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[PV Théoden]Odyssée en terre lointaine
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Dargor
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Le Maitre de l'Intrigue
Dargor
Le soleil brillait sur le Wench depuis plusieurs lunes quand le Nouveau Monde fut en vue. Ils le contourneraient par le nord, ignorant les terres déjà délimitées par les explorations des premières colonies, pour s’enfoncer au plus profond dans le Vieux Monde, dont on put toutefois voir le rivage à partir du moment où il fut atteint. Ce n’était officiellement plus la pleine mer. Un beau jour surgit de la plaine que semblait être le vieux monde des montagnes immenses, qui semblaient traverser le ciel lui-même, sans que rien ne puisse limiter leur hauteur. Ces montagnes suscitèrent des racontars parmi les gens de mer peu habitués à de telles hauteurs, même si elles étaient au loin. Et même ceux qui à bord du navire avaient fait l’expérience de montagnes n’avaient pas le souvenir d’aussi hauts pics. Comme si quelqu’un avait voulu placer une barrière infranchissable à cet endroit. Barrière que l’on pouvait toutefois contourner par la mer, comme ils le faisaient en cet instant. Et elle n’était pas seulement haute, elle était aussi épaisse, cette barrière. Il fallut plusieurs jours pour la contourner.

Lorsque finalement elle commença à se dissiper, s’abaisser, puis disparaitre complètement, une atmosphère lugubre se mit à régner, et les membres de l’équipage se mirent à partager de biens noires pensées. Sans qu’ils ne s’en rendent compte, des rancœurs d’antan, ou des douleurs enfuies depuis bien longtemps, refirent surface.
Ce fut Henrique Rossi le premier à créer un évènement notable, même si seul lui et le capitaine Théoden seraient à jamais au courant. Alors qu’il ruminait ses pensées en silence, comme l’ensemble de l’équipage, il en vint à se rappeler qu’il n’avait jamais tué le capitaine Théoden. Pire encore, il s’était embarqué avec lui dans cette aventure juste pour fuir un danger plus grand encore amené par Théoden lui-même. Et ses bons chevaux étaient sans doute morts par la faute de ce maudit marin. Qui avait, offense ultime, enlevé sa femme en Oro. Certes il l’avait rendue, mais tout de même. L’honneur, en tout cas, exigeait qu’au lieu de le suivre, il le tue. C’est à cette conclusion qu’il parvint, et c’est à cette fin qu’il demanda une audience privée au capitaine.
Aussitôt qu’il entra dans la cabine de l’intéressé, il reprit ses esprits. Ou du moins se calma. Après tout, Théoden lui avait offert l’hospitalité et aidé à fuir Asarith. Il avait enlevé Fiora, oui, mais pour le pousser à l’aider dans l’accomplissement une juste cause. Et enfin, il aurait de toute façon dû abandonner ses chevaux à un moment donné. Et puis, même s’ils s’étaient peu vus durant la traversée et le séjour sur Teikoku, il aimait à croire qu’il avait réussi à lui être sympathique. Son raisonnement lui parut donc absurde, et la conversation vira vite à un échange de politesse. Afin de trouver un moyen de justifier sa demande si particulière, et de ne pas donner l’impression de l’avoir dérangé pour rien, Henrique choisit de révéler au capitaine que sa conception de l’honneur exigeait qu’il le tue, mais qu’il allait faire une exception, parce que le capitaine Théoden était un homme honorable lui aussi, et qu’il n’y avait pas de vraie offense de faite.
Après tout, songea-t-il en sortant, Fiora était heureuse dans cette expédition. Si elle ne pouvait pas poser son chevalet partout, elle ne s’était jamais autant épanouie dans la peinture. Les paysages qu’ils avaient vu, les fascinants Teikokujins, la gigantesque chaine de montagnes… Tout cela, il y en avait déjà des pages et des pages de croquis. Fiora, songea-t-il, pourrait bien devenir la mascotte de cet équipage, si ce dernier parvenait à dépasser son intense bégaiement pour voir la femme formidable qu’il y avait en-dessous. Après tout, les hommes appréciaient ses œuvres, jusqu’à preuve du contraire. Si tant est qu’aucun n’en profite bassement pour la courtiser… La jalousie naquit en lui, qu’il refoula bien vite. Il avait confiance en Fiora n’est-ce pas ? Mais ainsi l’atmosphère lugubre qui régnait en ces lieux le rattrapa, et il se mit à douter. Ces doutes, il les refoulait au fur et à mesure qu’ils se présentaient. Il était normal qu’un marin ou deux essaye de la courtiser, mais son aimée ne pouvait pas le trahir. Quoique justement, le propre d’une trahison était de ne pas être prévisible… Il allait par cycles, et doutait puis se raisonnait lui-même.

Il ignorait qu’il en était ainsi pour bien d’autres personnes à bord. Tous, sur le Wicked Wench comme le Blacksmith, se posaient des questions qui ne les auraient pas occupé plus de quelques secondes en temps normal.

Fiora Rossi, sa propre femme, alternait ainsi les périodes de grande inspiration et celles de page blanche. Cela était normal, c’était le propre d’une artiste, mais jamais elle ne l’avait fait à cette fréquence. Depuis quelques heures, elle tentait vaguement de crayonner depuis la poupe du Wicked un dessin du Blacksmith toutes voiles dehors, suivant l’immense navire de Théoden, mais elle avait déjà déchiré de trop nombreuses feuilles. Dans sa tête, son talent était remis en question. Et si elle avait en fait été au bout de ce qu’elle savait faire ? Et si elle n’avait plus rien à découvrir, à faire de ses mains ? Ce serait terrible. Pour elle, qui s’était réfugiée dans le dessin pour exprimer ce qu’elle avait du mal à faire savoir avec sa voix bégayante, perdre l’usage de ses mains, ce serait perdre tout. Sauf Henrique. Mais elle s’en voulait de placer une telle pression sur ses épaules. Mais qu’importe, il l’accepterait, le cas échéant, non ? Et de toute façon, elle se sentait prête à achever ce maudit dessin. Elle avait toujours été capable de le faire, et le savait. Dessiner depuis un modèle, allons.
Puis elle déchira une nouvelle feuille, et s’assit dans un coin, à réfléchir à ces questions qui tournaient dans sa tête.

Il y en avait un autre, à la proue lui, qui se posait de sérieuses questions, et c’était Telthis. A ceci près que pour sa part, il n’y avait rien de grave dans le fait de se poser de telles questions. Avait-il réellement bien fait d’obéir à sa reine ? De quitte Teikoku pour cette expédition où il devait protéger le capitaine ? Telle était la question qu’il se posait. A vrai dire, elle le travaillait car lui-même n’arrivait pas à y répondre. Pas parce que le climat y portait. Mais c’est ce climat qui l’avait faite rejaillir une nouvelle fois, bien qu’il ne l’ait point encore compris.
Des habitants de Teikoku, il y en d’autres à bord. Une petite troupe de samouraïs, un guerrier sumo, et la magicienne Johei. Aussitôt que cette dernière avait senti cette morosité qui tombait, elle avait convoqué l’ensemble des teikokujins pour les pousser à se livrer à un exercice de vidage intérieur et d’intense réflexion. Le but était d’identifier ce qui les troublait, de comprendre la source de ce trouble, et d’amener une réponse claire et limpide à ces questions qui étaient soulevées. L’exercice était connu des teikokujins, et il appelait une certaine concentration et une certaine maitrise de soi acquise dès l’enfance sur Teikoku. Voilà pourquoi elle avait tout de suite renoncé à l’expliquer aux continentaux, persuadée qu’il vaudrait mieux leur montrer calmement la nature inepte de leurs doutes lorsqu’ils viendraient à l’exprimer en sa présence. Sans doute, cela suffirait-il à les calmer. Comme cette séance de méditation avait calmé les guerriers teikokujins, qui en sortirent avec un sourire détendu. Mais Johei se posa néanmoins une question. Samada, le chef des guerriers samouraïs, avait mis cette morose collective sur le dos de la longue période passée en mer et de la pression mise par le fait de découvrir de nouvelles terres. Mais alors, pourquoi ses sens magiques à elle semblaient l’avertir qu’il y avait autre chose ? Comme une présence… Une présence qu’elle n’appréciait pas vraiment, à y repenser. Si cela était vrai, il fallait en parler au capitaine. Celui-ci était justement en train de recevoir Henrique au même instant. Elle l’attendit, rapidement rejointe par une femme de l’équipage, aux cheveux roux, répondant au nom de Djanela. Cette femme ne l’aimait semblait-il pas beaucoup, mais la salua néanmoins poliment.

« Que venez-vous lui dire ? tentât aimablement de dire Johei, pour engager une conversation amicale.
-Il y a quelque chose qui affecte le mental de l’équipage, dit Djanela. Je sais que ça peut vous paraitre incroyable, mais si c’est ce que je crois, alors le capitaine doit en être averti.
-J’ai eu la même sensation, dit Johei. Pensez-vous que d’autres membres….
-Je n’en ai pas l’impression, dit Djanela, la coupant. Et je pense que le capitaine lui-même sera de méchante humeur au moment de nous recevoir, il faudra sans doute le détendre. J’ai demandé à l’élue de Lothÿe présente à notre bord de venir nous trouver. Elle est calme.
-Devrait-il en être autrement ? demanda l’intéressée, arrivant à cet instant précis.
-Oui, dit Johei. Je ne m’explique pas pourquoi vous ne semblez pas affectée par ce coup au moral que tout le monde semble ressentir… Et vous de même, Djanela.
-Parce que moi, dit Djanela, je sais en faire abstraction. Vous parce que vous avez vos pouvoirs, dit-elle en crachant par terre, exprimant par là tout le bien qu’elle pensait desdits pouvoirs. Et mademoiselle l’élue, parce que vous y êtes immunisée, en tant qu’élue. Vous ne devez même pas vous rendre compte de ce qui se passe, pas vrai ?
-Eh bien, dit Cassandra, je me rends compte que tout le monde est d’humeur morose, mais je…
-Avez-vous déjà affronté des démons ? demanda Djanela. Toutes les deux ?
-Jamais, répondit Johei.
-Une fois à une occasion, commença Cassandra, avant de prendre un air horrifié. Doux Lothÿe non…
-Il y a des démons à l’œuvre ici ? s’alarma Johei.
-Sans doute, dit Djanela. Ils sont sans doute loin, également. Je dirais sur le continent, je ne vois pas d’autre endroit. Mais ils sont assez nombreux ou puissants pour que leur influence se fasse ressentir ici… Et ait l’effet que tu sais sur l’équipage.
-Je confirme, dit Cassandra, désormais nerveuse, tandis qu’Henrique sortait du bureau du capitaine. Toutefois, comme l’a dit Djanela ici présente, ce n’est encore qu’une hypothèse. Et ils sont probablement encore loin. D’ailleurs comment sais-tu que…
-J’ai été formée à ça, répondit Djanela en frappant à la porte de Théoden. »

Elle avait été rapidement repérée. Comment avait-elle pu croire qu’elle arriverait à se faire discrète à bord de ce navire ? Le cuisinier avait rapidement remarqué que quelqu’un piquait dans ses réserves, même de la façon la plus infime possible. Et après qu’on ait fouillé le navire, elle avait été amenée entre deux colosses au capitaine. Elle n’avait pas cherché à résister, à quoi cela aurait-il servi ? Il l’avait interrogée devant tout le monde, et elle lui avait dit la vérité. Qu’elle était une chasseuse de démons de Ram, et qu’elle était à bord de ce navire pour enquêter sur un potentiel adorateur des démons qui s’y serait embarqué. Il ne l’avait pas crue, parce qu’elle n’avait pas de preuves à lui présenter. Elle ne pouvait pas le blâmer. Certaines chasseresses de démons accusaient et exécutaient sans preuves, ou avec des preuves bancales, juste pour marquer les esprits. Elle n’en faisait pas partie. On l’avait formée à toujours établir la vérité de la façon la plus certaine et objective possible. Elle ne pouvait pas lui en vouloir de ne pas croire sa seule parole. Elle avait été mise aux fers, avec la promesse d’être pendue à l’aube.
Heureusement, Demoiselle Renrin, élue de Lothÿe, se trouvait à bord de ce navire. Elle connaissait les chasseresses de démons, et semblait les considérer avec sérieux comme un ordre efficace et fiable. Elle souhaitait savoir comment pouvait-elle prouver qu’elle en était bien une. Djanela lui avait demandé ce qu’elle savait de l’ordre, et Cassandra Renrin s’était éloignée, et avait médité quelques instants. Elle était ensuite revenue, et lui avait demandé de réciter le serment des chasseresses. Djanela avait été choquée qu’elle le connaisse. Seul le sultan de Ram et les chasseresses elles-mêmes connaissaient ce serment. Du mois dans la théorie. Cassandra avait eu un rire innocent. Elle était l’élue du dieu des flammes, et comment était éclairée la salle de la prestation de serment, si ce n’était par des flammes ? Bien que Djanela n’aime pas cette ruse, elle dût reconnaitre que cela lui sauvait la vie.
Car le capitaine Théoden tenait bien sûr l’élue divine en haute estime, et crut sa parole quand elle la déclara fiable. Djanela fut invitée à continuer son enquête, sans faire de troubles de préférence. Elle en fut reconnaissante. Pour son enquête, elle prit un habit de marin et se joignit à l’équipage. Puisqu’elle était à bord et devait vivre avec tous ces hommes, autant trouver un moyen de les aborder plus aisément. Travailler avec eux par exemple. Bien sûr, elle avait du mal à aller parler à ceux qui n’étaient pas en poste avec elle. Bien sûr, les premiers jours, elle était bien trop concentrée à apprendre le métier de marin pour réellement mener son enquête. Mais cela était nécessaire. Se fondre dans la masse pour mieux l’observer. Et montrer à Théoden que même si elle ne trouvait personne, ou qu’elle concluait que cet adorateur des démons n’avait jamais existé, elle n’aurait pas volé sa place à bord du navire. Elle travailla dur pour cela. Enfin, elle était toutefois privilégiée, car même s’il s’agissait d’une petite salle d’archives, et dès lors qu’elle ne dérangeait rien, elle avait eu sa propre cabine. Car logiquement, à bord, les femmes avaient des quartiers séparés de ceux des hommes. Tant mieux, à son goût.
Pendant plus d’un tour, elle avait travaillé à chercher sa cible, et à établir la liste des marins innocents, qui s’allongeait. Elle prenait son temps, mais souhaitait faire un travail efficace. Au passage des montagnes, elle avait déjà déclarée pour elle-même innocents la moitié de l’équipage. Puis elle avait senti les démons… Ou du moins ce qu’elle pensait être des démons.


Le capitaine aurait pu être difficile à convaincre. Mais devant trois femmes qui étaient d’accords pour dire la même chose, il put difficilement discuter. Après tout, il y avait une magicienne, une élue, et une chasseresse de démons. Si à elle trois elles étaient incapables de différencier l’influence des démons d’un simple climat de morose, qui pourrait le faire ? Suivant leurs recommandations, il décida d’aller parler à l’équipage.

« A mon sens, dit Djanela, et si je peux me permettre un conseil, cachez-leur la nature de ce maléfice. Dites juste qu’il existe, mais sans évoquer sa cause. Parler de démons à tendance à déclencher des réactions difficilement contrôlables. Tout le monde se soupçonne et se met à craindre leur arrivée… Ce n’est jamais très bon, d’après l’expérience de mes sœurs.
-Dites-leur, dit Cassandra. Si nous risquons d’affronter des démons, ils doivent le savoir. Tout homme devrait savoir dans quoi il s’engage, après tout. Surtout quelque chose d’aussi dangereux. »

Johei ne donna aucun conseil au capitaine. Les deux opinions se tenant selon elle, c’était à lui de trancher, et de choisir avec soin ses mots, et quel conseil suivrait-il.
Un choix qu’il n’eut pas à faire.

Alors que l’équipage était réuni, et qu’il s’apprêtait à prendre la parole, des voix se firent entendre. Ce n’étaient pas celles des marins.

« Sont-ce… demanda Johei à Djanela et Cassandra.
-On entend d’abord à leur approche un murmure lugubre, dit Djanela, une complainte sinistre dans le vent mauvais…
-EPAVE DROIT DEVANT ! hurla la vigie, interrompant la conversation ainsi que le discours du capitaine. TOUT UN CHAMP D’EPAVES ! »

Elles n’avaient pas été vues avant, comme si elles avaient surgi de nulle part. Des épaves de navires de tous genres, de toutes époques, au milieu de la mort, rongées par les eaux. Il fallut que l’équipage se mette immédiatement à manœuvrer, car il était trop tard pour contourner ce champ. Il faudrait naviguer au milieu, et éviter les récifs ou hauts fonds sur lesquels elles étaient échouées. Les murmures dans le vent se firent presque excités aux oreilles des mortels.
Puis brusquement, le ciel se mit à changer de couleur. Comme si un vent s’était levé, amenant des nuages d’orage, mais des nuages rouges comme le sang. Ce vent n’était pas ressenti par les mortels. Mais pour Djanela et Cassandra, s’il avait subsisté le moindre doute que les démons étaient à l’œuvre ici, alors il était anéanti. Djanela vit Henrique Rossi ramener Fiora dans leur cabine, comme pour la protéger.
Mais elle
et Cassandra ne sentaient pas approcher de démons. Pas tout de suite. Les bêtes se savaient repérées, d’où leur démonstration, mais elles ne passaient pas à l’attaque. Ce ciel en sang et ces murmures cherchaient juste à impressionner.

« Et la morosité ? demanda Johei.
-Si nous devons rester à proximité d’eux, dit Cassandra, alors les marins doivent hélas apprendre à vivre avec. Avec le temps, leur volonté devrait s’adapter et ils devraient retrouver de la personnalité… Regardez maitre Telthis. Il a ses mains sur ses lames mais il est détendu. Je peux lire sur son visage qu’il sait ce qu’il se passe, mais qu’il a déjà affronté des démons. S’il se tend et tire sa lame, alors vous saurez que l’heure du combat est venu. »
Sam 3 Sep 2016 - 0:09
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Capitaine Theoden
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Elle était tombé comme ça, cette lourde atmosphère. Les chants avaient commencé par se taire, sur le pont. Tout le monde se dardait du regard, s'évitait, se maudissaient en silence. Dans un silence lourd, en pleine après midi on avait finit par assister au premier incident. Deux hommes à la manœuvre, hissant à la force des bras un tonneau d'eau clair sur le pont à l'aide d'un treuil avaient renversé leur précieuse cargaison. Mais ce qui aurait pu demeurer un simple accident poussa les deux responsables à se confronter, torses bombés et poings serrés. Chacun prétendait que l'autre s'était montré trop peu attentif, ou trop feignant. Tant et si bien que la violence des mots se mua en violence physique. Sous les yeux du reste de l'équipage, attroupé par les injures, les deux hommes se ruèrent l'un sur l'autre et se couvrirent de coups à même le pont. Le temps que la garde intervienne, sous la houlette de Hewlett, les deux malheureux étaient déjà couverts d'ecchymoses.
Séparer deux marins, tout officier le savait, était une chose aisée. Mais ce qui suivrait serait une toute autre affaire.
Spéculations, méfiance... un véritable poison en temps normal que ce drôle de temps ne fit qu'exacerber. Rien de tout cela n'échappa à Théoden, depuis les hauteurs du post de navigation. Il était Capitaine depuis longtemps après tout. Mais il sentait lui même remonter des choses qu'il aurait juré avoir enterré. Un coup d'œil vers son nouveau Second, le Capitaine de Treville lui fit revoir le profil solide de son ami Gibbs et manqua de lui arracher une larme.
Puis un beau jour, il y eut un nouvel incident. Un marin fit soudainement irruption sur le pont, menaçant de se jeter à l'eau. Le marin en question, pourtant connu pour sa jovialité annonçait ce matin là à ses compagnons que son épouse l'avait abandonné. Que sa maison dans les Marches était vide. Et que plus personne ne l'attendait.
Il ne fallut pas moins de deux braves charpentiers pour retenir le malheureux qui, penché au dessus du bastingage hurlait son envie d'en finir entre deux sanglots déchirants. C'est alors que tous purent voir débarquer sur le pont quelques Teikokujins à la mine inquiète. Quelques silhouettes élancées, qu'on avait pourtant jusque là rarement vu parmi le reste de l'équipage vinrent se mêler aux conflits sur le pont.
Les disputes furent résolues par la force de la raison. Les plus abattus furent confiés aux soins des prêtresses d'Ariel présentes à bord. Quand à ceux qui montraient des signes de sécession avec les officiers, les Teikokujins prêtèrent une oreille attentive, et apaisèrent les tensions.
C'est une jeune mage qui vint se charger du suicidaire. Comme on ramenait vers le grand mât le pauvre bougre, pour l'asseoir sur un tonneau elle s'en approcha avec un sourire bienveillant et s'assied à côté de lui, mains jointes sur ses genoux. C'est par la force des mots qu'elle l'apaisa. Le marin à côté d'elle abandonna rapidement son envie d'en finir, finissant tour à tour par fondre en larmes, s'abandonner à la mélancolie et à la fatigue.
C'est ce jour là que ces semi elfes se montrèrent le plus digne des dons qu'ils avaient reçus des Elfes Blanc. Mais c'est aussi ce jour là qu'ils commencèrent à s'intégrer parmi les hommes avec qui ils devraient naviguer.

Alors après quelques temps, le lendemain matin, Théoden fit mettre le Wench en panne. Dans son sillage, le Blacksmith fit de même. On amena les voiles, et on rassembla tout le monde sur le pont. Là où tout le monde pouvait voir le ciel devenir lugubre et sentir souffler la brise sinistre de ce début d'hiver. Le vent lui même semblait s'être mit à pleurer, crachant par gerbes une fine pluie amer sur les marins en contrebas. Dans ce brouillard vaporeux, que nul n'expliquait, une tension nouvelle parcouru l'équipage. Tous les regards furent bientôt tournés vers le ciel, où le soleil livrait une bataille désespérée contre une épaisse et étouffante nappe ocre. Posé sur la mer dans son plaquage nacré, le 74 canons à la tête de l'Odyssée était paré d'une auréole de lumière. Et pourtant, tout autours semblait régner une noirceur indescriptible.
L'heure était venu de rappeler à l'équipage la raison de leur présence ici. Théoden le savait. C'est donc devant une foule de 750 âmes, massée jusque dans la mâture que le commandant de bord dû se faire entendre. Revêtu de son uniforme de voyage, plus robuste que celui qu'il portait le jour du départ, le Capitaine avait fait réveiller tout le monde, officiers compris.
Mais alors que tout le monde attendait, les regards rivés sur lui, il se produisit un évènement plus inquiétant encore que tout ce qui avait perturbé l'Odyssée jusqu'à présent. Théoden fut coupé par un long frisson, et pu sentir ses poils se hérisser. Dans le brouillard commencèrent à s'élever des murmures. Des murmures glissant dans l'ombre, tel des serpents dans la nuit. D'un regard, Théoden consulta Hewlett à sa gauche qui avait porté sa main à son épée. D'un autre, il avisa Telthis qui se tenait sur ses gardes, jetant autours du navire des regards méfiant.
Le soupçon de peur qu'avaient créé l'apparition de ces voix ne fit que croître. On distingua bientôt des mots, sans pour autant les comprendre. Des syllabes gutturales, des sons rauques et révulsant. C'en fut assez pour affoler une partie de l'équipage que la centaine d'hommes de la garde dû contenir. Lorsqu'il redescendit vers sa cabine, suivit par Treville et Hewlett, Théoden fit chercher Telthis, mais aussi Samada, Johei, Cassandra et cette chasseuse Ramienne.
Tout ce beau monde fut conduit dans le bureau du commandant en l'espace de quelques instants. Pas de doutes, le Capitaine était préoccupé. Il avait fait fermer les rideaux de ses fenêtres, et garder tous les accès à la cabine pour éviter les oreilles indiscrètes.
Lorsque tout le monde fut entré, et lorsque les portes d'ébènes furent closes, il ne laissa pas un instant passer, avant de poser ses questions à ceux qu'ils jugeaient comme étant les plus savant et les plus capables à son bord.

"-Est-ce que quelqu'un a la moindre idée de ce qu'il vient de se passer ?

C'est Djanela qui, la première ouvrit la bouche face au Capitaine qui faisait les cent pas à l'autre bout de la grande table.

"-Il y a des démons dans le coin, et ils nous ont repéré, je le crains.

-Elle a raison, ajouta Cassandra, ils font une démonstration de puissance, pour nous effrayer.

-Pour jouer avec nous, corrigea Telthis, mademoiselle. Les démons effrayent les humains par jeu."

Le Capitaine de Treville, jusque là silencieux se leva de sa chaise en retrait et explosa, supportant mal l'idée d'être le jouet d'un autre. "Ils se jouent de nous ?!" avait-il lancé d'une voix tonitruante. Il fut suivit par le Major Hewlett qui, avachit sur une chaise autours de la table regardait avec angoisse et dépit un point imaginaire devant lui.

"-Des démons ? Mais que pouvons nous...

-Garder notre calme." finit Djanela, décidément bien bavarde. "Les démons aiment les émotions humaines. Ils aiment jouer avec."

Telthis, qui restait campé bien droit sur ses jambes expliqua avec le plus grand des calmes ce qu'il se produisait. Les démons se nourrissaient depuis toujours des émotions, ne jouant que rarement avec. Ou alors pour s'amuser, par gourmandise.
Face à ce discours, Treville renversa d'un revers de la main une lanterne sur une commode, s'écriant n'aimer être le jouet de personne. Mais Théoden l'interrompt, le contraignant au silence d'un signe de la main.
C'est d'un ton frémissant qu'il reprit la parole, anxieux.

"-Depuis peu, l'équipage est en grand trouble. Des choses qui n'auraient jamais dû refaire surface atteignent maintenant mes oreilles. Est-ce de leur fait aussi ?"

Hewlett s'est muré dans le silence, assit sur une chaise, hagard.

"-Oui. Cela, fit Djanela, c'est leur aura. Les démons... Manipulent la réalité et les esprits à la foi, par leur simple nature. Le fait qu'ils puissent le faire à cette distance cela dit démontre une grande puissance, ou un grand nombre.

-S'ils sont bien sur le continent. Pour ce que j'en sais, les démons peuvent se manifester sous la forme de bêtes aquatiques. Mais madame Djanela est probablement dans le vrai en disant qu'ils sont sur terre."

Telthis et Djanela se lancèrent un regard, apparemment sur la même longueur d'onde. Puis Cassandra s'avança, jusque là silencieuse et proposa à Théoden de livrer son équipage à un silence magique. De quoi les apaiser quelques heures, mais qui durerait à peine plus que le temps nécessaire pour déployer le sort sur chaque homme.

"-En outre, un démon assez puissant pourrait briser ce sort sans mal." conclut-elle.

Johei à son tour prit la parole, achevant une à parte avec Samada.

"-On nous expliquait, sur Teikoku, que l'un des privilèges des démons est de mettre le désordre dans ... Dans la maison spirituelle. Un mortel peut juste y observer, mais les démons, par leur influence, peuvent y mettre le désordre et faire remonter des souvenirs qui étaient enfouis. S'agit-il de cela ?"

Elle fut répondue par Telthis qui acquiesce d'un simple "En effet.". Suivant leur échange, Théoden sembla réaliser encore d'avantage que ces Teikokujins, et plus particulièrement Telthis lui seraient d'une aide capitale. Indispensable, à vrai dire. Mais impossible de retenir un juron contrarié, devant ces déclarations. Il se pencha en avant, s'appuyant sur la table où les premières cartes du Grand Ouest commençaient à être tracées.

"-C'est un revers terrible pour ce voyage. Je vais vous demander de m'apprendre tout ce qu'il est possible de savoir au sujet de ces démons."

Il se redresse et ajoute.

"-Ariel m'a commandé ce voyage, je compte bien le mener à son terme. Peu importe les obstacles. Cassandra, je crois me souvenir que vous avez déjà affronté cette engeance. Il semble que vous êtes de plus en plus précieuse à cette compagnie."

