillaient, fermes, sous sa silhouette maigre et sa peau noire.

- Noire ? Ca va ? Tu ne dis plus rien tout à coup.
- Ca va, Brume. Ne restons pas là trop longtemps, d'accord ? »
Dim 20 Nov 2016 - 22:22
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Dargor
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Hector était content de la façon dont Noire, la nouvelle, s’était intégrée à la communauté. Ici, ils avaient besoin de tous pour survivre. Bien sûr, ils ne se faisaient pas d’illusions. Si l’un d’eux était condamné, personne ne s’acharnait à tout faire pour le sauver. Mais s’il y avait une chance qu’il s’en sorte, il était de tradition que le groupe s’essaye à lui venir en aide. La solidarité, c’était ce qui, à son avis, et à celui d’Urik, avait permis au groupe de survivre jusqu’à maintenant. Aucun d’entre eux n’aurait pu s’en sortir seul sinon.
Voilà pourquoi, quand ils avaient trouvé Noire, et qu’ils avaient conclu qu’elle pouvait être sauvée, ils avaient tenté de la soigner. L’avenir leur avait donné raison. Noire était une fille de bien. Elle n’avait pas peur de mettre la main à la patte, et quand elle le faisait, elle le faisait bien. Elle s’était confié à eux, sur sa mémoire enfouie, sur ce dont elle parvenait à se rappeler. On ne gardait pas beaucoup de choses secrètes dans le groupe, et il n’y avait aucune honte à parler du passé. De toute façon, de quoi rougiraient-ils ? La plupart d’entre eux était des « nouveaux arrivants » comme les appelaient les elfes noirs, en opposition aux esclaves « de souche », ceux nés sur l’Ile Noire. Ils étaient de nouveaux arrivants parce que contrairement aux esclaves de souche, ils avaient connu la liberté, et avaient eu envie de regouter à cette douce saveur. Et de toute façon, les esclaves de souche, parce qu’ils avaient été dressés dans une enfance de servitude, étaient souvent mieux traités que les nouveaux arrivants par leurs maitres. Parce que les esclaves de souche, au bout d’un moment, se sentaient résidents de l’Ile Noire. Malgré les mauvais traitements qu’ils subissaient, il y avait, Hector, Urik et leur groupe le savait, une sorte de hiérarchie sociale entre les esclaves. Au sommet, les gladiateurs bien sûr. Ensuite, les esclaves de souche, et puis les nouveaux arrivants.
Voilà pourquoi ils n’avaient pas beaucoup d’esclaves de souche, et aucun gladiateur. Car pourquoi les gladiateurs voudraient-ils quitter la meilleure vie qu’un esclave puisse souhaiter sur l’Ile Noire ? Même si certains esclaves de souche de luxe pouvaient avoir une vie qu’envieraient certains nobles du continent, s’ils servaient les bons maitres, en fait, les gladiateurs étaient les mieux lotis.

Toujours était-il que Noire aimait à mettre la main à la patte, elle ne rechignait jamais à travailler. C’était une bonne fille. Quand elle n’était pas avec son ami, Brume, Hector venait fréquemment lui parler. Il pensait que si lui et Urik venaient à disparaitre, ce qui était tout à fait possible, il faudrait un meneur pour le groupe. Ou plutôt une meneuse. Noire étant apparemment courageuse, il pensait qu’elle pourrait remplir ce rôle. Mais elle avait à apprendre la solidarité.

« On s’en sortira, lui dit-il un jour, uniquement si on travaille tous ensembles. On s’en sortira pourquoi ? Parce que les elfes noirs peuvent pas surveiller toutes les plages de cette satané île. Viens voir. »

Dans l’ombre d’une crique, loin de la ville, dangereusement exposée aux chiens des plaines, il lui montra ce qu’il construisait avec certains membres de la communauté.

« Le radeau sera un jour assez grand pour tous nous transporter, dit-il. On le fera, mais tous ensembles. »
Dim 25 Déc 2016 - 17:18
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Noire
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La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde.

Rimbaud



«  Hector veut que tu prennes un jour la tête du groupe ? répéta Brume aux mots de Noire.
- Moins fort.

Noire avait les lèvres trop closes ainsi que les sourcils trop froncés pour amener dans la conversation de la joie et du bonheur ; mais elle avait aussi trop de concentration -en particulier sur la pointe de la lance en bois qu'elle s'échinait à tailler- pour paraître pleinement intéréssée.

- Il t'a montré le radeau, à toi aussi ? Demanda Brume.

Noire leva alors son visage encapuchoné vers son camarade, à la recherche de ses yeux creusés.

- Tu étais au courant ?
- Le vieux m'avait déjà fais le coup de la succession. Il m'avait parlé de son projet de radeau avant même qu'il ne commence à le construire avec Urik.
- Putain, cracha Noire en se remettant à l'ouvrage. Séniles. Ils sont complètement séniles.
- Ah.
- Gateux. Arriéré. Nigaud. Pourceaux. Poursuivit Noire en utilisant le plein répertoire ordurier en vigueur en elle-ne-savait-ou.

Brume choisit de laisser le silence trouver ses mots. Il fixa un instant sans rien dire la silhouette de sa compagne, enveloppée de noire, le visage recouvert lui donnant l'air d'une damnée dont les contours sombres trahissaient presque les indicibles tourments intérieurs. Cette dernière cracha réellement, à la fin de sa litanie.

- De vrais têtes de cons !
- Et alors quoi ?

Au prix du regard aussi noir que son nom, que lui admnistra la femme en face de lui, Brume douta sérieusement qu'elle réponde un jour à sa question. Mais elle y répondit.

- Et alors quoi ? Ho, mais je ne sais pas ! Peut-être que Hector et Urik auraient pu choisir quelqu'un d'autre, tu ne penses pas ? Prendre la succession du groupe, rien que ça ! Je ne sais pas, moi. Quelqu'un, par exemple, qui dispose de tous ses souvenirs, tiens ! Qui se rappelle encore de qui il est ! Ou même quelqu'un qui n'aie pas la moitié de la tronche charcuté !

Et elle se leva, délaissant par là la lance tout-à-fait raisonnable et tranchante qu'elle venait de produire, afin de se saisir de fil et aiguille et rapiécer quelques vieux tissus qui feraient ensuite des manteaux chauds pour le groupe.

- Le passé est déjà écrit, lui dit Brume en voulant l'apaiser. C'est l'avenir qui est incertain.
- Dans mon cas, les deux sont incertains.

Et elle se mit à son ouvrage, le délaissant comme si elle estimait cette conversation close. Mais ça n'était pas là l'envie de Brume.

- Tu penses toujours à cet Elfe ? Demanda-t-il entre deux vagues de silence, faisant référence au Capitaine borgne sur le port de Saïrla.
- Briza. C'était lui. J'en suis sure.
- Comment tu peux être sure ? Tu n'as plus tes souvenirs.
- Je le sens. C'est lui qui m'a brûlé.

Selon Brume, Briza était un nom qui sonnait plus féminin. Mais avec les Noirs, on ne pouvait être sur de rien. Il choisit de laisser tomber cette histoire. Noire devrait en faire de même, songea-t-il.

- Et ce radeau ? Tu en penses quoi ?
- Pas moyen que je mette un pied là-dessus.
- Ah. Je trouvais que c'était un bon plan, moi.

Elle le foudroya du regard, le pointant de son aiguille. Foudroyer du regard, ça elle savait bien faire, Noire.

- Un bon plan ? Tu te fous de moi ?
- Bien sûr, pour l'instant ça serait de la folie d'embarquer. Le radeau n'est pas près. Mais avec le temps et en le renforçant avec du bon bois, on pourrait...
- Non, Brume. Pas ''on''. Pas tous.
- Va dire ça aux Vieux, railla Brume.
- Seuls les meilleurs peuvent peut être s'en sortir.
- Les meilleurs ou les plus chanceux.
- Non. Seulement les meilleurs. Les autres sont déjà condamnés.
- Je te trouve un peu extrême dans tes idées, Noire. Nous sommes comme une famille ici.
- Non Brume, insista-t-elle. Ca ne marche pas comme ça. On ne pourra pas se sauver de l'Île Noire. Pas tous en tout cas. Hector et Urik ont tort. La solidarité, la fraternité, toutes ces conneries, ça n'existe pas. Pas ici.
- Pourtant, lui opposa Brume en titillant la courbe de son arc de bois, tu ne rechignes jamais à besoigner pour l'intérêt collectif.
- Je le fais tant que je peux le faire. Mais tôt ou tard, toi, Hector, Urik et les autres devrez faire des choix. L'Île Noire nous a tous éprouvé. Et ça n'est pas finis.

Brume grommela quelque chose comme un ''mmm'' et s'apprêta à tourner le dos à sa compagne. Mais il se ravisa lorsqu'elle poursuivit, balançant à cinq bons pieds devant elle le manteau sur lequel elle s'échinait, ainsi que fil et aiguille.

