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Le Pygargue
Messages : 53
Date d'inscription : 02/05/2016
Age : 47
Localisation : En route pour la Citadelle de gel
Fils de Kafkon Samuel
Le Pygargue
''- Ô croix maudite, étendard des persécuteurs, des massacreurs. Maudite soit Finil et anathème sur l'Arcturus , son prophète qui l’a proclamée.'' - Le Pygargue




PRÉFACE


Spoiler:


L'air froid qui cernait de toutes parts la Citadelle de gel aurait anéanti n'importe quelle forme de vie. Et pour cause. Car il n'était pas ici question d'un lieu pour les cœurs battant et les esprits chauds. Les âmes cruelles et sourdes pouvaient seules pénétrer à l'intérieur de la Citadelle. Un lieu dont l'esprit humain n'avait jamais su le nom.
Le visiteur ne sentait pas le froid mordant. Á chacun des pas lourds qu'il faisait, avec l'allure d'un ange du mal, un cliquetis sonore se répercutait en écho dans toute la citadelle. Le son était porté par l'épaisseur vitrée des murs de glace. Le silence assourdissait. Ici, l'on était loin des cloches de Salicar, s'ébranlant aux vieilles tours gothiques du roi Liche. Le visiteur avançait d'un pas ferme, dissimulé sous la lourde armure qui flamboyait d'un rouge vif. Ses mains étaient glacées, froides comme la mort, son front était fendillé par l'assaut du gel et sanguinolent, ses lèvres bleues et hachées menues. Les bras crispés sous son armure étincelante, les yeux sans prunelles, heurtant des tombes sous le gel avec ses mains, avec ses pieds, avec ses genoux, avec sa poitrine sous son plastron d'acier, avec sa tête elle-même, le visiteur allait dans un but précis. Passée dans son dos, une épée d'une taille colossale qui aurait fait pâlir n'importe quel chevalier Hasdrubien ou empereur de l'Empire. C'était le Chevalier de la Mort.
Hors de la Citadelle, le vent soufflait avec des cris de damnés. Le Chevalier emprunta un pont qui dessinait un arc, menant droit à l'aile opposée. Il ne portait pas de souliers. La peau de ses pieds pâles gerçait puis se crevassait aléatoirement, mais le Chevalier ne ressentait pas de douleur. Il poursuivit sa route.
Á sa gauche, couchées sur un monticule de givre, plusieurs dizaines de cadavres de chevaux morts le dévisageaient de leurs orbites ouvertes. Figées dans une rigidité morbide, les bêtes ne respiraient plus depuis longtemps, changées en statues de gel. Lorsque le Chevalier de la Mort dépassa les chevaux, un autre charnier s'offrit à lui. Des morts qui semblaient le fixer longtemps, longtemps. Il y avait là des ossements en vrac, comme jetés là par une grande main invisible, mais aussi des débris de chaires. Tout congelé. C'était ce qu'il restait de l'armée du Roi Liche Bomendacir. C'était ce qu'il restait de ses squelettes animés, de ses goules, de ses guenaudes noires. Parmi eux hurlaient silencieux, figés dans les bras du givre, les bouches cassées et distordues des nécromanciens dans leurs longues robes brunes et noires. Eux aussi avaient péris. Morts gelés. Le Chevalier de la Mort poursuivit sa route, impassible. Il passa sous une arcade ornée de stalactites brillantes, soutenue par une clé de voûte en forme de tête-de-harpie. Au-dessus de son crâne, à plusieurs dizaines de pieds, des cadavres de chauves-souris au pelage noir et épais formaient des globes de givre, pendus en stalactites directement du plafond. Plus rien ne vivait dans la Citadelle. Rares étaient les mortels à avoir déjà vu parfois, soupirer le Chevalier de la Mort de l'armée Salicarienne, parfois grincer des dents, parfois découvrir sa mâchoire serrée en coup de couteau révélant ses deux canines de prédateur. Le Chevalier de la Mort savait où il allait, il dépassa un fouillis de couloirs, de vestibules et de grandes salles avant de s'aventurer de nouveau sous une grande arche. Il la dépassa et continua à errer dans cette ville des disparus. Il marchait. Il marchait. Elle était petite cette ville, à côté de l'autre, celle où étaient les vivants. Et pourtant, comme ils étaient plus nombreux que les vivants, ces morts. Il leur fallait de hautes maisons, des rues, tant de place, pour les quatre générations qui regardaient le jour en même temps, buvaient l'eau des sources, le vin des vignes et mangeaient le pain des plaines.

Mais le Chevalier appartenait à la catégorie des générations des morts. Les morts, songea-t-il une fraction de secondes. La terre les reprend, les oublie, les efface. Adieu.

Alors il atteignit son objectif ! Une salle gigantesque. Entre quatre murs de gel qui resplendissaient l'or contenu en masse par la Citadelle. Une butte, une colline, une montagne d'or ! Un trésor tel que tous les palais de tous les sultans de Ram n'auraient pu l'égaler. Un dragon constitué de glace veillait sur l'or. Á l'approche du Chevalier armuré de rouge, le Gardien ouvrit deux yeux blancs dénués de toute pupille, tout iris. Aussitôt, le vampire déposa un genou à terre. Le froid devenait si fort, si puissant, si vorace qu'il lacérait à présent toute sa peau. Striant et douloureux comme un fouet, il laissait éclater des dizaines de plaies sur les mains, le visage et les pieds blancs du chevalier à chaque secondes.

«  Maître. dit le Chevalier de La Mort en se prosternant.

Le Gardien rugit à son attention. Il commença à se redresser, lentement, très lentement, de la forteresse d'or sur laquelle il siégeait. Une tempête de neige éclata à l'intérieur de la salle dorée. La peau du chevalier s'arrachait à présent par lambeaux sous la morsure du gel. L'esprit de la Citadelle s'ébranlait !

- Mon Maître, reprit le Chevalier de la mort dont chaque flagellation lui inspirait à présent une réelle et intense douleur ! - il avait désormais les yeux rouges comme quelqu’un qui a pleuré ; ses prunelles devinrent fort brillantes et son ophtalmie semblait s’augmenter- Nous ne pouvons perdre cette guerre contre Hasdruba. Salicar vaincra ses ennemis. L’infâme Hasdruba vous opprime temporairement ; mais elle aura beau nous combattre, elle ne pourra jamais vous anéantir. Nous gagnerons cette guerre.

Le dragon de glace redressa alors son encolure aussi large qu'une montagne. Ses pattes avant dont chaque griffes faisaient la taille d'un javelot Hasdrubien dévoilèrent un livre noir à la couverture de cuir usée. L'air avait à présent un poids suffisant pour écraser un homme. En voyant le livre, le Chevalier de la Mort perdit instantanément la vue, et alors seulement il se souvint que ça n'était pas la vision du livre qui venait de le plonger pour l'éternité dans d'atroces ténèbres mais celle de la bouche aux dents jaunies, à la gencive sanguinolente, aux lèvres noires comme la peste qui suintait du sang et qui ornait la première de couverture du recueil. Le Gardien déploya ses ailes gigantesques ; elles auraient pu faire s'effondrer des châteaux de pierres. Et il hurla. La mort s'échappa de la gueule givrée et béante.

Une tempête de gel abattit comme la foudre le Chevalier de la Mort aveugle.

~



- Nous ne vaincrons pas Salicar en se contentant d'éliminer ses soldats ! dit Anassan en faisant face au Général en chef des armées de Bomendacir dans son armure rouge ; si nous voulons avoir une chance de remporter cette bataille, ce sont ses généraux qu'il nous faut renvoyer au néant !

Le Général Mannfred se retourna alors vers lui, ce petit magicien, à peine un homme, presque encore garçon et tout chétif, qui venait de le provoquer. Naturellement grand, avoisinant les sept pieds de hauteur et rutilant dans son armure intégrale rouge, celui que l'on surnommait Mannfred, le Chevalier de la Mort tortura voluptueusement et à loisir de son visage blafard de démon l'audace du jeune mage violet. Si les Salicariens étaient des gens au derme naturellement pâle, aux épaules larges et au cheveu foncé, le Général des armées du roi Liche, Mannfred, n'avait rien à leur envier. Si pâle qu'il semblait un cadavre animé, terrifiant dans son armure rouge, il avait l'air d'une montagne lorsqu'il se dressait bien droit pour faire face à ses ennemis. Ses yeux, uniformément blancs et sans iris, trahissaient son appartenance à la non-mort quand bien même ses canines de buveur de sang auraient trahi son identité.

- Salicar est fort adonnée à la haine ! rugit le Général en faisant face à Anassan Thanassil ! Que compte lui opposer Hasdruba avec deux Sorceleurs et un petit magicien manchot ?
- Tu as tort de me sous-estimer, démon ! lui répondit Anassan avec de l'assurance dans la voix. Je n'en ai peut-être pas autant l'air que mes collègues, mais je suis moi aussi un Sorceleur !