Il se tourne vers les autres.

"-L'un d'entre vous a déjà affronté des démons auparavant ?"

Telthis lève la main.

"-Vous aussi Maître Telthis ?"

Il flatte sa moustache un instant, songeur.

"-Sauriez-vous... indiquer leurs points faible ? Y a t il...même une chance pour que l'un d'entre nous arrive à abattre une de ces créatures avec nos moyens ?"

Telthis allait répondre, mais il fut devancé par Djanela. Ce qui ne manqua pas de le contrarier et de surprendre Théoden. Pouvait-on vraiment couper la parole à cet homme ?

"-Il y a plus de genre de démons que votre esprit ne peut l'imaginer capitaine. N'importe qui est capable de vaincre un petit diablotin en duel, mais certains démons sont aussi puissants que les dieux eux-mêmes..."

Telthis confirme malgré tout les dires de la chasseuse Ramienne. Théoden consulte un instant Djanela du regard, s'avançant un peu plus vers Telthis.

"-Nous n'avons pas la puissance d'un dieu, mais vous avez vu de quoi nous disposons. Sommes nous prêts à ça ?

-Si ce démon avait la puissance d'un dieu, nous serions déjà tous morts ou en train de ramper à ses pieds.

-Il semble que nous nous apprêtons à livrer bataille. Une contre ce ou... ces créatures. Et une contre nous même."

Le Capitaine se tourne vers les autres, décidé à donner ses instructions après un court silence.

-Faites ce que vous pouvez pour apaiser l'équipage. Djanela, je vous laisse une totale liberté pour trouver le ou les traîtres dont vous me parliez. Nous ferons bientôt escale. Maître Telthis, il va falloir exercer plus avant ces hommes. Et je veux savoir tout ce qui peut être apprit sur ces démons. Que les dieux nous gardent d'un échec."

Tout le monde se sépara alors, sans un mot de plus. Après une petite heure, Théoden reparut sur le pont et fit ordonner le départ immédiat.
Alors de nouveau, on grimpa dans la mâture, on déferla les voiles et on joua de la barre pour s'aligner sur le vent. L'Odyssée repartit sans attendre, en état d'alerte. Plus de vigies, des caisses d'armes sur le pont... et des exercices de manœuvre au tir de fixés tous les deux jours pour permettre à l'équipage d'exploiter au mieux la rapidité de leurs nouvelles armes. Des balistes qu'il faudrait être capable d'amener au sabord et de charger en deux fois moins de temps que le plus rapide des canon ! Autrement, tout le monde en était certain, ce voyage durerait bien moins longtemps que prévu...

Dim 25 Sep 2016 - 3:04
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Dargor
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Le Maitre de l'Intrigue
Dargor
Paré au combat, le navire allait lentement, suivi d’aussi près que possible par le Blacksmith. Les épaves se dressaient devant le duo de bâtiments, menaçantes, silencieuses. Aucun bruit ne sortait de ces choses et ne venait perturber la mélopée sinistre des démons. Telthis s’était remis à l’avant du pont, examinant le spectacle qu’il avait sous les yeux. Tandis que les navires slalomaient lentement, les marins derrière lui essayaient de déterminer la raison de de tous ces naufrages. Et de tous ces navires de toutes les époques de Ryscior du monde, pas un n’avait coulé ici pour la même raison. Chacun avait ses propres circonstances de naufrage visibles sur les débris de la coque, ce qui contribuait à rendre à ce charnier de navires un aspect sinistre. Charnier en effet, car ce n’était pas un cimetière, ça. Certainement pas.
Le capitaine Théoden demanda soudain de mettre en panne. Comme s’il avait vu quelque chose parmi les épaves. Sans qu’il ne fournisse plus d’explications que cela, il ordonna de mettre une chaloupe à la mer.

« Je souhaite aller examiner ces navires naufragés de plus près, expliqua-t-il. »

Telthis resta à bord, les observant avec inquiétude. Bien que les hommes à bord de ces chaloupes, dont le capitaine lui-même, soient armés jusqu’aux dents de lames bénies par les prêtresses, il fallait se tenir prêt à leur porter secours. Mais alors qu’il observait les embarcations s’éloigner du navire en panne, son œil fut attiré par un bout de bois qui flottait dans l’eau de la mer, et qu’il aurait pu reconnaître entre des milliers. Il s’agissait du tableau d’un bâtiment elfique qui avait été porté disparu il y avait des millénaires de cela. Le nom concordait bien, il n’y avait aucun doute. « Le Condor » pouvait bien faire partie de ces épaves.
Il était perdu dans ses pensées, essayant de peser les conséquences de cette découverte, quand les chaloupes revinrent. Le Condor était un navire qui avait été envoyé il y avait des millénaires durant l’exil des elfes blancs, après qu’ils aient quitté le continent suite à la guerre de la déchirure. Ils avaient en effet senti quelques siècles auparavant un déchainement de pouvoir à l’ouest. Tandis que Malene et les elfes blancs s’établissaient à Teikoku, un navire en particulier avait été envoyé pour examiner ce qui avait causé ce déchainement de pouvoir, s’il pouvait trouver quelque chose. A son bord, des elfes qui figuraient parmi les meilleurs guerriers de leur peuple, de grands érudits, des mages d’une grande puissance, et la cousine de la reine Malene en personne, Sildael la Radieuse, dont la sagesse, la beauté et le pouvoir n’avaient d’égales que celles de Malene elle-même.
Cette expédition avait régulièrement contacté les elfes restés à Teikoku, par la magie, et parfois par les voies. Mais un jour, elle avait mystérieusement disparu. Le Condor était le navire sur lequel ces elfes naviguaient. Et voici que le tableau de ce navire se trouvait flottant dans ces eaux sinistres.

« Ce ne sont pas des navires, dit soudain une voix, le coupant de ses pensées. »

C’était le capitaine Théoden, qui était en discussion avec Johei, Cassandra et Djanela.

« Les démons sont-ils capables de créer de telles illusions ?
-Oui, répondit Djanela sans la moindre hésitation.
-Je confirme, répondit Telthis en s’approchant du groupe. J’ignore pourquoi ils agiraient ainsi toutefois.
-Si ce que vous m’avez dit est vrai, ce pourrait être pour rire de nous, dit Johei.
-Ou pour se nourrir plus encore de notre peur, compléta Cassandra. »

La conversation prit rapidement fin là-dessus, personne n’ayant réellement envie de spéculer sur les intentions de bêtes aussi monstrueuses que les démons. En outre, le capitaine Théoden semblait fortement perturbé par cette visite. Et les navires reprirent leur navigation, cette fois, en fonçant droit sur la première épave. Lentement, bien sûr, pour ne pas prendre de risques stupides. Mais assez vite pour se rendre compte qu’il la traversait aussi sûrement que si elle n’était pas là. Ceux qui se trouvaient dans bas dans les cales, au moment leur chair traversa l’illusion, sentirent un froid glacé s’emparer d’eux quelques instants, et en furent quitte pour une grande frayeur. Mais ils ne furent pas blessés physiquement, même s’il fallut en rassurer un certain nombre.

Telthis monta sur la dunette après que l’épave visitée par le capitaine ait disparu au loin. Une vilaine brume était tombée, mais la couleur rougeoyante du ciel et les murmures des démons étaient toujours là, eux, de même que les épaves fantômes. A l’arrière de la dunette, dans un coin, un peu ratatinés sur eux-mêmes pour ne gêner personne, Telthis remarqua l’humain d’Oro et sa femme. Celle-ci dessinait sur un carnet en regardant au large. Elle immortalisait sur le papier les horreurs desquelles ils étaient déjà tous les témoins. Son mari lui serrait l’épaule, en silence. Telthis pensa que ces deux-là pourraient bien affecter plus encore leurs esprits à se concentrer là-dessus. Mais d’un autre côté, si cela leur permettait d’évacuer la peur… Et il faudrait bien parler à Malene de tout cela, lui montrer des images de ce qui avait été vécu, s’il devait y avoir un retour.

« Capitaine, dit soudainement Telthis à voix basse, en abordant l’intéressé, j’aimerais vous parler s’il vous plait. Dans un endroit où nous ne serons pas entendus, de préférence. »

Compréhensif, Théoden l’entraina dans sa cabine, soufflant avant d’en refermer la porte quelques instructions aux sentinelles de garde, et lui assurant ainsi qu’ils ne seraient pas dérangés, sauf en cas d’urgence bien sûr. Telthis lui fit alors part de son sentiment selon lequel ils n’étaient pas les premiers à être arrivés jusqu’ici, mais en restant vague. Mais le capitaine mordit à l’hameçon, et se servant un verre, confirma.

« Le navire que j’ai visité, dit-il. Je le connais comme étant celui de mon père. »

La conversation devint instantanément d’une grande importance aux yeux de Telthis, qui connaissait la valeur d’un père et l’attachement que pouvait lui vouer un fils. Mieux valait éviter que le capitaine boive plus que de raison précisément en ce moment. Pour faire diversion, il lui avoua avoir reconnu le Condor, navire que les elfes blancs avaient envoyé au loin durant leur exil.

« Si cela est vrai, dit Théoden, en se rendant vers son bureau pour en tirer une lettre fermée alors nous pourrions imaginer retrouver vos compagnons quelque part en ces terres, non ?
-Au vu de l’influence des démons, répondit Telthis, j’ai plutôt peur de ce que nous allons trouver. Mais il n’est pas à exclure que ces deux expéditions soient déjà arrivées jusqu’ici oui. Ces vaisseaux que nous avons vus ont beau être des illusions, les démons ne peuvent pas les avoir créés à l’identique par hasard. Ce n’est pas une coïncidence, et ils les ont forcément vus un jour, dans le monde réel si ce n’est dans notre esprit, possibilité qui poserait des questions plus graves encore. »

Si les démons avaient en effet pu à ce point pénétrer leur esprit, alors Telthis était bien placé pour savoir qu’ils étaient tous condamnés. S’ils étaient à ce point sous leur influence, c’était la fin, car les portes de leurs esprits étaient grandes ouvertes aux démons. Mais Théoden le rassura en lui disant qu’il n’avait jamais vu l’Acheron.

« Mon père, expliqua-t-il, m’abandonna en partant à son bord. C’est donc qu’il est en danger, ou qu’il a déjà sombré. Qu’en est-il de vos amis ?
-Ils sont supposés morts par les elfes, depuis qu’ils ont brutalement cessé de donner des nouvelles, dit Telthis. Nous avons tenté de leur parler à nouveau, encore et encore. Mais finalement, nous nous sommes résolus à les abandonner. Malene est formelle, car c’était sa cousine, Sildael la Radieuse, qui dirigeait l’expédition, et elle était comme une sœur pour elle : même si elle était inconsciente, elle lui aurait répondu depuis bien longtemps. »

Théoden eut soudainement une idée. Il tira son compas de sa poche et l’ouvrit, s’approchant de Telthis en examinant l’aiguille. Il sembla surpris en constatant que celle-ci tournait sans discontinuer, ne s’arrêtant sur aucun cap.

« C’est très inhabituel, expliqua-t-il. Mon compas aurait dû se figer sur le cap menant à vos camarades ou à l’Acheron. Mais quelque chose a l’air de troubler sa magie. Se pourrait-il que ce soit un effet de l’aura des démons à terre ? Si c’est le cas, je suppose que ça expliquerait pourquoi Malene ne peut pas joindre les vôtres.
-C’est possible, répondit Telthis près un temps de réflexion. Toutefois je crois que si des démons avaient perturbé les pouvoirs de Malene, elle l’aurait senti, et elle aurait envoyé des elfes aider sa cousine. Sachez que la vie de tout elfe blanc est sacrée pour elle capitaine. Si la vengeance est un concept qui ne trouve pas grâce à ses yeux, elle mettra tout en œuvre pour sauver un elfe blanc qu’elle croit en danger.
-Je crois répondit Théoden qu’il y a beaucoup de choses que nous ignorons. Dans tous les cas, il y a de l’espoir. Bien ! Si c’est tout maître Telthis, vous êtes libres de retourner à vos occupations. Je dois consigner nos récentes découvertes dans le journal de bord. »

Afin qu’il ait de quoi fournir une description détaillée du Condor dans son journal, Telthis lui évoqua l’expédition, et ses membres. Une centaine d’elfes, dans une grande arche blanche. Des mages, des marins bien sûr, des guerriers, mais aussi des érudits, et quelques paysans. Cette expédition était plus perçue comme une curiosité qu’une vraie expédition d’éclairage, à l’époque.
Il ne donna pas plus de détails, jugeant que cela n’avait que peu d’utilité pour l’instant. Mais avant de sortir, il se tourna une dernière fois vers le capitaine.

« Devons-nous en parler aux autres ? demanda-t-il. Ceux qui connaissent les démons, et les chefs d’équipage ?
-Faites leur savoir que notre voyage est maintenant doublé d’une mission de sauvetage, répondit Théoden. Nous ne repartirons pas tant que nous n’aurons pas appris le sort de vos compagnons ainsi que de l’Achéron. Prévenez Djanela, Johei et Cassandra, je me chargerai des officiers. Merci maître Telthis.
-De rien capitaine, répondit Telthis en sortant. »

---

Tard dans la nuit, Djanela était assise au pied du mât le plus grand, incapable de trouver le sommeil. Tous ses sens étaient en éveil, car elle avait été formée à traquer et combattre les démons, toute sa vie durant, et voilà qu’ils étaient plus proches qu’ils ne l’avaient jamais été. Elle n’avait en effet pas encore prêté ses vœux de chasseresse de démons quand la grande invasion démoniaque qui avait dévasté l’est des sultanats avait eu lieu. Elle n’avait donc pas eu le loisir d’aller les combattre en cette occasion. Première face aux démons donc. Et une boule au ventre qui s’accrochait fermement. Avec Cassandra et Johei, puis Telthis, elles avaient passé la journée à essayer d’expliquer aux marins qui avaient du temps libre comment combattre les démons s’ils n’avaient pas d’arme bénie. Et Cassandra de les bénir s’ils en avaient une proche d’eux.
Mais au fond, le moment du combat venu, les hommes seraient livrés à eux-mêmes. Se concentrer, être capable d’ignorer les voix qui résonneraient dans leur tête au moment où ils auraient un démon en face d’eux, ne pas céder à son rire moqueur, à ses promesses de fin des temps… Les hommes en seraient-ils capables ? Elle, Djanela, en serait-elle capable ?
La brume qui était tombée dans l’après-midi s’épaississait de plus en plus, n’arrangeant certainement pas la luminosité en cette nuit noire. Les craquements du navire, et les voix des hommes qui s’interpellaient, plus bien entendu les voix des démons qui chantaient désormais plus silencieusement, tout cela n’aidait pas à se rassurer, elle devait bien l’avouer. Elle tendit le bras, machinalement. Elle voyait encore sa main. Et distinguait des ombres qui allaient et venaient sur le pont devant elle, de temps à autre. C’était dur. Au loin, elle voyait des tâches de lumière là où il y avait des lanternes qui éclairaient vainement le pont.

Une curieuse sensation naquit soudain dans son esprit. Comme si quelque chose d’étrange était devant elle. Comme si ça l’attirait, une sorte de mystère. Elle se leva machinalement, ne pensant pas à mettre la main à sa lame. Un bruit rompit le charme. Un corps qui tombait lourdement sur le pont, puis un ricanement. Un rire sinistre dans le vent mauvais… Les marins n’avaient encore apparemment pas entendus, mais elle aurait juré entendre des rires, et des bruits, comme si des choses sortaient de l’eau… Et escaladaient la coque !
Bien réveillée cette fois, elle sortit instantanément sa lame de son fourreau, et courut. Elle avait cru repérer une cloche sur le pont central. Elle ignorait totalement son utilité, mais ça c’était un moyen sûr de faire du bruit. Elle courut dans cette direction aussi vite que possible, faisant attention à ne pas trébucher. Quelques cris retentissaient désormais à sa gauche, et ce bruit d’escalade, encore… Elle se trouva soudain nez à nez avec un être à la peau rouge et à six yeux, avec une longue langue fourchue. Il n’était pas aussi surpris qu’elle, mais l’adrénaline aida la guerrière à lui planter instinctivement sa lame bénie dans le cœur avant qu’il ne lève sa propre épée en pierre rouge, qui gémissait doucement et semblait dégouliner de sang, tandis que des reflets enflammés se manifestaient sur son tranchant. L’être qui la portait sembla s’évaporer doucement, exorcisé de ce monde. Mais il eut le temps de lui parler.

« Un siècle, misérable humaine… Ce n’est pas si long. Je reviendrai, et ton monde sera condamné. »

La cloche, enfin. Elle était juste derrière lui. Au moment où elle en saisit la corde, elle entendit des bruits de lame, des cris d’alarme cette fois, et la voix de Telthis, qui hurlait « AUX ARMES ! ». Alors elle se mit à faire retentir la cloche d’alarme, le plus fort possible.

« Réveillez-vous ! hurla-t-elle, un peu hystérique, en continuant à agiter la cloche. Pour l’amour des dieux, REVEILLEZ-VOUS ! »
Lun 3 Oct 2016 - 22:55
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Capitaine Theoden
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Capitaine Theoden
Dans la pénombre et le brouillard, il fut aisé aux démons de se glisser sur les ponts du Wench et du Blacksmith. Ils n'y trouvèrent en effet que quelques soldats en armes, patrouillant le regard sur l'horizon et les pensées ailleurs. De ce fait, en égorger une poignée fut une véritable promenade de santé. En revanche, lorsque Djanela sonna la cloche, avant de devoir se défendre contre un fantassin acharné, les complications se présentèrent pour eux.

A bord du Blacksmith, ces complications prirent la forme d'un groupe de robustes guerriers en armures complètes. Ceux là, maniant à loisir de grands espadons à l'air libre purent tailler en morceaux quelques épéistes avant que la véritable escarmouche ne s'engage. Ils n'étaient pas vifs, mais leur acier était robuste. Ce furent au final les braves hommes du nord qui s'en tirèrent le mieux. Moins nombreux que les fusiliers du Wench, ces gars là avaient donc pu tous recevoir une arme enchanté. En outre, leur caractère avait été mit trop longtemps à rude épreuve par l'aura des démons. Alors quand l'attaque fut déclarée, ils furent bien trop heureux de pouvoir se défouler ! Ils eurent non seulement moins de perte qu'à bord du Wench, mais le combat fut aussi bien plus rapidement expédié. Leur capitaine, Eve Brookes, pu également faire montre des talents qu'elle avait développé à l'Académie Navale de Kelvin en pourfendant dans le même estoc deux de ses assaillants.

Lorsque Telthis fit irruption sur le pont du Wench, une dizaine d'hommes avaient déjà trépassé. Le sang qui jaillissait encore de leurs gorges ouvertes rendirent rapidement le plancher glissant, mais il n'y prêta pas la moindre attention. Avec un Teikokujin pour compagnon, il s'était donné la charge de retenir ce qu'il y avait de démons pour permettre à la garde du vaisseau de s'assembler.
Une lame à la main, il hurla pour réveiller le reste du vaisseau. Puis on le vit se ruer vers une paire d'épéistes aux prises avec un de ses trois meilleurs élèves.
Le pauvre homme, de garde, avait pu en abattre un avant que l'Elfe ne le délivre d'un seul et unique coup de son arme.
Sur le pont étroit du Wench, il était devenu impossible de se mouvoir sans rencontrer un de ces démons ou buter sur le corps d'une de leur victime. Mais Telthis ne s'en trouva que peu gêné. Un, deux, trois, ou quatre adversaires pouvaient se lancer contre lui : le résultat était constamment le même. Plus de corps sur le pont.
Tout allait alors très vite. La trentaine de soldats démoniaques envoyés sur le 74 canons se trouvèrent amputé de la moitié de leurs effectifs par la seule présence de Telthis. Les autres firent rapidement face au Capitaine de Treville, hurlant comme un diable et chargeant tromblon aux poings. Lorsque Théoden arriva, cependant, ce fut à la tête d'une quinzaine de ses fusiliers qui se mirent en ordre de part et d'autres des passavants et firent pleuvoir sur leurs adversaires une pluie de plomb.
Partout, ces petits cordons de soldats en blanc se déployaient, s'alignaient et ouvraient le feu. Avec une rigueur peu commune, et une précision quasi surnaturelle pour des continentaux.
Comme cloués au bois du pont, les démons encore debout s'effondrèrent et disparurent presque aussitôt, soufflés par un vent crépitant.
Aussitôt après, les soldats relevèrent leurs armes et se mirent aux repos. Les lames se baissèrent et de longs soupirs purent être entendus. Beaucoup restaient interdits devant le caractère soudain de cet assaut. Choqué, même, le Major Hewlett fut le premier à se précipiter sur les corps de ses hommes. Jamais dans sa carrière il n'avait été tant prit par surprise ! Ces morts là étaient les siennes, et sa conscience lui dictera plus tard d'adresser à Théoden une lettre lui demandant de le rétrograder et de nommer un nouveau major plus compétent. Ce qui serait refusé.
Le Docteur Thackery se pressa sur le pont pour soigner ceux qui le purent, n'hésitant pas non plus à adresser un regard noir à Cassandra et aux prêtresses qui le ralentissaient dans son travail.

Au total, pas moins de trente marins perdirent la vie lors de l'attaque surprise orchestrée par les démons. Parmi eux, trois fusiliers et un seul Nordien. A bord du Smith, on expliqua la perte de cet unique homme avec toute la fierté caractérisant les Marches d'Acier. Le mort aurait été, selon les dire, doté d'une arme émoussé. De facture Oréenne, soit disant.
Les prêtresses des deux navires bénirent les morts, on fit une cérémonie brève puis on commença le nettoyage des ponts où s'étaient déroulés les combats.
On vit Telthis s'arrêter un instant devant les corps de ses élèves, puis repartir sans un mot.
Passé ce bref deuil, Théoden donna ses ordres. Devant l'efficacité surprenante des Nordiens face aux fantassins démoniaques, il fit placer le Blacksmith en tête de l'Odyssée. La garde serait constamment doublée et les armes aussi régulièrement bénites que possible.

En outre, deux jours après l'accrochage, toutes les pensées étaient encore tournées vers cet attaque soudain. Ce brouillard n'aidait pas, il était vrai. Aussi, Théoden mit à profit le plaquage poli de son vaisseau et fit suspendre de grands flambeau au bout de chaque sabord. La lumière, se réfléchissant sur la coque du Wench permettrait un minimum de visibilité supplémentaire.
Seulement voilà. L'Odyssée fit une curieuse découverte.
Pratiquée dans la façade d'une falaise l'ouverture béante d'une grotte massive retint l'œil de tous les marins passant à proximité, à tel point que Théoden dû faire stopper le convois. Cette entrée, béante, avait quelque chose d'attirant pour le Capitaine. Et bien qu'il ne su jamais dire pourquoi, tout le poussait à s'y précipiter. Le vent qui s'y engouffrait semblait pourtant hurler tout l'horreur que cachaient ces rochers. Les reliefs noirs sur les parois, les pics saillant de part et d'autre... tout cela formait le B.A.BA de ce qu'un bon Capitaine devait apprendre à éviter.
Mais Théoden se devait d'assouvir sa curiosité. D'apaiser ses instincts. Ceux là même qui l'avaient fait monter assez haut pour que même la déesse des océans aient recours à ses services.
A 14h, l'ordre fut donné. Le Blacksmith en tête, les deux vaisseaux de l'Odyssée se glisseraient dans cette faille géante dans le but de l'explorer.
Pour cela, toutes les torches disponibles furent allumées. On mit à l'eau toutes les chaloupes afin d'aider à la manœuvre l'imposant Wench et un nombre conséquent de Teikokujins seraient transférés en renfort sur la frégate Nordienne en cas de problème.

La manœuvre qui devait permettre aux deux bâtiments d'entrer dans les terres fut exécutée avec la plus grande précision par Eve et Théoden, barrant eux même leurs appareils. On pria d'ailleurs beaucoup, espérant que ce qu'ils trouveraient au bout de ce canal ne soit pas une véritable cité démoniaque ! Mais ça, pas même les dieux ne sauraient le dire...
Sam 8 Oct 2016 - 15:47
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Dargor
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Dargor
Le combat avait été plus rude que ce que le bilan n’avait laissé penser, du point de vue de Telthis. Cela faisait longtemps qu’il n’avait plus affronté de démons, et mentalement, ç’avait été une épreuve. Il pouvait voir dans les yeux de la chasseresse de démons qu’elle avait également été affectée, mais elle saurait à n’en pas douter se relever. A vrai dire, il fallait bien avouer qu’il était plutôt fier du travail effectué par les soldats qu’il avait formé, et positivement impressionné par le bilan annoncé sur l’autre navire, ou si peu d’hommes avaient reçu de vraie formation pour combattre les démons. Le ciel était toujours rouge à l’aube, et le chant s’était fait murmure, mais désormais, dans le cœur de chacun, un nouveau sentiment était né. L’espoir que ces bêtes pouvaient être vaincues, malgré leurs menaces de retour.
Le lendemain, les démons encore remuant sur le pont du navire durent être exorcisés par les prêtres et élus divins présents à bord, car ces bêtes ne mourraient jamais tant qu’on ne leur appliquait pas un exorcisme, ou qu’on ne les frappait pas d’une arme bénie. Et le Blacksmith passa devant. Telthis alla prendre du repos, lui qui n’avait pas fermé l’œil de la nuit. En allant vers sa cabine, il trouva le capitaine oréen, Henrique Rossi, qui avait brillé par son absence durant le combat. Il ne lui fit pas de remarque. Il n’était pas le seul à ne pas être venu à temps. Pratiquement la totalité du navire n’avait pas bougé ce jour-là, de toute façon…

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Les épéistes avaient échoué. Ils n’étaient pas destinés à détruire ces humains, de toute façon. Juste à leur donner un avant-goût. Mais IL avait remarqué les humains. IL savait ce qui pénétrait son territoire, et IL n’avait pas l’intention de les laisser se promener impunément dans ses terres. IL prévint celui du navire mortel de l’Achéron de préparer leur accueil dignement. Mais IL voulait ces navires. IL voulait ces humains. Alors, IL envoya de quoi être certains de les empêcher de faire demi-tour. IL ne souhaitait pas que les épéistes les aient effrayés…

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Cassandra Renrin était inquiète. L’équipage était de plus en plus agressif ces derniers temps. Ce n’était pas une simple angoisse allant de pair avec l’aura des épéistes infernaux qu’ils avaient perçus depuis la mer, il y avait deux jours de cela à présent. C’était une véritable agressivité générale. Plusieurs bagarres durent être calmées par des officiers qui eurent bien du mal à ne pas eux-mêmes en venir aux poings. Cela n’était pas normal. Pas normal du tout. Théoden semblait heureusement avoir bien vite compris que c’était à nouveau l’aura des démons qui ne leur laissait aucun répit, qui toujours, encore, inlassablement, sapait le moral de l’équipage. Après l’attaque des épéistes il y avait deux jours, Djanela avait rendu un rapport d’observation inquiétant. Plusieurs marins les avaient trouvés beaux, élégants dans leur puissance et leur monstruosité. A Ram, c’eut été assez pour les convaincre de vénérer les démons et les faire brûler sur le bucher. Ici, on choisit de leur donner une seconde chance, mais de les faire surveiller et mettre à l’écart néanmoins. Et on ne brûlerait de toute façon personne à bord, cela pas question semblait-il.
Toutefois, cela soulevait une question dans l’esprit de l’élue divine. Si de simples épéistes avaient pu faire plier l’âme de quelques marins, qu’allait-il arriver lorsque des démons plus puissants feraient leur apparition ? S’il y en avait, ce qui n’était pas dit. Elle avait toujours cet espoir. Elle alla en parler aux deux du bord qui avaient le plus de connaissances à ce sujet. Djanela et Telthis. Ils étaient fréquemment ensembles depuis l’attaque des démons. Djanela profitait des connaissances pratiques de Telthis sur les démons, qui lui écoutait le savoir théorique qui avait été enseigné à Djanela. Lorsque Cassandra lui demanda un jour si ce savoir lui était utile, Telthis sourit.