- Et puis même, bordel ! Quitter l'Île Noire en radeau ! Mais vous êtes cons ou quoi ! Hector et Urik n'ont jamais appris à céder aux coups du sort, et ils se croient près à défier Ariel ? Que savez-vous de ces eaux ? Rien, morbleu ! Fichtre rien! Les gyres noirs, vous savez quoi des gyres noirs ? Ce sont des putains de tourbillons subtropicaux qui ne se forment qu'ici, dans cet Océan des Elfes Noirs ! On aura l'air de quoi, nous, sur notre putain de radeau ? Un gyre ça prévient pas ! Ca n'envoie pas un pigeon avant de se former en pleine mer, pour prévenir les quelques rescapés que nous serons ! Et les révolins de ces eaux ? Ils en savent quoi, de ça, Hector et Urik ! Des tempêtes très courtes, mais qui tombent sur les mâts sans crier gare ! Des vents terribles, capables même d'arracher les hunes d'un bâtiment sans la facultés des marins à caler les voiles le plus rapidement possible. Et je parle des tourbillons de vent qui se forment en plein révolin ? Si terribles qu'ils feraient tourner un navire quille en haut si on n'était habile de promptement emmener les voiles bas ! Et puis le soleil, par beau temps. Si ardent qu'il faut quitter la besogne sur terre pour se mettre à l'abri à l'ombre. Si puissant, qu'il est impossible de marcher à pieds nus sur les cailloux et le sable qui sont le long des côtes. Alors entassés, nous tous, sur un radeau ! Nous ne vendrons pas chèrement notre peau, Brume, crois-moi. Mais il est vrai que nous ne sommes pas encore en saison chaude. Admettons que nous ne souffrons de croiser aucun gyre, aucun tourbillon, aucun révolin. Et toutes les arches noires, qui croisent dans ces eaux, vous en faites quoi ? On en fera quoi, nous, lorsqu'on tombera dessus ? Car nous avons bien plus de chances de croiser un bâtiment monté d'Elfes Noirs qu'une caravelle del'Empire ou un brigantin au pavillon noir ! Quitter l'esclavage et l'Île Noire pour au final y revenir, quelle belle victoire ! Je tire mon chapeau à Hector. Et à Urik !

Un instant, Brume en voulut à Noire. Elle énonçait des vérités, bien sûr, mais la façon dont les mots franchissaient ses lèvres lui déplaisait. Chaque phrase de son amie était comme un couteau, et lorsqu'elle les prononçait, il avait l'impression qu'elle le lui avait planté dans le corps. Pourtant, Brume n'était pas connu non plus pour sa finesse et sa faculté à se bercer de douces illusions.

- Tu scénarises le pire, lui opposa-t-il. Tu es pessimiste.
- Non, seulement réaliste.

Elle se leva alors, partant à la recherche de son aiguille et son fil, retournant du bout de ses bottes brindilles et brin d'herbe. Elle ne la retrouvera jamais, songea Brume.

- Et puis même, reprit Noire d'une voix plus calme. Brume je t'en prie. Comment ferions-nous pour tous nous nourrir, sur ce radeau, des lunes durant, alors que nous n'avons pas de quoi manger ici pour le lendemain ?

Elle marqua un point. Elle retrouva son aiguille. Elle se saisit de son fil. Brume abandonna. Il l'observa un instant coudre, sans rien dire. Puis :

- Tu as été pirate, toi.
- Qu'est-ce que t'en sais ?

Elle l'avait regardé en interrompant de nouveau son travail.

- Tu t'appellais Barbe-Brune et tu écumais tout le Sud de Ryscior.
- C'est ça, moque-toi.
- Après tout, pourquoi pas ? Seul un marin pourrait savoir tout ce que tu sais et que tu viens de me dire !
- J'aurai pu être quelqu'un de bien. Je ne sais pas. Corsaire du Roi, ou une connerie de ce genre. Tu y as songé ?
- C'est bien possible, aussi, oui. lui concéda son camarade.
- Le bonheur ne fait pas l'argent, alors que lui achète tout.

Brume trouva l'oeil de Noire fort profond, mais l'espace d'une seconde, il frissona à cause de cette profondeur. La dernière phrase de sa compagne lui était destinée, toute-entière. Et elle restait là, fil et aiguille en main, à le fixer, comme si elle attendait de sa part une réaction. Ou un aveu.

- Ca veut dire quoi, ça ?
- Ca veut dire qu'on s'achète même une conscience, avec l'or. Pour peu qu'on en ait suffisamment.
- Tu reconnais être une pirate ?
- Il n'est pas question de mon passé, ici, Brume. Mais du tien. Et tu sais de quoi je veux parler. Tu n'en parles jamais, mais toi, contrairement à moi, tu possèdes encore tous tes souvenirs.
- Ca veut dire quoi, ça ? se répéta Brume.
- Ca veut dire que je sais que toi aussi tu étais marin, avant qu'ils ne t'attrapent. Et tu ne faisais pas dans la légalité. Ni dans la piraterie.

Brume croisa les bras sur son torse, attendant la suite, tendu comme un arc.

- Tu étais marchand d'esclave, acheva Noire.

Un silence. Il ignorait qu'elle avait deviné.

- Dans l'est de Ryscior, au début. Puis j'ai migré vers l'archipel de Blue Lagoon.

Il n'y avait ni regret, ni jugement, ni haine dans l'oeil de Noire lorsqu'il se confessa. Elle se remit à sa besogne, simplement, sans rien dire. Brume avait l'impression de s'être changé tout entier en statue de verre, et qu'on venait de le briser en mille morceaux.

~



Noire venait enfin de prendre sa décision. Brume avait beaucoup insisté. Ainsi, moins de trois jours après son entretien en privé avec Hector sur la plage, elle s'en alla le trouver.

- Hector, attaqua-t-elle, martèlerais-tu un morceau d'acier froid ?
- Bien sûr que non, répondit ce dernier. L'acier doit être chauffé avant qu'on le travaille.
- Il en va ainsi avec les hommes. Tu ne peux pas offrir à l'aveugle la lumière, au sourd la parole et au demeuré la science.

Hector fit un signe de la main destiné, elle le prit comme cela, à la faire taire. Mais Noire poursuivit.

- Avec ce radeau, et en l'état dans lequel il est, nous n'avons aucune chance. Mais je veux bien t'aider à faire de ta folie un projet réalisable. Il faut déjà que nous nous procurions ces quatre objets. Une voile. Une carte marine. Du feu. Et une boussole. »
Sam 31 Déc 2016 - 13:45
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Dargor
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« Je le sais, répondit Hector. Je le sais terriblement. En fait, même s’il ne contenait que deux ou trois d’entre nous, ce radeau ne permettrait sans doute jamais de rejoindre notre continent. D’autant plus qu’aucun d’entre nous n’a de vraies compétences en navigation. Nous avons quelques anciens marins, des pirates, mais au fond, rien qui ne nous permette de tous faire naviguer ce radeau.
« Comprends-bien Noire. Il n’y a aucune raison pour laquelle moi et le troupeau que nous formons sommes encore en vie. Aucune. Pas même le fait que les elfes noirs n’aient choisi de copieusement nous ignorer. En fait, la seule explication que je vois pour laquelle notre communauté tient, c’est parce que nous avons l’espoir de nous en sortir un jour, tu comprends ? Ce radeau, c’est l’espoir. Bien sûr qu’il ne naviguera jamais ! Je le construis uniquement pour que la communauté tienne. Pour que personne ne se dise qu’il vaut mieux crever bouffé par les chiens des plaines, ou retourner se vendre soi-même au marché aux esclaves. Vivre debout plutôt qu’à genoux, c’est le choix que je fais au nom de la communauté.
« C’est dur tu sais ? Dur de se dire que cet espoir est vain. Tu vas me traiter de cruel, à les forcer à se trainer dans la poussière et dans la boue simplement pour ma fierté. C’est vrai, je suis fier quand je les vois entretenir l’espoir d’une vie meilleure. Mais je ne suis pas égoïste. Je fais ça parce que je suis convaincu d’agir pour leur bien. Même si c’est au prix d’un mensonge. »
Mar 17 Jan 2017 - 0:04
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Les sanglots des martyrs et des suppliciés
Sont une symphonie enivrante sans doute,
Puisque, malgré le sang que leur volupté coûte,
Les cieux ne s’en sont point encore rassasiés !

Baudelaire




« Au prix d'un mensonge.

Noire gardait le regard fixé sur le vide. A ses côtés, Hector et Urik ne disaient plus rien. Étaient-ils gênés ? La jugeaient-ils ? En avait-elle seulement quelque chose à foutre ? Elle avait du mal à croire que ce qu'elle venait d'entendre était vrai. Devant ses yeux, sur la petite crique, le radeau de bois, gros à contenir une dizaine d'individus, craquait comme du gros bois au rythme lent des vagues. Noire se délectait, depuis toujours, de cette danse sensuelle qui venait bourlinguer sur les plages de sable blanc. Ou noir. Ici, sur l'Île Noire, on trouvait des plages noires. Noire songeait, sans trop savoir pourquoi, que c'était la cause de l'érosion des roches volcaniques. Sans doute y avait-il quelques montagnes de feu, actives ou éteintes, sur cette île de dépravation, de malheur et de tourments. Noire se savait capable de supporter à peu près tout ici bas sauf qu'on la prenne de haut.

- Noire, commença Hector, je...
- Est-ce que ce que je viens d'entendre est vrai ? reprit Noire en levant son visage austère vers le vieillard qui lui avait un jour sauvé la vie.
- Ecoute...
- L'espoir d'une vie meilleure. Un immense mensonge. Tout ça pour ta fierté. Vous conduisez un troupeau de moutons auquel vous promettez une vie meilleure, et vous nous mentez délibérément. Et ce radeau c'est quoi ? Combien de sombres crétins avez-vous emmené ici, sur cette plage, seul à seuls, en leur confiant au creux de l'oreille que vous travaillez tous les deux depuis des Tours à la construction de ce rafiot ? Qu'un jour, il nous mènera loin d'ici ! Car je ne suis pas la première, hein ? Brume m'a dit que vous l'avez emmené ici, lui-aussi ! Est-ce que par hasard tout le monde dans le groupe serait au courant ? En fait, ne prenez même pas la peine de me répondre. Bravo, les Vieux, vous êtes des bons comédiens.

Elle essuya d'un revers du poignet le sang qui coulait en strie de son œil, jusque sur sa joue.

- Et moi j'ai quoi de plus ? Pourquoi me dire la vérité ? Vous me bombardez chef de meute, et le jour d'après vous m'envoyez ça à la gueule.