Et au même instant, Anassan se débarrassa de toute une partie de son vêtement, sa robe de mage qu'il envoya rouler au sol dans la neige ! Le torse nu, il leva alors le bras au ciel tout en criant :

- Je n'ai jamais combattu de vampires dans ma vie, c'est vrai. Mais j'ai eu l'habileté d'esprit de me préparer pour ce jour ! Enchaînement runique !

À cet instant, mais déjà trop tard, le Général de la mort aperçut le détail qui lui avait échappé aux yeux : le tatouage en forme de serpent qui prenait naissance sur l'omoplate du mage manchot et se terminait sur son avant-bras ! Alors, aux mots ''enchaînement runique'' d'Anassan le tatouage prit vie et se déplaça jusqu'à quitter le corps de son hôte pour venir ramper aux pieds du vampire ! Une rune magique faite d'une encre noire encerclait désormais le Chevalier qui se trouva comme cloué au sol. Mais le vampire demeurait un penseur aux essors funèbres, et lui qui avait entendu ce que disait tout bas la création à l'oreille des tombeaux ne s'épouvanta pas de l'enchaînement dont il était la victime. Au contraire, ce petit tour parut l'espace d'un instant l'amuser ! Il dressa face à lui son épée gigantesque, mesurant du regard la distance qui le séparait toujours du petit magicien.

- Et maintenant, Sorceleur ? railla-t-il sans sourire. Que vas-tu faire ? Ignores-tu, pauvre enfant, que je peux briser un enchaînement runique avec ma seule volonté ?

Anassan, qui avait bien entendu les paroles du vampire, lui répondit d'une voix forte :

- Je ne l'ignore pas. Je sais même que cela te prendrait moins d'une minute à faire. Tout juste quelques secondes ! Mais ces quelques secondes...je vais les mettre à profit !

Et, de nouveau, il tendit son unique bras :

- Châtiment du mal ! Cria-t-il, et il fut ravi de constater une réelle surprise sur son adversaire en armure rouge !

Aussitôt, une couronne de flammes se levèrent à l'appel du Sorceleur ! Contenues par la rune, elles s'acharnèrent sur le vampire qui hurla de douleur, la bouche distordue par la haine !

- Personnellement, poursuivit Anassan tout en maintenant son incantation rapide, je préfère mourir et m'en aller ! La non-mort est intolérable et n'a pas sa place sur Ryscior ! Retournez tous d'où vous venez, démons ! Retournez dans l'ombre ! Retournez au néant !
- RHAAAAAAA !

Anassan s'écria quelque chose en bleuissant à cause du froid et dessina dans l'air quelques nouvelles et mystérieuses incantations ! C'est alors qu'un nuage noir sembla jaillir de nulle part et tous les protagonistes furent envahis par l'immense gueule de l'obscurité ! Anassan ne fut jamais récompensé du sang-froid qu'il avait mis dans ce duel contre le Chevalier de la Mort.

~



Trouant les flammes et les chaînes runiques comme un mur, le Chevalier de la Mort tomba à genoux dans la neige giflé par une femme presque aussi grande que lui ! Flottant à quelques pouces au-dessus du sol, la Reine Ravena, épouse de Bomendacir leva son poing dans les airs puis le referma, sec ! Aussitôt, les flammes fondirent comme neige au soleil ! Mannfred parut alors effrayé, pour de bon effrayé : car le Chevalier de la Mort ne connaissait que trop bien la teneur du regard dont sa reine le couvrait, il en avait éprouvé la brûlure.

- Chevalier insignifiant et imbus de toi-même ! le houspilla la Reine de Salicar dont une aura de ténèbres grondait tout autour de sa personne. Cette bataille dure depuis trop de temps, et je suis lasse ! Nous devrions déjà marcher sur Hasdruba !

Et l'on devinait à l'intensité qu'elle mettait dans chaque mots que sa parole enivrait comme du vin où dormait tous les poisons du monde ! Embrasser la bague de cette reine-là, c'était déjà embrasser la lame.

- Relève-toi, Chevalier ! lui ordonna la Reine. Et fais ton travail ! Nous ne devrions plus avoir d'adversaires, que des admirateurs, des esclaves ou des morts ! Hasdruba a l'image de la mort devant les yeux, elle avance vers la tombe en scrutant sans les voir les vers foulés qui rampent déjà à ses pieds ! Ouvre-lui les yeux, chien de Chevalier ! Et cesse de t'amuser !

Alors Mannfred se releva, sous le regard de la démone qui avait épousé le roi Liche. Et sa puissance à elle vibrait à la façon d'une corde, arc ou violon. Face à lui, le jeune Sorceleur qui venait de mordre la neige se releva également. Déjà, il suait à grosses gouttes, en proie à une fièvre soudaine. Sans nul doute, songeait le Chevalier de la Mort, l'utilisation de multiples sorts depuis le début de la bataille l'avait fatigué. Se débarrasser de lui serait un jeu d'enfant. Mais le garçon manchot avait de la suite dans les idées ! Aussitôt que le Chevalier en armure rouge se saisit de sa longue lame étincelante comme de la glace, prêt à en finir, ce dernier invoqua en sa main une lame noire, constituée d'ombres. Alors les deux adversaires s'élancèrent l'un contre l'autre et ce fut l'assaut !
Le Chevalier de la Mort mâchait déjà le fruit amer de la victoire ! Son adversaire ne lui arrivait pas même à la cheville ! Vampire de son état, il bénéficiait naturellement d'une vitesse décuplée et de sens poussés à leur extrême. Pour le Sorceleur, c'était du suicide ! Moins d'une seconde plus tard, le manchot s'écrasait de nouveau sur le sol dans un tourbillon de sang chaud, tandis que son épée d'ombre se disloquait !

- Voilà. C'est terminé.

Une plaie béante laissée par le tranchant de l'épée du vampire vomissait du sang bien rouge sur la neige bien blanche sous le manchot. Ce dernier agonisait doucement. Le Chevalier de la Mort leva alors son arme, prêt à lui enfoncer la lame dans le ventre afin d'en terminer.

- ANASSAN !

Un cri de femme retentit bientôt suivi par une explosion de lumière ! Un flash qui aveugla temporairement le vampire en armure ! D'un bleu sombre comme une mer nocturne, les yeux de la jeune magicienne qui venait d'intervenir dans ce duel faisaient l'effet de plaies ouvertes ! Aussitôt, la Sorceleuse vint se poster devant le corps du garçon maigrichon qui se vidait doucement de son sang !

- Alyzé...
- Chut, Anassan. Je suis là. lui répondit la Sorceleuse les larmes aux yeux. Tu ne vas pas mourir aujourd'hui, je t'en fais la promesse !
- Alyzé....Alyzé...écoute-moi...on gagnera cette guerre...pas cette bataille...

Et dans un souffle d'agonie, Anassan lâcha en comprimant sa plaie béante de sa main unique :

- Sauve-toi, Alyzé...

Pour Anassan, l'espoir parut alors s'enfuir sur l'aile de la bataille.

- JAMAIS ! hurla Alyzé !

Et, sous l'incantation d'un sort, le baton de mage que tenait la jeune Sorceleuse dans sa main changea alors doucement d'apparence, jusqu'à se métamorphoser en une lance de glace éblouissante de lumière ! Alyzé saisit son arme à deux mains se préparant à recevoir la charge qui allait venir de la part du Chevalier de la Mort de Salicar. Mais celle-ci ne vint jamais. Alyzé cessa net tous mouvements en face de la voix de la reine qui retentit alors, cette voix qui avait dut si souvent retentir. Si souvent, si souvent, qu'elle lui avait permis aujourd'hui de régner sur une partie du monde. Une onde de choc invisible frappa la jeune femme. Sa lance de glace se disloqua en même temps que, jaillissant de nulle part et aussi rapide que la foudre, le Chevalier de la Mort l'empalait sur son épée jusqu'à la garde.

- Pauvre petite conne....

...commença Mannfred en soulevant à plusieurs pieds du sol au-dessus de sa tête sa lame à bout de bras emportant le corps agonisant d'Alyzé...

- ...vous ne pouvez nous tuer, car nous sommes immortels. termina la Reine de Salicar.

Le Chevalier envoya alors d'un geste du bras le corps sans vie de la Sorceleuse aux pieds de la Reine liche, et cette dernière esquissa l'ombre d'un sourire. Puis elle se déplaça, flottant dans les airs, jusqu'à Anassan et acheva le Sorceleur en écrasant sous son pied nu la glotte de sa gorge, le laissant enfin s'etouffer dans son propre sang. Á force de soumission et de victoire rapide sur ses adversaires mages, quoique plein d'audace dans leur jeunesse, fallait-il le reconnaître, le Chevalier vampire Mannfred se livra à sa soumission, debout et resplendissant au milieu de la neige et du champs de bataille. Il était conscient que, après que son père l'eût abandonné quelque part dans les Montagnes Noires, la reine Liche ne l'avait conservé que pour être son vassal. Il aurait pu l'aimer. L'aimer comme un lézard qui pèle aime le rayon qui cuit son sommeil. Tous deux partageaient la même soif insatiable de puissance et de pouvoir. Il mit genou à terre et baisa les pieds de sa souveraine.