« L’ordre des guerrières dont fait partie Djanela se trompe sur de nombreuses choses concernant la magie, dit-il, qu’ils considèrent comme une arme des démons. Mais je dois leur reconnaitre une chose, c’est qu’elles ont étudié de façon presque scientifique les démons qu’elles combattent. Donnez-leur encore quelques siècles, et cet ordre pourrait bien devenir un fer de lancer des peuples mortels contre les forces démoniaques qui assiègent en permanence ce monde. »

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Djanela, pour sa part, était inquiète. Elle était désormais certaine, confrontant ses pensées théoriques à celles de Telthis, plus les ressentis des prêtres du bord, que l’on se dirigeait tout droit vers une monstruosité démoniaque bien plus grande que celles qui avaient déjà été connues. Des mesures de sécurité devaient être prises. Elle se résolut à l’aube du deuxième jour d’en faire part au capitaine Théoden.

« Au vu de l'agressivité qui règne à bord, lui dit-elle et qui n'est pas naturelle, nous ne pouvons qu'en conclure qu'il y a d'autres démons dans les environs. Et ce démon est bien plus puissant que les épéistes que nous avons affronté il y a deux jours, car les hommes ne sont pas seulement nerveux, inquiets, ils sont prêts à en venir aux poings même sans raison. Nous nous dirigeons tout droit vers ce démon, c'est la nécessité de votre mission, je peux le comprendre. Toutefois je vous demande d'accepter les mesures de prudence que je vais vous proposer. J'ai discuté avec Johei, elle serait d'accord si vous m'accordez cette faveur. Il faudrait diminuer le temps de quart des membres de l'équipage, pour créer en plus de leurs temps de repos des temps pour les marins où ils pourraient aller trouver Johei pour qu'elle les aide à faire le vide dans leur esprit. Le démon que nous allons bientôt affronter est d'une grande puissance. Comme je vous l'ai dit, les quelques épéistes que nous avons déjà affrontés ont été capables de corrompre l'âme de plusieurs marins. Imaginez ce que pourrait faire celui-ci si nous ne prenons pas au moins des mesures de sécurité élémentaires ! »

Le capitaine étudia un moment la question, l’air perplexe, puis finit par soupirer, et admit qu’il devait diviser par deux le temps des quarts. Cela en ferait huit en une journée, et lui permettrait à elle, ainsi qu’à Johei, de rencontrer les hommes pendant le temps ainsi libéré. Il lui demanda des nouvelles de son enquête. Elle lui répondit honnêtement, et lui rappela les hommes qui avaient trouvé gracieux et élégants les démons. Elle lui fit à nouveau part du fait qu’elle recommandait pour eux le bûcher, même si elle savait qu’il n’en serait rien. Elle continuait donc dans le doute à chercher s’il y en avait d’autres. Il la congédia à ce moment, lui signalant qu’elle faisait du bon travail.

Elle prit ce congé, et repartit à l’œuvre. Si elle devait un jour revenir à Ram, elle serait au moins rodée en matière de dialogues avec des gens qui avaient été en contact avec les démons, ce qui était à ses yeux une excellente chose.
Si elle revenait un jour à Ram.

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Spoiler:

Deux jours après l’attaque, Telthis fut réveillé alors qu’il prenait un temps de repos par une nouvelle des plus alarmantes selon lui. Alors qu’il dormait, les deux navires avaient pénétré une passe inquiétante, Blacksmith en tête. Des falaises se dressaient autour des deux navires, falaises dans lequel le vent gémissait, ajoutant aux murmures désormais tout aussi puissants que la première fois des démons. Et l’agressivité des marins étaient à son comble. Mais plus intéressant encore, un navire, coincé derrière un méandre, échoué sur une plage de galets noirs, la proue collée contre une falaise, bloquait le chemin. Une barque avait été envoyée l’explorer, car le charnier d’épaves s’arrêtait à l’entrée du méandre. Les marins avaient fait demi-tour avant de l’atteindre, provoquant presque une bagarre dans leur chaloupe. Mais ce qui les avait inquiétés, c’était que ce navire, selon eux, était étrange au regard. Comme si leurs yeux eux-mêmes n’avaient pas envie de se poser dessus. Ils avaient cependant pu lire le nom du navire.
L’Achéron. Et le capitaine Théoden, bien sûr, souhaitait s’y rendre. Il le fearit en sa compagnie, et c’est pour cela qu’on avait éveillé Telthis, qui se prépara aussi vite que possible. Il mit une armure, prit un bouclier et sa fidèle épée, bénie et enchantée par Malene elle-même, et après avoir envoyé un salut silencieux à sa Dame, loin de là, il descendit dans la chaloupe, avec le gros des fusiliers qu’il avait formé à Teikoku, plus ceux qu’il n’avait pas pu former, les samouraïs teikokujins, et Cassandra Renrin elle-même. Tout ce beau monde se mit en route vers ce qui ressemblait plus ou moins à une mort certaine. Les hommes étaient nerveux, et le capitaine Théoden également, ce que pouvait toutefois comprendre Telthis, même s’il désapprouvait cet empressement.
Derrière eux, Blacksmith et Wench se préparaient à subir une véritable guerre.

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IL sourit au loin. IL les voyait. IL voyait toute la scène. Les deux navires allaient bien subir la guerre qu’ils attendaient. Mais elle ne viendrait pas de la mer. IL divisa la pierre qu’IL utilisait en deux. IL voulait voir l’expédition qui irait à la rencontre de l’un de SES lieutenants … Et de SON navire. Mais IL voulait également voir le désespoir des humains lorsque ceux qu’ils appelleraient bientôt les grotesques s’abattraient sur eux. Oui, IL voulait voir les deux combats.

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Dérangeant, l’Achéron l’était certainement. La partie qui était visible depuis les navires était encore humaine, mais le reste du navire avait changé. Son bois avait pris la texture de la chair, et une étrange couleur bleue… Comme une sorte de gangrène qui le dévorerait. Telthis, débarqué sur les galets, toucha cette peau de la pointe de sa lame. Du pus s’en échappa, ainsi qu’une fumée malodorante. Un frémissement parcourut le navire, et un petit sifflement s’éleva. Comme s’il gémissait de cette blessure qui l’affectait.
Sur la partie boisée, les hommes avaient jeté des échelles de corde, qu’on utiliserait pour monter. Telthis fit autant que cela était possible le tour du navire, mais il ne s’éloigna pas du groupe. Toutefois, la proue du navire le fit reculer instinctivement. Elle était ouverte, des dents en scie jaillissaient des deux côtés de l’ouverture, et remuait, laissant passer une terrible langue. Le navire était en train d’être transformé en démon. Il courut rejoindre Théoden. Il savait que rien ni personne ne l’empêcherait de monter à bord de ce navire, mais essaya tout de même.

« Je ne recommande pas de continuer, capitaine, dit-il.
-Il n’est pas question de renoncer, répondit Théoden, catégorique. »

Prévisible, toutefois, il devait être averti de ce qui allait arriver.

« Soit. En ce cas écoutez-moi. Le navire que nous avons devant nous a en grande partie était changé en arche démoniaque. Lorsque nous monterons à bord, n’essayez pas de chercher où peuvent être les marins, mais cherchez d’abord d’où sortiront les démons. Car ils seront au rendez-vous, n’en doutez pas.
-Nous devons fouiller la capitaine du capitaine, pour savoir ce qui leur est arrivé, dit Théoden, en acquiesçant. »

Telthis était heureux de le savoir prudent, mais n’aimait tout de même pas monter là-haut. Le groupe se divisa en deux. Théoden, les fusiliers de Teikoku, et lui-même montèrent, tandis que les fusiliers communs, les samouraïs et Cassandra Renrin restèrent au sol. Une fois sur le pont, quelque chose sauta aux yeux de Telthis. Si la proue était effectivement gangrenée, corrompue à tel point qu’aucun fusilier n’eut la mauvaise de s’aventurer dans cette partie du navire, un rocher étrange se trouvait posée à son extrémité. Il était comme une sorte de silhouette monstrueuse recroquevillée sur elle-même. Un démon peut-être ? Mais cette idée le quitta aussitôt. Ce n’était qu’un rocher. Il avait du mal à le regarder… Un camouflage démoniaque… Non ce n’était qu’un rocher. Mais d’un autre côté…
Cette hésitation lui fit prendre conscience que le démon qu’ils approchaient était tout prêt. C’était sans doute le rocher, mais son esprit se refusait à l’accepter, à cause du camouflage qu’utilisait le démon. De sorte que, comme tous ceux qui avaient compris la même chose que lui, il ne put pas en parler.

Théoden déploya ses hommes en carré,  et ordonna à ceux restés à terre de faire de même. Il tira sa lame. Des bruits de pas lourds raisonnaient dans les ponts inférieurs, tandis que des craquements inquiétants suggéraient une présence dans les mâts, qui pourtant étaient vides.
Les pas se mirent soudain à monter aux échelles menant sur le pont. Ils sortirent d’une trappe prise dans les chairs polluées qui sembla exploser dans un nuage de pus, provoquant un terrible gémissement du côté du navire. Un homme en sortit. Il ressemblait à Théoden. Mais il était muté. Ses vêtements étaient déchirés, et laissaient voir que tout son côté gauche avait acquis cette peau gangrenée mais vivante qui recouvrait le navire. Une bouche pleine de dents se trouvait à l’emplacement de son cœur, et s’ouvrait et se refermait en boucle, provoquant un claquement de dents rapide. Aucune langue n’en sortait, mais lorsqu’elle était ouverte, on pouvait voir le cœur battant de l’homme à travers l’ouverture. Son bras gauche était devenu énorme, disproportionné par rapport au reste de son corps. Et une colonne de trois yeux félins ornait sa face gauche, tandis qu’une sorte de corne partait de son front.

« Bienvenue à bord, messieurs, dit-il. »

Sa voix était celle de plusieurs personnes à la fois.

« J’espère que vous apprécierez mon hospitalité. »

Les bruits de pas lourds se firent plus proches, et soudain un monstre en sortit, qui fit reculer toute l’assistance d’un pas. C’était un tas de chair informe et inidentifiable, qui gémissait dans une langue inconnue. Un autre sortit derrière lui, puis un autre, et encore un autre, puis le défilé commença. Ces bêtes se mouvaient de façon plutôt instable, mais semblaient disciplinées, puisque restant derrière l’homme mutant.

[PV Théoden]Odyssée en terre lointaine ChaosSpawn2

Telthis eut une grimace de dégoût. Il connaissait ces monstres. Il savait ce que c’était. Des humains, qui avaient muté, puis muté encore, et encore, et encore, dont l’esprit avait été aussi tordu que le corps, et qui n’étaient désormais plus que des bêtes sans vraie conscience, vivant en partie dans le monde des mortels et en partie dans les enfers, voyant les deux mondes à la fois, et interagissant avec les deux à la fois. Djanela les avait qualifiés d’Abominations. C’était un bon terme, il l’approuvait. Il en avait déjà combattu. Et il n’y avait rien de pire que de savoir que c’était parfois un ami qui se cachait sous cette apparence.
Théoden, tout à fait horrifié, abaissa son arme, tandis que les fusils se dressèrent.

« Qui êtes-vous ? demanda-t-il, d’une voix fébrile. »

« Je suis, répondit l’homme, le capitaine Nathan James de l’Achéron, commandant de la première flotte du Prince Sans Nom. Flotte à présent car j’ai vu que vous aviez deux beaux navires. Pouvons-nous parler de mon prince ? Je suis certain que vous l’intéresserez, et qu’il vous intéressera. »

Comprenant qu’il avait affaire à son père, Telthis se dirigea vers Théoden et le prit par l’épaule, murmurant à son oreille.

« Capitaine, cet homme est soumis aux démons, et je crains que les Abominations qui sortent de derrière lui ne soient des membres de l’équipage de l’Achéron, ou du moins ce qu’ils sont devenus. Un combat va bientôt avoir lieu ici… Et j’ai peur que nous ne soyons pas seuls. »

Théoden ne lui répondit pas, mais à ces mots, serra le poing sur sa lame, et se tint prêt à bondir.

« Qui est ce Prince Sans Nom ? demanda-t-il.
-Le Prince Sans Nom est celui qui dirige cette partie du monde, répondit Nathan James. Nous avons pu parler avec lui. Dani Rinma a pu parler avec lui, car il a posé sur elle ses yeux et en a fait sa messagère, qu’elle soit bénite, car elle nous a amenés à lui. C’est un être d’une grande puissance, de ceux que l’on aspire à suivre.
-Le Prince Sans Nom, dit une puissante et sifflante à la voix, qui s’éleva du rocher étrange, est un prince des démons. Son nom, vous ne pourrez le prononcer, mortels. Il détruirait votre esprit tant la puissance qu’il recelle est immense. »

Le rochet commença alors à se mouvoir. C’est une pince, puis une autre, puis des bras qui en sortirent, puis une tête, dévoilant un démon immense.

« Mais je vois ici un elfe blanc… dit-il. Salutations, guerrier Telthis, il y a trop longtemps que tu n’as plus rencontré les miens. N’avions-nous pas juré de dévorer ton âme et celle de Malene ? Capitaine, l’âme de ces mortels nourrira le Prince Sans Nom. Tuez-les tous. »

---

IL sourit en voyant l’ordre de SON lieutenant. A ces mots, les Abominations chargèrent. Une première salve les accueillit. Les mortels avaient prévu une belle organisation. Mais ils n’avaient pas prévu que les balles n’arrêteraient pas la charge des abominations, qui renversèrent la première ligne comme des quilles. Alors ce fut le chaos. IL apprécia le spectacle.

---

Après le premier rang, le deuxième aurait dû tirer pendant qu’il rechargeait. C’était la théorie. Mais cela ne s’était pas passé ainsi. Telthis luttait au corps à corps. Il ignorait ce qu’était devenu le capitaine après que la ligne se soit disloquée. Les fusiliers avaient sorti leurs baïonnettes bien vite, et les officiers leurs sabres, car les balles n’avaient pas arrêté les Abominations.

« Ce ne sont pas des démons ! cria Telthis. Les armes non bénies peuvent les tuer ! »

Leurs organes vitaux étaient cependant une épreuve à toucher, car les mouvements aléatoires de ces créatures créaient des failles puis les refermaient vite, jamais les mêmes. Jamais au même rythme. Impossible donc se trouver une vraie faille d’escrime. Qui plus était, quand on en trouvait une, rien n’indiquait de façon certaine que l’on touchait un point vital. Et leur crever les yeux ne servait à rien, car ils ne se servaient pas de la vue pour attaquer, bougeant aléatoirement.
A vrai dire, ils ne tuaient pas beaucoup. Des os brisés, c’était presque ce qu’ils faisaient. Quand ils tuaient, c’était par hasard, en propulsant un fusilier au loin, et en lui brisant les os. Ou alors en piétinant un de ceux qui étaient tombés, ce qui était le sort qui avait été réservé à presque toute la première ligne.
Au fond cependant, Telthis savait que des baïonnettes ne suffiraient pas. Il fallait des sabres pour trancher la chair, et les officiers n’étaient pas assez nombreux. Heureusement, à cet instant, les samouraïs, qui avaient entendu le combat, montèrent, et leurs katanas étaient bien plus efficace. Les abominations continuaient à sortir des cales. Le combat serait long et fatiguant, de nombreux os seraient brisés. Mais il pouvait être gagné. Telthis dût soudain éviter un cordage qui tombait.
Il observa.
Plus haut, dans la mature, les deux capitaines se livraient un duel féroce. Et ce qu’ils tranchaient retombait sur le pont, faisant gémir le navire.  Cassandra Renrin était debout sur un phénix de feu qu’elle avait invoqué, contemplant la bataille. Elle n’attaquait pas les Abominations, le risque était trop grande brûler des amis. Mais elle put attaquer le démon plus grand, celui qui avait déclenché le combat.
Celui-là, jugea Telthis, serait un problème bien plus grand. Comme pour illustrer cette pensée, en dépit des flammes de l’élues, il souleva un fusilier d’une main, et l’homme paraissait minuscule dans cet être aussi grand qu’un géant. Il le dévora vivant. Une de ses pinces jaillit et trancha un samouraï en deux. Oui, celui-ci serait un problème bien plus important.

---

Des rumeurs de combat parvenaient au Blacksmith et au Wench, resté en arrière, qui avaient pu entendre la voix du démon. Djanela n’aimait pas cela. Une discussion s’était déjà engagée pour savoir si l’on devait venir à leur secours à bord du Wench entre les principaux officiers. Soudain, des cris d’alarmes retentirent sur le Blacksmith. Tous se tournèrent vers lui. Ce fut Henrique Rossi, parqué à l’arrière de la dunette, qui envoya soudain sa femme, qui était à son poste habituel, dans leur cabine. Il désignait le ciel du doigt. Djanela observa le point qu’il montrait ainsi. Et à cet endroit, le ciel se noircissait d’ailes qui fondaient sur les deux navires.
Tous ceux qui avaient une arme de tir se jetèrent dessus ! Au bord du Wench comme du Blacksmith, les hommes étaient sur le pied de guerre. Ceux qui avaient une arme de mêlée la sortirent, pour se rassurer autant que pour se préparer au combat. Les premiers corps tombèrent bien vite du ciel, sur le Blacksmith d’abord, puis sur le Wench. Ils tombèrent immobiles sur le pont. Djanela savait qu’il n’en était rien, qu’il faudrait les exorciser pour les faire disparaitre. Mais les balles semblaient les affecter ceux-là. Jusqu’à ce qu’Henrique Rossi remarque.

« Mais… Ils n’ont pas d’ailes ceux-là ! »

A ce cri, un rire gras et moqueur s’éleva des corps tombés, qui se relevèrent. Certains prirent le temps de vérifier. En effet, les démons volant tenaient leurs serres des congénères. Quand ils se faisaient abattre dans le ciel, ou qu’ils les laissaient tomber, les bêtes atterrissaient sur le navire. Le choc aurait dû les aplatir, même pour des démons, mais après tout, ces bêtes étaient-elles soumises à la nature ?
Puis Djanela comprit. Ces démons-là étaient bien différents de ce qu’ils avaient affronté la première fois.
Il s’agissait d’humanoïdes à la peau blême, d’un vert moisi ou d’un jaune douteux, selon les cas, couverts de croûtes et d’escarres, de plaies béantes qui laissaient entrevoir des organes rongés par la vermine. Des cicatrices suintantes et des boursouflures purulentes parsemaient leurs membres. Leur ventre était gonflé, leur respiration difficile et un long filet de liquide jaunâtre s’échappait de leur œil unique, comme de tous leurs orifices. Tout en eux n’était que pourriture et déchéance, des nuages de mouches formaient un tourbillon noirâtre autour d’eux, tandis que des asticots dévoraient leur chair. Les lames qu’ils portaient étaient corrodées et une ignoble vase en suintait.
Un marin courageux se jeta sur le plus proche. Il lui planta sa lame dans l’épaule et la retira, puis la planta dans la jambe, puis dans le torse. Les chairs pourries s’ouvrirent sans problèmes. Mais Djanela savait ce qui allait se passer. Les Grotesques, ainsi étaient appelés ces démons par ses sœurs. Aussi vite que le marin les avait creusées, ces blessures se refermèrent. Puis le Grotesque leva son épée, en riant. Le marin para quelques coups, mais sa garde finit par être légèrement traversée, ce qui fut suffisant. Ses chairs se mirent à pourrir au contact de la lame, et tentant vainement de sa main de chasser la pestilence qui se développait déjà, le marin recula. Alors, le Grotesque vomit. Il lui vomit littéralement dessus. Et le marin se mit à hurler, tandis que ses chairs se dissolvaient sous cet abominable acide.
Ce duel, tandis que les Grotesques se relevaient, avaient été observé par tout le monde à bord. Si certains n’avaient pas toujours compris qu’ils affrontaient des démons, alors à n’en pas douter, ils en étaient désormais pleinement conscients.

Le combat commença alors. Mais pouvait-il vraiment être gagné contre ces êtres que rien ne semblait affecter, tandis que le moindre de leurs coups faisait pourrir les chairs ? Djanela, tout en escrimant et en évitant jets de bile et coups d’épée, se remémora ce qui permettait de vaincre ces Grotesques. Le feu les empêchait de se régénérer. Mais à bord du navire ? Sans déclencher un incendie ? Une seule personne leur permettrait de défaire ce flot de grotesques qui tombaient du ciel, tandis que les démons volant qui n’étaient pas abattus s’éloignaient. Mais cette personne était partie pour l’Achéron.
Sinon, elle pouvait toujours garder espoir dans les lames bénies, qui semblait les affecter plus que les lames communes. Cependant, si sa lame avait été préparée pendant des lunes par de nombreuses prêtresses, les enchantements faits à la chaine par les prêtresses d’Ariel du bord ne permettait semblait-il que de ralentir la régénération.

« Cassandra Renrin, élue de Lothÿe, songea-t-elle, venez-nous en aide ! »

---

La bête montait derrière Telthis. L’elfe avait réussi à attirer son attention en l’insultant, et en faisant référence aux nombreux démons qu’il avait lui-même renvoyés dans les Abysses. Le démon n’avait pas eu l’air insulté, mais avait accepté ce défi en riant, et en lui promettant la mort. Telthis cherchait avant tout à l’éloigner des fusiliers et samouraïs, qui peinaient à abattre les Abominations, même s’ils avaient fini par comprendre, au prix de nombreux os brisés et braves hommes piétinés à mort, comment éviter leurs coups.
Telthis avait pour ce faire remarqué qu’un escalier avait été taillé dans la roche le long de la falaise. Il le gravissait à reculons, le démon montant derrière lui. Il s’escrimait avec une pince géante qui cherchait à le saisir pour le broyer. Il avait dû traverser la partie infectée du navire, et au contact de ses chausses d’elfes, le navire avait rué, et des bras avaient jailli de sa partie infectée, bras qui se terminaient par des pattes palmées. Cassandra avait alors compris qu’achevé, cette bête pourrait nager. Mais elle ferait part de cette découverte plus tard. De plus, cela n’avait pas aidé les humains, dont beaucoup étaient tombés sous les secousses, tandis que les Abominations n’avaient semblées que peu affectées.
Toujours était-il que Cassandra bombardait de ses flammes le démon, mais il ne semblait pas affecté. C’était rageant. Elle avait tenté de s’approcher pour tenter un exorcisme, mais elle avait bien failli finir broyée par une pince. Et là, elle était trop loin pour que sa magie divine fonctionne. Pas sans connaitre le vrai nom du démon, et elle n’avait aucun moyen de le connaitre. Telthis était désormais au sommet de la falaise, et elle continuait à l’aider, bombardant le démon, même si cela était inutile. L’elfe dansait littéralement autour de la bête, qui l’avait désormais rejoint sur le plateau, morne plaine de pierres noires. Il cherchait à saisir l’elfe de ses deux bras et deux pinces, pour le dévorer ou le broyer, à n’en pas douter. Agile, ce dernier parvenait à éviter ses coups, mais pas à en porter. Cassandra Renrin gardait l’espoir de réussir à distraire assez le démon avec ses flammes pour…
Pour quoi ? Quand bien même, les points vitaux étaient plus hauts que ce que Telthis pourrait jamais atteindre. Il y avait tout simplement un problème de taille. C’est à cet instant qu’elle passa derrière le démon, qui désormais suivait Telthis en direction du bout de la falaise, vers la passe, là où ils avaient laissé les navires. A cet instant, elle remarqua le vol de démons qui les encerclaient. Ceux-là, massés, seraient une bonne cible pour ses flammes. Et à n’en pas douter, ils auraient besoin d’elle là-bas.

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Henrique Rossi tenait son épée sur son côté. Il n’était pas blessé, ni malade, et s’estimait heureux, même s’il n’avait pu abattre aucun démon. Il s’était un peu replié pour souffler, car ce combat était intense. Il fallait en permanence se défendre, en permanence éviter les jets de vomis… Presque personne n’arrivait à placer un coup, et quand ils y arrivaient, les chairs se refermaient aussi vite qu’elles avaient été tranchées. De sorte que les Grotesques, comme les appelait la chasseresse de démons de Ram, avaient pu s’établir sur le pont. Elle avait averti que le feu permettait de les blesser, et était parvenue à organiser un groupe d’hommes, de l’autre côté du navire par rapport à lui, en duos. L’un d’eux s’escrimait avec le démon, l’autre attendait une ouverture pour tenter le brûler avec une torche. Mais l’entreprise était compliquée, et si quelques démons avaient pu être brûlés, globalement les progrès étaient pour ainsi dire nuls.
Johei, la magicienne teikokujin, rencontrait de son côté un certain succès en utilisant de la magie blanche pour tenter d’améliorer la vitesse des soldats pour leur permettre de mieux esquiver les coups. Elle aurait pu utiliser ses pouvoirs pour invoquer des flammes, mais craignait de mettre le feu au navire.
Lui, de son côté, avait déjà tenu une épée et son voisin une torche. Ils avaient essayé, mais un jet de vomis avait dissous le marin à côté de lui. Il avait récupéré sa torche et avait reculé, pour reprendre son souffle. Un officier s’était rangé à sa place, Mr Treville. Il le rejoignit et commença à manipuler la torche. A eux deux, ils parvinrent à brûler Grotesque d’en face.

« Mais… Que font-ils ? demanda alors Henrique en montrant les démons qui s’attaquaient aux trappes menant aux ponts inférieurs. »

La réponse lui apparut bien vite quand les bêtes vomirent sur les joints qui fermaient lesdites trappes, les dissolvant lentement, mais sûrement, et leur permettant descendre dans les ponts inférieurs. C’est ce qu’ils firent, pour moitié d’entre eux, tandis que les autres continuaient à se battre sur le pont. A cet instant un cri retentit.

« CHAUD DEVANT ! »

C’était Cassandra Renrin. Elle n’avait pas les scrupules de Johei car elle maitrisait les flammes comme personne d’autre au monde. Le pont fut vite nettoyé. Et elle partit pour le Blacksmith. Mais ils étaient encore nombreux dans les ponts inférieurs… Et là ils pourraient aller partout. Y compris dans la cabine où Fiora s’était réfugiée, réalisa avec horreur Henrique. Sans plus y réfléchir, il descendit à leur suite, torche dans une main, épée dans l’autre. Treville le suivit.
Les combats dans les coursives étaient plus compliqués, car il était difficile de s’y battre à deux de fronts en évitant le vomi des démons. Voilà pourquoi il devait avancer prudemment, condamné à voir les démons devant lui ouvrir les portes les unes après les autres. Quand ils pénétraient dans une cabine, si des malheureux s’y trouvaient, ils les attaquaient immédiatement. Heureusement, le fait d’éviter leurs attaques ainsi que leur vomi avait très vite circulé à bord, aussi les pertes furent-elles bien moins importantes qu’elles n’auraient pu l’être. Mais tout de même, la progression des humains était lente, car les démons ne laissaient jamais guère qu’un seul d’entre eux pour nettoyer une pièce. Ce dernier brûlait vite, car Henrique et les autres marins l’attaquaient par derrière tandis que ceux de la pièce créaient une diversion sans même le vouloir.
Henrique était inquiet pour sa femme, mais heureusement pour elle, les démons semblaient ne pas vouloir se diriger vers la zone où ils avaient leur cabine. Ce fut Treville qui réalisa, alarmant toute la conne de marins armés de lames ou de torches derrière lui.

« Ils vont vers la cambuse ! »

C’était donc pour cela qu’ils fouillaient tout le navire sur leur passage. Les humains essayèrent bien d’accélérer la cadence, mais ils arrivèrent légèrement trop tard. Cinq grotesques avaient pénétré la cambuse, et vomissaient avec ardeur sur tout ce qu’ils y trouvaient. Ils finirent brûlés. Mais Treville rageait. Il ne pouvait accuser personne, et le savait, car tous ici avaient fait leur devoir au mieux. Mais il dût l’avouer à Henrique.