Étrangement, elle ne gueulait plus. Autour de son œil gauche, le sang coulait toujours plus, brouillant sa vision. Sa voix s'effritait.

- Hector. Urik. Vous m'avez ramassé mourante dans le caniveau. Comme la plupart des loups de la meute. Pourquoi ? Pourquoi tant de mal, puisque vous n'y croyez pas ?

Ce disant, elle dû s'asseoir quelques minutes comme la tête lui tournait. Du sang s'échappait de ses narines et elle dû arracher un pan de la manche de son manteau afin de l'essuyer.

- Vous êtes déjà vieux. Tous les deux. Dans peu de temps, vous serez morts. Je peux comprendre que vous n'ayez plus grand chose à foutre de l'espoir. Et que regagner le continent ne vous semble pas un jeu qui en vaille la chandelle. Je n'ai pas votre âge, mais je suis malade. Je vais crever, moi aussi. Bientôt. Dans un Tour. Dans une lune. Dans un jour. Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est que c'est inévitable. Mes jours sont comptés. Mais je ne veux pas mourir ici, et comme ça. Je veux croire. Je veux pouvoir croire, qu'un jour je respirerai le vent de la liberté à nouveau. J'aimerai devenir matelot, officier, général, amiral, capitaine d'infanterie sur le Continent. Naviguer sur les quatre mers. Faire exploser un navire ou deux d'esclavagiste. J'aimerai qu'un jour, ce collier autour de mon cou se brise et tombe à mes pieds, définitivement. Je veux continuer à y croire, vous comprenez ? On ne joindra jamais le continent avec ce radeau, c'est un fait. Mais je peux l'améliorer. Je peux y ajouter des voiles, je peux nous trouver un itinéraire. Ce que vous faites, Hector, Urik, c'est fendre la bouche à ceux qui n'espèrent pas assez. Et vous la cousez à ceux qui espèrent et qui parlent trop.

Elle soupira tout en enrayant les sillages de sang qui, finissant par s'estomper, lui rendaient sa vue.

- Le feu qui a brûlé dans ma tête, lorsque ce Briza m'a appuyé le visage dans les flammes. Il s'est éteint en lassant comme traces des rides profondes, des éclats de chair mortes et des souvenirs indestructibles. Le seul souvenir de ces souffrances allume en moi un incendie qui me pousse à tout faire, tout tenter pour quitter cette île. Moi, j'ai perdu tous mes souvenirs. Vous, vous les avez conservé. Si vous avez une once d'humanité, si vous valez mieux que ceux qui ont été nos bourreaux, ces fils de pute, vous tenterez quelque chose pour aider la meute. Je veux retrouver ma famille, mes amis, et tous ceux qui m'attendent là-bas, par delà l'océan. C'est à eux que je pense, tous les jours. Hector, Urik, vous n'avez plus personne, sans doute, pour vous attendre. Mais les gars que vous dirigez et à qui vous avez sauvé la vie, ont le droit d'espérer. Et putain, ils ont le droit de quitter cette île !

Elle se releva et s'apprêta à quitter la plage.

- Si je m'en vais, tout le monde saura. Vous vous en doutez.

Elle essuya en un ultime revers le sang sur son visage. Elle allait mieux, déjà. Ces crises devenaient de plus en plus violentes et récurrentes. Mais elle ne saurait plus le cacher à Brume très longtemps. Elle ne voulait pas quitter ce monde sans avoir parlé une dernière fois à son ami.

- Finalement j'ai changé d'avis. Pure curiosité de ma part, mais j'aimerai savoir. Combien de gars avez-vous mené jusqu'ici pour leur faire le coup du radeau ? »
Ven 20 Jan 2017 - 15:28
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Dargor
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Neïla marchait sur la grève, s’éloignant de la cité. Elle avait du mal à croire ce qui lui était arrivée. Les évènements s’étaient enchainés ces derniers jours, trop vite pour elle. Elle n’avait jamais été la plus rapide, cela elle le savait, aussi n’avait-elle pas eu le temps de comprendre ce qui se passait qu’elle avait déjà dû fuir la ville. Un conflit. Elle s’en voulait. Comment avait-elle pu ne pas voir que sa famille allait défier l’Echevin de la cité, Lokhir en personne ? Si elle l’avait sû, elle aurait à n’en pas douter fait savoir à tous qu’elle était opposée à ce plan. Mais elle ne l’avait pas réalisé, et Lokhir avait appris que l’on complotait contre lui, et il avait pris des agissements préventifs.
Et maintenant, elle se retrouvait seule survivante de sa famille. Du moins probablement la seule survivante. Il n’y avait aucune raison pour que qui que ce soit d’autre s’en soit sorti. Elle n’était pas forcément la plus maligne, mais quand sa vie était en danger, elle était capable de tout pour s’en sortir. Cela l’avait déjà poussée à vivre des situations humiliantes. En tant que corsaire, un jour, elle ainsi été isolée dans les cales d’un navire humain lors d’un abordage. Prise au piège par plusieurs de leurs marins, elle avait estimé qu’il serait suicidaire de les défier. Elle s’était alors rendue, et avait tant et si bien joué la comédie que les humains avaient fini par la croire inoffensive. Elle avait dû encaisser leurs coups et leurs insultes, mais elle s’en était sortie à la fin, quand son équipage avait gagné.

Et là encore, elle avait réussi à s’échapper. Mais elle devait traverser les plaines pour gagner un lieu sûr. Les plaines et leurs meutes de chiens affamés, et elle n’avait qu’un couteau, et même pas de vivres. Elle regarda la ville non loin. Quelque part s’y trouvait amarré le navire dans lequel elle avait navigué pendant des tours. Mais il était illusoire d’espérer le manœuvre seul. Tant pis, elle reprit sa route qui s’annonçait longue. Et dangereuse. Mais elle était une survivante après tout.
Mer 1 Fév 2017 - 21:56
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Noire
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Brume:


Cette pétasse de Neïla:


Capitaine Qalva'ar:


???:



Un ballet mortel, oui. Comme l'existence elle-même au fond, puisque tout être vivant est tôt ou tard condamné à mourir.




« Elle va mourir, murmura Brume à Noire.
- Oui. lui fit sa compagne pour toute réponse.

Dissimulé derrière une haute barrière de récifs face à la mer, Brume et Noire, armés, observaient la singulière scène se déroulant devant leurs yeux. Placé sur son côté gauche, Noire ne parvenait pas à voir son compagnon d'infortune, mais elle sentait son souffle chaud sur sa nuque, presque sur sa joue. Ou sur ce qu'il restait de sa joue.

- Allons-nous en ! ajouta Brume en tirant Noire par le bras, toujours accroupi derrière sa muraille rocheuse.
- Non, attend !

Noire ne cilla pas.

- Elle n'a que ce qu'elle mérite ! Si les sirènes nous aperçoivent on est foutus !
- Ce ne sont pas des sirènes, répliqua tout bas Noire sans lâcher des yeux l'Elfe Noire sur la sable qui se débattait de son mieux face à ses agresseurs !

Brume vint se raccroupir à ses côtés.

- Tu as déjà vu des sirènes, toi ?

Bonne question.

- Je ne sais pas.
- Parce que moi non. Et si ces choses n'en sont pas, alors je ne vois pas ce qu'elles pourraient être d'autres ! Noire, vient ! On se tire d'ici !

De détresse, les larmes vinrent aux yeux de l'Elfe Noire qui à force de jouer du couteau voyait surtout ses adversaires se multiplier et sa fin approcher.

- Des mutants.
- Quoi ? demanda Brume.
- Des créatures mutantes, reprit Noire un ton au-dessus. Ce ne sont pas des sirènes. Ce sont des mutants !
- Rien à foutre de ce qu'elles sont, cracha Brume ! Noire, vient ! On se tire !

Comme il voyait que sa compagne ne paraissait pas décidée à bouger, Brume la tira par le bras. Ce fut peine perdue. Une troisième fois, il subit toute l'ampleur de son échec en venant s'accroupir à ses côtés :

- Merde, mais depuis quand tu as de la compassion pour un Elfe ?

Encerclé par des dizaines et des dizaines de mutants, l'Elfe Noire avait suffisamment guerroyé afin de repeindre en rouge la plage rocailleuse qui la soutenait ! Mais elle était blessée, et ses minutes étaient comptées. Partout, jaillissaient des mutants hors de l'eau, rampant jusqu'à elle, prêts à la dévorer sitôt qu'elle flancherait !

- Elle doit être stupide pour être venue ici seule ! Les Elfes Noirs savent bien que cette partie de l'île est inhabitée, sauf par les chiens des plaines, les loups et les mutants !
- Brume, couvre-moi !

En une seconde, Noire avait bondi par-dessus l'échelier rocheux, dégainant épée et couteau, et s'était retrouvée aux côtés de l'Elfe Noire qui la regardait en se demandant l'espace d'une seconde si c'était du lard ou du cochon !

- Noire ! Petite conne ! Je te hais ! Je te hais, putain ! rugit Brume en prenant appuis fermes sur un rocher à son tour et dégainant son arc, décochant flèches sur flèches ! Sans déconner, c'est quoi ton problème !

Le premier projectile perça le crâne de l'une des créature qui s'apprêtait à mordre Noire à la cheville. Il fit mouche avec le second. Rata sa troisième cible, dû changer d'appui afin d'éviter la horde de monstres qui rampaient vers lui, gagna de la hauteur et recommença, de concert avec Noire et l'Elfe, à tirer dans le tas !

- SALOPERIES DE MES COUILLES !