- Nous gagnerons cette guerre, promit-il à l'épouse du roi Liche.

Elle faisait flotter sur lui le long fleuve de son orgueil, fière de le dominer. Mais alors une fraction de seconde fit basculer toute la réalité. La reine hurla ! Elle venait de tourner la tête et apercevoir, monté sur une jument au crin d'argent, un homme portant une armure et une épée de lumière charger son époux ! Ce dernier, hissé sur le dos de son noir destrier, ne vit pas venir le coup qui le frappa par derrière. La lumière étreint la lame et l'âme tient le corps. Nul moyen de lutter. La lame brillante percuta le suzerain de la non-mort et l'univers entier tressaillit ! Il y eut un coup de tonnerre silencieux, puis une onde de choc et un flot de ténèbres vite submergées par un rayon qui s'ouvrit de toutes parts ! Pour Salicar, la chute devint belle et quelque chose sombra dans un immense précipice.

Lorsque le monde entier se fut remis de la déflagration et que la reine reprit conscience, les soldats Noviens et Hasdrubiens travaillaient main dans la main afin d'abattre les derniers pions de Salicar. Les survivants humains et nécromanciens tombaient comme des mouches tandis que le Chevalier de la Mort Mannfred prenait la fuite vers le nord avec une poignée de survivants.

~



ÉPILOGUE


Spoiler:



Quelques Lunes plus tard...


Les Dieux. Les Dieux cruels, les Dieux terribles, impérissables.
Prirent quelques gouttes d'eau, prirent quelques grains de sable,
Les mêlèrent d’un peu de lumière et de chaleur.
En firent Ryscior
Y mirent l’Homme pour son malheur.
Puis ils précipitèrent le tout au fond du gouffre, Ayant dit :
Tourne à l’une,
À l’autre ayant dit :
Souffre ! Et créant à la fois la Vie, la Non-Mort et la Douleur.



Avec la force d'un troupeau, le poing de l'homme brisa la large pellicule de givre qui lui opposait depuis toujours une barrière de refus. Homme ? Il ne l'était plus vraiment. Parmi les nuées, parmi le vent, parmi le gel et l'enfer et, il le pensait, il le savait, l'abîme des douleurs, il avait erré tout ce temps. À la fois vivant. À la fois mort et incapable de mourir.

- Pèèèèrree...

La voix était brisée. Entrecoupée de copeaux de glace. Il vomissait de l'eau en même temps qu'il s'extirpait de son trou de givre et qu'il rampait sur le lac gelé. Nu. Froid. La température d'un mort. Et la tête pleine de la fièvre de la folie.

- Aiiddeeez-mooooi....hulula-t-il comme un hibou au milieu de la nuit, bouche ouverte.

Á présent qu'il avait été jeté hors des abysses, maintenant qu'un œil nyctalope aurait pu distinguer nettement sa silhouette et son visage, la horde de spectres noyés accrochée à ses orteils accepta de lâcher ses mollets. Il fut rendit à la surface. Lui. Silhouette élancée. Vingts ans en apparence. Á peine sortie de l’adolescence ; admirablement fait, et avec le plus séduisant visage que l'on ait eu le plaisir de contempler ; des traits fins, très réguliers ; des cheveux noirs et lisses qui pendaient encore gouttant sur son cou délicat ; sa peau de nacre, et des yeux aux teintes de givre, presque blanc avec la translucidité d'une perle, brillant dans les ténèbres. Il venait de passer des jours entiers, des Lunes entières : combien ? il ne le savait plus. Dix jours. Douze. Cent. Une année. Dix années. Noyé mais incapable de se noyer. Mort mais incapable de mourir. Soufflant dans sa propre asphyxie. Connaissant le froid, le chaud, le repos et le vertige. Spectre parmi les spectres au fond du lac gelé. Tous ces spectres. Et tous avaient été les bourreaux de leurs proches, haineux, déshonnêtes, hypocrites, menteurs, fourbes, calomniateurs, envieux, tous ils avaient volé, trompé, accompli tous les actes honteux, tous les actes abominables, ces honnêtes paysans, ces prêtres dévoués, ces mages voyageurs, commerçants probes, aristocrates vereux, bons pères, épouses fidèles, fils dévoués, jeunes filles chastes, tueurs, faussaires, violeurs, ces hommes et ces femmes dits irréprochables qui comme lui étaient condamnés sous l'eau à respirer de la vase pour toute l'éternité.

-...peeerduuu leeeee cheeeeemiiinn...

Il se traîna jusqu'à la berge, enveloppé dans le linceul de froid mordant, et resta là une éternité. Mort, Le Pygargue se sentait amoureux du souffle de la vie comme les sangsues de leur malade. Et il hoqueta.

Sitôt qu'il eut pris le temps de revenir à ''la vie'', le Pygargue retrouva un brin de raison. Il put alors analyser le paysage qui l'entourait. La force avec laquelle le vent du nord soufflait par-dessus la crête à sa droite se devinait à l’inclinaison de quelques sapins rabougris à l’extrémité de la crête, et à une rangée de maigres épines qui toutes étendent leurs rameaux du même côté, comme si elles imploraient l’aumône du soleil. Au-dessus de sa tête, le ciel était un dôme incrusté d'étoiles. Brumes et météores peuplaient l'ether désert. Quelques flocons flamboyaient doucement dans ce paysage nocturne, et le Pygargue savait voir lorsqu'un rayon de lune les traversait. Il se leva alors doucement, les jambes tremblantes. Encore une fois, il appella avec espoir le nom de son père, mais aucun son ne lui vint en retour. Ce dernier devait-être loin, à présent. Oh oui. Bien loin. Puerto Blanco, sur l'achipel de Grande Lagoon. Un autre monde.
C'est alors qu'une silhouette effraya le Pygargue. Un monstre au buste de femme monté sur de multiples pattes plus odieuses les unes que les autres se tenait debout et immobile sur le lac. Le Pygargue sentit la chaleur intense qui se dégageait de ce corps-là, de cette bête, de ce démon ; il ne savait pas trancher : et cette chaleur-là faisait fondre littéralement la glace au-dessus du lac. Il comprit alors que sa délivrance ne devait être dû qu'à l'arrivée en ce lieu de cet animal-là, tout démon notoire, esprit élémentaire, création magique qu'il fut. Autre chose le troublait. Il y avait comme une présence, une voix dans son esprit torturé. viens...venez...venez tous... Doucement, le mur de glace se craquelait et la créature, après l'avoir dévisagé un instant sans l'attaquer, sans même paraître le voir, disparut. Le Pygargue savait qu'elle suivait la voix. Il n'y avait personne ici mais il y avait quelqu'un. Que de malices dans les timbres de la forêt. Pour le spectre au beau visage qu'il était devenu, la nuit irradiée d'étoiles était inondée de la puissance de cette voix qui murmurait en lui. Il se demanda si un fantôme n'avait pas pris possession de lui. Ou un démon. Il songea à un esprit frappeur. Á son propre frère. Quel était son nom déjà ? Il avait oublié. Alors il se leva sans cesser d’appeler son père, son vrai père, celui qui l'avait fait à son image : Kafkon Samuel, et se mit en route. Il suivait la voix. En même temps, il n'était pas certain de l'entendre. C'était comme saisir le fil invisible d'une pensée puis le perdre la seconde suivante avec l'étrange sensation d'avoir rêvé. Il rêvait.

~



Sa route le mena aux pieds de montagnes enneigées, une véritable dorsale qui encadrait les monts à l'extrême Nord de Salicar. C'est ici qu'il la trouva. Elle se dissimulait à toutes formes de vie, aux rayons et à la lumière. Une grotte était son repère. Lorsqu'il y pénétra, l'aura qu'il percevait faillit le faire tomber à genoux. Son esprit le faisait souffrir. Pour un vivant, cela se rapprochait d'une migraine. Quelle que soit la personne ou le spectre qui vit ici, songeait le Pygargue, sa puissance est prodigieuse. Il pénétra plus avant et bientôt ses yeux la distinguèrent dans les ténèbres surnaturelles. En même temps, il sentait et percevait tout autour de lui un fouillis indescriptible, comme si des dizaines de pattes grouillait dans l'ombre. La femme qu'il voyait de ses yeux, elle, était bien réelle et d'une grande beauté. Une beauté noire.

- Comment t'appelles-tu ?

Le ton dont ces mots furent prononcés révélait une nature foncièrement mauvaise. Le Pygargue le devina : elle était femme à apporter par elle-même beaucoup de trouble dans l'univers. Il dut se tenir la tête d'une main tant son crane menaçait d'exploser.

- On me surnomme Le Pygargue, lui fit-il pour toute réponse. Qui êtes-vous, vous ?