« Nous avons sans doute perdu des lunes entières de vivres… J’espère que ceux du Blacksmith se seront mieux débrouillés que nous pour protéger les leurs, ou la famine pourrait nous guetter. La famine… Ou pire. Qui sait les de maladies que ces bêtes et leurs mouches ont amenées avec eux… »

---

IL avait compris que cet homme n’était pas un des meneurs. Mais IL était intrigué de savoir pourquoi cet homme avait été le premier à suivre SES Grotesques dans la cale. IL le suivit du regard. IL éclata d’un rire tonitruant lorsque l’homme ouvrit en grand la porte d’une cabine, bondissant à l’intérieur, et que la femelle avec laquelle il passait son temps, cachée contre le mur de la cabine, l’assomma par réflexe avec un pot qu’elle avait tenue, prête à agir si un démon forçait la porte de sa cabine. IL rit de cette ironie. Surtout qu’elle n’aurait jamais pu se débarrasser d’un Grotesque ainsi.

---

[PV Théoden]Odyssée en terre lointaine X38e

Djanela, épuisée, s’était laissée tomber contre le bastingage, et observait le ciel désormais vide. Ce combat l’avait vidée de ses forces. Elle avait besoin de prendre quelques minutes avant de commencer à aider à compter les morts.

« En haut de la falaise ! cria quelqu’un. »

En effet, en haut de la falaise, quand elle leva les yeux, ne trouvaient pas des démons, ou plutôt si, mais il n’y en avait qu’un seul. Un monstre gigantesque.

« Il est majestueux ! renchérit un marin. »

Djanela nota son visage. Il faudrait le mettre aux fers, car sa volonté cédait. Mais à sa décharge, il y avait bien quelqu’un de majestueux. L’elfe Telthis, qui au bord de la falaise, dansait autour du démon, qui semblait s’énerver de plus en plus. L’elfe, lui, suivait un rythme tranquille, tout en confiance. Puis il atteignit le rebord. Derrière lui, le vide. Devant lui, le démon qui avançait. Il recula d’un pas, de sorte que ses pieds soient à moitié au-dessus du vide.

« Il va tomber ! cria quelqu’un »

De fait, Telthis sembla déséquilibre, et dût battre des bras pour retrouver son équilibre. Son bouclier tomba au pied de la falaise, mais il parvint à garder son épée. Le démon sentit cette opportunité et bondit. Alors, à cet instant, Telthis s’écarta d’un pas gracieux et tout à fait maitre de lui-même, et le démon, emporté par son élan, chuta du haut de la falaise. Il tomba dans la mer, tout proche des navires, les secouant par l’onde de choc qu’il créa ainsi. Il se releva, car il avait pied. Il commença à marcher vers les navires.

« Canonniers à vos pièces ! dit un officier »

Ce ne fut pas nécessaire. Telthis avait saisi sa lame et bondit du haut de la falaise sur le crâne du démon. Il parvint à s’y équilibre, et à trancher une corne de la bête ! Le démon sentit alors sa présence, et tenta de passer les bras sur son crâne pour attraper l’elfe insolent. Mais ce dernier enfonça son épée dans la tête du démon.

« Retourne des abysses d’où tu viens ! rugit-il, et tous purent l’entendre. »

Le démon le maudit, tandis qu’il s’évaporait, promettant un retour dans un siècle, il fit une allusion immonde à Malene et à ce qu’elle subirait, Mais Telthis resta de marbre, jusqu’à ce qu’il ne repose plus que sur du vide, et achève sa chute dans la mer. Il parvint à rejoindre la falaise avant que son armure ne le fasse couler, et d’un geste, il fallait bien l’avouer, fatigué, il leva son épée en signe de victoire.
Bien que la situation ne soit pas à la joie partout, les marins trouvèrent du réconfort dans cette vision, et l’acclamèrent.

---

Après avoir nettoyé le pont du Blacksmith, Cassandra retourna vers les fusiliers et les samouraïs, sur l’Achéron. Elle avait trouvé de la confiance en réussissant à nettoyer les ponts des autres navires, elle pourrait aider sur l’Achéron. Elle ne s’y était avant cela pas sentie capable de le faire, car craignant de brûler les humains ; sur le Wench et le Blacksmith, elle avait été mise en confiance par les semblants de lignes de batailles formées. Cette confiance acquise, elle pu aider à nettoyer les dernières Abominations qui étaient debout.
Celles-ci, contrairement aux grotesques qui brûlaient sur le pont des deux autres navires, n’eurent pas besoin d’exorcisme pour mourir. Elle se posa parmi les fusiliers et samouraïs debout, qui nombraient leurs morts et leurs blessés, et demanda simplement.

« Où est le capitaine ? »

---

IL sourit. Cette défaite avait été très instructive. IL avait l’éternité devant lui, IL le savait, mais IL convoitait désormais sérieusement ces navires. Les mortels qui avaient combattu à leur bord étaient valeureux. IL les voulait pour le servir. Dani Rinma la mortelle mènerait la guerre contre eux en SON nom.
Dim 9 Oct 2016 - 23:46
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Capitaine Theoden
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Capitaine Theoden
Sur le pont de l'Acheron, chaque homme du Wench capable de se battre vendait chèrement sa peau. Beaucoup furent renversés, certes, mais ceux qui ne le furent pas au début du combat eurent tôt fait de les relever. Enhardis par une longue carrière et l'entraînement de Telthis, certains parvenaient à éviter ces grotesques créatures. Ce faisant, ils se traçaient un chemin hors de la mêlée et pouvait recharger plus librement leurs mousquets.

A cause de leurs armes à feu, les mousquetaires se trouvèrent vite prit dans une véritable purée de poix. Pas un souffle de vent ne faisaient circuler les panaches de fumée crachés par leurs canons, ce qui fit rapidement tomber un brouillard crépitant et amer sur les combattants.
A terre, en contrebas, l'ordre fut vite donné d'embarquer à bord de l'Acheron, afin de prêter main forte au carré mené par Théoden. Des cordages supplémentaires furent jetés le long du flanc du vaisseau échoué et des colonnes de fusiliers commencèrent à grimper contre la coque, se jetant aussitôt dans la mêlée une fois arrivée et leurs mousquets déchargés.
Mais la situation sembla bien plus grave qu'aux premiers abords pour les officiers de la seconde section. Le carré formé par les mousquetaires avait été transformé une grande ligne, barrant au mieux le pont afin d'éviter les attaques dans le dos. Difficile de constituer une formation convenable ! Mais quelques hommes en retraits avaient pris l'initiative de se retrancher derrière les débris d'une vergue tombée à la proue. Ils tiraient continuellement, espérant abattre autant que possible ces monstres avant de se trouver à court de munitions.
Mais qui dirigeait ces hommes ? Personne. Ou plutôt, plus grand monde. Il y avait toujours quelques sergents bien sûr, mais Telthis avait été entraîné plus loin par son combat contre ce qui semblait être la mère de ces créatures. Théoden, pour sa part... eh bien il avait disparut dans le chaos. Plus tard, des soldats diront l'avoir vu saisir son mousquet, s'emparer d'un cordage et tirer dessus, pour s'envoler dans la mâture et éviter l'avancée inexorable des grotesques face à ses hommes. D'autres diront qu'il était en vérité aux prises avec un de ceux qui ressemblait le plus à un véritable marin. Mais tous diront avoir assistés à un échange de supplications déséspérés. L'échange avait été surtout unilatéral. Théoden refusa d'abord de lever son arme contre son propre père. Il fut très très vite à court d'options ! A force d'acharnement, et de moqueries, le Capitaine James avait finit par blesser son fils qui fut résolu à contre attaquer.
Mais le pont était devenu un véritable enfer. Et leur duel prenait de plus en plus d'espaces, à force d'assauts, d'esquives et de larges coupes. Alors tous deux finirent naturellement par enjamber le bastingage pour se trouver en équilibre sur le mât d'artimon, renversé et appuyé contre cette même falaise où Telthis se trouvait également.

C'est effectivement dans ces hauteurs que père et fils se livrèrent à un combat acharné. Il était vite devenu difficile de suivre leurs deux lames. En équilibre au dessus du vide, tous deux devaient alors frapper en tenant compte de leur équilibre.
Il était de plus en plus difficile de lutter, comme la mâture de l'Acheron tombait en morceaux. Plus d'une fois, le déséquilibre sauva chacun des deux combattant autant que sa propre défense. Il fallait dire qu'il montait de plus en plus haut. Du mât d'artimon, qu'ils avaient traversée de part en part, il finirent par devoir se jeter sur le grand hunier. De fait, Théoden venait de trancher un cordage pourrit, ce qui fit basculer l'épais morceau de bois sur le pont, frappant le bastingage avec violence !
Curieusement, son père ne sembla pas s'en incommoder, se jetant au même moment que son fils sur un haubans pour échapper à la chute. Le mât tout entier se défaussa alors soudainement et glissa contre la roche, faisant trembler le sol autant que la surface de l'eau. Dans sa chute, l'ouvrage entraîna une partie plus grande encore de l'accastillage de l'Acheron, provoquant plus encore de chaos en bas. Et un véritable raz de marée !
Dans un véritable bal de cordages et de vergues, Théoden dû se balancer de son mieux. Il y mit tous ses efforts, afin d'atteindre une vergue non loin, sur laquelle il pu sauter, avant qu'elle ne lâche à son tour. L'exercice n'était pas simple ! Mais le Capitaine s'y prêta avec habilité, grimpant toujours plus haut sur le dernier mât debout. Le grand mât.
Il y fut rejoint par son père, qui semblait impossible à semer. A nouveau, on entendit des lames hurler, et deux hommes s'affronter sans relâches, acculés de toutes parts par le vide.

En contrebas, là où les soldats luttaient à la baïonnette pour leur survie, la fureur des combats s'éteignait doucement. Sous un déluge de plomb fondu et d'acier.
Les Grotesques tombaient à présent les uns après les autres, criblés de coups.
Il arriva justement un évènement tout à fait surprenant, alors que le pont s'éclaircissait peu à peu. Sous les impulsions d'un Lieutenant sans doute trop empressé, un peloton de Mousquetaires chargea un de ces monstre informe. A six contre un, et à grand renforts de coups d'épaules, ils parvinrent à le mettre sur le cul. Comme à l'entraînement ! Enfin...pour peu que cette créature ait véritablement un cul. Après quoi ils frappèrent, encore et encore jusqu'à ce qu'elle ouvre d'elle même la faille qui aurait raison d'elle.
A raison d'un Mousquetaire pour quatre Fusiliers morts, le régiment du Wench s'était admirablement défendu. A la fin de la journée, au bout d'un mât improvisé, on pouvait voir flotter fièrement les couleurs de l'Odyssée. Il n'y eut certes pas de hourras, mais le soulagement fut palpable, parmi ceux qui n'avaient pas été corrompus par les démons.

Tout le monde abaissa ses armes, une fois le dernier Grotesque figé dans son agonie. Du Wench comme du Blacksmith, on n'entendait plus le moindre signe de lutte. Tout un silence se fit, lourd. Tous avaient été choqués par la violence de ce combat, soudain. Et l'étrangeté de ces adversaires ! Mais la victoire de Telthis, ainsi que la bienveillante présence de Cassandra dans les cieux firent beaucoup pour le moral des hommes qui la surnommèrent avec autant de bienveillance que de gratitude "le Soleil". Car elle avait su apporter de la lumière jusque dans cet endroit sordide, où toutes les autres lampes s'étaient éteintes.

Après le soulagement : la stupeur. La surprise d'entendre, alors que le calme se faisait, le tintement de deux armes qui se heurtaient, encore et encore. La grotte fut vite emplie des sifflements de ces deux lames. Celles de Théoden et de son père.
A présent juchés au sommet du Grand Perroquet, en équilibre au bout d'un mât de plus en plus instable, ces deux là échangeaient avec hargne estocs et taille. Sans discontinuer.
Théoden avait beau user de la bague dont Belaner lui avait fait don, il ne parvenait pas à percer la prodigieuse garde de son père. Ou lorsqu'il y parvenait, c'était pour se précipiter dans un piège, et manquer de se faire empaler vif sur six pouces d'acier infectés par le temps et l'influence des démons.
Tous deux restaient donc à égalité, se repoussant sans cesse au dessus du vide.
Il fallait savoir une chose sur le Capitaine Nathan James et son vaisseau, l'Acheron. Tous deux provenaient de la redoutable Karak-Tur, du temps où cette cité dictait encore sa loi sur les eaux de l'océan intérieur. Incorporés dans la marine comme Capitaine d'arme, Nathan James avait été élevé par un Duelliste Oréen réputé dans la région. Et on ne lui connu rapidement pas de semblable pour manier le sabre courbe. Pire encore ! On le disait alors capable d'adopter la posture de la Derviche Cramoisie, une formidable façon de se battre inspirée des danseuses Ramiennes, si célèbres en Oro.
Contrairement à l'escrime classique, incluant la Destrezza qui avait été enseigné à Théoden, cette posture se basait sur des attaques proches du corps, faites de courbes, de tournoiements et de contrecoups violents.
Bien peiné fut le fils, avec ses longues estocades et ses fentes toutes en longueur lorsque Nathan plongea vers lui, épaule en avant. D'un simple coup de bassin, son pied se fit pivot et il se transforma en une véritable tornade d'acier, redoutable.
Mais voilà, la Derviche Cramoisie perdait en portée ce qu'elle gagnait en agilité.
Ce que Théoden sû exploiter maintes fois. D'un revers de bras, il repoussait son père, d'un estoc il le tenait au loin. D'une feinte, il le poussait sur le fil de sa lame. Mais jamais il ne pu se résoudre à l'achever ! Voici pourquoi, presque un quart d'heure après le début du combat, ils s'affrontaient encore.
Mais ce qui devait arriver arriva. Le Grand Mât se mit à grincer. Puis à craquer, lentement, lentement...et de plus en plus vite. On ne le sentit se déloger, remuer et finalement pencher de plus en plus vers le vide.
Les passes s'accélérèrent, et finalement Théoden parvint à porter un coup. Il transperça l'épaule droite de son damné père, avant d'être emporté par le gouffre qui s'ouvrait sous eux. Il tomba comme une pière, accueillit par les eaux avant qu'il ne puisse voir le destin de Nathan.
Nathan, perforé en pleine poitrine avait hurlé de rage. La douleur le fit basculer, et il s'écrasa à plat contre le tableau de l'Acheron avant de rejoinder Théoden dans l'eau. Autours d'eux, des débris chutaient avec violence, manquant par cent fois de les abattre une fois de plus. Mais Théoden retrouva vite ses esprits ! Et le corps de son père.
C'est ainsi que se termina la première grande bataille de l'Odyssée, dans le fracas et le sang. Dans la tristesse du dueil et la destruction. Quelque part entre les cendres d'un monde inconnu et les eaux glacées de l'Océan.

Quarante. C'était là le nombre de blessés, plus ou moins sérieux, pour heureusement la moitié de morts ou de condamnés.
Le Docteur Thackery fut une fosi encore le premier sur les lieux, ignorant délibérément les précautions à prendre face à ces conditions particulières. En tant que médecin, on l'avait mainte fois entendu répéter "Si je peux, je dois !"
Malheureusement, il fut vite rejoins par les prêtresses du Wench ainsi que Cassandra qui, comme toujours, le reléguèrent aux tâches ingrates : bander les blessures, lavers les plaies...
Une fois encore, il maudit l'impuissance de la médecine des hommes et résolu de
vouer sa vie à en repousser les limites.

Aussitôt le grand mât effondré, Cassandra se précipita depuis les airs jusque sur la partie de la plage que cachait la carcasse de l'Acheron. C'est là qu'elle trouva Théoden. Le Capitaine était sonné après sa chute ; il portait cependant le corps de son adversaire. Son père qui avait été blessé lorsque le mât s'abattit sur la falaise.
De son phénix tout de flamme et de lumière, l'élue de Lothÿe fut bien en peine de nommer l'expression qui occupait le visage de son compagnon. La mine grave, presque hagarde, il avait une tristesse dans le regard qui laissait penser à de la panique.
Il déposa au bord de l'eau le corps difforme du pauvre homme et se laissa tomber à genoux à côté, pour reprendre son souffle.
Ce n'es qu'après un certain temps qu'il remarqua la fine silhouette qui l'approchait, drapée dans des couleurs chaudes. Cassandra avait un air soucieux, surprise sans doute de voir Théoden sauver la vie de son adversaire.

"-je crois que vous feriez mieux de venir ... Les navires ont subi une attaque d'une grande violence en notre absence."

Théoden leva alors des yeux fatigués vers celle qui se tenait maintenant à quelques pas de lui, ses mains jointes. Il les rabaisse aussitôt, tendant une main pour essayer de trouver le pouls du Capitaine James. Il lance en même temps que tout le monde a été frappé par cette violente attaque, précisant que son utilité était en outre assez limité désormais.

"-Vous êtes le capitaine. Les marins auront besoin de vous, de vos ordres et de votre présence. Vous n'avez pas vraiment de temps à perdre avec un mutant.

-Ce n'est pas n'importe quel mutant.

-J'ignore ce qu'il est, mais est-il aussi important que votre équipage et votre navire qui ont besoin de vous ?

-Il y a une chaîne de commandement."

Il la regarde de nouveau, un instant.

"-Les blessés sont traités par les médecins et les prêtres. Les hommes valides sont envoyés en patrouille par les Lieutenants. Les dégâts sont réparés par les marins. C'est ainsi. Mon devoir est ici pour l'instant, auprès de mon père.

-Votre père est perdu capitaine. Ouvrez les yeux et voyez ce qu'il est devenu. Il n'est même plus humain à présent, et il a revendiqué le fait de servir les démons sur le pont de l'Achéron."

Théoden fit un non de la tête assuré. Il déglutit avec difficulté, lançant d'une voix étranglée par un doute nouveau qu'il sauverait son père quoi qu'il lui en coûte. Il refusait de croire que ses dieux lui rendaient enfin son père pour le lui reprendre si peu de temps après.

"-Je comprends que cela puisse être dur à entendre capitaine. Mais écoutez-moi. Celui qui a plaidé allégeance aux démons, celui-là les dieux l'ont rejeté et ne le sauveront pas. Ils ont détourné leur regard de votre père, et ne le ramèneront pas.

--Si les dieux ne le feront pas, alors je le ferais moi."

Il se redresse finalement, et se met sur ses pieds, chancelant un bref instant. Théoden enjambe le corps de son père, pour se planter entre lui et Cassandra.

"-Vous n'avez pas ce pouvoir. Personne ne l'a."


Théoden semble s'énerver, piqué à vif par sa propre impuissance. Quelque part, il savait qu'elle avait raison. Il avait lu les écrits qu'on lui avait transmis sur les démons et leurs pouvoirs. On ne revenait pas de leur possession, ça non. Mais...c'était son père ! Il se devait d'essayer.

"-Je ne le laisserais pas ici.

-C'est pourtant ce que vous devez faire. Votre conscience vous dicte l'inverse, je le sais, mais essayez de vous montrer réaliste si vous pensez qu'il tient à vous, car jamais il n'accepterait de vous voir prendre le même chemin que lui."

Elle semblait l'emporter sur ses instincts. Cassandra parlait vrai, mais à un homme sourd. Depuis trop longtemps seul, Théoden se refusait à accepter ce sordide coup du sort. Il devint sec, amer.

"-Laissez-moi, Cassandra.

-Sauf votre respect capitaine, non. Vous n'êtes pas dans un étant lequel je peux vous laisser seule. Et je dois m'assurer que vous reveniez à bord. Des hommes vivants, honnêtes serviteurs de la réalité, ont besoin de vous.

-Je commande cette expédition, tu te dois de m'obéir, élue divine ou non !

-Capitaine, il est des commandants assez éclairés pour reconnaître qu'il ne faut pas suivre leurs ordres lorsqu'ils ne sont pas en état de les donner. Ne faites-vous pas partie de ceux-là ?"

Flatté, autant qu'énervé par la justesse des mots de la jeune femme, Théoden s'emporte et tire sans réfléchir sa rapière, qui siffle un instant sous la brutalité du geste. Il hurle, larmes aux yeux.

"-HORS DE MA VUE, POUR L'AMOUR DU CIEL !"

Cassandra sembla décider de plier, un phénix se dessinant peu à peu sous ses pieds alors qu'elle reculait. Son pas se fit de plus en plus aérien, jusqu'à ce qu'elle soit emportée par une créature de lumières, promettant de revenir sous peu.

Théoden ferme les yeux un moment, ses lèvres se serrant l'une contre l'autre pour retenir un sanglot de désespoir. Il songe un instant à tout ce qui l'attendait loin de ces terres maudites, et laisse sa rapière se planter dans le sol, tombant de nouveau à genoux près de son père. Il chasse les souvenirs de son foyer d'un revers de main, et se penche sur le corps près de lui, décidé à graver le semblant de visage qui lui restait. "J'aurais tant aimé te connaître..." songea-t-il, abattu.
Ces quelques instants furent les seuls qu'il partagea avec son père. Enfin...Ce qu'il restait de lui. Car le fracas de rames sur la surface de l'eau le tirèrent de ses songes, alors qu'il essayait de deviner le genre d'homme qui se cachait derrière ces pupilles closes.

Ce furent Telthis et Djanela les premiers qui s'approchèrent, suivis par Johei, Cassandra et le Capitaine de Treville. Tous regardaient la scène avec inquiétude. Ils virent le corps, ils virent leur commandant saignant ouvertement du crâne. Ils le virent se redresser et attraper la rapière qu'il avait laissée dans le sol.

"-Repartez d'où vous venez" lança-t-il d'un air défiant "il est hors de question que je vous le laisse."

Telthis s'interposa entre la Ramienne et le Capitaine, décidé à prendre la parole en premier.

"-Capitaine, je sors d'un combat épuisant, et je n'ai pas envie de me battre avec celui dont Malene a béni l'expédition. J'attends de vous que vous vous montriez digne de la confiance qu'elle a placé en vous, et que vous le fassiez maintenant en acceptant la réalité. L'homme que vous avez à vos pieds est perdu, et vous ne pouvez rien si ce n'est lui donner une mort rapide."

Théoden se trouve figé, interdit. Il n'arrivait pas à croire à ce qu'il entendait ! Choqué à un point rarement atteint, il recula d'un pas, le visage incliné.

"-Mais...quel genre de monstre êtes-vous pour me demander de tuer mon propre père ?

-Je suis un elfe blanc qui a plus souvent combattu les démons et leurs serviteurs que vous capitaine. Si vous ne pouvez pas écouter la voix de ceux qui ont étudié les démons, écoutez la voix de celui qui a une expérience de leurs méthodes. Et si cela vous gêne, laissez-moi l'achever moi-même. Il est déjà mort, de toute façon."

Théoden lève aussitôt son arme, sans une once d'hésitation.

"-Vous n'en ferez rien, Telthis. Pas tant que je serais debout !"

Cette fois, c'est Johei qui parle, coupant purement et simplement Telthis.

"-Capitaine, rappelez-vous de ce qu'ils vous ont enseigné il y a quelques jours, quand vous leur aviez demandé de parler des démons. J'étais présente. Ils l'avaient dit, que ceux qui étaient soumis aux démons étaient déjà perdus, n'est-ce pas ? Vous vous en rappelez ?"

Théoden déglutit difficilement, ses yeux et la pointe de sa lame allant et venant entre Johei et Telthis. Il sue à grosses gouttes, dans un état de tension palpable.

"-C'est...c'est mon père pour l'amour des dieux...vous ne pouvez pas me demander de faire ça !"

Djanela ouvre alors la bouche, suggérant ni plus ni moins de s'en charger à la place de Théoden. Elle est heureusement interrompue par Telthis.

"-Je confirme ce qu'elle dit, capitaine. J'ai vu de nombreuses fois dans ma vie ce genre de drames arriver. Lorsqu'elfes blancs et noirs ont fait la guerre, de nombreuses familles ont été ainsi déchirées. Et ce n'était même pas à cause des démons.
-JE SAIS CE QU'EST LA GUERRE, CESSEZ DONC TOUS DE ME PRENDRE POUR UN ENFANT !

-ALORS CESSEZ D'AGIR COMME UN ENFANT !"

Bouillant de colère, de frustration et de chagrin, Théoden tremble de plus en plus. Sa rapière, il la tient de son mieux. Il panique.

"-Ce n'est pas juste...ce n'est...pas juste... Pourquoi Ariel me ferait-elle cela ?"

C'est Cassandra qui s'avance, posant doucement une main sur la lame de Théoden pour l'abaisser. Elle se veut abaissante, lui parlant presque dans un murmure.

"-Ariel ne savait sans doute même pas ce que nous trouverions ici."
"-C'est...C'est une déesse, comment est-elle supposée...comment est-elle supposée ignorer quoi que ce soit ?"

Il prend une grande inspiration, abaissant peu à peu son arme, les yeux lourds de larmes.

"-Je...je vais...je vais le faire.."

Djanela croise les bras, lançant avec un demi sourire :

"-Si cela vous est trop difficile..."

Un regard noir de Théoden plus tard, voilà une Cassandra coléreuse qui l'emmène plus loin. Après cela, tout le monde partit, laissant Théoden à sa lourde tâche.
On en entendit d'ailleurs pas parler pendant plus d'une heure entière !
Il resta là, à l'ombre de l'Acheron. Personne ne su ce qu'il se passa durant cette heure. En revanche, quelques temps après, certains hommes murmuraient entre eux avoir vu le Capitaine traverser jusqu'à atteindre le Wench, profitant du pont aillant été établit entre son bord et un aplomb rocheux pour regagner ses quartiers, le pas lent et le regard morne. Derrière lui, il laissait un cadavre inerte de plus.

Ce furent deux jours qui passèrent après cet affreuse bataille. Deux jours durant lesquels, sous l'impulsion des Officiers, l'Odyssée s'établit dans la Grotte de l'Achéron, coquettement bâptisée "Demon Cove". Il s'agit d'explorer la caverne, de la cartographier, de repérer tous les accès vers les terres intérieures et, finalement, commencer à les barricader et les éclairer.
Au final, cette grotte s'avéra être un entonnoir géant. Une seule entrée, donnant dans un ravin. Une seule sortie, donnant sur l'océan. Le Blacksmith fut placé en couverture, veillant sur l'océan. Du reste, il s'agissait de sécuriser les provisions restantes.

Et puis un jour, toutes les prêtresses furent convoquées dans la cabine de Théoden, Cassandra en tête. Elles en ressortirent avec une tête contrariée, mais déterminée à obéir. Toutes les neufs, vêtues de blanc furent aperçues allant en direction de l'Achéron, entre les tentes improvisées et les pelotons de soldat à l'entraînement.

Telthis fut le suivant à se glisser dans la cabine de Théoden. Cette fois ci, il le fit accompagné de la paisible Johei, largement adorée par tous les hommes de l'expédition. Elle s'était montrée indispensable pour eux.
Donc les voilà se jetant dans l'antre du Capitaine, muet depuis tout ce temps. Ce qu'il en ressortit fut parfaitement miraculeux. Quelques allées et retour plus tard, le lendemain matin, Johei quittait la cabine. Et la chaîne de commandement fut rétablie. On commença à entendre des ordres. Démonter des pièces du Wench pour fortifier la plage, dégager les débris de l'Acheron...

En quelques heures, une cérémonie d'hommage pour les morts fut préparée. Un bûcher avait déjà consumés les corps des démons, sur le conseil de Telthis.
C'est à ce moment là que Théoden quitta sa cabine, vêtu de son uniforme le plus strict.
L'entièreté de la cérémonie prévue par Théoden après la bataille ne fut qu'une sorte de longue prière. L'Odyssée avait encaissé le premier de ses coups durs. Néanmoins, la victoire d'aujourd'hui faisait figure de miracle. Ariel, la marraine de leur expédition semblait veilleur sur eux, d'un oeil bienveillant. Autours d'un grand bûcher, tout le monde fut rassemblé. Sur la roche, depuis les ponts des navires, depuis l'Acheron... Et Théoden leur parla, le bien aimé Telthis à sa droite et la douce Cassandra à sa gauche.
Le moment fort de la cérémonie fut sans doute celui où l'on hissa haut sur la poupe de l'Acheron l'étendard blanc de l'Odyssée. Symbole de leur succès et de leur première grande conquête.
Il rayonna, ce jour là, claquant haut dans le ciel toujours gris de ce monde damné.
Finalement, chacun lança une torche dans le brasier, et les flammes emportèrent les corps de ceux qui étaient tombés.
Ce furent des salves de mousquets bien Kelvinoises qui conclurent ce moment solennel, martelant les mots de Théoden dans les esprits de tous ceux qui étaient alors présents.