[Terminé] [PV Phadransie]  "Mes bras sont nés des ténèbres : j’édifierai les ténèbres."  Eeb3a110



Acide comme du vinaigre, dos-à-dos avec l'Elfe Noire, Noire trancha des nageoires, décapita des têtes, faisait gicler des cervelles et brisait des queues ! Brume se retrouva rapidement à court de flèches ! Constatant le nombre encore élevé de ses adversaires, il prit encore de la hauteur, se trouva un point d'appui adéquat, et termina au lancer de couteau. Noire lui avait appris quelques tours, tous deux n'étaient pas mauvais ! Et bientôt il ne resta de cette plage qu'un gigantesque charnier puant le poisson pourri et le sang. Blessée, l'Elfe était tombée au sol, du sang coulant d'un peu partout sur son corps.

- Tu es blessée ?

Noire tenta de poser une main sur son avant-bras dont la chair était déjà couverte de sang séchée, mais l'Elfe Noire le retira d'un geste vif en les foudroyant tous deux du regard !

- Tu es seule ? tenta de nouveau Noire mais l'Elfe ne répondit pas.
- Putain mais tu es devenue folle ou quoi ? beugla Brume ! C'est une Elfe Noire !

Noire ignora les sarcasmes de son compagnon qui commençaient particulièrement à lui taper sur les nerfs. Il la croyait stupide ? Elle voyait bien qu'elle avait affaire à une Elfe Noire ! Et marchander avec les Noirs était le plus sûr moyen de repartir avec une chaîne au col !

- Tu peux marcher ?

Toujours aucune réponse de la part de l'Elfe, et un regard noir, empli de haine. Noire savait très bien ce qu'elle pensait en ce moment : "comment osez-vous m'adresser la parole misérables vermines humaines ?" et blabla. Brume récupéra l'une de ses flèches et, après l'avoir essuyé sur sa tunique, l'encocha dans son arc, visant l'étrangère :

- Tu ferais mieux de répondre, salope. C'est grâce à nous que tu es encore en vie, je te signale ! Et les Elfes Noirs moi, quand j'en croise, je les tire à vue. Comme des chiens !

Alors qu'il s'attendait à ce que Noire la réconforte dans ses propos, il fut surprise de la voir offrir son épaule et passer son bras autour de l'Elfe.

- Je vois que tu es blessée. Tu as du mal à marcher. Je vais t'aider, ça sera plus simple comme ça.

Et comme l'Elfe Noire se dérobait :

- Ecoute, l'Elfe, tu préfères rester ici, sur le territoire des mutants ? Nous avons un camp d'anciens esclaves, plus loin. Comme toi, ce que nous désirons c'est quitter l'Île Noire. Je devine que c'est ce que tu veux, sinon tu ne serais pas ici, toute seule, sans même un sac avec des vivres. Je te laisse le choix, tu peux venir avec nous et voir ce qu'il adviendra, ou rester ici, seule et blessée, et y crever.

Brume regardait Noire, interloqué. Finalement il comprit qu'il était inutile d'insister et rangea son arc. Qu'avait Noire derrière la tête, putain ? On lyncherait cette Elfe sitôt qu'elle la présenterait à la meute.

- Comment t'appellent les tiens ? reprit Noire en aidant l'Elfe Noire à se déplacer tandis que Brume les couvrait de tous dangers.
- Neïla.

Ce fut la seule réponse qu'elle leur fit jusqu'au camp.

~



- On pourrait la soulager de ses bottes. Et de sa cape ! Elle n'en a pas besoin, la plupart des gars de la meute crèvent de froid.
- Non, Brume.
- J'avoue que je ne te comprends pas, cracha Brume.

Neïla avait été placée à l'intérieur d'un abri d'infortune, provoquant la fuite de tous les anciens esclaves à des mètres à la ronde. Pour l'instant, elle se reposait.

- On ne la dépouille pas, répondit simplement Noire, à plusieurs mètres de l'abri de Neïla.
- Mais pourquoi ? Tu veux peut-être lui offrir un repas chaud avec ça ? Et lui baiser les pieds ? Ca t'irait bien ça, de baiser les pieds des Elfes Noirs !

Noire continua de boire l'eau contenue dans son outre d'infortune tout en se demandant mine de rien de quoi Brume aurait l'air si elle la lui flanquait à la gueule. Hector et Urik les rejoignirent.

- Tu as intérêt à nous expliquer, Noire.
- Ecoutez, commença-t-elle l'air glacial. Nous connaissons tous les Elfes Noirs. Si on la dépouille, si on la frappe, même si on la regarde de travers ou qu'on la prend d'un peu trop haut, elle nourrira à notre égard une vengeance qui fera mal.
- Bien sûr la solution c'est d'être aux petits soins pour elle ! fit Brume en croisant les bras, tout sarcasme.
- C'est ça.
- Et pour son couteau, Noire, avança Urik. C'est une arme tranchante, que tu lui laisses délibérément entre les mains.
- Je préfère lui laisser son couteau et la savoir prête à l'utiliser pour nous, que le lui dérober et prendre le risque de la voir en utiliser un autre sur nous.
- Mais enfin, c'est une Elfe Noire ! Qu'est-ce qui peut te faire croire qu'elle se battra pour nous ?
- Elle ne le fera pas, répondit Noire en rabattant sur son visage son capuchon sombre. Elle ne le fera pas parce que je ne lui demanderai pas de le faire.

On laissa sa part au silence. Un instant, Noire vit ces trois paires d'yeux la dévisager comme si elle avait réellement perdu la raison. Elle posa une main sur l'avant-bras de Brume dans un geste de réconfort.

- Ne vous inquiétez pas. J'ai un plan. Et je vais immédiatement l'éloigner de la meute, afin que vous ne courriez aucuns risques.
- C'est un bon plan ? demanda simplement Brume, l'air vague.
- C'est un plan foireux, concéda Noire. Mais c'est mieux que tout ce que nous avons eu jusqu'à présent.

Elle ne dit rien de plus avant de s'en aller retrouver Neïla. Mais le mot "radeau" était muettement présent sur toutes les lèvres.

Un tourbillon d'interrogation se balançait aux lèvres de Noire et de Neïla. Les deux étaient assise, en tailleur l'une en face de l'autre, à l'intérieur de la tente d'infortune renforcée de bois qui constituait leur toit. Noire avait pris grand'soin de ne pas paraître hautaine lorsqu'elle s'adressait à Neïla. Elle ne s'écrasait pas non plus face à l'Elfe. D'égale en égale, voilà sa vision des choses. Evidemment, elle se doutait que Neïla ne la partageait pas. Elle ne voulait pas la forcer, mais campait sur cette position-là. Sur sa poitrine, les lettres composant le nom de son maître "BRIZA" paraissaient s'être soudainement enflammées. Noire dû faire un effort surhumain afin de les ignorer. Tout comme le mirvonk'el cinglé autour de son cou. Elle finit par tendre sa main à Neïla, après lui avoir exposé son plan.

- Marché conclus ? Nous faisons une trêve ?

Un rictus aux lèvres, Neïla balança sa tete de gauche à droite. Ses yeux hurlaient de fatigue. Noire comptait sur cela afin de convaincre son interlocutrice.

- Je t'ai donné mon nom. Tu pourrais me donner le tien.

Elle songea que c'était un bon point pour elle que l'Elfe lui demande son nom car cela signifiait qu'elle était ouverte à son marché. Autrement, elle n'aurait pas même pris la peine de s'enquérir de son identité. C'était bien connu ici : les Elfes Noires renommaient leurs esclaves.

- On m'appelle Noire.
- C'est toi la chef de cette bande de...d'humains ?
- Non.

Noire ramena sa main, tendue entre elles deux depuis tout ce temps. Neïla ne l'avait pas serrée.

- Ton plan est risqué pour moi, reprit l'Elfe.
- J'imagine bien que ta tête est mise à prix à Menrenwen. Autrement, tu n'aurais pas été là-bas à taquiner les mutants. Mais si tu en as un autre, je prends.
- Je n'en ai pas d'autres, avoua l'Elfe en se grattant le menton.
- Je ne te le cache pas, reprit Noire. Nous allier est la seule solution. Tu peux toujours refuser.

Elle désigna du chef le couteau de Neïla.

- Dégainer ton arme et m'égorger, ici, sous cette tente. Mais tu t'en doutes, dehors la meute gronde. Et à mon premier râle d'agonie, Brume, mon ami, décochera ses flèches et tu seras morte. C'est bête.
- Toi. N'as-tu pas peur de mourir ?

Elle vit que Neïla souriait.

- Tout être vivant est tôt ou tard condamné à mourir. Et puis ici, nous sommes tous déjà un peu morts.
- Tu parles comme une humaine.
- J'en suis une.

Un instant, elles se dévisagèrent, froidement. Noire se demanda si, vraiment, Neïla était stupide au point de dégainer son couteau et le lui planter dans le cœur. Elle se demanda aussi si, le cas se produisant, elle aurait perdu énormément de son temps. Comment solder le temps qu'il lui restait ? S'agissait-il de Tours ? De lunes ? De jours ? Elle était malade. Elle le savait. Contrairement à Brume et aux autres, pour elle, le temps était désormais un joueur avide. Qui gagne sans tricher, à tout coup. C'est la loi. Le jour décroissait ; la nuit augmentait. Sa vie importait peu, face à celle de la meute. Si seulement Brume comprenait que, plus que sa propre existence, c'était la sienne qu'elle tentait de sauver en négociant avec Neïla.

Finalement, l'Elfe Noire serra la main de son interlocutrice humaine.

- Je marche, Humaine.
- J'en suis ravie, l'Elfe.

Sans sourire, Noire quitta le gîte, laissant Neïla se reposer. Demain dès l'aube, elles s'en iraient toutes les deux pour le port de Menrenwen.

~



- Tu as de l'humeur, humaine, lui dit Neïla en rabattant sur son visage la capuche de sa cape. C'est mal vu chez les échevins.

Noire ne répondit pas, laissant Neïla se préparer. Après plusieurs heures de marche, les deux se trouvaient non loin des portes de la cité. L'Elfe dissimula sous son manteau son couteau, couvrant son corps et son visage le plus possible. Noire vit ses petits yeux brillaient avec cruauté dans la pénombre que formait le capuchon.