Alors un tsunami mental le percuta de plein fouet comme si la foudre venait de frapper à l'intérieur même de sa tête ! Il cria et tomba au sol. Elle en profita pour cligner des yeux et il se mit à léviter pour venir percuter avec une force inouïe la paroi de roches qui faisait les murs de cette maisonnée là ! Une main invisible aux doigts pourtant de fer l'enfonça encore plus en profondeur dans la roche ! La grotte entière se mit à trembler, il sentit plusieurs de ses os se briser sous la force de cette pression ; la pierre se brisait sous lui ! Tout tremblait. Il cracha du sang ! Puis la force surnaturelle qui venait de le soulever puis de le plaquer sur la roche s'amusa à le retourner, et il parut la tête en bas à plusieurs pieds du sol ! Elle s'approcha alors, en personne, la belle dame, la démone, et lui agrippa les cheveux d'un poing ferme !

- J'ai envie de te tuer ! cracha-t-elle avec le naturel de quelqu'un annonçant qu'il fera beau demain.

Elle le lâcha alors et il s'écrasa au sol, plus mort que vif ! Un talon de fer vint écraser son torse nu, faisant éclater son cœur net dans sa poitrine si elle l'eût voulût, il n'en doutait pas, il n'en doutait plus, bien que ce coeur-là avait cessé de battre depuis plusieurs Lunes déjà.

- Je t'ai demandé comment tu t'appelles, reprit alors la démone au regard noir. Pas comment on t'appelle. Ou on te surnomme. Quand je pose des questions, je veux qu'on y réponde avec précision, vois-tu ?

Elle cracha. Un crachat qui vint s'écraser sur son front tandis qu'il reprenait doucement ses esprit, en proie à la douleur la plus atroce !

- En plus, tu n'es qu'un nouveau-né ! nota-t-elle avec un dédain non dissimulé.
- Je...je suis Mickaël Vinzent. Ram...m'a connu sous le...nom de Rajah.

Il cracha un caillot de sang comme la femme en noir se décidait soudainement à lui tourner le dos. Déjà lassée.

- Mais je n'ai pas menti...reprit-il entre trois hoquets. J'ai eu...plusieurs nom...par le passé...Cependant...mon père m'appelle...Le Pygargue.
- Et qui est ton père ? demanda la femme d'une voix froide comme la mort. Qui t'a créé ?

Pour le Pygargue, et il l'avait deviné immédiatement sans s'en rendre vraiment compte à lui-même, cette femme-là était la mort. Il y avait là, en elle, plus qu'un Esprit, lequel ne pouvait que être très probablement la manifestation du mal, le porte-parole de beaucoup d’autres esprits similaires. Le Pygargue devina immédiatement que tous les chants de Ryscior, les incantations interdites des hommes qui lui rendaient un culte, unifiait cet être de mal absolu en un bloc, une femme : d’où la force de matérialisation concentrée sur sa tête. Et la tête justement, cette physionomie reflétait à la fois une vive intelligence, un extrême orgueil, un sadisme trop grand et un paradoxe de sentiments indicibles qui suggérait presque des idées, nullement motivées, de soumission immédiate.

- Kafkon Samuel.

La réaction de son bourreau fut immédiate. Elle tourna de nouveau la tête vers lui. Une bête passa près de lui sans qu'il ne puisse vraiment distinguer ce dont il s'agissait. En secouant la tête, il la laissa passer… Elle est passée.

- Kafkon Samuel ! répéta-t-elle en tordant la bouche.

Avant de siffler entre ses lèvres noires et ajouter :

- Tiens, tiens...

Elle avança de nouveau vers lui, et si ça n'était plus son pied, son œil à présent le clouait au sol d'un regard. Au fond de ses yeux paradoxalement noirs et pâles, rien ne luisait sinon la douleur et la mort. Comme elle ne tolérait pas qu'il ressuscitât, il dut rester à terre. De toutes façons, était-il seulement en l'état de se lever ? Les os de son dos étaient sans doute brisés.

- Estime-toi heureux, fils de Samuel, que je ne possède pas ton esprit. Je décide de te laisser une partie de ton libre-arbitre. Je pourrai pourtant faire de toi mon chien et te tenir en laisse ou au bout d'une chaîne comme une bête sauvage !

Après un silence, elle ajouta :

- Mais je connais bien Kafkon Samuel. Lorsque sera venu le temps d'une effrayante éclipse, lorsque qu'une pluie d’étincelles avec l'apparitions de cavalcades de harpies, de squelettes et de monstres ; l’exsudation sanguine, la peste noire, la fièvre verte, les morts qui se remettent à marcher et d’autres terreurs frapperont Ryscior, je le veux dans mon camps. Ou du moins, je ne veux pas devoir le combattre, ajouta-t-elle en serrant les dents avec un encens de haine exhalé de tous ses crimes
 !

Le Pygargue distingua alors les créatures qui grouillaient au fond de la grotte. Il ne fut pas surpris. Des hordes d'araignées aux pattes griffues surmontées d'un buste humain tournaient sans cesse autour de la femme.

- Considère dans quel état sauvage et misérable les Dieux créèrent les différentes souches humaines de Ryscior ! Proféra-t-elle d'une voix glaciale. Moi, reine Liche Ravena et épouse de mon défunt roi Liche, Bomendacir de Salicar, au contraire je vous aurais créés à l’état parfait ! Les Dieux me craignent ! Considère dans quel état d’imperfection, d’inégalité et de précarité les ont jetés mes rivaux ! Seulement la moitié des Hommes parviennent à l’âge adulte, leur vie devant se frayer un chemin à travers la famine de l'enfance, les maladies et les accidents sous leurs pas ! La douleur, le meurtre, le deuil ! Si un pauvre mortel se met à profiter d’une occasion de bonheur mise sa triste existence, aussitôt les Dieux les lui font payer en double par quelque malheur ! Et ce sont ces Dieux-là que le monde entier, que Hasdruba, que Nova, que Ryscior tout entier adule ! Arrière l’honnêteté ! Fi de la probité ! Vautrons- nous plutôt dans toutes les jouissances que la Mort peut nous procurer !

Et à chacun de ses mots, le Pygargue la voyait s'animer d'une colère dangereuse !

- La peste soient d'Hasdruba ! La peste soit des Dieux ! Bustes impassible, Canërgen, vieux juge adoré qui, peseur scrupuleux à la fausse balance, peux sauver la race mortelle d’un mot et garde le silence ! Moi, Reine de la non-Mort, oui, je t’insulte !

Et elle conclut sa tirade en se retirant de quelque pas au fond de la grotte :

- Puissent tous les trônes d'Hasdruba et de Nova s’écrouler le plus vite possible et une tourmente infernale les balayer, les emporter en enfer ! N'es-tu pas de mon avis, Mickaël Vinzent Samuel ?

Le Pygargue, sans toutefois parvenir à se débarrasser de la présence noire de Ravena dans son esprit, aurait voulu lui demander pourquoi l'avait-elle attiré en ces lieux. Mais il fut plus prudent en répondant plutôt :

- Mon Père m'a dit un jour : ne coupe pas les ficelles quand tu pourrais défaire les nœuds.
- Je reconnais bien là ce vieux fou de Kafkon Samuel ! ricana Ravena ! Certes, il est dur pour lui de quitter cet orgueil fort et triste qui fait croire à sa petite âme qu’elle existe !

Ça te va bien de parler d'orgueil, femme maudite qui croit porter une couronne royale ! Aussitôt, une onde de choc explosa dans sa tête et la seconde suivante, le Pygargue s’étouffait au bout du bras de Ravena comme un poisson hors de l'eau au bout d'un hameçon !

- Pauvre idiot ! cria-t-elle ! Je suis tellement puissante que je lis dans ton esprit comme dans un livre ouvert ! Penses-tu pouvoir me blâmer sans que je le sache ?

Elle le foudroyait du regard avec le même air qu’aurait un avare si quelqu’un voulait essayer de l’aider à compter son or ! S’étouffant, il tentait de relâcher la pression qu'elle mettait dans sa main, agrippant par le cou et le soulevant sans force au-dessus du sol où il s'était brisé quelques instants plus tôt ! Sa seule arme fut la parole.

- Mon père...disait...aussi...qu'un bon souvenir...c'est comme...une bonne bouteille..il ne faut...pas...le boire seul...Je ne vous ferai...pas du tort...ma Reine..Laissez-moi...partir à la recherche de mon père...ou dites-moi...en quoi je pourrais vous être utile...Racontez-moi pourquoi...je vous trouve...au milieu des montagnes et non...au pied du trône...de Salicar.

Elle le lâcha. Il tomba comme une enclume.

- D'où sors-tu, toi qui ne sais rien de ce monde ! Hasdruba et le royaume de Nova sont entrés en guerre contre Salicar et nous avons perdu cette bataille ! Mais je sais par expérience qu'une nouvelle guerre éclatera dans quelques Tours, engendrée par un traité de paix d’humiliation !