"-Notre présence ici est voulue par les dieux. Notre devoir est de les honorer, jusqu'en ces terres oubliées par leur gloire. Je sais que vous avez tous perdu quelqu'un qui vous était cher, que d'autres encore sont entre la vie et le trépas dans les cales de nos vaisseaux, mais il n'est pas question de les venger. Il n'est pas question de répondre à ces pertes par la rage et l'irréflexion !
Nous avons le privilège de nous ranger dans la lignée de braves guerriers. Des hommes peut être morts, mais dont l'esprit survit jusqu'à aujourd'hui, nous poursuivant de leurs regards attentifs.
Allons-nous leur faire injure, et reculer maintenant ?
Je ne le crois pas messieurs.
Avez-vous envie de faire demi-tour, de rentrer sur le Continent la queue entre les jambes ?
Pas moi !"

Il y avait eu des non, des coups de crosse sur la roche ou le bois. L'équipage ressuscitait peu à peu son moral, au rythme de leur indignation et de leur ferveur.

"-Alors je vous le dis messieurs, nous leur apprendrons à redouter nos vaisseaux et leurs équipages. Ils ont craint les dieux, ils ont craint les Elfes, ils nous craindront nous aussi !"
Jeu 20 Oct 2016 - 22:16
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Dargor
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Le Maitre de l'Intrigue
Dargor
Henrique Rossi se réveilla un peu plus d’une journée après l’attaque, avec un sacré mal de crâne. Il avait du mal à réaliser ce qui lui était arrivé. Il était allé s’enquérir de l’état de santé de Fiora après l’attaque des grotesques, et au moment où il avait commencé à pousser la porte de leur cabine, celle-ci s’était ouverte brusquement de sorte qu’il avait commencé à tomber en avant, et senti un grand choc à l’arrière de son crâne.
Puis plus rien. D’après le docteur Thackery, sa blessure ne pouvait pas avoir été causée par un de ces démons. En effet, la plupart de ceux qui avaient été frappés par ces bêtes avaient péri de nombreuses maladies dans les heures qui suivaient, et ceux qui avaient survécu devaient souvent leur survie au prix d’un membre amputé en urgence car en train de pourrir. Qu’il ait été frappé à l’arrière de la tête et sans conséquences laissait penser qu’il n’avait pas été blessé par un quelconque démon. Henrique ne pouvant pas lui donner de réponse à la question du pourquoi du comment de cette étrange blessure, le mystère resta entier pendant quelques heures pour les deux hommes. Il ne fut résolu qu’à la visite de Fiora, qui en bégayant plus encore  qu’à son habitude expliqua à son époux qu’elle avait été rendue nerveuse par l’attaque et qu’elle avait réagi ainsi. Elle se confondait en excuse, encore plus gênée qu’elle ne l’était déjà par les rires de l’oréen, et de ceux qui avaient pu l’entendre.
Henrique la prit dans ses bras et lui embrassa le front. Il lui fit savoir qu’elle avait bien agi.

« Ça n’aurait sans doute pas servi à grand-chose si c’était une de ces bêtes qui était entré à ma place, ajouta-t-il. Mais au moins personne ne pourra dire que tu es une sotte imprudente, et c’est bien. De plus pour m’envoyer dans le coltard pendant tant de temps, t’as dû y mettre les moyens, ce qui est bien aussi si tu dois assommer un vrai ennemi. La prochaine fois, je penserai juste à frapper avant d’entrer. Et il faudra faire passer le mot si quelqu’un souhaite te rendre une visite, ce serait malheureux que tu assommes le capitaine en personne s’il venait à se présenter. »

Les rires redoublèrent. Même s’ils n’étaient pas du goût de Fiora. A ceux-ci s’ajoutèrent ceux de Treville, qui était venu dès qu’il avait eu le temps rendre visite à Henrique pour une raison précise.

« Même si cette initiative n’avait pas tant pour motivation la survie de l’équipage et du navire que celle de votre femme, lui expliqua-t-il, vous êtes le premier à avoir réagi et chassé les démons quand ils ont pénétré l’intérieur du navire. Maintenant que vous êtes réveillé, j’en ferai part au capitaine, vous le méritez. D’ici là, faites attention de ne pas vexer votre épouse, il ne faudrait pas que le capitaine félicite un cadavre. »

La plaisanterie n’était pas du goût de Fiora, qui s’en voulait toujours d’avoir ainsi frappé son époux, mais elle parvint à sourire malgré tout. Elle se détendit même rapidement à la suite de cet échange, et c’est même souriante qu’elle s’affichait à son bras lorsqu’il quitta l’infirmerie, une demi-heure après cet épisode. En effet, une fois réveillé et la cause de son inconscience révélée, il n’y avait aucune raison pour Henrique de rester encombrer ces lieux. Bien sûr, une fois debout, il eut la tête qui se mit à tourner, mais il se réhabitua plutôt rapidement.

Quelques jours tard, il se déplaçait si aisément et souriant, toujours accompagné de Fiora, que Djanela la ramienne vint la trouver. Il n’aimait pas beaucoup cette femme étrange. Chasseresse de démons, qui aurait voulu faire un métier pareil ? Il se murmurait au sein des membres de l’équipage dont il s’était fait des amis toutes sortes de choses sur Djanela, et sur l’ensemble des chasseresses de démons de Ram. De réputation, Henrique avait appris en Oro que c’étaient des femmes cruelles qui étaient prêtes à tout piétiner sur leur passage si elles pensaient que cela permettait d’abattre une bête démoniaque ou un serviteur des démons.
Au sein de l’équipage, certains membres originaires de Ram avaient fait part d’autres rumeurs. On disait qu’elles n’hésitaient pas à exécuter des innocents sur la simple base de convictions. Certains dans Ram interrogeaient la façon dont elles pouvaient en savoir autant sur les démons. Au sein du navire, même si elle essayait de s’intégrer, les ramiens prenaient d’ailleurs soin de l’éviter depuis qu’ils avaient appris ce qu’elle était vraiment. Ils avaient peur d’être accusés injustement, disaient-ils. Ils disaient que tout être sain d’esprit devait éviter de parler avec Djanela, qu’ils n’étaient tous que des outils pour elle.
Cela avait étonné Henrique. Il avait aussi entendu dire en Oro que les ramiens étaient fiers de ces chasseresses si cruelles qui les protégeaient des démons. C’était vrai, lui avait dit un marin. Les ramiens étaient fiers, car les démons n’attaquaient que peu Ram grâce à ces femmes. Et elles avaient l’aval du sultan en personne, c’était donc forcément qu’elles avaient un bon fond. Mais tout de même, mieux valait éviter de trop les approcher. Et donc de trop approcher Djanela.
C’est pourquoi c’est avec méfiance qu’Henrique accepta d’engager la conversation avec elle.

« Je vous salue, dit-elle pour commencer la conversation. Et vous aussi madame. Puis-je vous parler seul à seul Henrique ? »

Henrique Rossi se mit instantanément sur la défensive. L’accusait-elle ? Si oui de quoi ? Et sur quelle base ? Et pourquoi seul ? Il prit Fiora par l’épaule, et serra peut-être un peu la main sur elle, déclenchant un regard interrogateur de sa part. Il s’accrochait à elle comme à un rocher, comme s’il savait qu’une vague allait peut-être venir l’en arracher.

« Fiora, dit-il, est ma femme. Ce que je sais, elle le sait, et ce que je dis, elle l’entend. Mon amour à moins que tu n’en décides autrement, tu participeras à la conversation avec Djanela.
-Que … Que … Que … Que voulez … Vou … Voulez … Voulez-vous … Que voulez-vous … A … A … Henrique ? répondit Fiora, s’adressant directement à Djanela. »

Celle-ci renonça à parler à Henrique seule à seul.

« J’ai vu que vous n’aviez pas un seul instant hésité à plonger à la poursuite des grotesques lors de cette bataille, dit-elle. J’ai besoin d’un guerrier comme vous pour m’accompagner dans une tâche à bord de l’Achéron. Il doit apparemment être purifié, et pour cela, il faut commencer par une expédition dans ses entrailles. C’est pour cette raison que j’ai besoin de guerriers comme vous. Qui n’ont pas peur de plonger à la suite des démons. »

Henrique serra un peu plus l’épaule de Fiora, qui n’eut apparemment pas besoin d’attendre qu’il prenne la parole pour comprendre ce qu’il pensait. Elle répondit pour lui à Djanela qu’il n’avait pas l’intention de plonger dans cette monstruosité. Elle ajouta pour elle-même qu’elle ne l’aurait pas laissé faire de toute façon, quitte à l’assommer à nouveau pour l’empêcher d’y aller. Elle avait dit ces derniers mots sur un ton véhément, s’énervant sur la chasseresse de démons, libérant sur elle le poids de l’angoisse qu’elle avait porté après avoir frappé son époux.
Henrique la calma en lui massant l’épaule qu’il tenait, puis prit la parole d’une voix plus mesurée.

« Pourquoi ne pas vous adresser à des guerriers comme les fusiliers ou le seigneur Telthis ? Ou même les samouraïs ? Je suis certain qu’ils n’hésiteraient pas à vous suivre dans cette expédition. »

Puis il mit fin à la conversation, préférant éviter qu’elle se poursuive.

---

Ils n’avaient pas voulu la suivre. Les teikokujins, à qui elle en avait parlé, de même que Cassandra Renrin, pensaient qu’il fallait attendre les instructions du capitaine quant à cette problématique. Quant à Telthis, il avait simplement répondu évasivement qu’il n’était probablement pas encore temps. Et Djanela venait d’essuyer un nouveau refus, celui d’Henrique Rossi à présent. C’était très fâcheux. Il lui paraissait évident qu’elle ne pouvait pas demander aux fusiliers de la suivre dans les entrailles de l’Achéron. Et pourtant…
Le capitaine Théoden venait de déclarer aux prêtresses qu’il fallait purifier le navire, ce qui était la source de sa conviction qu’il fallait pénétrer dans ces entrailles pour tuer la bête qui vivait là. C’était ce qu’elle se disait en rentrant dans sa cabine, après le refus d’Henrique. Toutefois, elle ne pouvait pas y aller seule. Mais elle devait le faire. Si elle s’était écoutée, elle aurait mis le feu à l’Achéron dans la nuit, car elle pensait que c’était la seule solution de se débarrasser de la pollution qu’il représentait. Mais pas comme ça. Vu l’hésitation qu’avait eu le capitaine Théoden pour tuer le mutant qu’était devenu son père, il ne lui faisait aucun doute que s’il apprenait que l’Achéron avait brûlé durant la nuit, elle serait vite identifiée comme responsable et remise aux fers, voire pire.
Elle soupira. A Ram, on lui avait appris que les ramiens se devaient d’obéir à une chasseresse de démons si elle leur demandait de l’aide pour les affronter. Qu’ils lui devaient obéissance. Mais ici, c’était différent. Les hommes du bord n’étaient pas des ramiens, ils ne lui obéiraient pas. Même si elle le demandait aimablement. Pourtant, elle avait besoin de cette obéissance. Ils étaient dans l’erreur, elle en était convaincue. Il fallait brûler ce navire. Il aurait fallu tuer ce mutant sans la moindre hésitation.
Elle ressortit ses voiles bleus de chasseresse de démons de Ram d’une malle. Elle ne les avait pas mis depuis le moment où elle s’était fait remarquer en tant que passagère clandestine. On l’avait formée à combattre les démons et à les tuer. Elle avait eu peur d’eux quand elle les avait vus jusqu’à maintenant, mais ce ne serait plus le cas. Plus après ce combat contre les grotesques. Mais néanmoins, elle avait plus de connaissances sur les créatures démoniaques et leur influence sur le monde que n’importe qui d’autre à bord, Telthis excepté peut-être. Et malgré cela, on négligeait son point de vue, elle s’en rendait de plus en plus compte. Qu’elle donne des conseils, et on la traitait de cruelle. Qu’elle tente de prendre la parole, et elle était mise de côté souvent. Une première fois par Théoden lors de la première entrevue, celle où il avait demandé de parler des démons.
Elle remit ses voiles. La goutte d’eau qui avait fait déborder le vase, c’était Telthis, qui l’avait sans ménagement écartée quand il s’était agi du capitaine Théoden et du capitaine mutant. Telthis qui semblait être le seul à l’avoir comprise et à avoir écouté son savoir sur les démons. Lui-même au final semblait ne pas avoir confiance en elle, elle le voyait à présent. Elle était prise au piège dans un pays aberrant à cause de sa pollution par les démons, mais ne pouvait rien faire d’efficace, ne prendre aucune mesure digne de ce nom. Fouiller l’équipage ? Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Les marins étaient tous complices et riaient entre eux. Elle avait tenté de s’intégrer à eux pour les espionner de l’intérieur, mais elle n’avait pas eu le temps d’agir. Pire encore, depuis l’arrivée en ces lieux, de vieilles craintes colportées par les marins ramiens ressortaient à son sujet. De vieilles superstitions au sujet de son ordre. Et tous ses efforts d’enquête avaient été réduits à néant.
Elle savait depuis toujours que son ordre était craint et même haï autant que respecté. Cela lui avait été appris. Mais elle comprenait seulement maintenant ce que cela impliquait. Cela impliquait qu’elle serait seule la plupart du temps, comme aujourd’hui. Seule à voir ce qu’il fallait faire, ce qu’il convenait de mettre en place comme solutions. Elle ne pouvait pas brûler le navire, parce qu’il y avait des compromis à faire pour la sûreté de tous entre ce qu’il fallait faire et ce que le capitaine Théoden souhaitait faire. Mais elle pouvait au moins frapper la bête au cœur. Elle avait seulement besoin de quelques compagnons.
Et tout lui avait été refusé. A moins que… Il y avait une jeune prêtresse parmi le groupe de prêtresses des deux navires. Elle avait un teint basané qui trahissait son origine ramienne. Elle ne saurait donc certainement pas refuser un service qui lui était demandé par une chasseresse de démons. Surtout qu’elle lui semblait un peu timide.
Sans rien dire à personne, Djanela se résolut d’aller la trouver seule à seule, et en attendant, de rassembler les affaires dont elles auraient besoin. Un sac de toile épais, des armes. Elle aurait aimé prendre des vivres, mais cela était impossible. Ces dernières étaient désormais sévèrement gardées pour éviter que certaines personnes supportant mal le rationnement qui était désormais imposé n’essayent de s’en emparer. Expliquer pourquoi elle avait besoin de vivres supplémentaires, c’eut été trahir ses intentions. Et devoir en référer aux officiers. Hors de question, elle souhaitait faire cavalier seul sur cette fois.

Enfin, cavalier presque seul…

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« Nous n’aurions pas dû, dit la jeune prêtresse, répondant au nom de Salea, alors que les deux femmes se retrouvaient sur le pont de l’Achéron.
-C’est notre devoir, se contenta de répondre Djanela. »

Convaincre Salea de la suivre avait été plus compliqué que prévu. Elle avait dû faire preuve d’autorité mais aussi de camaraderie à la fois. La convaincre que ce serait plus facile que ce qu’elle n’imaginait. Elle n’en avait en fait aucune idée. Peut-être la prêtresse en avait-elle parlé à d’autres avant de partir, peut-être pas. En tous les cas, les dés étaient à présent jetés. Elles avaient réussi à éviter la surveillance, et à monter à bord du navire infecté. Dans cette entreprise, elles avaient été aidées par le fait que beaucoup soient occupés par la préparation d’une cérémonie d’hommage aux morts. Et maintenant, le vrai défi s’annonçait.
Djanela choisit délibérément de ne pas pénétrer le navire par les parties infectées. Prudemment, elle souhaitait d’abord fouiller les parties intactes. Et une en particulier. Elle fit signe à Salea de la suivre, et ensembles, elles pénétrèrent dans la dunette. Djanela cherchait quelque chose de précis. La cabine du capitaine. Elle finit par la trouver et cette dernière n’avait pas été fouillée. Par contre il y régnait un bazar monstrueux. Comme si ces personnes s’étaient battues ici. Le capitaine de l’Achéron y avait assurément vécu des heures bien sombres. Djanela choisit cet instant pour allumer sa lanterne, espérant que personne ne verrait la lumière à bord de l’Achéron depuis les deux autres navires. Même la lumière du jour n’était encore que déclinante, elle avait besoin de lumière pour bien voir ce qu’elle faisait. Et de la lumière, ça n’était jamais discret. Elle fit signe à Salea de l’éclairer alors qu’elle cherchait à ramasser tout ce qui ressemblait de près ou de loin à des papiers rédigés de la main d’un capitaine.

« Vous n’avez pas le droit… commença Salea.
-Notre expédition, l’interrompit Djanela, a pour but d’aider à la purification que vous et les autres prêtresses allaient devoir faire. Mais je ne doute pas un seul instant que si nous pouvons ramasser des choses qui intéresseront le capitaine et les autres membres du navire, Théoden en sera satisfait. N’ayez donc pas peur, je ne compte pas piller cette épave, je compte aider à la purifier. »

Elle ramassait soigneusement ce qu’elle trouvait au sol, faisant attention à ne pas mélanger ou chiffonner les pages qu’elle mettait dans sa sacoche. Il y avait surtout des cartes, et un petit carnet contenant une suite de lettres dont elle détourna tout de suite les yeux en comprenant ce dont il s’agissait. Un gros livre relié de cuir, sur lequel se développait une peau qui battait comme sous le rythme d’un cœur, fut identifié par elle comme le journal de bord. Prenant soin de ne toucher que les parties pures, elle le mit dans une poche cachée de son sac.
Salea, de son côté, examinait l’aspect purement pratique de la cabine. La plupart des meubles portaient des traces de griffures tracées par des ongles humains. Certains points des murs semblaient avoir reçus des coups de tête. Quelqu’un avait perdu la raison ici. Les draps du lit étaient déchirés, et le lit logiquement défait. Les armoires éventrées, leurs portes parfois arrachées. Il y avait une grosse flaque de sang sur le sol, entre la table de travail du capitaine et son lit. Une autre sur le matelas lui-même. Ce sang était depuis longtemps séché.

« C’est un véritable champ de bataille, murmura la prêtresse.
-On dirait bien, répondit Djanela, qui se fichait bien de cette remarque. »

Elle venait de trouver un tiroir caché dans le bureau du capitaine. Le système, sans être stupide, n’était pas très ingénieux. Le bureau contenait trois tiroirs de chaque côté, et un central, qui ne s’ouvrait que si tous les autres étaient largement ouverts. Dans les autres tiroirs, des papiers, encore et toujours, qu’elle rangea précieusement. Dans le tiroir caché, une seule chose. Une splendide bague. Elle ne commit par la stupidité de la mettre à son doigt ou la toucher à la main, elle se contenta de la prendre dans un mouchoir et de l’envelopper soigneusement.
Tout cela était sans doute infecté. Il faudrait qu’elle se purifie elle-même à son retour. Et Salea également. Mais ce n’était que le début.

Elle entraina ensuite la prêtresse dans les coursives du navire. Le but était de rejoindre les parties infectées. Même dans les parties intactes, on sentait que le navire avait été abimé. De nombreux murs étaient défoncés, la plupart des barreaux des échelles cassés ou vermoulus… Il y avait des trous partout dans le plancher. Et un bruit de pas lourd, pensant, lent, omniprésent, inquiétant. Elles en découvrirent la source au détour d’un couloir.
Il restait des abominations à bord. Heureusement, elles avaient vu celle-ci avant d’être vues elles-mêmes, et purent se cacher, le temps que l’abomination passe, lentement. A la demande de Djanela, et même si cela inquiétait grandement la prêtresse, elles la suivirent. L’abomination semblait aller et venir sans but précis, et sans vraiment savoir ce qu’elles faisaient. Alors, elles se remirent en route vers les parties infectées.

Il fut aisé de comprendre qu’elles les avaient atteintes. Le plancher devint mou, puis chair. Autour d’eux, le bois devint bleu, puis chair à son tour. Un étrange sifflement résonnait en permanence, de même qu’une respiration sourde. Salea manifestait de plus en plus de signes d’inquiétude, mais elle-même ne souhaitait désormais plus faire demi-tour. Elle confia à Djanela qu’elle aurait bien trop peur de s’aventurer seule sur ce navire de cauchemar.
Djanela, tout en évoluant à la recherche d’un organe vital à frapper, ce qui était l’objet de son expédition ici, se posait des questions. A quoi pouvait bien servir ce navire pour les démons ? Elle se rappela alors les feuilles ramassées. Des cartes du continent. Les démons ? Attaquer par la mer ? Cela n’avait pas de sens. Le navire ne pourrait jamais en transporter assez. Et quand bien même, les démons étant instables, ils s’évaporeraient dès la pleine mer, ne pouvant s’éloigner trop d’une faille vers leurs Abysses.
Une étrange lumière violette se dressait devant elles, augmentant un peu plus à chaque pas. Peu à peu, elle devint si vivre que les deux femmes ne voyaient plus que du violet autour d’elles. Elles n’étaient cependant pas aveuglées. C’était étrange, elles pouvaient se distinguer nettement, mais plus le navire autour d’elles.

« Djanela… dit soudain Salea. Le sol... »

Djanela ne sentait en effet plus le contact mou de la chair du navire sous ses pieds. Elle se rendit alors compte qu’elle marchait sur du vide. Le sol était forcément là, mais à ses pieds, elle ne le voyait plus. Elle voyait...
Elle faillit se jeter au sol pour tenter de le sentir, mais se retint au dernier moment. Derrière elle, Salea n’y parvint pas, et hurla de terreur. Sous elles, le sol n’était plus. Elles contemplaient à leurs pieds, à leur gauche, à leur droite, au-dessus d’elles, le ciel étoilé. Djanela elle-même gémit de peur. Elles flottaient dans le vide, et ne sentaient qu’une sorte de sol invisible. Sa tête lui tourna. Elle avait le vertige. Elle ne pouvait pas contempler cet endroit. Et toujours cette respiration sourde, à laquelle s’ajoutait cependant désormais des rires et … Un battement de cœur.
C’était à s’arracher les cheveux. Elle savait qu’elle touchait au but, mais comment s’orienter quand tout autour d’elle n’était que ciel étoilé dans lequel elle flottait tout en touchant un sol. Elle se retourna et releva Salea, qui désormais pleurait littéralement de peur. Djanela ne put pas lui en vouloir, car elle-même versait des larmes en imaginant ne jamais revenir d’ici. C’était évident. Comment trouveraient-elles la sortie ?
Elle fit part de ces pensées à Salea, qui avait bien compris la même chose.

« Nous ne pouvons donc plus reculer, maudite,  dit tout de même la prêtresse. Finit ta mission pour laquelle tu nous as sacrifiés, je te suis. Sache que dans la mort, tu auras la mienne sur la conscience. »

Djanela ne pouvait rien répondre à cela. Et elles repartirent, courant à moitié, ayant envie de fuir cet endroit… Mais se dirigeant à l’aveugle vers le bruit de battement de cœur. Et ces rires…
Ces rires augmentèrent en même temps que les battements. Petit à petit, le violet vira à l’orange. Des flammes se mirent à danser autour d’elles, créant des ombres qui leur paraissaient parfois humaines, parfois difformes. Djanela tremblait de peur en avançant. Derrière elle, Salea commençait à rire, d’un rire nerveux, qui riait au même rythme que … Que les démons. Djanela se retourna vers Salea. Elle s’aperçut avec horreur que la jeune prêtresse, mais elle-même aussi, laissaient désormais des images d’elles-mêmes derrière elles. Ces images étaient d’abord identiques, mais au fur et à mesures qu’elles s’éloignaient, elles mutaient, se déformaient, des tentacules poussaient, des bouches s’ajoutaient, des bras tombaient… Et désormais, les rires venaient de ces nouvelles bouches. Les ombres des flammes ! Elles lui semblaient désormais trop réelles. C’étaient forcément des êtres !
Salea partit d’un rire hystérique, devenant apparemment complètement folle. A cet instant, Djanela réalisa son erreur. Elle pensait qu’il ne s’agissait que d’un navire de transport infecté pour correspondre au goût des démons. C’était encore pire. Elles étaient toutes deux dans une faille menant au royaume des démons. Ce navire contenait une faille vers les Abysses… Une faille ouverte en permanence. Et s’il était amené sur le continent…
Il fallait l’empêcher. Abandonnant là Salea, Djanela se mit à courir vers les battements de cœur. C’était forcément ça ! Le cœur du navire. Elle le vit soudain. Un cœur très humain, très humble, flottant au milieu de nulle part. A mesure qu’elle l’approchait, les démons se firent de plus en plus réels. Ils parvinrent à commencer à la toucher, se jouant d’elle. Ils la retinrent, tirèrent son bras en arrière au moment où elle s’apprêta à frapper le cœur.

« Canërgen, pleura-t-elle, devenant à son tour de plus en plus hystérique. Donne-moi ta force… »

Les démons la griffaient désormais. Elle sentait ses vêtements se déchirer, le sang couler sur ses veines… Puis elle frappa le cœur, riant hystériquement à son tour, comme Salea avant elle. Riant et pleurant à la fois de sa propre impuissance.
Alors le monde sembla exploser autour d’elle.

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Le discours de Théoden qui avait conclu la cérémonie était achevé depuis désormais deux heures. Telthis était inquiet. Djanela l’avait mis au fait de son projet. Il lui avait recommandé d’attendre patiemment et de recruter une véritable équipe, mais elle lui avait semblait impatiente. Et il ne l’avait pas vue, et elle et une prêtresse, durant la cérémonie. Il avait demandé à Cassandra et aux autres prêtresses, qui avaient confirmé qu’elles n’avaient plus vu Salea depuis plusieurs heures. Il avait donc acquis la conviction que Djanela avait mené malgré tout son expédition. Pourquoi ne pas lui avoir porté secours ? Parce qu’il estimait qu’à ce stade, il arriverait de toute façon trop tard, le temps de monter une expédition de secours et de chercher à la rejoindre. Elle aurait déjà réussi ou échoué quand il arriverait. Et si elle avait échoué, il devinait que la sanction était la mort. Il devait donc attendre. Et espérer la voir ressortir. Même si cette humaine ne connaissait pas la notion de patience et manquait cruellement de subtilité ou d’empathie, il devait reconnaitre qu’il appréciait ses connaissances. C’est à cet instant que cela arriva.
Un hurlement bestial se fit entendre du côté de l’Achéron, qui s’appuya sur ses deux pattes palmées, bouche grande ouverte vomissant ce pus qui coulait des blessures qu’on pouvait lui causer. Il resta ainsi quelques instants, en suspension, puis comme un animal agonisant, il tomba complètement sur son côté tribord, agité de quelques soubresauts, puis finit par rester immobile. Et le silence le plus complet se fit.

Théoden réagit vite. Telthis put le voir dès le début de l’évènement se précipiter à la proue du Wench pour en observer le déroulé à l’aide sa longue-vue. Mais maintenant que c’était achevé, il ne pouvait voir que l’étrave de l’Achéron. Il donna l’ordre de faire armer les batteries de son navire et que tout le monde se tienne sur le pied de guerre. Le Blacksmith, de son côté, se rapprocha et se prépara à faire feu de toutes pièces sur le navire. Ceux qui travaillaient à l’installation d’un camp purent être aperçus en train de se préparer à un combat. Quant au médecin du bord, il avait un carnet à la main. Des fusiliers prirent position au-dessus du navire, prêts à ouvrir le feu.

« Capitaine ! s’écrira Telthis, réalisant le danger. Je dois vous dire que je pense que Djanela et une prêtresse du nom de Salea se trouvent à l’intérieur de l’Achéron. Il faut nous méfier que…. »

A cet instant, une certaine agitation se fit entendre de l’autre côté du navire couché sur le flanc.