- Je connais les codes et les dogmes à respecter, dénota Noire en abandonnant l'épée qu'elle portait au côté.

Elle prit également soin de se déchausser, et arrangea son cache-col afin de laisser paraître à la vue de tous le mirvonk'el. En revanche, elle couvrit son visage sous son propre capuchon.

- Ce plan, c'est de la folie... railla Neïla. L'échevin de Menrenwen a juré d'exterminer toute ma famille.
- Nous ne nous rendons pas à Menrenwen même, rappela Noire. Mais sur le port.
- C'est la même chose ! L'échevin est corsaire !
- Il te croit en fuite ou déjà morte. Le propre des individus de ta race, c'est leur orgueil. Ils se fichent pas mal de ce qui ne les concerne pas. On ne parle à personne, et personne ne nous parle.

Neïla ne fit pas de réponse à Noire, s'assurant pour la cinquantième fois, peut-être, que son seul et unique couteau coulissait bien dans son fourreau. Elle dévisagea, la tête haute, Noire.

- Bon. Esclave ?

Noire hocha la tête.

- Je marcherai toujours derrière toi. Je garde la tête baissée. Je ne prononce pas un mot et je ne porte pas de souliers.
- Pas de provocation ! brandit Neïla un index levé. Si un esclave se fait battre par son maître sur notre chemin, tu ne cilles pas !
- Je ne suis pas conne.
- Tu la fermes.

Noire lui balança un regard lourd de répartie.

- Allons-y.

Elles pénétrèrent dans la cité de Menrenwen. Noire y était déjà venue, en présence de Brume, plusieurs fois. Les membres de la meute organisaient même des raids, quelquefois, dans les bas quartiers de la cité. Ils chassaient parfois les chiens, les chats, les rats. Dépouillaient de leurs armes et de leurs vêtements les cadavres encore chauds et abandonnés dans l'une ou l'autre ruelle de la ville. Parfois, ils pénétraient dans les égoûts, remontaient les catacombes de Menrenwen, se livraient au braconnage. Quelquefois, ils tuaient d'autres esclaves afin de leur dérober vêtement ou vivres. A chaque fois, le mirvonk'el passé au cou de Noire rappelait à tous ceux qui égaraient un oeil sur elle qu'elle ne s'appartenait plus et était propriété d'un Grand de Menrenwen. Alors, les Elfes détournaient le regard. Dans cette cité où les esclaves étaient plus nombreux que les maîtres, se rendaient au port pour eux, manœuvraient les navires pour eux, faisaient le marché pour eux, construisaient les bâtiments pour eux, rien n'était plus facile que s'y infiltrer.

Noire craignait seulement deux choses. La première était qu'elle tombe nez-à-nez avec Briza, l'échevin. Qu'il la reconnaisse. Qu'il tente de la récupérer. Ou bien qu'il reconnaisse Neïla, et tout son plan tomberait à l'eau. Le risque de tomber sur Briza était plus que mince, mais il existait néanmoins. Sa seconde crainte était que Neïla, malgré son accoutrement, soit aperçue par quelques espions au service de Briza. Et là...

Noire ne préférait ne pas y songeait. Dans le cas où Neïla était tuée, elle, n'était qu'une esclave. Elle pouvait toujours prendre ses jambes à son cou et tenter de fuir Menrenwen en vitesse.

Tout devait bien se passer.

Enfin, elles atteignirent le port sans encombres. Le port de Menrenwen, caveau des abominations. Un port Noir. Comme convenu, Neïla parvint à dérober une petite arche, gréée comme une Noire, aux voiles rouges claquant au vent du sud contre leurs mâts. Elle détacha les amarres, remonta le câble de l'ancre qui la retenait sur la gueule de l'eau noire. Noire, à bord au côté de Neïla, se chargeait des préparations en vue du départ.

- C'est ton navire ? demanda-t-elle lorsqu'elle furent déjà à la poursuite de la ligne d'horizon.
- Non. Tenter de récupérer mon arche était trop risquée, concéda Neïla. L'échevin avait sans doute déjà dû mettre la main dessus. Et puis, nous n'aurions jamais pu la manœuvrer à deux.
- Et notre départ aurait attiré les regards..
- Exact.

A la barre de la petite arche Noire, l'Elfe donnait de violent coup entre les drisses du gouvernail. Noire se demanda un instant à quoi Neïla pouvait bien penser. La mauvaise fortune l'avait poursuivie avec acharnement. Elle l'avait prise sous sa roue mais n'avait pu l'écraser. Sans doute quelque chose du style. L'égoïsme des Elfes Noirs... L'égoïsme suprême, qui ne craint pas d'incendier une maison pour se faire cuire un œuf.

Une main sur le passavant bâbord, le cœur de Noire battait la chamade. Elle avait fait le tour -ce qui fut chose rapide- du bâtiment qui les portait, un deux-ponts. La cale, sous la coque, contenait différents tonneaux comportant racines de manioc, céréales, biscuits secs, pain rance et poignées de gros sel. La meute avait de quoi tenir plusieurs jours ainsi ! Pour le reste, songeait Noire, il leur suffisait de pêcher suffisamment de tortues. En les salant, on pouvait les conserver des lunes entières ! De l'autre coté, l'océan des Elfes Noirs rutilait et, malgré le va-et-vient régulier des vagues, son grondement avait le don d'hypnotiser -ou d'effrayer !- toute âme scrutant l'intensité de son bleu roi ! Sous le faux ponts, quelques pièges à rats lambinaient. Noire laissa son oeil observer les coursives de la poupe de la petite arche. Le soleil dans le dos, la silhouette sombre de Neïla, yeux clos, respirant grand l'air du vent du large, semblait presque fantomatique.

- Un demi setier d'eau par jour, murmura Noire après s'être livré à quelques petits calculs chimériques.
- Tu as dis quoi, Humaine ?
- Un demi setier d'eau par jour. C'est peu, mais ainsi nous pourrons tenir une Lune, avec ce que nous tenons d'eau. Il nous faudra trouver une île où nous réapprovisionner. Mais on y arrivera !

Elle avait encore du mal à croire que tout cela serait désormais...Non, était derrière elle ! Derrière eux ! Brume...

Mais le rire glacial de Neïla la tira de ses songes. Les doigts crispées sur les drisses du gouvernail, elle semblait partie d'une quinte de toux, tant son rire grondait à l'intérieur de son gosier, se répercutant entre ses dents. Noire avait deviné pourquoi elle riait. Marchander avec les Noirs était le plus sûr moyen de repartir avec une chaîne au col.

- On ne retourne pas chercher ta "meute", jeta Neïla d'une voix froide.
- Tu te doutes que je ne te laisserai pas faire, balança Noire en la foudroyant du regard.
- Je mets le cap sur le Continent ! La Jungle. Peut-être Prébois ! Là-bas, je me referai un nom. Nous les Elfes Noirs, sommes immortels.

Nous les Elfes Noirs, sommes immortels...

- Si ce sont les haut-fonds que tu crains, rugit presque Noire, je peux te guider ! Je sais comment accoster sur les plages mutantes, loin de Menrenwen. Ce sont des plages de sable noi...
- Je n'ai pas peur des hauts-fonds. Nous n'aurons pas assez de nourriture et d'eau pour tout le monde, si nous retournons les chercher. Je ne prends pas ce risque.

Et l'Elfe Noire répéta.

- Je mets le cap sur le Continent.

C'est comme une porte que l'on claquait.

- Je ne te laisserai pas faire, tu le sais !
- Je sais aussi que cette arche est impossible à manœuvrer seule, Humaine. On peut se battre, si tu veux. Admettons que tu me tues. Très bien et ensuite ? A toi seule, tu n'auras ni la force ni le temps d'amener bas ou de carguer toutes les voiles avant que le vent ne les happe. L'arche se retrouvera la quille en haut avant même que tu ne sois descendus de la hune. Et comment feras-tu, pour les hauts-fonds ? Tu sonderas la mer et tu barreras l'arche, en même temps ?

Encore une fois, Neïla éclata de rire !

- Noire, tu es l'humaine la plus drole que je connaisse ! Allons, ne fais pas cette tête ! Depuis le départ, tu savais que je ne retournerais pas chercher tes petits camarades ! Tu as saisis ta chance de quitter l'Île Noire en t'alliant avec une Elfe Noire, c'était risqué, mais courageux ! Même pour une humaine ! Mais à présent, tu peux bien le reconnaître. Ton cœur est aussi ingrat que le notre ! Depuis le départ, c'est ta vie à toi que tu sauvais. Pas les leurs !


Noire songea que Neïla parvenait à glorifier la mort avec simplicité, à chacun de ses mots. Ils faisaient mal comme des lames. Elle se demanda, à la manière dont l'observait l'Elfe, si elle avait réussi à la fasciner. La fasciner, mais d'une fascination noire, alors.

- Une fois sur le continent, vomit Neïla une fois son rire étouffé, libre à toi de dénicher un navire et revenir sur l'Île Noire secourir tes petits camarades !

Noire, sans un mot, grimpa dans les enfléchures de l'arche, ses pieds nus et ses mains en rythme parfaitement synchronisés, afin d'offrir davantage de toile au cacatois du mât de misaine. Elle avait besoin de réfléchir. Chaque matin, elle gravissait une montagne avec un rocher qui ne faisait que dégringoler le soir.

~



Remets-toi le cœur à la bonne place, Noire. Tu ne les abandonnes pas. Sitôt de retour sur le continent, tu retourneras les secourir. Mais quel Capitaine humain censé accepterait de caboter le long des plages Noires ?