Ses mots dépeignaient la situation, précis comme un exposé mathématique.

- Ma Reine...reprit le Pygargue. J'ai perdu mon père plus au sud, au milieu de la forêt gelée en bordure du lac, lors d'une chasse au lycan. Je ne vois pas ce que je pourrais faire pour vous aider.
- Tu me serviras.
- Votre puissance pour régner n'a point besoin de la mienne.
- J'ai besoin d'un serviteur pour protéger les reliques de mon défunt époux. Notre Général des armées, le Chevalier de la Mort Mannfred nous a abandonné. Il a pris la route de la Citadelle de Gel. Tu le remplaceras, au moins le temps que je remette la main dessus !
- Je crains n'avoir rien d'un Chevalier.
- Á défaut d'être mon Général des armées ou mon Chevalier, cracha Ravena, je ferai de toi mon valet ! Je suis pour toi la main divine au bord des cieux, tu devrais la saisir ! Je vois que Kafkon Samuel n'a pas fait ton éducation alors je la ferai moi !

Il aurait volontiers pris ses jambes à son cou si il pensait cela utile.

- Cela sera difficile pour toi ! s’esclaffa alors la reine Liche ! Je te ferai subir ma présence perpétuelle ! Je serai toujours là, tapie dans un coin de ton esprit. Je te ferai subir la fatigue, la souffrance et la faim, mais à la fin, tu deviendras presque aussi bon que ce traître de Chevalier de la Mort !
- Il paraît que l'on n'est point au monde pour avoir une vie facile...dit tristement le Pygargue en songeant au sort funeste qui l'attendait.

Et étrangement, il ne se sentait plus l'envie de lutter et de se dresser contre sa geôlière. Elle régnait tout entière dans son esprit. Et il la trouvait belle. Belle par sa cruauté. Et par sa puissance.

- Il n'y aurait point de raison pour être bon et mourir...
- Qui t'a dit cela ? Ton père ? grinça-t-elle.
- C'était un vieux proverbe de la Maison De Everhell, dans l'Empire d'Ambre.
- Que sait l'Empire d'Ambre de Salicar ?
- Presque rien, ma Reine.
- Donc tu ignores que ce voyage te concerne personnellement. N'es-tu pas le dernier des fils de Kafkon, Mickaël Vinzent Samuel ?
- Il est mon père. Cela fait de moi son fils.

Elle rit.

- Mais Kafkon Samuel ne t'a jamais raconté qu'il était lui et à lui-seul le plus grand chasseur de vampires que Ryscior n'ait jamais porté ? Ne t'a-t-il jamais parlé de ses fils ? De ses petits-enfants et ses éventuels arrière petits enfants ! Tu es le dernier, toi ! Un nouveau né qui ignore encore tout de son triste état !
- Que savez-vous des autres fils de Kafkon ? demanda soudainement le Pygargue ! Mon père a toujours gardé le silence à ce sujet.
- Tous les vampires connaissent cette histoire ! lâcha Ravena. Kafkon Samuel comptait des enfants par dizaines. Puis un jour, comme atteint d'une folie sanguinaire, il se mit en quête de tous les retrouver au quatre coins de Ryscior. Il se mit en chasse, du haut des sommets enneigés de la Dorsale Salicarienne jusqu'aux récifs de corail perdus dans l'Océan Noir ! Lorsqu'il les trouvait, il les hachait menu avec son épée avant de disperser les morceaux dans la mer. Il n'épargna la vie d'aucun de ses fils ou de ses filles. Il fit de même avec tous ses héritiers, petits-enfants ou arrières petits-enfants ! Seul l'un d'entre eux, le premier de tous, le fils aîné lui survécut.

L’infâme Ravena opprimait temporairement Le Pygargue ; mais il avait beau la combattre, il savait qu'il ne pourrait jamais l’anéantir. Au contraire, il tolérait sa présence douloureuse en lui. Il l'acceptait et écoutait à présent sa voix avec une fascination non grimée.

- Que savez-vous du premier fils de Kafkon Samuel, ma Reine ? demanda-t-il.
- Je sais tout de lui ! Lorsqu'il se présenta pour la première fois en Salicar, au pied du trône de mon époux, il s'appelait Adam Samuel et n'était qu'un jeune vampire ! Il intégra néanmoins nos armées et nous aida à construire ce royaume qu'Hasdruba et Nova sont aujourd'hui en train d'émietter comme un biscuit ! Puis un jour, presque cent ans après, Kafkon Samuel vint vers nous au cours de sa glorieuse chasse aux vampires. Il avait éliminé tous ses enfants, et Adam demeurait le dernier. Pauvre Adam ! Lui qui avait perdu la trace de son père au cours d'une chasse aux Esprits dans les Montagnes Noires ! Et le voilà après tout ce temps qui revient, couvert du sang de sa destinée sur sa lame, et qui ne donne aucune explication à son aîné. Alors les deux se sont affrontés en duel ! Et crois-le ou non Mickaël Vinzent Samuel, mais ton frère avait réussi à surpasser ton père ! Il retourna sa propre épée contre lui en la lui enfonçant dans le cœur, ceci afin de lui faire payer la mort de tous ses frères et sœurs. Kafkon Samuel survécut, évidemment. Car Adam avait choisit d'épargner la vie de son père en dépit de sa folie. Les deux vampires se quittèrent avec la promesses que leur prochaine rencontre se solderait par la mort, définitive cette fois, du père ou du fils.

Incapable de parler, Le Pygargue encaissait ce lot d'informations avec une peine immense. Kafkon Samuel n'avait jamais été un être bavard et chaleureux, mais quel genre de parent se mettait du jour au lendemain en tête d'éliminer tous ses enfants de la surface de la terre ? Alors son esprit s'égara. Il songea à Palomar. Pauvre garçon ! Ce n'était ni plus ni moins que l'Éternité qui s'était insinuée entre eux pour les séparer !

- Lui aussi avait un mot. Il appelait ça l'amour.
- Et alors ?
lui répondait Kafkon Samuel sans même le regarder dans les yeux. Oublie le passé. Il y a longtemps que l'Homme est habitué aux mots. Tu devrais savoir que ce mot est comme les autres, rien qu'une forme pour combler un vide quelconque.

- Où se trouve Adam Samuel aujourd'hui ?
- Il a continué de travailler pour nous, gardant avec lui la fameuse lame Infanticide. Depuis ce jour, il n'a plus voulu de son nom. Il est devenu Général des Armées de Salicar et s'est fait appellé Mannfred, le Chevalier de la Mort. En ce moment, il a rejoint la Citadelle de Gel.

Le Pygargue ne dit mot.

- Tu vois, dit Ravena avec de l'accusation dans la voix. Tu es concerné par toute cette histoire. Fais ce que tu as à faire, sers-moi et en échange, je ferai de toi un vampire puissant, comme Adam il y a plus de mille ans. Et je te mènerai jusqu'à ton frère, le Chevalier de la Mort.
- Que sont-elles ? demanda Le Pygargue en désignant du regard les hordes de créatures arachnéennes qui grimpaient aux parois en se désarticulant.
- C'est le roi Liche qui les a créées pour peupler les frontières de Salicar. Elles sont mortes avec lui.
- Je les trouve bien vivantes.
- Parce que le roi liche est encore en vie ! acclama Ravena comme à une messe noire. Une part de lui est morte lors de la bataille contre Hasdruba, et cela a affaibli et désorienté toutes ses créatures. Je les ai toutes ralliées en les rappelant auprès de moi. C'est cela, l'appel que tu as dû entendre près du lac. Un appel à toute la non-Mort ! Apres tout si Bomendacir était le roi Liche, je suis la reine Liche ! Leur mission désormais sera de se répandre sur les terres de Salicar, tisser leur toile autour de nos frontière afin d’empêcher Nova et Hasdruba de s'approprier mes terres qu'elles pensent avoir conquises !
- C'est donc cela, votre objectif ? Préserver l'intégrité de Salicar après la guerre ? Détruire Nova et Hasdruba pour régner à nouveau un jour comme reine légitime ?'

Pour le fils de Kafkon Samuel, un arôme de jusquiame, de stramoine et de mandragore mêlées à la roche et à la poussière de la grotte éveillèrent ses sens. Il baisa la main de la Reine Ravena tandis qu'elle lui expliqua :

- Tu as tout faux, mon objectif est de protéger les Reliques de la Mort de mon très cher époux. Je n'ai que faire du royaume de Salicar, il peut bien partir en morceaux ! Ce que mes araignées et les gwthurin doivent protéger plus que tout, c'est ce qu'il se trouve au-delà des montagnes bleues de Salicar. Comme les hommes sont par nature stupides et ignorant, ils croient que Salicar est le bout du monde, que rien n'existe au nord de nos terres et ils ont indiqué sur toutes leurs cartes stupides que nous sommes cernées par la grande mer des glaces. Mais c'est faux : Salicar n'est pas le bout du monde ! Au contraire, c'est juste la frontière du monde connu et là que prend sa source l'inconnu. Il existe des lieux au nord de nos frontière, par-delà la mer des glaces, qui défieraient ton imagination. Des terres si froides qu'aucun mortel ne peut y survivre. C'est notamment là que se trouve l'Achéron, les mines des titans ancestraux et la Citadelle de Gel ! Nous les avions explorées ensemble avec mon époux, il y a plus de trois-mille ans. Ton père, Kafkon Samuel ne devait pas même être né.
- C'est là que se trouvent les reliques du roi Bomendacir que vous voulez protéger ?