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Djanela, épuisée, toute son énergie comme aspirée par une force étrange, sortit d’une écoutille en tremblant sous le coup de la peur. Le pont étant désormais à la verticale, il lui fut difficile de de descendre, mais elle le fit prudemment. Elle vit trois soldats de l’expédition se détacher d’une ligne humaine formée devant elle quand elle atteint le sol. Ils avançaient avec méfiance, rapière à bout de bras.
Ils mirent du temps à l’identifier. Mais quand elle tomba à genoux, épuisée, devant eux, ils semblèrent moins méfiants. Deux d’entre eux examinaient l’Achéron depuis ses pieds tandis que l’un s’arrêta pour elle.

« Tout… Tout va bien ? demanda-t-il. »

Est-ce que tout allait bien ? Djanela eut envie de lui hurler qu’elle avait vécu l’une des pires expériences au monde. Elle eut envie de lui hurler qu’elle avait envie de se plonger son cimeterre en plein cœur plutôt que de vivre avec le poids de ce souvenir. A la place, une autre image lui revint.

Elle se relevait, après avoir frappé le cœur. Elle était au sol, sur de la chair bleue rendue gluante par le pus qui la recouvrait. Elle puait. Elle avait toujours aussi peur. Elle avait couru vers la sortie, sans se soucier d’une éventuelle abomination qu’elle pourrait croiser au détour d’une coursive. En chemin, elle avait vu le corps mis en pièces de Salea. Mis en pièces par quoi ? Elle ne voulait même pas l’imaginer. Elle voulait juste partir.

« Oui, dit-elle simplement. Ça va. »

C’était un mensonge et elle le savait. Et elle savait qu’il le savait.

« Nous avons perdu une prêtresse, dit-elle en haletant. »

Le soldat la ramena plus loin, prenant sur lui le sac auquel elle se cramponnait presque.

« Etes-vous parvenue à tuer cette chose ? demanda-t-il.
-Oui, dit-elle machinalement. Du moins, je pense. »

Sa mission était-elle donc un succès ? Elle reprit un peu confiance en elle, et son pas se fit plus assuré.
« Très bien, dit le soldat en souriant. Nous allons vous emmener vous nettoyer. »

Un bain ? Djanela aurait tué en cet instant pour en prendre un. Ce ne fut pas le grand luxe. C’était un peu de toile qui fut tendue autour d’elle tandis qu’elle se lavait dans un baquet d’eau dans le camp de base. Mais pour elle, c’était comme un paradis, et elle se détendit très vite, se laissant souffler. Elle observa ses vêtements, posés en tas. Ils avaient incontestablement été lacérés par des griffes monstrueuses. Elle observa son corps. Aucune blessure grave, mais les mêmes traces de griffures la recouvraient désormais des pieds à la tête. Il fallut que Thackery vienne la recoudre à plusieurs endroits, d’ailleurs. Elle le réclama lui spécifiquement et pas une prêtresse. Elle n’avait pas encore envie de soutenir leur regard après la mort de Salea.

« Bigre, dit-il d’une voix inquiète. Vous avez sur vous du sang humain, du pus de ce navire, et du sang noir… D’où vient-il ?
-Nous avons fait de mauvaises rencontres, se contenta d’évoquer Djanela.
-D’accord, dit le médecin. Et pour vos cheveux, est-ce bien normal ?
-Mes quoi ? demanda l’intéressée. »

Un miroir lui fut amené. Elle en resta sans voix, pétrifiée d’horreur. Ses cheveux d’un roux flamboyant, hérités de sa mère, marchande de passage en Ram, étaient devenus blancs comme les nuages du ciel.

« Que … dit-elle.
-Ca a dû être terrible là-dedans, dit Thackery. J’ai entendu dire que cela arrivait, quand quelque chose d’atroce a été vécu.
-Oui, répondit Djanela. Ce fut terrible… »

Elle préféra ne rien ajouter. Vu ce qu’elle avait vécu, elle s’estimait heureuse de n’avoir que des cheveux blancs.

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La nouvelle fut vite apprise sur le Wench. Le navire était mort, avait dit la chasseresse de démons. Aussi, Théoden avait pris l’initiative d’envoyer des hommes nettoyer les couloirs non infectés du navire, et tuer les abominations qu’ils pouvaient y croiser. La chose fut faite en bon ordre. Djanela eut l’autorisation d’aller se reposer pour ne parler de ses découvertes que le lendemain. Elle ne parvint pas à dormir de la nuit.
Voilà pourquoi Johei vint la trouver dès le lever du jour. Elle en avait gravement besoin, cela se voyait au premier coup d’œil, même si elle s’affirmait calme. La teikokujin l’invita à se détendre, pour commencer des exercices essentiels. Pendant ce temps fut amené sur le pont son sac. En effet, les marins qui avaient fouillé le navire, s’ils avaient affirmé ne pas avoir pénétré les parties infectées d’où sortait une puanteur abominable et une fine fumée, avaient laissé savoir que rien dans la cabine du  capitaine ne ressemblait à des lettres, un journal, des cartes ou quoi que ce soit. En revanche, ils affirmaient tous qu’une lutte d’une étrange sorte avait dû avoir lieu ici.

Voilà pourquoi, dès le début de la journée qui se levait, Telthis se retrouvait à fouiller le sac de Djanela et à le vider sur le pont du Wench avec le capitaine Théoden, tandis que celle-ci se trouvait avec Johei. Telthis sentit qu’il y avait une poche secrète qui contenait quelque chose d’épais, mais choisit délibérément de ne pas l’ouvrir. Djanela avait ses raisons, qu’il interrogerait plus tard. Ils trouvèrent des cartes du vieux continent par dizaines, avec des croix marquées à certains rivages.
Une bague était soigneusement enveloppée dans un mouchoir. Telthis, au début, recommanda de ne pas la toucher, jusqu’à ce qu’il la reconnaisse. Elle était de manufacture elfique, et selon ces critères, très précieuse et très réussie. Seule un elfe particulièrement riche pouvait se payer un bijou de ce type. Il lui semblait d’ailleurs connaitre son propriétaire, ou plutôt sa propriétaire.
Sildael la Radieuse.

« Se pourrait-il qu’elle ait été trouvée ici ? demanda le capitaine Théoden.
-C’est sans doute une erreur de ma part, répondit Telthis. Comme vous pouvez le voir, il s’agit juste d’un anneau d’or avec un saphir. Je crois le reconnaitre, mais des bijoux de ce type, j’en ai vu des dizaines dans ma vie. Je peux tout à fait me tromper. Mais admettons que j’ai raison. Cela ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà : Elle est venue ici. Et sa bague aurait été trouvée. En outre j’avais le souvenir qu’elle l’avait laissée derrière elle en quittant le vieux continent, je ne parviens plus à me rappeler pourquoi cependant. Je dois confondre. Passons à la suite, je vois ici un carnet… »

Le carnet en question contenait des ensembles de lettres sans queue ni tête. Ces lettres étaient sales, grosses, et envahissaient parfois des pages entières. Elles avaient cependant étaient conservées à peu près lisibles, de sortes que les pages du carnet ne formaient une série de lettres étrange : ekwmmllflerg'gereedukseodheeirereeg'gaoacogaon'ntlthlfolthlililccaoaoeuphrh. Et ce n’était que le début du carnet, la suite de lettre continuait dans les pages suivantes.

« Ce langage vous est-il familier maître Telthis ? demanda Théoden, en commençant à continuer la lecture, quand Telthis referma l’ouvrage brusquement.
-Ma foi, dit-il, c’est là le véritable nom d'un démon. Ces noms sont d’une grande puissance, car ils permettent à ceux capable de les prononcer de contraindre le démon ainsi nommé à repartir dans son plan d’existence, sans avoir à le combattre. Je ne recommande pas de continuer la lecture de ce carnet cependant. Cette puissance recelée par ces lettres est à double tranchant, sachez-le. Si nous avons pu en lire assez peu pour ne pas être affectés, autant ne pas prendre des risques inutiles.
-En effet, répondit Théoden en hôchant la tête. Cependant, apprendre à prononcer ce nom pourra nous servir. Si on l’a trouvé écrit par la main de mon père, c’est que ce ‘est démon a un lien avec l’Achéron. Il sait donc forcément que nous sommes ici.
-Au vu de l’attaque aérienne que nous avons subis, ils sont nombreux à le savoir, répondit Telthis. Quant à le prononcer, je suggère de laisser demoiselle Renrin s’en charger. Elle sera bien plus apte que nous à cette tâche. »

Le capitaine hocha la tête puis se tourna vers les cartes du continent. Comme Telthis, il se doutait bien que ces croix n’avaient rien à voir avec des lieux à visiter, toutefois Telthis s’avoua incapable de dire si ces croix correspondaient à ces lieux stratégiques, et si oui lesquels. Après tout il n’avait plus foulé le continent depuis des millénaires. Théoden s’en chargea donc pour lui, mais il fronça les sourcils.

« Mais … Ça ne fait aucun sens ! dit-il en tirant une carte récente du continent. Voyez par vous-même. Il n’y a pas de grands ports, de capitales, d’embouchures de fleuves ou de grosses voies de transit ! S’il s’agissait d’envahir le Vieux Monde, je suppose que mon père aurait fait mieux que cela. »

Telthis fut laissé songeur par cette déclaration. Il révéla toutefois que les démons ne se souciaient pas toujours de stratégie. Parfois si, parfois non.

« Il semblerait donc, dit Théoden croisant les bras, que nous ayons affaire à un plan d’invasion, même si mal planifié. Quoi qu’il advienne, ce plan a été déjoué par notre capture de l’Achéron. Enfin pour l’instant du moins. »

Il se tourna vers le vaisseau sur le flanc.

« Les dieux seuls savent combien de vaisseaux mon père a emporté lors de son voyage. Combien d’autres, venant d’autres horizons, ont été pris dans cette bénébreuse nasse. S’il s’agit bien d’un plan d’invasion, alors il convient de nous assurer qu’aucune de ces embarcations ne quitte la brume de l’ouest.
-En effet, répondit Telthis. En évitant de préférence de refaire à chaque fois le scénario de l’Achéron. Nous ne supporterions pas toutes ces batailles.
-Avant d’envisager de partir en campagne, répondit Théoden, nous devons de toute façon savoir si cela est véritablement nécessaire. Voire même si nos forces actuelles suffisent. Ce qui implique de retrouver les documents de mon père, ou d’attendre une intervention divine. Nous allons devoir nous aventurer dans ces terres… »

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Johei ne sortit qu’à la toute fin de la journée de sa longue séance avec Djanela. Il était si tard que le capitaine Théoden était parti prendre son repos. La teikokujin paraissait fatiguée, épuisée même. De profondes cernes étaient creusées sous ses yeux, mais elle assura à Telthis que Djanela était désormais à nouveau sereine. Et qu’elle devait lui parler.

« Tant mieux, répondit Telthis en mettant la main sur le compartiment caché du sac, et sur ce qu’il contenait. J’ai moi aussi matière à lui parler. »

La teikokujin le salua d’une voix épuisée avant de regagner sans demander son reste sa propre cabine. Djanela sortit peu après elle.

« Qu’as-tu vu ? demanda Telthis. »

Il ne lui fit pas de remarque sur le caractère inopportun de son expédition, ni sur la disparition de Salea. Il savait à son visage qu’elle avait de toute façon compris grâce à l’aide de Johei. Inutile d’insister donc. Elle lui raconta son aventure, s’assurant que personne ne puisse entendre.

« Ce que tu as vécu, dit Telthis, peu de personnes peuvent se vanter de l’avoir fait et d’en être revenu. Et tu as eu beaucoup de chance. Trop. Ne tente plus jamais une chose pareille. Ce n’est pas ton corps que tu aurais pu perdre, ni le corps de Salea que tu as perdu. C’est beaucoup plus que ça humaine ! C’est de vos âmes dont je te parle. En ce moment, celle de Salea est déjà perdue. Elle est dans les enfers, aux côtés des démons. Et tu sais ce que cela veut dire.
-Oui, répondit Djanela, humblement.
-C’est bien, dit Telthis. Je vois que tu as comme je le soupçonne compris la leçon. Rassure-toi, il y a quelque chose de positif dans ton erreur. Nous aurions de toute façon dû faire cela un moment où l’autre, et rien n’aurait pu nous préparer à une faille. A tout le moins, grâce à toi, nous n’avons perdu qu’une prêtresse. Imagine si nous avions emmené des officiers,  voire le capitaine Théoden. Cela aurait pu être bien pire. Deux était un bon chiffre. Si cela peut te consoler.
-Le carnet de voyage ? demanda Djanela.
-J’ai en effet fouillé ce compartiment de ton sac, dit Telthis. Pourquoi le cacher ?
-Parce qu’il est muté, dit-elle. Parce que le capitaine Théoden voudra absolument le consulter, sans prendre les risques nécessaires, au nom du fait qu’il s’agisse de celui de son père. »

Telthis sourit.

« Il est vrai que le capitaine Théoden aurait réagi ainsi, dit-il. Je comprends cette méfiance. Il a encore beaucoup à apprendre sur les démons.
-Quand on a affaire à eux, dit-elle, aucun sentiment, fût-il noble, ne peut se mettre en travers de notre route, car c’est une faiblesse.
-Je n’irais pas jusque-là, dit Telthis, mais c’est exact, quoiqu’un peu extrême. Toutefois, comprends que nous devons faire confiance au capitaine dans cette expédition. Il est faillible, mais c’est lui qui dirige notre troupe. C’est en lui que les marins placent leur confiance. Toi ? Tu le sais toi-même.
-Ils me considèrent comme une folle dangereuse, résuma-t-elle.
-Et ton expédition ne va pas arranger ça, dit Telthis. Moi ? Je suis un elfe. Ils se méfient de moi pour ce que je suis. Parce qu’ils sont inquiets de voir que je suis pour eux une légende vivante, avec tout ce que ça implique. La peur de l’inconnu. Amplifiée par la présence des démons. Il suffit de peu avant qu’ils ne commencent à nous accuser, nous, ou les teikokujins. Dans ce contexte, Théoden les rassure. Il est leur phare dans ces ténèbres. Nous avons besoin de lui. Et nous avons besoin de sa confiance.
-Je devrais aller lui donner le journal ? demanda Djanela.
-Lui révéler son existence, répondit Telthis. Je ferai celui qui n’en sait rien. Il te reviendra de trouver les mots pour le convaincre de nous laisser le lire. Et c’est moi qui me chargerai de l’éplucher. Tu as eu ton content d’horreur pour quelques jours, et j’ai une information personnelle à y trouver, en plus de ce que le capitaine attendra que j’y trouve. »

Il confia le journal à Djanela, qui partit en direction de la dunette, puis se tourna vers l’est. Quelque part, là-bas, se trouvait Malene, qui pensait sa cousine morte. Sildael la Radieuse. Telthis n’était pas un magicien, et ne savait certainement pas communiquer par la pensée comme certains elfes savaient le faire. Mais toutefois, s’il y avait le moindre espoir que Sildael soit en vie, Malene devait immédiatement en être informée. Il se concentra, et tout ce qu’il avait en lui de force, il le mit dans le fait de visualiser la bague et le navire de Sildael, et de les envoyer vers l’est. Il s’arrêta au bout d’un moment, se disant que c’était ridicule.
A cet instant, une sorte d’espoir naquit dans son cœur. Une présence apaisante.

« Malene… mumura-t-il. »

Elle l’avait entendu. Puis l’espoir se fit plus grand. Ce n’étaient pas des mots, car ils étaient trop loin pour se parler ainsi, comprendrait-il plus tard. Mais c’était un sentiment que lui envoyait sa reine : l’espoir d’avoir enfin des nouvelles de sa cousine.
Retrouver au moins la preuve de sa mort ou la retrouver elle devint à cet instant pour lui plus qu’important. La raison de sa présence ici. Et du pourquoi il souhaitait le succès de cette expédition. Désormais, il ne participerait plus aux débats et combats à contrecœur. Car il avait un véritable but.

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Djanela frappat à la porte du capitaine. Il lui ouvrit dans une robe de chambre pourpre et chandelier à la main. Elle portait le carnet infecté dans ses mains. Il la regarda, puis le livre, puis elle à nouveau.

« Djanela ? demanda-t-il. De quoi s’agit-il ?
-Je crois qu’il s’agit, dit-elle, du carnet tenu par le capitaine de l’Achéron. »

Théoden la fit aussitôt entrer, refermant derrière elle et lui indiquant la grande table pour le poser. Il lui demanda s’il avait fini par être trouvé par les marins.

« Dès ma première expédition, avoua-t-elle sans se débarrasser du livre. Mais je crains que le lire ne soit pas une bonne idée.
-Très bien, répondit Théoden en posant son chandelier sur la table, et s’asseyant dans un fauteuil dans un coin. Pourquoi cela ?
-Comme vous pouvez le voir, dit Djanela en désignant la chair sur le livre, il est corrompu lui aussi. Initialement je ne comptais pas vous en révéler l’existence, parce que je pense qu’il peut contenir des propos hautement dangereux pour l’âme. Et c’est pour cela que je souhaite vous en décommander la lecture.
-Les informations que contiennent cette page, dit Théoden en passant la main sur son bouc, sauveraient sans doute un grand nombre de vie.
-Mais seules deux personnes à bord savent réellement s’y prendre avec les démons, argua Djanela. Telthis et moi-même. Confiez-le nous.
-Et qu’en feriez vous ?
-J’en extrairais les informations utiles, dit-elle, et je le jetterai ensuite dans le feu, où il doit quoi qu’il arrive terminer. »

Elle eut peur d’être allée trop loin en parlant du feu, elle savait que le capitaine Théoden n’aimait pas spécialement cette méthode. Alors pourquoi par tous les dieux avoir fait allusion à cela ?

« Définissez le concept d’informations utiles, s’il vous plait, dit-il sans relever.
-Tout ce qui peut aider à renvoyer les démons dans leurs abysses, dit-elle, soulagée.
-Et si je voulais lire ce journal, dit Théoden dans un soupir, que risquerais-je ?
-La folie, répondit Djanela, qui savait désormais très bien de quoi parlait-elle. ou de sombrer sous un charme décelé par ces mots et que les démons y auraient caché.
-Ne peut-on pas brûler les pages rédigées lors de l’arrivée dans ces terres maudites ? demanda Théoden. Conserver le reste. J’imagine que vous savez pourquoi j’y tiens. »

Dans l’absolu, cela aurait été possible, mais Djanela ne se sentait pas d’humeur à faire dans la demi-mesure sur ce coup.

« Je peux le comprendre, dit-elle, mais ce sentiment ne doit pas vous aveugler capitaine.
-Voilà pourquoi je fais de mon mieux pour trouver un compromis efficace. Donc, cela semble-t-il possible ? »

Elle comprit qu’elle n’y échapperait pas.

« Je vous demande nous laisser faire le tri, Telthis et moi, dit-elle.
-Je veux en conserver un maximum, répondit Théoden en se levant. Ne prenez pas de risques, mais songez-y, je vous en prie. Considérant vos raisons, et l’état dans lequel vous êtes sortie de l’Achéron, je ne vais pas châtier cette cachoterie fâcheuse. Mais attention, il ne doit pas y avoir de prochaines fois. »

Djanela accepta avec plaisir, puis sortir. La porte se referma derrière elle, et elle alla trouver Telthis, trop heureuse de se débarrasser de ce livre et le de le lui confier. Lui semblait serein quand elle lui remit l’ouvrage en main. Comme s’il avait appris une excellente nouvelle. Elle ne souhaitait pas savoir pourquoi. Il était trop mystérieux pour elle. Elle voulait aller dormir, pour la première fois depuis son expédition.
Johei. Elle n’aimait pas cette femme, parce que c’était une magicienne. Mais c’était aussi une faiseuse de miracles, car même si sa nuit fut peuplée d’horribles cauchemars qui la réveillèrent à de multiples reprises, elle parvint à trouver le sommeil.
Sam 22 Oct 2016 - 23:33
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Capitaine Theoden
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Capitaine Theoden
Une atmosphère étrange était tombée sur Demon Cove. Voilà maintenant une lune complète que l'Odyssée a trouvé refuge ici, entre les roches noires et les eaux putrides de ce monde inconnu. Une lune depuis que l'Achéron avait été reprit aux forces démoniaques.
Durant ces quatre semaines, Demon Cove s'était grandement transformée. Les mille deux cent âmes qu'elle abritait avaient œuvré sans relâche pour faire de ce gouffre froid un semblant de foyer. Autours du Wench, accosté en permanence avait peu à peu grandit tout une petite ville de tentes et de cabanons, vraisemblablement improvisés avec des débris et les voiles de rechange du Blacksmith. Sur la roche nue avait grandit un quartier résidentiel improvisé, où tout le monde pouvait dormir et se détendre, mais aussi un garde manger constamment surveillé, des postes d'armement pour équiper tout le monde en cas de danger, des terrains d'exercices et le début de ce qui servirait à réparer l'Achéron.
Au sommet de toute cette monstrueuse organisation se trouvait un seul homme : Le Capitaine Théoden. Grandement remit de l'état lamentable dans lequel Cassandra l'avait trouvé après son combat contre son père, il était parvenu à redonner ordre et discipline dans ses rangs. Tant et si bien qu'il avait à son tour été victime de son équipage qui l'appelait "Gouverneur", affectueusement. Une sorte d'humour de marin, car personne ne pouvait souhaiter gouverner un endroit aussi infecte ! Mais Théoden s'acharnait à voir les bons côtés de cet endroit.
Et présentement, il avait le regard tourné vers l'Achéron. Car pour le vaisseau de ligne, le grand jour était arrivé. Les travaux ordonnés sur sa coque par Théoden ayant pour but de le réhabiliter allaient enfin passer à la seconde phase.
Si tout allait bien.
L'Achéron tel qu'il fut quitté par Djanela avait beaucoup changé déjà. Mort, il avait rapidement commencé à empester. Enfin...plus que d'habitude. Les chairs qui couvraient sa coque semblaient finalement elles aussi soumises aux lois de la nature. Il avait donc fallut les enlever, ou prendre le risque de voir la baie de Demon Cove infectée par du pus et de la chair putréfiée pour les quinze tours à venir.
Jour et nuit, un grand feu brûlait, sur les rochers à l'écart du camp. C'était là que, continuellement, les marins œuvrant sur l'Achéron se débarrassaient des tonnes de viande pourrit qui composaient autre fois la proue du vaisseau.
Seulement voilà : il ne restait sous ces amas de chair rien du navire de ligne avec lequel le Capitaine James avait quitté le Vieux Monde. Le bois avait été tout simplement rongé, digéré... jusqu'à la structure même.
Théoden observait depuis la proue du Wicked Wench les travaux qui se terminaient. Le dernier morceau de viande tombait enfin, séparé de la coque. Dessous, rien. Exactement comme le craignaient les charpentiers qui annoncèrent qu'un bon tiers du vaisseau était irréparable en l'état.
En théorie, un tiers ce n'est pas grand chose. On peut le réparer, si il s'agit de mâture, de cordages ou de voiles. Mais lorsque l'on parlait de l'ouvrage fixe... c'était une autre paire de manche. On avait dépassé de loin les limites du réparable et tous les efforts de l'équipage se révéla parfaitement inutile.
Théoden n'eut besoin cette fois là d'aucune aide pour prendre la bonne décision. La seule qui s'imposait à lui : l'Achéron était perdu.


~o~


Un ennui certain régnait depuis un moment parmi les meilleurs soldats de l'Odyssée. Même à effectif réduit, les mousquetaires du régiment embarqué à bord du Wench ne semblaient plus trouver leur compte lors des séances d'entraînement prodigués par le maître d'arme. Ils s'en dispensaient aisément désormais, ayant un pas d'avance par rapport aux restes des troupes. Désormais, ils s'entraînaient entre eux. En tout cas en dehors des exercices de manœuvre généraux.
Trois parmi eux trouvaient le temps particulièrement long. Maxwell, Brujon et Tobias avaient prit pour habitude de s'isoler, las. En boucle, ils répétaient ce qu'ils pouvaient de l'entraînement que leur maître Elfe leur avait enseigné quelques mois plus tôt. Lutte, méditation, course d'obstacle... ils improvisaient tout cela selon l'espace dont ils disposaient.
Maxwell et Brujon se donnaient justement corps et âme dans un duel à la rapière, échangeant quelques passes de plus en plus vives en équilibre sur un aplomb rocheux en hauteur.
Mais en contrebas, Tobias semblait soucieux, morne. Assit sur un rocher face à l'eau, il y jetait quelques pierres. Son esprit était visiblement depuis longtemps ailleurs, et il refusait de s'entretenir avec Johei qui pourtant avait déjà fait deux fois le tour de son régiment.



"-Allons Tobias, pas ici !" avait-elle lancée, rieuse, alors qu'ils se retrouvaient derrière une pile de voiles de rechanges.

Le soleil était au beau-fixe ce jour là, sur le Wicked Wench. C'était une journée radieuse ! Comment pouvait-il en être autrement ? Après tout, le départ avait tout juste eu lieu, Teikoku était encore en vue depuis la dunette... mais Tobias était concerné par un tout autre spectacle.
C'était une ravissante jeune femme, blonde, dans une robe de lin blanche. Il s'en souvenait très bien. Blonde, aux yeux d'un brun noisette tout à fait charmant. Elle courait devant lui, ses jambes fines se perdant dans les volutes de sa robe légère. Lui la suivait, la poursuivait comme un chat l'aurait fait avec une sourie.
C'étaient les jours heureux. Les plus heureux, même, depuis qu'il s'était engagé dans la marine.

"-Selea, reviens voyons !" avait-il lancé.

"-Nooon ! Je suis attendu pour la prière Tobias !"

Elle n'était pas bien rapide, elle ne fuyait d'ailleurs pas vraiment. Il la rattrapa juste sous le mât de misaine, à l'ombre d'une caisse de poisson salé. Tous deux échangèrent un regard et se confondirent dans l'ombre, liés par un tendre baiser.


Elle n'était pas bien rapide, elle ne le fuyait d'ailleurs pas vraiment. Mais à présent qu'elle n'était plus, son rire le poursuivait lui, encore et encore. Du matin au soir, il la revoyait comme au premier jour de leur vie à deux. Il ressentait son regard tendre, la chaleur de sa paume sur sa main, et l'éclat de son sourire.
Mais maintenant, il savait que ses yeux ne s'ouvraient plus que sur un enfer de souffrance et de tourments. Ses mains, il les imaginaient tordues par la douleur, déchirées. Son sourire n'avait plus de dents, sa gorge n'était qu'un gouffre d'où elle hurlait tout son mal et implorait. En vain.
Ce n'était plus tant la perspective de l'avoir perdue qui le torturait. Il avait déjà fait face au deuil, plus d'une fois. C'était une partie de son travail de soldat. Mais la savoir là bas, c'était un songe qui le plongeait irrémédiable dans le plus grand des tourments. Et généralement, seul l'alcool pouvait tirer un cœur brisé de son enfer perpétuel. Non pas que boire face oublier la souffrance ! Mais cela permet au moins de se fatiguer assez pour sombrer dans un sommeil comateux, et oublier le temps d'une nuit sa propre existence.

Depuis un mois, le problème du rationnement s'était ajouté à la perte de son amour. Selea partie, incapable de se saouler, Tobias s'était trouvé seul avec lui même pendant la totalité d'une lune. Il tournait en rond, ne participant plus aux travaux, aux patrouilles, et maintenant aux entraînements. A quoi bon, après tout ? Il n'avait plus rien à défendre. Ou alors il ne le réalisait plus.
Quelques jours après l'accident, il avait apprit pour Selea. Les informations circulaient mal parmi ces quelques mille deux cents personnes. Qu'était-ce que le sort d'une seule prêtresse pour tous ces gens, après tout ? Il l'avait apprit au détour d'une discussion entre le Capitaine et la Prêtresse Supérieur. Une jeune prêtresse manquant toujours à l'appel, du nom de Selea aurait été la victime de l'expédition menée par Djanela dans l'épave de l'Achéron.
Depuis lors, impossible de se chasser Djanela de la tête. Même lorsque les premières expéditions furent organisées en dehors de la grotte, il s'assurait un dernier regard pour la chasseresse, et la promesse de lui faire payer sans tarder.