Noire laissa échapper un long soupire. Aucun. Bien sur. Mais elle ne baisserait pas les bras ! Elle réussirait, quitte à joindre l'Île Noire seule à bord d'un canot de rade ! De toutes ses qualités passées et présentes, elle devina aisément que la patience n'en faisait pas partie. Chaque instant lui semblait durer une éternité. Chaque journée en paraissait comme deux. Elle songeait à Brume. Tout le temps. Elle n'avait pas souhaité lui exposer son plan, afin qu'il ne se gorge pas de faux espoirs. Brume n'était pas du genre insistant, et il respectait les secrets et la vie privée de tout-un-chacun. Il avait respecté son silence. Noire avait voulu le serrer dans ses bras, lui dire qu'elle avait peur. Peur de se tromper. Peur d'échouer. Elle avait simplement réussi à desserrer ce qui lui restait de lèvres afin d'articuler un :

"Si je me trompe, on ne se verra plus jamais.

Et avant que Brume ne proteste :

Mais si j'ai raison, alors nous serons bientôt tous libres et loin de cette île."

Elle s'était détournée de son ami, en un dernier regard. Que pouvait-elle faire de plus ? Que pouvait-elle dire de plus ? Alors elle s’abîmait les mains contre les cordages de l'arche. Lorsqu'elle dormait, c'était Neïla qui le faisait, à l’affût du moindre vent, du moindre fond, de la moindre alerte. Les maigres salaisons de la cale pourrissaient comme charogne à cause de la chaleur. Un monde où l'action et la liberté ne sont pas les sœurs du rêve. L'eau claire qu'elles avaient à bord était infestée de vers, à peine visibles à l’œil nu, et pour la boire Noire devait la filtrer à travers un linge. Le soleil brûlait leur peau le jour, et les vents nocturnes la leur cisaillait. Durant plusieurs jours, elles ne parvinrent pas à gagner au vent et roulèrent affreusement. Noire passait plus de temps dans la mature que sur le pont de l'Arche. Le travail était immense lorsqu'on devait le partager seulement entre deux personnes.

Noire s'en accommodait. Neïla était peu bavarde, et cela tenait de l'euphémisme. De toutes façons, qu'auraient eues à se dire une Elfe Noire et une Humaine, ancienne esclave ? Cependant, Noire nota -avec reconnaissance- que l'Elfe ne lui donnait pas d'ordres et ne la considérait pas de trop haut. Elle était prête à endurer le mur de glace entre leurs deux personnes afin que la situation se maintienne telle qu'elle. Neïla savait que si Noire la quittait, elle ne parviendrait plus à maîtriser les vents. Sans doute finirait-elle le bec dans l'eau. Et vice versa. Cette traversée de l'Océan des Elfes Noirs, extrêmement longue et à demi-brouillée par l'amertume et la fatigue, était bien du goût de Noire. Elle l'était même davantage que tout ce qu'elle aurait pu espérer lorsqu'elle se trouvait encore avec la meute. Elle aimait la mer, elle en avait la certitude. Avait-elle un commandement sur les bras, avant que les Elfes Noirs ne la capturent ? Était-elle corsaire ? Était-elle pirate ? Dans les deux cas, Noire était sure et certaine d'une chose : elle n'avait pas été de nature fort recommandable, par le passé. Il fallait en avoir tué des hommes et des bêtes, s'était-elle surprise à songer un jour au cours d'une bataille contre des loups, afin de savoir perforer le cœur à la bonne place.

C'est drôle. Brume était un esclavagiste. Il marchandait la vie humaine sur terres et sur mers. Et moi je tuais à dextre et à senestre. Pour le compte de quelqu'un ? Pour nourrir ma famille ? Pour mon propre plaisir ?

Secrètement, elle songeait que la troisième option était la bonne, mais tant qu'elle n'en aurait pas la preuve tangible, ne souhaitait pas s'abaisser à l'adopter.

Mon esprit a pu croire convenable de cacher ou déguiser une partie de la réalité qui m'entoure, la prudence le voulait aussi bien que la survie. Mais parfois je me dis que cette amnésie est dans le fait condamnable.

Sur la hune du grand mât, tout en essuyant le sang qui coulait par rainures de son œil, Noire songea qu'elle aurait tout donné, tout ce qui pouvait bien lui rester, afin de connaître son véritable nom. C'est Brume qui m'a nommé. Elle le laissait en arrière, mais emportait au moins de lui un souvenir. Le nom qu'il lui avait affublé. Noire.

"A cause de ton regard" avait-il dit. "Au fait, moi c'est Brume."

Brume...

Quelque chose vint la tirer de ses pensées comme le saignement se poursuivait jusqu'au nez. Elle se redressa en un bond, s'accrochant à une écoute qui baladait là, les mains en porte-voix :

- Hé l'Elfe !

Neïla, qui dormait à l'ombre de la misaine en contrebas, ouvrit un œil. Noire reprit :

- J'aperçois une voile, droit devant !

Rapidement, l'Elfe Noire vint la rejoindre sur son perchoir.

- Dis-moi si je me trompe, mais il me semble bien que...
- Non, tu as raison. C'est bien une voile...

Neïla jura de ne pas avoir trouvé de lunette marine à bord ! Le soleil leur brûlait les yeux.

- On met le cap dessus ou bien on l'évite ? demanda Noire.
- Je serai d'avis de l'éviter ! C'est probablement une arche.
- D'ici c'est impossible à voir.
- L'emmerde c'est que si on attend de se rapprocher pour l'identifier, il nous prendra en chasse. Et nous n'avons aucune chance contre un bâtiment comme celui-ci.

Elle conclut :

- De toutes façons, Noirs ou Humains, c'est pas bon pour moi. Je préfère tenter ma chance seule, jusqu'à la Jungle.

Noire dû convenir qu'elle ne désirait pas prendre le risque de se jeter naïvement dans la gueule d'Elfes Noirs. L'image des asticots grouillant dans l'eau stagnante à l'intérieur de la coque de l'arche lui revint en mémoire. Les côtes du Continent, d'un autre côté, étaient encore loin. Pour la dixième fois depuis leur départ de Menrenwen, peut-être, elle entama muettement une rapide prière à Ariel. Que le vent ne nous trahisse pas.

- Amène la voile de la misaine, balança Neïla. Je me charge du mât principal.

Noire se mit à la manœuvre, mais elle savait très bien que tout cela était inutile. Il nous tombera dessus tôt ou tard. On ne lui échappera pas.

Pitié, qu'il s'agisse d'un Corsaire. Empire. Ram. Pirate. Peu m'importe. Mais pas des Noirs. Pas une Arche.

La chasse dura presque toute la journée. Une fois le soleil prêt à disparaître derrière la ligne d'horizon, il ne faisait plus aucun doutes pour Noire et Neïla.

C'était un Noir.
C'était une créature de l'échevin.
C'était, pour elles, la fin du voyage.

Il leur tombait dessus, arborant les pavillons échevins de Menrenwen. Leur situation n'aurait pu être pire. De sa vie, Noire n'avait jamais été autant décue. Neïla était livide. L'arche flottait au gré du vent. Ariel la déposait doucement contre le flanc de la gigantesque embarcation aux voiles violettes qui n'eut aucun mal à les cueillir. Les derniers reflets du soleil brillaient, rouges comme le sang, au milieu de gerbes d'embruns. La dernière pensée de Noire fut pour Brume et les autres. Pardonnez-moi, les gars. Puis on les hissa à bord.

~



Le Capitaine de l'Arche Noire à trois-ponts se faisait nommer Qalv'ar. Neïla disait le connaître. "Un neveu de l'échevin". Noire n'avait plus même peur. Elle savait que tout allait se terminer, bientôt. D'une façon ou d'une autres. Soit on la tuerait sitôt qu'elle poserait les pieds sur le pont, soit ce Qalv'ar la réduirait de nouveau en esclavage. Alors, le temps dont elle disposerait afin de s'évader complètement de l'arche serait limité. Cela faisait une quinzaine de jours que Neïla et elle avaient quitté le port de Menrenwen.

- Ca, par exemple ! s'était récrié Qalv'ar en tombant sur une Neïla devenue livide. Neïla de la famille de Kaladav. Kaladav le mutin.

Noire débuta son inspection mentale. Trois-mâts. Une quarantaine de marins Elfes Noirs. Des cales gigantesques. Donc des Elfes à la recherche d'esclaves humains.

Tandis que Neïla et le Capitaine s'expliquaient, l'un jouissant de l'impuissance de l'autre face à son manque d'influence sur sa propre mort, Noire jugea plus utile de faire profil bas. Les marins formaient un cercle autour de Neïla et déjà, on paraissait l'ignorer.

- Et toi ! Tu es qui ? vociféra le Capitaine Elfe Noir en s'intéressant soudainement à elle !

Noire se fondit dans le rôle de la parfaite esclave. Ne le regarde pas dans les yeux. Regarde tes pieds. Réponds simplement à ses questions. Ça sera sans doute la seule façon de sauver ta vie. N'oublie pas que cette Arche part de Menrenwen. Elle se rend sur le Continent.

- Je ne suis qu'une esclave, maître.

Il parut remarquer son mirvonk'el. Il l'effleura d'un geste du doigt, avant de saisir Noire par la gorge, refermant autour de son cou ses doigts, oppressants comme les mâchoires d'un piège à loup !

- Tu servais cette pute ?

Entre deux suffocations, Noire parvient à déglutir et répondre.

- N..Non. J'appartiens à Briza. A...à l'échevin...

Une fois cette réponse faite, l'Elfe Noir Qal'var ne dit plus mots, se contentant de brûler Noire de ses yeux, aussi pénétrants que des couteaux. Elle étouffait toujours.

- Tu fais partie de ces esclaves qui se sont mutinés, la lune dernière ?
- N...Non..