Ravena ne répondit pas. Son regard, l'espace d'un instant, se perdit dans le vide.

- En route, fils de Samuel ! Ton voyage initiatique commence maintenant.

Et elle psalmodia d'une voix nébuleuse comme l'abîme :


Gloire à toi, Roi Liche, Dieu noir, Dieu tout-puissant ! Gloire au nom de Bomendacir ! C’est toi seul, Uleaven, que j'adore, que je prie, que tous invoquent, que tous aiment. L’infâme Sorceleur t’opprime temporairement ; mais il aura beau te combattre, il ne pourra jamais t’anéantir ; car si tu es momentanément vaincu et victime, tu n’en es pas moins la Mort et la Force. Tu ne sortiras que plus resplendissant de sous le joug de l’exécrable usurpateur et le jour de ton triomphe est proche. Je trouverai les Reliques de la Mort, et ensemble, nous gagnerons cette guerre !

~



Quelques jours plus tard, la reine Liche Ravena et son serviteur vampire atteignirent la ville fortifiée de Brackhill, dernier repère de civilisation avant le bout du monde. Située à l'extrême Nord de la frontière Salicarienne, la reine Liche, Mickaël Vinzent Samuel et leur horde de créatures mutantes se répandirent comme une épidémie aux pieds de la mer des Glaces. C'était sans doute, songea le Pygargue en contemplant Brackhill, l'une de ces villes où l'on vivait sans argent, de pêche, de lait caillé et de pain noir. Le seul à sortir de cette cuvette glacée pleine de crasse devait être le roi et sa cour, dont la loyauté allait jadis à Ravena et Bomendacir. Le Pygargue se chargea personnellement de faire tomber l'autorité du roi Reimar au creux de son château de pierres noires. Lorsqu'il leva le menton de son orgie sanglante, après s'être nourri sur le roi, ses fils et la cour durant des jours entiers, il put constater que le ciel s'était voilé d'un écran noir. L'eau du petit port de Brackhill gémissait plaintive contre l'étrave des barques, prises dans la glace. Lorsque Mickaël Samuel passa enfin la tête à l'extérieur de l'une des lucarnes du château, ce qu'il vit le fit tressaillir. Aussi nombreuses qu'une armée de goules, les mutants arachnéens de Ravena avaient fait de Brackhill leur nid. Quand à tous ceux qui faisaient auparavant les citadins de la ville, ils gelaient à présent derme et os au creux de cocons de toile qu'avaient tissées les monstres à huit pattes. Ravena apparut dans le dos du Pygargue, et celui-ci se prosterna devant sa Reine sans faux-semblant. Il songea qu'il y avait bien de la différence entre des gens que la non-Mort et l'autorité soutenait à des misérables que la mortalité assemble et guette. Les yeux de sa Reine étaient deux bénitiers ardents dans lequel Bomendacir et le roi démon en personne avaient mis leurs doigts.

- Regarde-les, dit Ravena en désignant d'un geste de la main les milliers de cocons. Elles se servent des hommes et des femmes comme d'incubateurs pour leurs œufs. Bientôt, Salicar tout entière sera envahie. Hasdruba et Nova seront obligés de se retirer de nos terres. Plus personne ne s'aventurera jusqu'ici ; elles sont nos gardiennes.
- Oui, ma Reine.
- Nous prenons la mer aujourd'hui, Mickaël Vinzent Samuel. Allons châtier ton frère, entre les murs de la Citadelle de Gel. Et veillons ensemble sur les Reliques de la Mort, en attendant le retour triomphal du Roi Liche. »



FIN
Sam 17 Nov 2018 - 23:07
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Dargor
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Dargor
Douze ils étaient, impuissants devant les éternels. Douze âme braves, dans des corps rompus par la fatigue du combat et la souffrance des blessures. Dans leur dos, la lance brisée de la charge Hasdrubienne luttait dans la boue et le sang pour sa propre survie. Une lutte malheureuse, où les plus nobles tombaient frappés dans le dos et où les plus valeureux succombaient au désespoir. Devant eux ? L’armée Salicarienne, dans toute sa grandeur et toute son horreur. Un tapis de corps putréfiés, se mouvant selon la seule volonté d’un Roi et d’une Reine aux pouvoirs démesurés.
Ce serait une scène de gloire, si la victoire n’avait pas été aussi incertaine. Le genre de tableaux que les peintres représenteraient pour les siècles à venir. Mais comment le nommeraient-ils ? « La Gloire d’Hasdruba », ou bien « La Fin de la Chevalerie » ? C’était là tout le lot de questions que pouvaient se poser les témoins, les observateurs. Ceux qui, contrairement à Messire Friedrich Von Tannenberg, ne pataugeaient pas dans une glaise boueuse qui avalait ses chausses jusque sous ses genoux. Ceux qui, contrairement au Duc Raoulet de Poitevin ne se cramponnaient pas à la hampe d’un étendard rompu pour éviter de dévaler la pente mortelle qui avait eu raison de la Grande Charge. Ces raisonnements là n’intéressaient pas non plus le Brave Philippe de Sirenia, ni le Comte Hirgon, que l’on nommait déjà le juste. Non. Ceux-là ne s’étaient pas dressé contre la mort. Ils n’avaient pas regardé au fond de l’abysse putride et n’avaient pas eu le courage de camper sur leurs pieds. Brandir l’épée du Juste n’avait jamais eu autant de sens qu’en cet instant.
Les Douze se consultaient. Tous savaient que le destin les attendait au-devant. Dans la lutte et dans la mort. Reculer, ce serait renier leurs vœux. Et ils le savaient. Du plus grand Duc au plus simple Chevalier.

« -Mes amis, mes frères. » déclarerait Calvin Samuel, en ployant le genou « Recommandons nos âmes aux éternels. »

Selon son exemple, chacun trouva l’instant de parler au dieu de son cœur. A genoux dans la glaise, debout face à un soleil trop fugace ou bien incliné jusqu’à baiser le sol. Ce spectacle ferait bien rire le Roi Liche, depuis son trône d’os. Peut-être un instant croirait-il même que ces chevaliers se soumettaient à sa toute-puissance. Comment aurait-il pu savoir ?
Comment aurait-il pu savoir que parmi ces braves parmi les braves, certains parviendraient à toucher le cœur d’un dieu ? Et que savait-il, de toute façon, des mots qui étaient alors murmurés, au-devant du Grand Ravin ?
Il ne savait rien de la Lumière éclatante du soleil qu’invoquait Raoulet de Poitevin. Il ignorait tout de la Justesse pour laquelle priait Hirgon d’Ibelin. De la fureur de Prarag, de la sévère punition de Canërgen ? Il n’en savait rien. Et il s’en maudirait pour cela.


Cent-cinquante. Elfes, Centaures, Dryades, Spryggans, Boggarts… cent-cinquante de toutes les races de la Grande Forêt s’étaient déplacés afin d’assister à ce qui devait être la chute d’Hasdruba. Amassés en lisière de forêt, ils observaient la lutte en contrebas. Et leur peine serait grande pour les valeureux hommes d’armes qui tombaient. Mais ils ne pleureraient pas longtemps ces voisins qui massacraient leurs bois et chassaient leurs frères. Non. Ils venaient constater la chute d’Hasdruba.
Mais ce qu’ils constateraient ce jour là serait tout autre. Etait-ce un coup du hasard, si les nuages noyant le soleil se dissipèrent soudainement ? Etait-ce une simple chance, que la lumière du grand astre vienne frapper ces douze chevaliers ? Ou était-ce quelque chose d’autre ?
Le doute, ils ne l’auraient pas longtemps. Car dans ce soleil, à l’éclat plus inhabituel que jamais, Hasdruba reçu le plus précieux des cadeaux : les dieux avaient choisi de les épauler. Il était temps de débarrasser Ryscior de ces Liches maudites. Telle était leur volonté, et ainsi avaient-il donc agit.
Sous les yeux du Roi Liche, la lame que Raoulet de Poitevin brandissait vers le ciel s’embrasa soudainement. Des flammes blanches, crépitant par volutes aveuglantes. Les flammes de Lothye. Celles qui devaient bannir les plus terrible ténèbres. Elles feraient chanter la lame du Duc d’un crépitement terrifiant.
Et puis, soudainement, ce serait comme si l’air se chargeait de magie. Devant Philippe de Sirenia, cette magie prit corps. Dans son éclat, elle amena l’esprit d’un homme de grande stature. Un esprit au casque couronné d’épaisses cornes, qui planta sa hache dans le sol et tendit sa main au Chevalier agenouillé. Qui était-il ? Etait-ce un homme ? Un esprit ? Un dieu, en personne ? Dans son désarroi, le brave ne pu que remercier cette vision qui, pourtant, fit tomber sur lui un regard sévère.
« -Prends ma force, petit homme. »
Ainsi parla-t-il. Et lorsque Philippe de Sirenia s’empara de sa main, toute la magie que l’air avait accumulé autours de lui le pénétra soudainement. Dans un second souffle, qui aurait fait tourner la tête d’hommes de moindre force, le chevalier sentit sa force s’accroître. Et sa fatigue s’amenuiser. Prarag avait ainsi parlé. Et cet Hasdrubien serait désormais Son champion.
Mais tous les dieux n’avaient pas encore parlé. Le plus sévère d’entre eux jouerait à son tour sa carte. Invoquant un éclair, qui calcinerait le sol sous sa lumière, Canërgen frappa soudainement l’arme de Calvin Samuel. Et il la frappa de telle façon, et d’une telle force que l’acier de son épée se brisa soudainement. Des mille et un éclats, devant les yeux de son Chevalier, le Dieu des Plaines reformerait une lame à la taille de la tâche qui l’attendait. Une épée digne de frapper au nom d’un dieu. Une épée rendue invulnérable à toutes les épreuves. Une épée dont le nom résonnerait sur la plaine, portée par la voix sinistre d’un dieu à l’ire sans bornes.