"-Alors Tobias, tu ne nous rejoins pas ?" lança une voix forte au dessus de sa tête, dans son dos. C'était Brujon, épée sur l'épaule qui lui faisait de grands signes, riant comme à son habitude avec force et sonorité.

Il abandonna vite l'idée de faire monter son compagnon qui, comme à son habitude retourna à ses pensées. Jusqu'à ce qu'une tignasse blanche passe devant lui tout du moins.
Djanela quittait le Wench, passant par la passerelle qui reliait le bâtiment à la terre. De là où il était, il ne pouvait pas la manquer. Il ne voulait pas la manquer ! Mais cette fois, sa patience ne tenait plus.
Tobias se leva d'un bond, sec et serra les poings en la suivant du regard, longeant la berge pour lui couper la route. C'est ce qu'il fit, d'ailleurs, surprit malgré tout qu'elle n'ait pas sentit venir cette boule de nerfs au regard noir. Il se planta devant elle, portant une main à la dague rangée dans son dos et s'apprêta à la tirer, ses yeux rivés dans ceux de la Ramienne.
Mais sa main, il ne parvint pas à la bouger. Ni son bras, d'ailleurs ! Il y avait comme une forte poigne qui s'exerçait dessus. Et puis il y eut une voix "Aaaah Tobias te voilà !" avait-elle lancée, grave mais enjouée "Maxwell et Brujon te cherchaient. Nous allions commencer nos nouveaux exercices, allons-y !"
Comme un fétus de paille, le mousquetaire fut entraîné en arrière, sentant un bras épais se passer autours de son cou. Ses cheveux, Samada les ébouriffa, riant un peu tandis qu'ils s'éloignaient tous deux de Djanela, qui les regardait faire, interdite. Elle avait certainement saisit que cet homme allait le tuer. Peut-être que le motif, lui, était encore vague cependant.

Toujours était-il que l'épais Teikokujin qui avait sauvé la peau de la jeune femme entraîna de plus en plus loin Tobias, sans le lâcher un instant. Il riait, beuglant qu'un peu d'exercice l'aiderait à quitter ce teint pâlichon qui lui donnait un air si lugubre. Après quelques dizaines de mètre cependant, plus personne n'était en vue. Seulement ses deux compagnons mousquetaires, et le Teikokujin retrouva tout son sérieux, libérant enfin son détenu. Tobias se jeta en arrière, surprit et s'apprêta à hurler son mécontentement. Mais à nouveau, l'épaisse main du samouraï l'en empêcha, muselant sa bouche.

"-Ecoutes petit homme" commença-t-il de sa voix forte "Je connais ce regard. Crois moi, il ne te mènera à rien de te laisser tirer aussi bas."

Tobias voulu se débattre, et Samada le laissa faire, sans véritablement s'en soucier. Le mousquetaire n'avait pas la moitié de la force physique du Teikokujin de toute façon.

"-Tes amis sont venus me voir, inquiets pour toi. Alors toi et moi, on va avoir une petite discussion. Parce que ce que tu gardes en toi" ajouta-t-il en martelant la poitrine de Tobias de son index "Ca ne t'amènera rien de bon."

Après un moment, l'humain s'abandonna à l'emprise de Samada et cessa de se débattre. Le guerrier le relâcha donc et croisa les bras, avec un demi sourire.

"-Bien. On m'a dit que vous vous ennuyiez. Je sais que je ne suis pas Telthis, mais je suis certain que j'ai quelques petites choses à vous apprendre !"

A nouveau ce rire, presque tonitruant. Puis il attrapa Tobias par le bras et l'emmena vers un rocher plat, plus large.

"-On va commencer par toi mon gars."

~o~

Théoden allait et venait dans le bureau de son père, songeur. Depuis quelques jours, il se penchait sur un projet complexe : monter la première grande expédition dans les terres.
Bien sûr, ses hommes avaient déjà quittés la grotte à plusieurs reprises afin d'explorer les environs immédiats. Mais jamais ils ne sont allés à plus de quelques centaines de mètres du camp. Et toujours, il les avait accompagné. Malgré les protestations de la plupart de ses conseillers d'ailleurs. Mais peu importait. Il était après tout celui qui avait été ramené par Ariel. Elle lui avait parlé à lui, et à lui seul. C'était pour une bonne raison. Il avait l'instinct, même si la raison s'entendait souvent très peu avec ce don.
Voilà pourquoi il se tenait depuis le levé du jour dans cette cabine ravagée. Même si Johei et Cassandra s'étaient fendus d'une vive protestation, arguant que le navire n'était pas purifié et que le souvenir de son père ferait assurément ressortir de mauvaises choses. Cette cabine avait été le dernier refuge du Capitaine James. Non, de Nathan. Et comme son père autrefois, Théoden sentait qu'il était maintenant face au même problème que lui. Comment s'aventurer dans ces terres sans risquer les vies de tout le monde ?
Alors il allait, venait. Il passait ses doigts dans les longues tranchées creusées dans le bois par les ongles de son père. Il s'asseyait sur son fauteuil, redressé dans un coin de la pièce. Le Capitaine cherchait un indice, n'importe lequel, pour savoir comment opérer.
Sans doute aurait-il trouvé quelque chose dans le journal de bord de son père. Mais Telthis et Djanela prenaient vraisemblablement leur temps pour le lire. En outre, et cela se comprenait, en ôter les parties infectées devait prendre un certain temps. Alors en attendant, il faudrait choisir une équipage de personnes capables, sans pour autant risquer de sacrifier toute chance de retour en cas d'échec.
D'une main nerveuse, Théoden faisait danser une certaine bague dans sa paume.
Il n'est interrompu que par l'arrivée de Telthis qui, après s'être raclé la gorge passe le pas de la porte. Même si celle-ci a visiblement été arrachée de ses gonds il y a longtemps. L'Elfe jette un coup d'oeil alentours, tandis que Théoden se tourne vers lui.

"-On dirait que votre père n'a pas passé de joyeuses heures ici.

-C'est pourtant ici qu'on le sent le plus en vie. Curieux n'est-ce-pas ? Ces simple murs semblent contenir ses derniers sursauts de conscience. Les échos de son dernier combat.

-A n'en pas douter."

Telthis semblait s'interroger. Il n'était apparemment pas sur la dernière liste que Théoden avait fait passer à ses officiers pour la prochaine expédition. Il changeait si souvent d'avis... apparemment ce dernier choix était le plus judicieux de toute façon.
Le Capitaine acquiesça simplement, avant d'ajouter qu'il voulait être certain de voir son camp toujours debout à son retour. Ce à quoi, étonnement, Telthis ne sembla pas s'étonner.

"-Puis-je vous demander d'être attentif à quelques détails en particulier durant votre expédition ?" demanda-t-il cependant "Ils me tiennent à coeur.

-Je vous écoute.

-Je vous ai parlé de Sildael la Radieuse, et du fait que la bague lui appartenait sans doute. Puis-je vous demander, si vous croisez durant votre expédition la moindre chose, la moindre personne, qui vous semble elfique, d'y prêtre une attention particulière ?"

"Hmmm...intéressant" songea Théoden en entendant l'Elfe. Pragmatique comme il était, Telthis ne lui demanderait assurément pas de poursuivre des recherches si il n'avait pas d'éléments lui laissant penser que Sildael la Radieuse avait pu survivre. Ou du moins qu'on puisse trouver son corps. Si ce journal lui avait apprit des choses, alors Théoden s'empressa de lui demander. En outre, il voulait savoir si la bague qu'il tenait dans la paume de sa main était bel et bien celle de Sildael.
Il lui montra donc, et Telthis se laissa aller à un sourire.

"-Je préfère terminer le journal de votre père avant de commencer à en parler." commenta-t-il avec prudence "Mais je suis désormais à peu près certain qu'il s'agit bien de la bague de Sildael."

"-Vous feriez bien de la garder alors." lui répondit le Capitaine, avançant qu'il pouvait très bien y passer et qu'il serait regrettable de perdre à nouveau un artéfact si précieux.

Telthis balaya l'éventualité d'une phrase, préférant conseiller à Théoden de revenir entier. Après quoi, il lui tendit un croquis apparemment réalisé par Fiora Rossi représentant une Elfe à l'air dur et pourtant au combien radieux. Pas de toute, cette Sildael portait très bien son nom !

"-J'ai demandé à madame Rossi de dessiner selon ma description un portrait de Sildael la Radieuse, si par hasard vous cherchiez à l'identifier en chemin...

-Si elle est elle même la cousine de la Reine Malene, j'imagine que sa splendeur me suffira pour l'identifier ne pensez vous pas ?

-Je préfère prendre mes précautions."

Un instant, Théoden examine le dessin que lui tend Telthis et finit par le ranger dans le revers de sa veste, précisant qu'il s'agissait là d'une assurance judicieuse.
"-En mon absence, vous aurez la charge du camp.

-Je vous remercie pour cette confiance."

Apparemment soucieux, Théoden s'approcha de Telthis, comme pour lui confier un secret. Il détourna un instant le regard, révélant que certains homme risquaient de voir son nouveau rôle de commandant d'un mauvais oeil. Après tout, la chaîne de commandement prévoyait que ce soit Treville qui commande en l'absence du Capitaine ! Une entorse au règlement qui passerait mal. Surtout que Telthis effrayait ceux qui ne l'admiraient pas déjà. Tant de pouvoirs en un seul homme...cela laissait craindre beaucoup de choses.
Après un léger silence, Théoden releva le regard vers son compagnon.

"-Voilà pourquoi, demain, vous serez élevé au rang de Capitaine. Je sais que cette promotion est plus un moyen qu'une récompense. Mais il ne fait aucun doute qu'elle est très largement méritée. Ainsi, vous aurez l'oreille des sous officiers et des hommes. Treville et Brookes y veilleront.

-C'est bien. Le réalisme est une bonne chose."

Remarque oh combien surprenante de la part de Telthis !
Théoden acquiesce, silencieux. Il lui adresse une accolade et se dirige vers la sortie.

"-Oh, j'allais oublier !"

Il lui lance la fameuse bague.

"-Prenez en soin. J'imagine qu'elle appartient autant à votre peuple qu'à moi.

-La question de son propriétaire sera longue à résoudre, j'en ai peur. Mais je vous remercie encore."

En sortant, Théoden entendit un vacarme discret provenant d'un coin de la grotte. Sur un plateau rocheux, il aperçut trois de ses hommes aux prises avec un Teikokujin de forte carrure. Il se surprit de ne pas reconnaître celui qui affrontait ses trois meilleures fines lames. Après tout, il ne connaissait pas son nom et pourtant ce guerrier leur tenait tête sans difficulté, se laissant aller à des rires gras et pourtant oh combien franc !

Maxwell et Brujon avait passé un bon moment à regarder Tobias affronter Samada. Le mousquetaire, que la rage aveuglait passa de longues heures à charger encore et encore contre le teikokujin avec à peu près tout ce qu'il possédait de colère, de frustration et de haine. Tout cela, Samada le fit ressortir en le laissant attaquer, encore et encore. Il se contentait de parer, sans relâche, aussi brut qu'un rocher !
Tobias s'était prit au jeu, martelant la défense de son adversaire jusqu'à briser sa lame. Puis il avait tenté de le frapper aux poings, de le renverser. Mais à ce jeu là, il ne sembla pas de taille, et à terre il avait rapidement fondu en larmes, une fois à bout de forces. Et de rage.
C'est ainsi qu'à la fin de la journée, le trio s'était de nouveau formé ! Tobias à nouveau armé, ils avaient pu reprendre des exercices dignes de leurs talents avec l'aide de Samada. Samada qui, même à trois contre un leur donna tellement de fil à retordre que Théoden se promit de demander son nom à Johei lors de sa séance de méditation du soir. C'était un talent qu'il ne fallait assurément pas manquer.

~o~

Au lendemain matin, Théoden s'éveilla assez détendu dans sa cabine. Une brise fraîche semblait saluer son prochain départ en expédition. Et comme convenu, il retrouva sur le pont du Wench la petite équipe qu'il avait fait convoquer. Cette équipe était composée de près d'une trentaine de personnes, parmi les meilleures.
Il y avait lui même bien sûr, mais aussi Djanela qui s'était montrée plus que compétente lors de ce dernier mois, ce guerrier nommé Samada qui l'intriguait beaucoup, Maxwell Brujon et Tobias sa garde rapprochée, un cartographe afin de tracer une carte précise de ces terres au fur et à mesure de leurs avancées, une vingtaine de fusiliers afin d'assurer un semblant de sécurité et une poignée de guerriers Nordiens. Parce qu'on ne voyage jamais plus en sécurité qu'avec ces types en armure armés jusqu'aux dents.
En outre, ils avaient été redoutables jusqu'à présent.
Et bien sûr, on avait fait chercher Johei. Plus que jamais, elle semblait indispensable à cette expédition pleine de mystères.
L'objectif de leur rencontre était simple. Quelques heures avant leur départ, Théoden leur prodiguerait quelques conseils concernant leurs paquetages. Ils recevraient tous -et surtout les fusiliers- des sabres ou armes récemment bénis et des tenues de voyage.

"-Bien, messieurs, Djanela, Johei, on se retrouvera à la porte Ouest après la cérémonie. Ne soyez pas en retard."

Tout le monde salua le commandant et disposa en bon ordre.

La cérémonie en question, c'était l'embrasement de l'Achéron. A contre coeur, cette mesure avait été adoptée afin de débarrasser la plage de l'épave, et adresser à Ariel une dernière offrande. Ainsi qu'une pensée pour les marins qui avaient échoué là il y a fort longtemps.
Le bâtiment avait déjà été préparé. Nettoyé du moindre signe d'infection, on lui avait prélevé sa barre, mais aussi ses lanternes de poupe et la grande cloche de quart. Ce serait là la somme de ce que les prêtresses devraient finalement bénir, et qui serait incorporé au Wench.
Le reste de l'édifice allait être embrasé, et lentement poussé vers le large afin de rejoindre le domaine de la Grande Reine et reposer à jamais.
Tout le monde fut là pour assister au dernier voyage de l'Achéron. Non pas que tous ressentaient la même tristesse que le commandant de l'Odyssée, mais toutes les mains des deux équipages avaient oeuvré pour sa restauration qui n'aurait finalement jamais lieu. Il semblait finalement que ce vaisseau soit devenu une partie du décors, une présence constante à laquelle tout le monde s'était habituée.
De flammes ambrées dansèrent sur le grand pont de l'Achéron lorsque les torches y furent jetées. Le navire recula lentement vers les eaux, flottant tant que son nez restait sur la terre. Puis les eaux commencèrent à s'infiltrer dans sa coque, et l'agrippèrent pour de bon. Les mains d'Ariel se saisirent de l'Achéron et l'amenèrent plus encore vers le large, lentement. Mais le feu ne lui fit aucun dommage. Le bois était trop robuste. La facture trop bonne. On entendit un grondement sourd, comme le hurlement d'une baleine éventrée. Des bulles d'air de plus en plus grosse se mirent à faire enfler la surface de l'eau à la proue du navire qui, lentement mais sûrement se mit à piquer du nez. Au large. Le bois craquait, crachant tout l'air qu'il contenait encore. Caisses, cordages et tonneaux sur le pont se mirent à glisser, puis à rouler et tombèrent à l'eau. Bientôt, tout l'ouvrage se trouva suspendu à sa poupe, basculant dans les tréfonds dans ce même gémissement plaintif et grave. Il ne resta bientôt plus que la dunette, émergeant des eaux comme un dernier aurevoir. L'Achéron s'enfonça à la verticale dans l'océan, se taisant peu à peu.
Et puis soudain, la pression accumulée dans les parties arrière du bâtiment fit exploser toutes les vitres qui projetèrent par milliers de petits éclats de verre dans les airs. A la lumière du soleil du matin, ce fut une seconde rosée qui tomba sur la mer troublée. Un spectacle de larmes scintillantes, retombant peu à peu jusqu'à l'eau qui ne laissa bientôt place qu'au silence, et à l'émotion.

Il n'y eut que la voix de Théoden qui troubla la mélancolie qui avait soudainement saisit l'équipage. D'une bonne voix, il appela à lui l'attention de tout le monde et fit monter à côté de lui Telthis. Avec un cérémoniel bien Kelvinois, il annonça la promotion de l'Elfe au rang de Capitaine et lui remit l'épaulette qu'il pourrait porter, symbole de son nouveau grade. Avec cela, il prononça un bref discours et annonça les nouvelles dispositions de la hiérarchie après son départ.
Il y eus des applaudissements polis et puis Théoden leva l'assemblée, avec des remerciements. Un dernier regard vers les eaux plus tard, il repartait se préparer...

~o~


En chemin vers la porte Ouest, menant à la terre, Théoden croisa le Capitaine Rossi.
Son paquetage sur l'épaule, il décida de s'arrêter à son niveau, tandis qu'il surveillait sa distraite de femme en pleine séance de croquis.
L'oréen le salua poliment, et suivit Théoden un peu plus loin à sa demande.

"-Il semble que des félicitations s'imposent, Henrique.

-Des félicitations ?" il semblait surprit !

"-Eh bien" justifia Théoden "on m'a confié que vous aviez été le premier à accourir dans les cales, lorsque les démons se sont attaqués à nos vivres. Le Capitaine de Treville insiste pour que je vous félicite. Il a raison. La bravoure, peu importe sa  source est toujours bonne à applaudir."

Il marque un temps.

"-En outre, j'ai décidé pour le bien de l'Odyssée que votre femme resterait à bord du Wench, au lieu de débarquer comme la plupart des hommes. Il semble que ce soit la meilleure solution pour moi d'assurer la sécurité du vaisseau !"

Henrique sembla accueillir la pointe d'humour avec un brin d'amusement, mais surtout beaucoup de soulagement. Il se doutait que Théoden faisait surtout ça afin de ne pas séparer l'époux de sa femme. Et il le remercia.

Après quoi, le Capitaine lui adressa une accolade, riant un peu et le pria de continuer ses efforts.

"-Je sais que votre épouse est votre priorité, Henrique. Mais n'oubliez pas que si les défenses de ce camp s'effondrent, vous n'aurez aucune chance seul."

Après quoi il repartit vers la porte, où il retrouva ses hommes. Mais aussi Cassandra. Il l'assura de son affection, la salua humblement et jeta un dernier coup d'oeil à son navire, avant de partir. En tête de son convois, il pria sa déesse et espéra découvrir encore mille merveilles, avant de devoir rentrer...
Dim 23 Oct 2016 - 22:31
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Dargor
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Le Maitre de l'Intrigue
Dargor
Un océan de roche, à perte de vue, partout autour d’eux. Tel est le paysage qu’ils traversèrent. Samada était parfaitement heureux d’avoir été choisi pour l’expédition qui avait été organisée par le capitaine Théoden, car l’inaction dans cette baie que l’on avait nommée Demon Cove lui pesait. Non pas qu’il se soit ennuyé ! Ses élèves les fusiliers avaient eu besoin de lui, et il avait désormais noué des liens d’amitié avec eux. Tobias, en particulier, avait eu besoin de son soutien après la perte de la prêtresse Salea.
Samada se souviendrait longtemps du moment où on l’avait retrouvée en dépeçant l’Achéron. Des marins avaient appelés. Elle était assise contre un mur. Mais en vérité, seul son visage, curieusement laissé intact, permettait de savoir qu’il s’agissait du cadavre d’un être humain. Car tout le reste était ouvert, et les choses qui l’avaient ainsi mise en pièces s’étaient acharnées dans un déchainement, une orgie, de violence, à extraire de ce corps tout ce qu’elles pouvaient et à le lancer au loin dans la coursive. Il y avait des morceaux de tout sur plusieurs mètres. Et il en manquait beaucoup. Des traces de mâchoires laissées à l’intérieur du corps avaient laissé penser au Thackeric que ce qui n’avait pas été arraché puis jeté au loin avait été purement et simplement dévoré.
Un véritable carnage, fait sur une seule personne. Djanela n’en avait rien dit quand elle avait appris la nouvelle. Elle s’était contentée de regarder ses pieds. Cela n’avait certainement pas aidé Tobias,  qui la tenait pour responsable de ce qui était arrivé à la prêtresse. Et qui avait sans doute été le plus choqué par ce qu’il avait vu dans l’Achéron. Le cadavre de Salea, ou du moins ce qu’on avait pu en rassembler, avait été sommairement brûlé. Mais cela n’avait pas apaisé l’âme de Tobias. Samada avait alors tenté de le noyer dans l’exercice, de lui faire oublier ses problèmes dans le travail de sa technique. De tous les fusiliers, Tobias allait ainsi devenir le meilleur, bientôt. Mais cela ne suffisait pas. Dès qu’il était seul, il repensait à cette affaire.

Pour cette raison en particulier, et pour le fait qu’il avait lui-même besoin de changer d’endroit, Samada fut satisfait qu’ils soient choisis par le capitaine Théoden pour partir en expédition. Découvrir de nouvelles terres leur ferait le plus grand bien. C’était ce qu’il pensait en partant. Mais en vérité, plus il avançait dans cette plaine de roche désolée, plus il s’inquiétait du fait qu’on ne trouve rien ici. Cela n’arrangerait ni ses affaires, ni celle de Tobias, que l’on ne trouve que des cailloux à perte de vue. Partout.
La plaine était en effet magnifiquement vide. Le ciel qui régnait dessus était gris, tout comme la roche sur laquelle ils marchaient. C’était un paysage qui n’était pas sinistre, pas beau. Il était simplement triste. Désagréable à regarder, désagréable à visiter. Et il s’étendait à perte de vue, où qu’ils regardent, sauf derrière eux, là où ils pouvaient encore voir les falaises qui dominer la mer. Vu l’absence totale de dénivelé dans cette plaine, ils pourraient les voir longuement, à n’en pas douter. Ils devraient aller plein sud durant toute leur expédition. Et pendant ce voyage, ils ne trouvèrent que de la roche jusqu’à ce que midi vienne.

A midi, ils s’assirent à même le sol pour partager un repas. Ce dernier était plus épais que ce à quoi ils avaient été habitués dernièrement. Cela leur fit du bien à tous. Si marcher nécessitait de toute façon plus de ressources que de simplement rester à vaquer aux occupations décidées par le capitaine dans Demon Cove, dans les faits, même là, le rationnement se faisait sentir.
Samada en était d’ailleurs inquiet. Ne devraient-ils pas se soucier de trouver à manger dans ces régions ? Et dans cette plaine de cailloux, il était évident qu’ils ne trouveraient pas d’autre source de nourriture que des lézards des roches, si tant est qu’ils réussissaient à en attraper. Ou à en voir. Car cette pensée le fit réaliser que d’animaux, ils n’en avaient vu aucun durant leur expédition. Aucun oiseau, aucun insecte. Le silence était total. L’inquiétude grandit au cœur du samouraï. Cette plaine, dans sa nudité, avait quelque chose d’oppressant.

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Le repas terminé, la troupe se remit en route. Leurs pieds soulevaient de la poussière en avançant. Johei avait été un peu étonnée quand elle avait appris que le capitaine souhaitait l’emmener avec elle, mais elle s’était pliée à sa volonté. Et aujourd’hui, elle ne regrettait pas d’avoir emprunté aux samouraïs des souliers de voyage et non ceux qu’elle portait habituellement. Toute la journée à marcher parmi ces cailloux eut été autrement éreintant pour elle.
Physiquement, elle n’était, il fallait bien le reconnaitre, pas habituée à de si longues marches. Elle serait fatiguée à la fin de la journée. Mentalement, en revanche, elle profitait avec plaisir de l’occasion pour mettre de l’ordre dans son esprit. Penser à ce qui avait été vu durant cette odyssée et qui resterait à voir. Les démons… Sur Teikoku, ils étaient acquis comme étant non pas des légendes, mais des réalités. Les fresques, les statues du palais impérial représentaient souvent des Anciens en train de les affronter. Mais jamais un teikokujin n’en avait vu, et encore moins n’était mort de la main de l’un d’eux, comme cela avait été le cas lorsque, sur l’Achéron, un samouraï du nom d’Akeno s’était retrouvé tranché en deux par la pince de cet abominable créature. Cet épisode avait plus marqué les guerriers de Teikoku qu’ils ne voulaient bien l’admettre, et les séances de méditation avaient désormais un goût différent.
Il en allait de même avec l’ensemble des marins, ou des guerriers des Marches, dont ceux qui les accompagnaient. Ils n’avaient pas été habitués à la discipline spirituelle à laquelle les teikokujins s’étaient habitués. Alors la vision des démons et des morts qu’ils causaient les affectaient plus encore. De tous les marins qu’elle avait vus depuis le premier contact, tous lui avaient parlé de la crainte qu’inspiraient ces créatures. Certains avaient parlé de fascination morbide naissante. D’autres encore, et ceux-là, Djanela lui avait dit de les lui envoyer, avaient parlé de beauté dans l’aberration que représentaient ces bêtes. Ils étaient aujourd’hui aux fers au fond de l’Achéron et du Blacksmith. Beaucoup avaient parlé de haine bien entendu, de dégoût. Mais ce qu’elle notait, c’était qu’aucun n’avait parlé de détermination quand elle demandait s’ils se sentaient prêts à les affronter à nouveau. Et cela l’inquiétait un peu quant à l’avenir. Les discours du capitaine Théoden étaient motivants, mais la crainte des démons semblait grande.

Elle abandonna ces pensées à cet instant. Devant elle marchait le capitaine, et un papier dépassait quelque peu de son sac de voyage. Par curiosité, et ayant envie de penser à autre chose pendant quelques instants qu’à cette discipline, elle l’attrapa, et accéléra un peu pour passer à côté du capitaine. En silence, elle lui montra le papier, puis après un regard interrogateur, reçut une confirmation silencieuse qu’elle avait le droit de l’ouvrir, chose qu’elle fit. C’était le portrait d’une dame elfe d’une grande beauté, tracé par la main de Fiora Rossi.

Spoiler:

Elle s’apprêta à poser une question, mais le capitaine Théoden lui fit remarquer, avec un demi-sourire, que la curiosité était un vilain défaut. Elle ne connaissait pas ce dicton, mais il devait venir du continent. Elle se contenta de répondre par la question à laquelle elle avait pensé.

« Ça dépassait, se justifia-t-elle. Qui est cette dame ?
-C’est une certaine Sildael la Radieuse, répondit le capitaine. Cousine de la Reine Malene. »

Le capitaine Théoden avait-il conscience de l’importance de ce dont il parlait pour l’évoquer aussi calmement ? Johei ouvrit de grands yeux à cette nouvelle. La Reine Blanche était presque une demi-déesse chez les teikokujins. Alors que devait être sa cousine, qui pourtant était restée inconnue !

« Cousine de la Reine Blanche ? demanda-t-elle, pour vérifier.
-Elle se serait perdue dans ces terres quelques millénaires avant nous, confirma le capitaine en opinant du chef. Telthis soupçonne que nous trouvions quelques indices concernant son devenir. »

Johei réfléchissait à toute vitesse à présent, perturbée par ce qu’elle apprenait. Mais pas étonnée. Il était évident que les elfes blancs avaient été partout. Mais perdus ? Cela avait-il un lien avec les démons ?

« Si c’est une proche de la Reine Blanche, finit-elle par dire, cela devient pour ainsi dire un devoir.
-Absolument. En outre, Djanela a découvert une bague qui lui appartenait dans la cabine de mon père à bord de l’Achéron. »

Johei resta silencieuse quelques instants. Jamais la Reine Blanche n’avait fait allusion à une éventuelle cousine quand elle parlait aux teikokujins.

« Jamais la Reine Blanche n’a fait allusion à d’autres membres de sa famille que son frère devenu fou, son père et sa fille, en notre présence, dit-elle.
-Je suppose, répondit Théoden, que le sujet est douloureux, même pour la reine des elfes blancs. Personne n’est à l’abri de la souffrance, et du deuil. »

A ces mots, Johei revint à l’instant présent, et se tourna vers l’arrière de la troupe. Au fond de la colonne, trainant un peu la patte, se trouvait le mousquetaire Tobias, qui devait comme à son habitude depuis une lune à présent ruminer de sombres pensées.