Son regard descendit jusqu'à sa poitrine, où il écarta avec violence les habits qui la recouvraient. Les lettres gravées dans la chair, BRIZA, parurent le satisfaire. Mais la satisfaction pour Noire fut de courte durée, car déjà il avait saisi la garde d'un poignard d'argent et l'approchait de son visage, appuyant la pointe juste sous son œil.

- Je vois. Une esclave fugueuse, hein. Sais-tu ce que je fais aux esclaves désobéissants à mon bord ? Je les écorche. Vifs !

Il appuya suffisamment la lame du couteau jusqu'à ce qu'une perle de sang en jaillissent. Noire tenta un dernier recours. Elle ne cria plus qu'elle ne parla.

- Je suis déjà brisée !

Et comme Qal'var serrait les dents :

- Je ne désobéis pas à mes maîtres.
- D'un autre côté, reprit-il en faisant descendre la pointe du couteau jusqu'au côté droit de sa mâchoire, ça serait aussi très drôle de te rendre la parallèle... C'est le Seigneur échevin qui t'a arrangé comme ça ?

Noire jugea plus utile de répondre par l'affirmative.

- O..Oui, maître !
- Je vois que l'échevin sait toujours aussi bien soumettre ses bêtes !

Il la lâcha.

- Déjà brisée, hein ? Nous verrons ça. Peut-être Briza sera-t-elle contente de te récupérer !

Noire rêva d'évasion. D'évasion ou de mort. Il n'y aurait pas d'autres alternatives.

- En attendant, rugit alors l'Elfe Noir aux cheveux blonds un sourire sadique étirant ses lèvres, nous pouvons toujours écorcher vive une autre personne...Kaladav a cru bon de défier l'échevin et sa famille ! Je pense que mon Seigneur sera extasié que je lui apporte à mon retour la tête de la dernière survivante de sa famille ! Qu'en pensez-vous, Neïla ?

Les corsaires Noirs autour du Capitaine Qalv'ar ne cachèrent pas même leurs rires. L'atmosphère avait des dents qui vous mordait jusqu'au sang. Noire vit nettement Neïla tenter de négocier sa vie par de futiles imbroglios diplomatique. Lorsqu'on en vint aux armes, Qalv'ar n'eut aucun mal à prendre le dessus. Neïla n'était armée que d'un couteau, après tout. Il la tira par sa chevelure jais jusqu'aux fonds de cale, ses grandes bottes noires crissant sur le pont de l'Arche. Il ordonna à Noire de venir.

- Tu restes là, cracha-t-il à son attention tandis qu'il liait Neïla à l'aide de chaînes et de barbelé. Tu nettoieras quand ça sera finis.

Noire baissa la tête, entièrement. Le manque de lumière sous le pont l'empêcherait, elle le savait, d'assister à grand chose. Surtout que pour rien au monde elle n'oserait garder la tête trop haute.

- Je nettoierai, répéta-t-elle simplement.

Elle savait que cela durerait toute la nuit. Muettement, elle dit adieu à Neïla. C'est une Elfe Noire. Elle mérite ce qui lui arrive. Elle eut beau supplier, le Capitaine Qal'var faisait la sourde oreille. Aucune hypocrisie ne vint altérer la fougue de ce Capitaine de bâtiment, jouissant dans une activité qu'il pratiquait, Noire n'en doutait pas, le plus souvent possible. Cela dura plusieurs heures, effectivement. Lorsque tout fut finis, il décapita Neïla et envoya la tête valdinguer à l'autre bout de la cale du bout de sa botte.

- Allez, l'esclave. Va chercher !

Sans trahir la moindre émotion, Noire s’accommoda de la tâche. Il n'y avait plus une once de chair sur le visage de celle qu'on appelait autrefois Neïla. Les orbites retournées sur quelques enfers invisibles, révulsées, sa bouche tordue paraissait figée dans un cri d'agonie interminable. Noire souleva la tête du sol.

- Que dois-je en faire ?

Qal'var tendit la main, et elle le lui remis, sans un mot. Ses pieds nus pataugeaient dans le sang tiède, contrastant avec le bois glacé de l'Arche. Lorsque Qal'var jeta la tête dans un sac, la plantant là, Noire partit à la recherche d'une brosse et d'un seau pour nettoyer.

Qu'il était grand le ciel, hier encore. Et beau l'espoir.
L'espoir avait fui. Vers le ciel noir.

~



Une dizaine de jours passèrent à bord de l'Arche Noire du Capitaine Elfe Qal'var. Noire le devina d'âge assez jeune, en dépit de son rang. Peut-être avaient-ils tous deux le même nombre de Tours ? Elle aurait en tout cas pu jurer que Qal'var ne dépassait pas la centaine de Tours.

Qal'var qui, justement, avait choisis d'exploiter Noire à son bord tant qu'il le pourrait. Elle passait ses journées sous l'entrepont, entre les grandes coques de la cale, à la ménagerie. Pour autant qu'elle l'avait remarqué, les Noirs appelaient ménagerie le pauvre enclos contenant quelques cochons gras entassés les uns sur les autres, et plus loin une cage avec trois poules et deux chats qui leur courraient après. S'occuper des bêtes devait certainement soulager un jeune Elfe Noir de cette corvée, et Noire tentait tant bien que mal de se complaire à son sort. L'équipage la voyait peu, voire pas. Personne ne lui adressait la parole, elle était invisible à bord. Seul, quelquefois, le Quartier-Maître lui causait à grands coups de fouets afin qu'elle accélère le travail ou bien qu'elle dégage de son passage. Leurs échanges se limitaient à ça plus quelques regards noirs dans son dos dès qu'il l'avait tourné. L'odeur à la ménagerie, l'eau stagnante que les pompes n'arrivaient à évacuer, les déjections des porcs, tout rendait le lieu inhospitalier, même pour les moins gradés des corsaires Noirs qui se considéraient déjà trop importants, même à quinze, vingt, trente ou cinquante Tours, pour barboter là-dedans. Noire savait apprécier leur absence à juste valeur.

Elle se demande un jour quelle folie avait-elle pu commettre envers les Dieux afin qu'ils lui en veuille à ce point ? Qui d'Ohiel, Virel ou Ariel avait-elle offensé ?

Puis vint le jour que les corsaires Elfes Noirs attendaient avec impatience. Au départ de Menrenwen, ils n'avaient prévu aucun lieu d’atterrissage mais, au contraire, avaient pour dessein de ramener des marins humains sur l'Île, en vue d'en faire, bien sûr, une nouvelle cargaison d'esclaves. C'est dans cet unique but, piéger les bâtiments Ramiens ou Impériaux principalement, qu'ils sillonnaient pour une durée indéterminée l'Océan des Elfes Noirs.
Noire connaissait suffisamment bien les principes d'attaques Elfes Noirs en pleine mer. Elle fut surprise de ne pas l'être. Les mages bleus qui fondaient l'Arche dans la brume au beau milieu de la nuit, obscurcissaient la voute céleste, balayaient les étoiles. Ils arrangeaient les vents selon leurs envie, jetaient des sorts de surdité sur le bâtiment. Et pendant ce temps, l'Arche s'approchait de sa proie, complètement dissimulée du monde, comme à bord se préparaient à un abordage rapide et terrifiants ceux qui aimaient se faire surnommer "ravageurs des mers".

La frégate qui sillonnait les eaux à quelques brasses seulement de l'Arche Noire n'avait aucune chance.

Sans savoir dire pourquoi, Noire en était persuadée. Alors, du fond de sa ménagerie, elle attendait. Elle attendait l'impact. Elle attendait les cris. Elle attendait l'attaque. Au moins, elle savait que ça ne serait pas un massacre. Les Elfes Noirs comptaient tuer le moins d'humains possibles.

A bord de la frégate, lorsqu'on comprit ce qu'il se passait, il était déjà trop tard ! On déhalait déjà à bras les douze et dix-huit livres au recul pour les charger sous l’œil terrifiés des officiers ! Mais tout était déjà joué.

Noire supposa qu'elle n'aurait jamais de seconde chance. Qui devait-elle remercier pour le fait de n'avoir pas eu à subir de chaînes le long de cette traversée ? Neïla ? Qal'var ? Son mirvonk'el ? Ses capacités d'actrices ?

Elle jugea que demain serait un jour idéal pour se reposer la question ! Alors, tandis que les deux équipages se faisaient face, tandis que le boute-hors et le bâton de foc de l'Arche Noire virait, et vint s'enfoncer dans un grand craquement entre les haubans de la frégate comme une lance, d'une extrême violence, puis que résonnait dans toute la carcasse des deux navires le choc final à l'instant où les deux paires de bossoirs s'entremêlèrent, Noire dénoua les amarres et cordages de l'unique chaloupe qu'abritait l'Arche aux voiles violettes, et mit à la rame !

Au loin, hurlements, entrechoquement des lames, grondement des sorts magiques et volées de fusiliers résonnaient, perdues dans cet espèce de brume surnaturelle qui faisait l'eau encore plus noire qu'elle ne l'était habituellement ! Et Noire ramait, sa vie en dépendant ! Cherchant à mettre le plus de distance possible entre elle et les deux bâtiments. Sa vie valait-elle aux yeux de Qal'var des heures de recherches, pendu à une lunette de marine, afin de triompher d'un confetti -une barque !- en plein océan ? Il aurait rempli ses cales de dizaines, voire de centaines d'esclaves. Qui lui importait une de plus ? Fut-elle anciennement l'esclave de l'échevin ?

Elle espérait ne pas se tromper. Si elle était reprise alors...

Elle ramait tout son saoul, s'éloignant toujours plus des deux géants qui se livraient combat sur mer. Noire savait aussi, sans trop savoir pourquoi, que le combat toucherait rapidement à sa fin. Les Elfes Noirs ne prenaient pas leur temps pour ce genre d'entreprises. Ils détruisaient le bâtiment, souvent le brûlaient quand ils le considéraient comme inutile, ou alors le tractaient jusqu'à l'Île Noire où il y serait pillé puis démoli. La fin tragique de cette frégate dont elle ignorait le nom troubla l'âme de Noire. C'était sans doute de la même façon qu'elle s'était faite capturer par Briza, des Tours plus tôt. En pleine mer, à bord d'un bâtiment. Peut être mon bâtiment.