Guruthdargnir, la Pourfendeuse des Morts.


Il n’en faudrait pas plus pour que le Roi Liche décide d’intervenir. Prit de frissons, le Seigneur des Morts lança son armée sur les braves Hasdrubiens. D’un geste de la main, il déversa un flot de cadavres sur les chevaliers… sans pourtant jamais les voir atteindre leur cible. Car les dieux n’avaient pas encore cessé de parler. Et lorsque les dieux parlent, tous écoutent. Même ceux dont l’existence même s’avère être une insulte à leur Création. Et cette fois-ci, Ohiel avait beaucoup à dire. Ainsi, levant un bouclier, il retiendrait par sa seule volonté les hordes de Salicar. Le temps pour son élu de venir trouver le plus jeune et le plus pur de tous les héros. Ainsi, dans cette lumière qu’il envoya pour retenir les armées du Roi Liche, il envoya son favoris. Dans une armure étincelante, les épaules couvertes d’une cape légère comme la brise, un chevalier viendrait trouver le jeune Comte d’Ibelin. Hirgon, sentant son moment arriver, ne se releva point. Bien au contraire, il courba l’échine. Car le chevalier qui approchait était le plus connu de tous ceux dont il avait jamais lu l’histoire. Messire Leitch. Celui dont le seul exploit fut de rester juste tout au long de sa vie. Celui qui jamais ne favorisa son confort face aux besoins des plus faibles. La seule gloire de sa présence écraserait le chaos du combat. Et bientôt, sa voix retentirait. Elle était porteuse de mots qui n’étaient pourtant pas les siens. Car un écho venait se mêler à ses paroles. Cet écho, dans son cœur, Hirgon le reconnaîtrait comme étant celui d’Ohiel en personne.

« -Tends-moi ton écu, Ibelin. » diraient-ils tous deux, dans un même souffle.

Lorsqu’Hirgon le ferait, ce serait pour présenter à Messire Leitch une targe dans un bien triste état. Cabossée par les coups, fendue par les lames. Mais cela laissa indifférent l’envoyé des dieux. Car d’une main, passée à même le bois, Leitch changea le fragile en robuste. Il changea le tissu en cuir, le métal grossier en or étincelant et le bois de chêne en acier rutilant.

« -Que jamais la balance ne penche. Et que jamais ton cœur ne sombre. Ainsi marcheras-tu toujours derrière le bouclier infaillible du Juste. »

Disant-cela, le chevalier d’or commença à disparaître. Mais à mesure que son éclat s’estompait, les armes de la Maison d’Ibelin disparaissaient avec lui. En leur place, Ohiel fit don à Hirgon de son propre blason. De son propre héraldique. La Balance Divine. Toujours Juste, toujours impartiale.

« -Prends-le. Fais-en ton symbole. Et aucun coup ne te frappera jamais. »

Ohiel parla ainsi. Et avec son départ, ce qui protégeait encore les héros vint à disparaître. Mais pourtant, la horde ne reprit pas son assaut implacable. Elle était paralysée. Plutôt… le Roi Liche l’était, sachant quelle quantité de forces s’étaient amassées là contre lui.

Dans cette hésitation, une dernière bénédiction survint. Plus modeste, plus sobre, et pourtant plus précieuse que toutes les autres réunies. Tandis que tous les yeux étaient rivés sur Messire Leitch et son écu d’argent, Friedrich von Tannenberg était lui absorbé ailleurs. Car des ronces semblaient avoir prit au piège la lame de son épée. Et elles poussaient avec une grande vitesse, gagnant bientôt la garde. Puis la poignée. Et finalement le pommeau. Devant ce spectacle étonnant, le chevalier demeura silencieux. Car il recevait là le cadeau de Daudyssë. La mère d’Hasdruba fit fleurir sur le pommeau de Friedriech une unique rose aux pétales noires comme la nuit. Et il sembla que cette rose fascina le héros, car ses yeux ne s’en détachèrent pas. Personne ne saurait ce que la Déesse dirait à son champion. En vérité, personne ne saurait s’ils se parlèrent tout simplement. Mais la vérité serait qu’en se relevant, Friedriech avait changé. Son regard n’était plus le même. Son bras n’avait plus la même force. Et lorsqu’il abandonna son écu au sol, afin de libérer de ses deux mains son épée, ses onze compagnons n’oublieraient pas la détermination qui l’animait. Malgré le sang qui filtrait entre ses doigts. Malgré la douleur qui le transcendait. Il arracha au sol son arme. Et depuis, il ne la reposa plus. La vérité n’était pas dans la fleur que Daudyssë avait fait pousser sur son pommeau. Il n’y avait là nul pouvoir à tirer. Mais Friedriech était son propre héro. Celui que la déesse voulu faire naître un jour en Hasdruba. Tout ce qu’elle fit, fut de révéler en lui cette ardeur implacable. Telle était sa bénédiction. Et elle serait de loin la plus efficace de toutes…

Ce qui se produirait ensuite, sur ce petit coin de terre battue par les vents et la pluie, serait matière à légendes. Car contre toute attente, les Douze Glorieux prirent leurs appuis. Ils comptèrent les pieds à parcourir à travers les lignes Salicarienne. Ce plan qu’ils avaient, ils le fomentaient tous ensemble. Dans le plus grand des silences. Deux-cent cinquante-huit pas les séparaient du trône du Roi Liche. Plusieurs dizaines de milliers de morts-vivants, de spectres, de gnomes putrides et de nécromanciens les séparaient à présent de ce à quoi tout cela les avait préparés. Ils comptaient faire l’impensable… et charger droit devant eux. Droit vers cette couronne noire qui menaçait le Domaine des Dieux, et mettre un terme à cette guerre d’un coup, d’un seul !
Calvin Samuel serait le premier à s’élancer. Lui qui portait la Lame de son Dieu poussa le plus puissant des rugissements. Abandonnant derrière lui toute prudence, il se jeta corps et âme à travers la lande, frappant à lui seul les lignes Salicarienne avec plus de force que toute la charge Hasdrubienne n’avait jamais pu le faire. Sur ses talons, Philippe de Sirenia. Investi de la force de son dieu, ce chevalier de grande stature entreprit de se tailler son propre chemin à travers les morts. Ghouls, mort-vivants… il n’en serait pas un pour savoir tenir son terrain face à la fureur de Prarag. Mais lorsque cette fureur, contenue dans le corps d’un simple mortel, vint à trouver sa limite et mit en danger le Seigneur de Sirenia, le Bouclier d’Ohiel su trouver la lame perfide qui l’aurait envoyé au trépas. Car Hirgon, épaulé par Friedriech, n’avait jamais été loin. Frappant depuis le couvert de son écu divin, il su mettre en échec toutes les perfidies de Salicar. Et cela était heureux, car cela permettait aux champions de Lothye et de Daudyssë de prendre plus encore d’élan et pousser toujours plus loin la charge.
Et en effet. Si la lame embrasée de Raoulet de Poitevin ne manqua pas de creuser des trous béants dans les lignes de Salicar, c’est bel et bien la Rose-Noire de Friedriech qui ferait le plus de dégâts. Portée par celui qui devait être le chevalier parfait, cette petite épée frappa avec une ardeur insoupçonnée. Et ainsi, tandis que un à un les compagnons des Cinq tombaient engloutis par la masse noire, la charge progressait. Inlassablement. Et bientôt, les yeux de Roi Liche se firent assez proches pour que l’on puisse y lire la terreur de ce qui approchait. Dans le chaos des flammes, les éclats de la foudre, les gerbes de sang, la fureur la plus pure et la plus implacable des lumières, les cinq champions venaient réclamer leur victoire. Et les rangs de Salicar, toujours plus dispersés, les retenaient de moins en moins bien.
Friedriech tranchait, mu par ce cœur que Daudyssë avait choisi de récompenser. Hirgon frappait, de son écu ou de sa lame. Et toujours protégeait-il ses compagnons. Car c’était cela qu’Ohiel avait choisi pour lui. La voie du Défenseur. Raoulet embrasait tout sur son chemin. Porté par le souvenir de son fief du sud, il faisait honneur à Lothye en répandant le feu qui lui avait été confié toujours plus loin à travers les lignes de Salicar. Calvin Samuel, vif comme peu l’avaient été avant lui parmi les Ordres d’Hasdruba s’était fait fort de toujours frapper les plus puissants. Les plus pugnaces des ennemis. Ceux là qui, par leur existence, avaient le plus insulté Canërgen rencontraient désormais son châtiment. Et il était implacable. Incontournable. Inévitable. On ne connaissait pareille fureur que chez Philippe de Sirenia, dont les coups d’épée feraient parfois trembler le sol. Parfois soulèveraient des cadavres démembrés.