Soudain, elle entendit une gigantesque détonation. Le ciel se couvrit de feu et l'explosion enleva dans les airs les deux bâtiments en un monticule de débris de bois, d'acier et de chairs. La Sainte-Barbe de la frégate avait pris feu. Les deux bâtiments accrochés venaient de sauter ensemble, la poudre les enlevant embrasser les dieux. Une montagne d'eau, de feu, de cendre fit rouler sur son séant l'Océan des Elfes Noirs tout entier. Les vagues s'élevèrent. Les mâts se brisèrent. Noire rendit du sang par l’œil, le nez et les oreilles. Elle n'avait pas de mouchoir pour s'essuyait. Elle continua à ramer. On éteignit les lumières. Ariel accueillit les deux épaves sur ses bras nus.

~



Noire dirigea la chaloupe vers l'homme qui se noyait. Elle s'en voulut de ne pas avoir tilté plus rapidement. Elle était tant habituée à vivre entourée d'Elfes Noirs ces derniers jours, qu'elle avait totalement omis, les premières minutes, la possibilité que cet homme en train de se noyer aurait pu être un humain. Elle voulait en avoir le cœur net ! Tendant la main, elle parvient à saisir le poignet glacé de ce cadavre qui remuait encore ! Elle le tracta à son bord avec son autre main, le tirant par la chemise mouillée qui collait à sa peau. Usant de ses dernières forces, le noyé s’agrippa au rebord de la chaloupe, haletant comme un diable ! Noire lui laissa le temps de récupérer, rabattant sa capuche par-dessus son visage. Elle n'oubliait pas ce visage.

Tandis que l'Homme -il en était bien un !- revenait doucement à la vie au milieu de cet enfer de glace et de feu, Noire laisser son œil errer sur cette nappe d'obscurité qui était le lit d'Ariel. Partout, à des mètres à la ronde, voire même sur plusieurs lieues, des débris flottaient, ultimes témoins de la tragédie.

- M..Merci, parvint enfin à articuler l'homme.

Noire ne lui fit pas de réponse, le scrutant de son unique œil comme s'il fut fait tout en verre. Il leva enfin la tête, et Noire put lui découvrir deux yeux sombres ainsi qu'un regard profond qui le faisait paraître courageux.

- Tu es des leurs ? demanda-t-il après un instant, cherchant au travers la pénombre de la nuit, l'intensité de la brume et l'ombre du capuchon, le regard de son interlocutrice.
- Je suis des vôtres.
- Humain ?

Noire hocha le chef, imperceptiblement.

- Humaine.

Il grelottait, remarqua-t-elle. Dans l'attaque, il avait perdu probablement le chapeau qu'il portait, ainsi que ses chaussures. Sa chemise était en partie brûlée, le long de la manche gauche. Trempée comme elle l'était, elle devait plus lui tenir froid que chaud.

- Tu devrais l'enlever, lança Noire d'un signe de tête.

Il parut ne pas comprendre de quoi elle parlait au début, puis s'entoura le buste de ses bras, tentant de se réchauffer de son mieux.

- Merci, répéta-t-il.

Après un silence qui parut interminable, Noire reprit les rames.

- Il s'est passé quoi ? Vous transportiez de la poudre ?
- Assez pour faire sauter un bâtiment !

Un nouveau souffle, durant lequel le silence prit la part qui lui revenait. L'individu claquait toujours des dents. Noire n'avait ni couverture ni vêtement à lui proposer. Même elle était frigorifiée dans la chaloupe.

- Il s'est passé quoi ? redemanda-t-elle.
- Nous sommes Kelvinois ! répondit avec un ouragan entre les dents le marin !
- Et ?
- Et plutôt que leur laisser notre bâtiment et finir leurs esclaves, nous préférons encore nous faire sauter !

Le calcul était bon, songea Noire. Les Noirs avaient sautés aussi. Pris à leur propre piège.

- Le feu a dû t'enlever si haut de dessus le pont que c'est ce qui a dû t'empêcher d'être mêlé parmi les débris qui t'auraient haché en pièces.
- Ça doit être ça, souffla entre ses lèvres le gaillard. J'ai entendu une gigantesque explosion, comme si mes tympans éclataient. Puis j'ai senti le souffle du feu me projeter.
- Le souffle du feu...répéta Noire en tentant de percer cet épais brouillard qui se dissipait doucement.

Le ciel étincelait encore de cette sombre lueur embrasée.

- Je m'appelle Garrett. James Garrett, Lieutenant de bord. Enfin, ancien Lieutenant de bord.
- Noire.
- Que faisais-tu à bord d'une Arche des ravageurs, Noire ?

Elle vit nettement une étoile filante s'écraser au loin.

- J'ai voulu tenter ma chance.

~



Plus de six Lunes étaient passés depuis le naufrage de l'Arche Noire commandée par le l'Elfe Qal'var et la frégate Kelvinoise aux mains d'un certain Capitaine Elvis. A présent, il était temps pour la cité du Duc d'honorer le courage de ses marins. Aujourd'hui, disait Kelvin, nous honorons nos morts.

Le major général de la garnison maritime, ainsi que le Duc en lui-même, escorté d'une horde d'Amiraux et de Capitaines, s'étaient rassemblés le temps que dura la cérémonie. On descendit en terre ce qui devait l'être, symboliquement. Des prêtresses d'Ariel et d'Atÿe, les unes en robes blanches et les autres en mante bleue, portaient le pavillon de Kelvin pour les unes, et un étendard représentant une rose rouge, pour les autres. Autour des tombes, des mères, des pères, des frères, des fils ou des filles, pleuraient leurs proches, disparus en mer. Noire, dans l'ombre, se demanda un instant comment les proches avaient-ils appris la nouvelle. Avec le retour du Lieutenant Garrett ? Un courrier ? Quelque notable ? Peut-être un bâtiment de passage ? Ou alors le bouche-à-oreille.

Des couronnes de fleurs et de coquillages furent déposées en l'honneur des valeureux corsaires. Tout était fini. Pour Noire, rien n'avait jamais commencé. Cela faisait plus de six Lunes qu'elle était entrée, et elle vivait toujours comme dans un rêve. Comme si la réalité s'était inversée. Comme si sa vie à elle était toujours là-bas, sur l'Île Noire. En compagnie de la meute. Brume. Hector. Ulrik. Et le rêve était ici. Sur le Continent. A Kelvin.

Un feu a pris aux poudres, déclenché par l'un des marins, et a fait sauter le bâtiment.

Rien de plus. Et de ce geste, des centaines de morts. Et de ce geste, Garrett et elle. Ici, et maintenant. La terre Noire est de l'ennemie.

La cérémonie se termina. Noire ne lâchait pas des yeux Garrett. En mer, la vie est plus savoureuse, disait-on. Noire mettait quiconque au défi d'aller expliquer cela aux proches des victimes, ici. En bas de la falaise, les eaux furieuses de la Passe venaient s'écraser en roulant sur les récifs Kelvinois. Un Amiral vint poser une main sur l'épaule de James avant de lui parler. Il l'entraîna à part, puis les deux rentrèrent ensemble, en coche.

Il va être promu.

Noire se mit à sourire. James, petit con, arrête de tirer la gueule. Te voilà Capitaine !

Elle songea à Brume. Et à la meute. Son sourire disparut comme neige au soleil. Les nuages, nombreux et grisonnants, au-dessus de sa tête, se gonflèrent d'eau et il commença à pleuvoir. Le visage dissimulé sous son capuchon, cache-œil et cache-col à l'appui, Noire, comme petit-à-petit tout les invités, quitta l'esplanade du cimetière marin. Elle était de retour à la maison, presque quatre Tours plus tard.

~



Hector lâcha la main d'Urik, sur l'Île Noire. D'un geste pieux, il lui ferma les yeux. La pluie battant les roches noires de l'île collait bien à l'humeur de Brume. Accroupi près du corps sans vie de son mentor, le jeune homme serrait son arc à s'en faire blanchir les phalanges. Hector posa une main compatissante sur l'avant-bras du louveteau.

- Il s'en est allé apaisé, dit-il simplement.

Sans un mot, le cœur lourd, Brume se releva et quitta le pavillon. Dehors et sur les pilotis, le regard de chacun de ses compagnons le brûlait. Qu'est-ce donc que la vengeance, sinon la justice d'un grand cœur qui se fait payer d'avance ce qu'on doit à son honneur ? Il s'imagina une coupe de vin rouge, arrosant la terre. Une femme dans chacun de ses bras. Une vie, une beauté qui ne s'appréciait qu'en mourant. Il rejoignit le bord de mer, las, plus las qu'il ne l'avait jamais été au cours de son existence. Pour lui, chaque jour ressemblait à celui de la veille, et demeurait à l'identique du lendemain. On ne vivait pas, sur l'Île Noire. C'était un endroit de mort. C'était le mort. Une valve gigantesque, où tout le sang s'en allait par une blessure qu'on ne pouvait étancher.

Il brisa son arc en deux, une fois arrivé, seul au bord de mer et le balança à l’appétit d'Ariel ! Il haïssait tout ! Il avait volé dans le temps de la poudre aux Cités-Etats sous le pavillon Oréen. De l'or à Kelvin sous le pavillon Ramien. Jusqu'au jour où il s'était mis à voler de la chair humaine à tout le monde, et sous son propre pavillon.

- Noire ! Je te tuerai !! »



Brume:


James Garrett:




FIN





Sam 25 Fév 2017 - 16:58
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