Tous les cinq, ils avanceraient ainsi. Pas après pas. Abattant soldats, officiers et mages sans distinction aucune. Ils étaient devenus la parole des dieux. Leur bras. Et ce bras ne s’arrêterait qu’après avoir emporté la tête du Roi Liche loin de ses épaules.
Ainsi, lorsque finalement la mêlée s’ouvrit devant eux, aucun doute ne planait sur ce qui allait se passer à présent. Contraint d’abandonner son trône, le Roi Liche en descendit avec une façade de suffisance déconcertante. Mais il était une Liche après tout. Et ses pouvoirs étaient grands. De loin que ceux de chacun de ces cinq héros, malgré les dons qui leurs avaient été faits.
Dans un effort de malfaisance, le Roi Liche moqua une fois de plus les dieux. Appelant à lui des copies infectes des dons qu’Ils firent à leurs champion, la créature fit quelques moulinets avec une grande épée noire, imbue de flammes noirâtres, avant d’adopter une position moquant celle du Champion de Prarag. Enfin, dans un rire sinistre, il frappa son arme contre le bord de son écu, une vaste targe aux armes offensantes et ornée de roses fannées.

Il n’en faudrait guère plus aux Cinq Champions pour se décider à bondir à l’assaut. Raoulet le premier couvrit la distance qui le séparait de sa cible. Mais tandis qu’il faisait mine de lever son arme pour le frapper, il frappa au contraire le sol et y dispersa un peu du don de son Dieu. Lothye lui avait offert le pouvoir de piéger leur cible, et le Seigneur de Poitevin invoqua ainsi une arène de flammes ardentes. Des flammes à la chaleur écrasante, qui faisait fondre la chair avant même d’avoir pu mordre la peau.
Surprit par ce phénomène, le Roi Liche ne verrait assurément pas venir l’assaut de Friedriech. Mu par une technique d’escrime viscérale, le chevalier frappait de taille encore et encore. De dextre en senestre, visant tantôt le crâne tantôt les jambes, le champion de Daudyssë ne serait arrêté que par la force ahurissante du Roi Liche. Coinçant sa Rose Noire sous sa Targe, le Roi frapperait le haume de Friedrich d’un revers du pommeau assez monumental pour décoller le malheureux chevalier du sol, l’envoyant rouler plus loin dans la glaise.
Mais cet instant de victoire serait bientôt volé au Roi. Car toute la force qu’il avait employé pour contenir le chevalier de Daudyssë, la Liche ne l’avait plus pour mettre aux arrêts la folle puissance de Philippe de Sirenia. Martelant encore et encore la défense du Roi Liche, le héros ne sembla pas faiblir un seul instant. Habile, fort, c’est d’un coup de sa lame bien Hasdrubienne qu’il finit par briser la targe ténébreuse de la Liche, avant d’être lui-même repoussé par le souffle de la détonation qu’il avait provoqué.
Mais défait de son écu, le Roi n’en était pas moins dangereux. Car de sa main libre, il invoqua à lui les ombres qui tapissaient le sol et les projeta en vagues inlassables sur les Champions. C’était sans compter sur Calvin Samuel qui, levant haut sa lame, fendit la brume d’un coup net. Il ouvrirait ainsi la voie à son compagnon le Duc de Poitevin. En bon chevalier, Raoulet tenta de défaire le Roi Liche par les armes. Très vite renforcé par les Seigneurs Samuels et d’Ibelin, le Duc serait malheureusement défait par la pure magie de la Liche. Frappé en plein poitrail par une lance magique, il s’effondrerait blessé, ne devant sa survie qu’à l’écu toujours juste d’Hirgon.
Les deux derniers champions encore debout menèrent une lutte acharnée contre le Roi Liche. Ils seraient souvent rejoint par Friedriech et Philippe de Sirenia. Mais contre la magie de Liche, ni l’un ni l’autre n’avaient la protection nécessaire. Et ce n’est que leur courage qui leur permit finalement de porter un premier coup. Joignant leurs forces, les héros de Daudyssë et Prarag parvinrent à se glisser sous la garde du colosse Royal. Le premier frappa soudainement d’un coup d’estoc ascendant qui transperça le bras de la Liche, faisant pleuvoir sur lui une pluie d’un sang noirâtre. Le second, profitant de l’occasion acheva le coup en tranchant net la main du Roi, le privant ainsi de son espadon de ténèbres.
Hurlant de rage, autant que de douleur, la Liche frappa violemment Friedrich et Philippe, écrasant la tête de l’un contre le sol et disloquant l’épaule de l’autre dans le même geste.
Mais la brèche était déjà ouverte ! Et Hirgon s’y engouffra aussitôt qu’il le pu. Quittant le couvert de son écu divin, le Comte frappa d’estoc avec toute les forces qui lui restaient. La pointe de sa lame se heurta brutalement à la cuirasse de la Liche, avant de finalement la faire céder. L’acier tordant l’acier, le coup généra une gerbe d’étincelles fulgurante, qui ne serait éteinte que par le sang qui se mettrait inévitablement à couler, lorsque le Champion d’Ohiel aurait enfoncé son épée jusqu’à la garde dans le cœur de la liche. Malheureusement, ce faisant, il s’était découvert. Et une Liche devait être également décapitée pour succomber au trépas. Le Roi saisirait Hirgon de sa seule main et le soulèverait haut au dessus du sol. Du fond de sa gueule il ferait pleuvoir une magie déroutante, abominable. Frappé de plein fouet, Hirgon succomba et sombra dans une inconscience dont il ne ressortirait pas avant bien des semaines. Son corps était infecté… et il appartenait à présent à Messire Calvin Samuel.
En bon champion de Canërgen, le Seigneur Hasdrubien profita de la distraction provoquée par Hirgon pour bondir. Le Roi Liche, distrait, tentait de libérer son poitrail de l’épée du Comte d’Ibelin. Malheureusement pour lui, cette dernière erreur lui serait fatale. Car le jugement de Samuel serait aussi implacable que celui de son dieu. D’un coup transversal colossal, le chevalier frappa le Roi à la gorge. De ses deux mains, il usa de la force que lui avait confié Canërgen pour sectionner entièrement la tête. Finalement, la Liche céda. Ses chairs se rompirent sous la pression de l’épée et le Roi de Salicar tomba à genoux. Sa tête roula dans la boue, abandonnant sa couronne aux mares de sang et de saleté du champ de bataille. Il ne riait plus, ni ne hurlait. Son règne s’achevait dans un silence parfait…

… jusqu’à ce que la massive quantité de magie qu’il maniait vienne à se libérer des entraves de son corps. Dans une gerbe explosive, repoussant le chevalier Samuel sur bien des pieds. La liche rendait bien malgré elle toute la magie qu’elle avait jamais volée… et une quantité pareille suffit à rendre à la poussière la majeure partie de l’armée Salicarienne… et blesser grièvement Calvin. Prostré, le chevalier tomberait à son tour face contre elle parmi ses compagnons. Tous blessés, aux portes de la mort… mais victorieux. L’armée de Salicar s’effondrait, Hasdruba était sauvée… et les Elfes qui pensaient assister à la chute d’un royaume assistaient au contraire à son triomphe. Un triomphe néanmoins coûteux, et bâti sur les cadavres de milliers d’hommes d’armes. De bons chevaliers Hasdrubiens et de Nobles. Mais de cela, le Roi Palmelas savait déjà tout. Et tandis que l’on s’en allait chercher ces héros qui avaient risqué le sacrifice ultime, son regard se portait déjà sur l’avenir. Un avenir à la fois radieux… et porteur de bien des défis pour le vieux Royaume d’Hasdruba.
Ven 25 Oct 2019 - 22:19
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