« Personne, non, dit-elle en se retournant vers Théode. Il faudra que j’aille le voir, je le crains.
-Je crois que votre compagnon, répondit le capitaine en lui mettant une main conciliante sur l’épaule, Samada, a déjà fait des merveilles avec celui-là. »

Cela lui ressemblait bien. Johei connaissait Samada de longue date, et savait que c’était un bon samouraï. Discipliné, rigoureux, et toujours prêt à venir en aide à une âme dans la tourmente.

« Je n’en doute pas, dit-elle.
-Cela étant, ajouta le capitaine, je crois qu’il vous en serait reconnaissant. Assurez-vous cependant de garder du temps pour vous-même. »

Johei sourit. Les magiciennes de Teikoku savaient à quoi elles s’engageaient quand elles apprenaient à parler à ceux qui en avaient besoin.

« Je connais mon rôle, capitaine.
-Personne n’en doute, répondit-il en souriant et en récupérant le portrait, y jetant un œil avant de le ranger dans sa veste. Savez-vous que beaucoup à Demon Cove apprécient tellement votre ouvrage qu’ils songent à vous mettre à la place de figure de proue du Wench ? En copie de bois et de nacre bien sûr. »

Johei sentit le rouge lui monter aux joues à cette nouvelle. Elle n’avait jamais fait que son devoir, et de tels honneurs la gênaient terriblement. Ce n’était qu’un travail bien fait pour elle.

« Vous me flattez, capitaine, dit-elle.
-C’est pas vrai les gars ? cria Théoden en direction de ses hommes, tout sourire. Dame Johei ferait une formidable figure de proue, hm ? »

Il y eut un hourra général pour elle, de la part des fusiliers comme des hommes des Marches, puis on échangea des rires. La troupe était à nouveau, pour la première fois depuis le départ peut-être, joyeuse et enthousiaste.

« Ce n’est pas à moi de dire ça apparemment, dit-il en la regardant à nouveau. »

Johei ne répondit rien, accélérant un peu pour ne plus avoir à les regarder, tant elle était gênée par cette nouvelle. C’était une bonne chose. Qu’ils se réjouissent et rient tous ensembles dans cette plaine morne était incontestablement une bonne chose. Même si c’était à ses dépens. Dans un sens elle faisait ainsi encore son travail. Mais elle ne se sentait pas digne d’être une figure de proue de bois de nacre, tout de même.
Elle avait ainsi dépassé la troupe d’une bonne dizaine de mètres quand, parlant de bois, elle crut en voir au loin sur la plaine. Elle le montra au capitaine. Ce dernier confirma, il y avait bien quelque chose. La troupe se mit en route vers ce qui n’était encore que des silhouettes d’arbres dans le lointain, bien à l’ouest. Ainsi, ils firent un virage dans leur route qui les menait vers le sud.

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La forêt, il fallut marcher toute la fin de journée et une partie de la nuit pour arriver à sa lisière. Dès qu’ils y entrèrent, tous, Djanela comprise, furent saisis par l’atmosphère inquiétante qui y régnait, en accord total avec la morne plaine qu’ils venaient de traverser. Tous les arbres de cette forêt étaient morts, et ce qu’ils n’avaient pas du de loin, c’était que beaucoup d’entre eux étaient à terre. Il n’y avait pas de frondaison végétale, ni même de branche ici, car trop d’arbres étaient couchés pour en former une. Il fallait d’ailleurs en permanence enjamber des troncs que nul insecte, nulle humidité, n’avaient dévorés, les laissant curieusement intacts. Ils avaient attrapé le teint gris de la plaine, et une épaisse couche de poussière les recouvrait, la même poussière qu’ils soulevaient de leurs pieds depuis une journée entière.
Les arbres morts avaient quelque chose d’oppressant. Ils amenaient une ombre malvenue sur la plaine, et les bruits de pas des humains semblaient désormais venir de partout et nulle part à la fois. Djanela s’approcha brutalement de Johei et s’accrocha à elle, en proie à une panique grandissante. Johei comprit rapidement, à sa grande joie. Cette impression que le danger était partout et que le bruit venait de tout autour d’elle réveillait au fond de la chasseresse des souvenirs de la lune dernière, et de l’Achéron. Elle n’avait jamais vraiment abandonné ces images, même si elle voyait désormais Johei tous les jours. A bord du Wench, dans la baie, à bord du Blacksmith, et maintenant dans cette forêt, elle voyait encore régulièrement les ombres qu’elle avait vues dans la faille. Et elle les entendait souvent. La peur la prenait alors aux tripes. La peur de ces créatures.
Les hommes de l’expédition étaient rendus nerveux par ces arbres ? Ils la plongeaient pour sa part dans un état proche de la panique. Mais elle sut rester maitresse d’elle-même. Ce qui selon ce que lui dit Johei était un progrès.

« Il y a quelques jours encore, je crois que tu te serais enfuie en hurlant, lui dit-elle en souriant, et Djanela la croyait bien. »

Elle fut cependant loin d’être heureuse quand le capitaine, ayant trouvée une clairière à peu près dégagée, décida de faire une halte ici. Alors que le groupe s’installait, elle se résolut à penser à autre chose. A se détendre. Pour se faire, elle décida de faire quelque chose prévu depuis cette rencontre dans la baie. Aller parler au mousquetaire Tobias. Elle avait eu l’impression qu’il souhaitait la tuer. Elle souhaitait savoir pourquoi cette haine. Les marins lui jetaient des regards méfiants parce qu’elle était une chasseresse de démons de Ram. Mais aucun ne la regardait ainsi.

« Excuse-moi, lui dit-elle en arrivant devant lui, après le dîner. Tobias c’est cela ? Puis-je te parler ?
-Je me demande, dit-il en regardant le sol devant lui, resserrant ses jambes contre lui, y’a-t-il vraiment des flammes en enfer ? »

Djanela fut étonnée de cette question sans aucun rapport avec ce qu’elle avait demandé, mais s’assit à côté de lui, se décidant à lui répondre. Autant engager cette conversation à son rythme après tout.

« Personne n’a jamais été étudier les enfers, répondit-elle. Ou du moins, personne n’en est jamais revenu. Impossible à savoir donc. Mais dis-moi, depuis cette altercation à Demon Cove, j’ai la sensation que tu ne m’aimes pas vraiment. Puis-je savoir pourquoi ?
-Je me demande, on ne sait jamais, répondit-il en levant des yeux plein de haine vers elle. On m’a dit que c’est toi l’y a emmenée. »

Méfiante, elle porta la main à la garde de son cimeterre et se tint prête à bondir. Elle ne pensait pas qu’il allait l’attaquer, mais cette situation ne lui inspirait pas confiance.

« Qui a emmené qui où ? demanda-t-elle.
-Ouuuh, répondit-il en suivant la main qui tenait son arme du regard, avec un rire mauvais. Vous allez me sacrifier moi aussi ? »

Il devait être fou, il n’y avait pas d’autre option, parce qu’elle ne comprenait décidément rien à ce qu’il racontait.

« Il n’est pas question de sacrifier qui que ce soit, répondit-elle. Je ne comprends rien à ce que tu me dis.
-J’aurais au moins, dit-il en ramenant les mains autour de ses jambes, pensé que tu aurais la décence de ne pas l’oublier, ELLE. »

Se pouvait-il qu’il parle de Salea ? C’était la seule option que voyait Djanela, mais elle ne comprenait pas pourquoi y attachait-il tant d’importance. Ce n’était peut-être pas ça. Elle voulut vérifier.

« Je ne vois même pas qui est-elle, répondit-elle.
-Je crois que tu vois très bien de qui il s’agit, répondit-il, mauvais. Blonde, le teint frais comme un matin de printemps, le rire clair et les mœurs pieuses. »

Il la regarda.

« Toujours rien ? Ou tu vas me forcer à prononcer son nom ?
-Salea ? répondit-elle. Tu parles de Salea ? Mais … Je ne l’ai jamais sacrifiée, de quoi parles-tu ? Il est vrai que je l’ai convaincue de me suivre dans l’Achéron, mais il n’a jamais été question de la sacrifier. Et pourquoi m’en tenir à ce point une rancœur personnelle ? »

Elle se retint d’ajouter que le teint frais auquel il faisait allusion était peut-être plus basané que dans ses souvenirs, mais devina qu’elle ne ferait que l’agacer encore plus.

« Je la connais, répondit-il en pouffant d’un rire mauvais. Rien ne l’aurait poussée à entrer dans ce foutu vaisseau. Rien sauf une de ces chasseuses ramiennes et leur complète absence de cœur.
-Son sens du devoir ? répondit-elle, s’agaçant à son tour. Je n’ai fait que la convaincre. Je n’ai rien fait qu’elle ne refuse. »

Et puis zut à la fin ! Pour qui se prenait-il ? Pensait-il vraiment qu’elle l’avait enlevée pour la contraindre à venir ? Certes Salea n’était pas enchantée à cette idée, mais elle avait dit oui ! Elle savait qu’elle ne pourrait pas le lui faire admettre, mais elle avait déjà suffisamment souffert de cette expédition pour qu’en plus il tente de la rendre entièrement responsable du décès de Salea. Il reposait en partie sur ses épaules, mais son amie était une femme adulte, qui avait fait son choix !

« Allons bons, dit-il, elle a suivi jusqu’au bout sans protester ni vouloir faire machine arrière, peut-être ?
-Au risque de te choquer, oui ! explosa-t-elle. Ce qui a été vécu sur l’Achéron, c’était terrible. Pour nous deux. Et je ne dois qu’à la chance d’en être sortie vivante. Jamais je ne recommencerai. Je regrette cette expédition, qui hante encore mes cauchemars toutes les nuits. Mais il y a une chose dont je suis certaine, c’est qu’à aucun moment, Salea n’a fait quelque chose qu’elle ne soit pas d’accord pour faire. »

Réalisa-t-il comme elle réalisa à cet instant qu’ils avaient commencé à crier, et que tout le camp les regardait se disputer ? Toujours était-il qu’il se leva en l’applaudissant.

« Eh bien bravo madame la chasseuse, dit-il. Et si on jouait à un jeu, hm ?
-Je n’ai pas forcément envie de jouer avec toi, répondit-elle, si le but est de me mettre ce décès sur le dos. »

A vrai dire, s’il tentait à nouveau de la convaincre que tout était de sa faute, elle ne savait pas si elle n’allait pas lui sauter à la gorge pour le faire taire.

« Allons bons, je suis sûr que tu vas l’aimer celui-là, répondit-il en s’éloignant. C’est comme un cache-cache, sauf qu’il n’y a pas de fin.
-Que sais-tu de ce que nous avons affronté dans ce navire ? lui lança-t-elle. »

Tiens, puisque c’était si facile, il n’avait qu’à tester lui-même la prochaine fois que l’on rencontrerait une faille. Qu’il aille voir par lui-même qu’il aurait bien sûr put aisément sauver Salea et ne pas la laisser derrière !

« ET QUE SAIS-TU TOI DE CE QUE J’AFFRONTE MAINTENANT ? hurla-t-il.
-Il y a des choses pires que de perdre une amante, murmura-t-elle tandis qu’il s’éloignait. J’espère pour toi que tu ne les connaitras jamais…
-Ne soyez pas si sévère, dit la voix du capitaine, tandis que sa main qui faillit la faire bondir en l’air se posa sur son épaule. Il s’en veut… Je suppose que ça vous pouvez le comprendre, faute de saisir le concept d’amour, hm ? »

Il s’éloigna d’elle en souriant, avant de faire signe à un autre homme de ramener Tobias pour qu’ils se reposent. Ce dernier s’était en effet éloigné dans la forêt. Et il était déjà perdu de vue. Alors l’homme qui répondait au nom de Maxwell s’élança à sa poursuite. Puis un cri retentit.

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IL les avait observés durant toute cette lune. Depuis qu’ils avaient détruit son vaisseau. IL avait appris leurs noms. Leurs façons de faire. Leur importance. IL savait désormais qui pouvait mourir et qui devait vivre dans ce groupe. Et IL leur avait laissé bien trop de tranquillité comme cela. IL avait estimé en voyant un groupe sottement s’éloigner des autres pour explorer qu’il était temps de leur rappeler qu’ils étaient dans SON territoire.

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La nuit était également tombée sur Demon Cove. Telthis se trouvait à l’arrière du pont du Wench, achevant de livre le journal de bord du capitaine de l’Achéron. Il faudrait qu’il ait une longue conversation avec le capitaine Théoden à son retour. Une longue conversation pour lui parler tout d’abord de son père, mais aussi des raisons pour lesquelles ce dernier était venu jusqu’ici. Et pourquoi avait-il la bague de Sildael la Radieuse dans ses possessions. Si les convictions acquises par son père étaient justes, alors le capitaine Théoden avait beaucoup de choses à apprendre sur lui-même. En admettant qu’il accepte de l’écouter après ce qu’il allait apprendre sur son père. Il referma le journal, et entreprit d’aller trouver le sommeil, quand il remarqua Treville en train de travailler.

« Toujours au travail ? demanda-t-il en s’approchant de lui.
-Il y a encore beaucoup à faire ! répondit Treville, surpris, en levant les yeux vers lui. »

Maintenant qu’il était chef du camp, Telthis souhaitait savoir ce qu’il se passait parmi les hommes sous ses ordres.

« Tant d’urgences ? demanda-t-il.
-La parte de ces provisions est un véritable désastre, confirma Treville. Nous ne pouvons rien faire contre ce revers malheureux, alors j’essaye de faire durer ce que nous avons le plus longtemps possible. »

Telthis grimaça. Les grotesques avaient détruits beaucoup de denrées, et il avait fallu faire un tri sérieux après leur départ.

« Il faudra bien se résoudre un jour à en trouver ailleurs, n’est-ce pas ?
-Espérons que le capitaine sera chanceux en cas. »

Puisqu’on parlait de lui, Telthis se demanda si Treville pouvait apporter des réponses à ses questions. Sans préciser exactement ce qu’il recherchait, il lui demanda tout d’abord de lui parler de son passé. Il apprit peu de choses. Le capitaine Théoden, jusqu’à récemment, n’avait jamais rencontré son père : il avait été abandonné dans les bas-fonds de Kelvin, sur la côte ouest du continent. Il avait été diplômé par l’Académie Navale de Kelvin… Et ne savait rien de sa mère. Ni de son père donc, et par extension, rien de ses ancêtres. Ou alors, rien dont il n’ait jamais parlé.

« Et si je vous disais, dit Telthis, que le père du capitaine est venu ici en quête de ses origines ? »

Fronçant les sourcils, Treville l’entraina dans un endroit où nulle oreille indiscrète ne pourrait les entendre, et baissa d’un ton avant de lui répondre.

« Ce serait ça l’origine du départ de l’Achéron ? La lettre qu’il a laissée ne faisait pas mention de ça !
-J’ignore ce que cette lettre disait, répondit Telthis, mais c’est ce que le journal de son père laisse entendre. »

Telthis devrait se renseigner sur le contenu de cette fameuse lettre. Pourquoi le père de Théoden serait-il partie en quête de ses origines en ayant presque honte de ce départ, au point de le cacher ?

« Ca semble faire du sens, répondit Treville. Que dit le journal concernant l’état de ces recherches ? Ont-elles abouti ?
-Il semblerait que les démons les aient arrêtés dans leur progression, répondit Telthis.
-Faute au hasard, renchérit immédiatement Treville, se grattant un peu la tête, ou il y avait quelque chose de véritablement fâcheux pour eux à découvrir ?
-Le journal fait état du fait que les démons étaient là avant eux, semble-t-il.
-Cela semble logique, répondit Treville. Est-ce qu’il y a autre chose que je puisse faire ? »

Abandonnant le côté vague de ses questions, Telthis choisit de carrément lui parler de ce qu’il avait découvert. Ou du moins d’une partie.

« Ma foi, je viens de terminer le journal de son père, et j’ai appris des choses intéressantes. Vous qui le connaissez mieux que moi, comment pensez-vous qu’il faille lui annoncer que son père a été corrompu à cause de l’amour ?
-C’est de famille alors, semble-t-il, répondit Treville en souriant. Il faut attendre je penser, que le dueil se fasse… Pour ce qui est des mots, ce sera à vous de trouver les bons. Mais je ne pense pas qu’il parte au pied levé si son devoir doit le retenir ici, et de toute façon, j’imagine que vous pourrez le retenir sans mal. »

Telthis n’était pas aussi catégorique. Mais il devait lui parler également des survivants de l’Achéron. Des autres survivants, à tout le moins.

« Le capitaine s’apprête à connaitre de nombreuses choses qui pourraient le perturber ou l’interroger. En outre, nous devrons nous méfier de… »

Il fut interrompu par un grondement sourd qui retentit dans toute la baie. Aussitôt, les sentinelles furent appelées pour un rapport, le Blackmith se tint prêt à manœuvrer, et on put entendre sa cloche sonner l’alarme.

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De loin, il ressemblait à un grand singe au pelage rouge, avec une collerette de poils blancs autour du cou. Il faisait la taille de plusieurs hommes, et se déplaçait avec grâce et vitesse tandis qu’il emmenait le malheureux homme qui avait eu le malheur de tomber dans ses griffes. Il avait pu approcher le camp en se cachant parce que tous étaient trop occupés à observer la dispute entre Djanela et Tobias. La sentinelle n’avait pas pu donner l’alarme, car elle avait été tuée dans la plus grande discrétion et avant même de réaliser ce qui lui était arrivée.
C’est du moins la conclusion qu’en fit Samada en voyant le malheureux fusilier qui avait été choisi pour garder ce coin du camp pendant la première partie de la nuit, la gorge ouverte par une griffe aussi cruelle que précise, et le corps empalé sur la branche d’un arbre pour faire bonne mesure. Le singe avait ensuite saisi le premier homme à sa portée, un guerrier des Marches, qui avait crié de peur en se sentant soulevé brutalement du sol, malgré la férocité des siens.
Le singe bondissait dans la forêt, s’accrochant aux branches des arbres morts pour emmener sa victime loin des hommes du camp. Puis il finit par complètement disparaitre, alors que tous s’étaient élancés à sa poursuite. Alors, dans les fourrés morts, dans l’ombre de ces arbres mal éclairés, on put entendre des cris de douleurs qui furent vite interrompus par des bruits de mastication.  Ils se regroupèrent en entendant ce bruit, et firent l’appel. Personne d’autre ne manquait.
Décision fut prise de ne pas dormir tant que la bête ne serait pas morte. Et de rester grouper. Alors ils s’avancèrent prudemment dans la direction estimée des bruits, qui cessèrent. Les hommes tâchèrent de faire attention à tout, et pourtant ce fut un autre guerrier des Marches de l’arrière de la colonne qui hurla de terreur en se faisant emporter à son tour. Personne n’avait pourtant vu ou entendu le monstre venir. Mais puisqu’il avait frappé, tous s’élancèrent à nouveau à sa poursuite, guidés par les appels à l’aide de l’homme. Ils furent ainsi amenés jusqu’à la lisière du bois. Là, le démon s’élançait dans la plaine qu’ils avaient quittée, l’homme des Marches encore en vie dans sa main. Il courait, sans se retourner, plus vite que le plus rapide des hommes, et disparut finalement à l’horizon.

« Est-il vraiment parti… Ou joue-t-il avec nous ? demanda Johei. »

Personne n’avait la réponse à cette question.

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Fiora Rossi s’étira en baillant, réveillée avant l’aube. Bien avant même, car les coursives du navire étaient vides quand elle sortit dans la cabine pour tenter une promenade matinale. Il y avait eu une alerte tôt dans la nuit, mais rien n'ayant été vu ni entendu d’autre que ce grondement, on avait juste renvoyé tout le monde vaquer à ses occupations, ce qui était la plupart du temps dormir. Quant aux sentinelles, elles avaient pour instruction d’être particulièrement vigilantes.
Elle monta sur le Pont, carnet à la main, décidée à dessiner le soleil qui dépassait les falaises. Elle l’attendrait le temps qu’il faudrait. Elle remarqua que le sol était étrangement mouillé en certains endroits du pont du Wench. Elle passa à côté. Plic, ploc. Deux gouttes tombèrent sur son visage. Elle n’y fit pas attention, jusqu’à ce que d’autres gouttes tombent. Leur odeur était nauséabonde. C’était étrange, la lumière des étoiles et de la lune suggéraient qu’il n’y avait pas de nuages. Elle leva les yeux.
Une sombre forme se trouvait au sommet du mât. Une grande forme. Elle voulut hurler, mais aucun son ne sortir de sa bouche. Les gouttes s’intensifièrent. Elles venaient de cette forme. Ou plutôt de ce qu’elle semblait tenir dans ses mains. Une silhouette pâle, plus pâle que la forme, humanoïde. Les gouttes en tombaient. Soudain, la silhouette s’étira, sembla se tordre, se déchirer, pour casser tout à fait en deux. Alors, c’est toute une cascade de ce liquide fétide qui tomba sur elle, de même que des morceaux mous qu’elle n’arriva pas à identifier.
Elle n’arrivait définitivement pas à hurler. Il allait la voir, c’était certain. Dans sa robe blanche, plantée en plein milieu du pont, cette bête allait la voir. Elle était clouée sur place par la peur, elle tomba en arrière, n’osant même pas bouger pour se relever, contemplant ce qui était à n’en pas douter sa mort. A ce moment toutefois, une voix vint du Blacksmith.

« DU WENCH ! C’est quoi cette chose au sommet de votre mât ? »

La bête sembla réagir à cette voix, et tandis que raisonnaient les cloches de l’alarme générale, elle bondit gracieusement sur le flanc de la falaise, puis l’escalada tranquillement disparaissant là précisément où le soleil avait l’habitude d’apparaitre.

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Bien réveillé, Telthis monta sur le pont. La première chose qui lui sauta aux yeux fut le carnage qui s’y était déroulé. Des trois sentinelles qui patrouillaient sur le pont du Wench à proprement parler, aucune ne répondit à l’appel. L’une d’entre elles gisait sur le pont, déchirée en deux. Un autre était doucement égorgé sur le bastingage, et le troisième … On en retrouva une jambe.
A cet instant Henrique Rossi sortit paniqué, à la recherche de sa femme. Elle fut bien vite trouvée, car elle gisait dans une mare de sang en plein milieu du pont. Ils s’apprêtaient à la compter parmi les victimes quand un hurlement, déclenché par des visages amicaux suggérant que tout était fini, sortit enfin de sa gorge.
Les recherches se poursuivirent pendant toute la nuit. Mais au petit matin, il devint évident pour tout le monde qu’ils ne trouveraient pas traces de la créature assez discrète pour avoir échappé à la vigilance des Hommes et assez puissante pour être responsable de carnage.
Toutefois, en examinant le pont, Telthis eut peur pour le capitaine Théoden. Il y avait sur le pont la ceinture d’un hommes des Marches, qui était tombée là, déchirée par des griffes. Et les guerriers du Blacksmith garantissaient que c’était celle d’un de ceux du groupe du capitaine…
Mer 26 Oct 2016 - 23:57
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Capitaine Theoden
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Capitaine Theoden
Finir la nuit pour le groupe de Théoden ne fut pas une tâche aisée. Après l'attaque de cette étrange créature démoniaque, tous les hommes étaient particulièrement sur les nerfs, surtout les Nordiens qui venaient de perdre un des leurs.
Malgré les protestations de sa troupe, le Capitaine décida néanmoins de ne pas entreprendre de poursuite.

"-Il n'y aura ni traque ni longue battue." avait-il déclaré.

Tout le monde s'en doutait, de toute façon. Ceux qui avaient été enlevés étaient perdus de toute façon. Alors on fit deux groupes. Tandis que l'un finissait sa nuit au mieux, l'autre veillait et assurait qu'aucun autre danger ne pouvait approcher. Le soir suivant, on inverserait et tout le monde pourrait s'assurer un minimum de sommeil.
Mais le problème était double, Théoden le savait. La pression et la rancœur grandissante dans les esprits des soldats devenait le plus gros obstacle qui s'opposait à la poursuite de leur expédition. Ces sentiments, il appartiendrait à Johei de les apaiser à mesure de leur avancée. Autrement, il se peut que personne ne rentre à Demon Cove un jour.
Fort heureusement, il se trouva que le retour du jour et le re-départ favorisa l'œuvre de la mage. Dans la colonne, on pu voir la jeune femme aller et venir entre les hommes avec son sourire si caractéristique, apaisé et bienveillant. C'était un spectacle réjouissant pour tout le monde, qui se prêta de bon cœur au jeu de Johei. Discuter, échanger, ressasser de bons souvenirs... ce n'était pas une méthode subtile. Mais elle l'incarnait avec tant de grâce qu'aucune haine ne pu y résister.

~o~

Le lendemain matin de l'attaque sur Demon Cove, les Capitaines Brookes et Treville se sont rejoins tôt sur les plages de Demon Cove pour discuter. Avec des circonstances aussi inhabituelles, le Blacksmith n'a pas eu d'autre choix que d'accoster, et sa Capitaine de rejoindre son homologue afin d'essayer d'évaluer la meilleure stratégie face à ce qu'ils rencontraient comme nouvelle adversité.
Tous deux sont contrariés par l'absence de Théoden, qui a malgré leurs conseils choisit de nommer Telthis, l'elfe aussi populaire que craint des hommes. De fait, il a beau être un expert avéré en combat et en lutte contre les forces du mal, le garde du corps de la Reine Malene n'est pas réputé pour ses connaissances en matière de commandement. Et encore moins avec plus de mille deux cent âmes sous ses ordres.
C'est donc avec la résolution de s'imposer, malgré leur admiration pour l'Elfe que les deux Capitaines entreprennent d'aller trouver Telthis.
C'est au détour d'une réserve de poudre qu'ils le retrouvent, le saluant comme l'exigeait son nouveau grade de commandant. L'enjeu est double. Obtenir de Telthis quelques ordres afin d'affronter leur nouvel adversaire, et le convaincre d'abattre les murs qu'il a battit avec le reste des hommes.
Eve, qui n'a pas la rhétorique comme force décide de laisser commencer son compagnon, qui choisit la façon la plus simple d'entamer la conversation :

"-Nous avons relevé la disparition de trois hommes lors de l'attaque. Il n'a été possible de trouver aucune trace menant au repère de la créature que Madame Rossi nous a décrit tant bien que mal."

Puis le Capitaine Brookes :

"-Le Blacksmith n'a essuyé aucune perte. Mais on m'a fait savoir que le ceinturon retrouvé après l'attaque appartiendrait à un certain Ivar, membre de l'expédition du Capitaine Théoden. Il est fort probable qu'ils soient confrontés également à cette créature. En admettant qu'elle soit seule.

-Approuveriez-vous tous deux une expédition de secours ?"

Treville et Brookes se consultèrent du regard, avant d'acquiescer. Le premier n'y voit pas de problème particulier, en dehors de celui de la nourriture. Mais Brookes reste perplexe.

"-Nous savons que le Capitaine Théoden a prit plein sud dès la sortie de la grotte, en espérant trouver des plaines ou des forêts pleines de gibier. Au moment où nous parlons ils ont déjà presque un jour et demie d'avance sur nous. Qui envoyer, dans ce cas ? Il n'est probablement pas sage de nous démunir après ce qu'il est advenu cette nuit.

-Cette créature" répliqua Telthis en entraînant le long des rochers les deux capitaines "a été capable de se jouer de nos vigilance et de tuer de façon brutale plusieurs guetteurs. Dans tous les cas, le danger existe. Et s'il faut envoyer quelqu'un, ce doit être quelqu'un capable d'avancer plus vite que le groupe du capitaine par conséquent."

Treville avança alors avec une certaine assurance que deux chevaux sont toujours stationnés à bord du Wicked Wench. Il évoque en outre la possibilité d'envoyer deux cavaliers pleins sud pour les rattraper. Mais Eve se fend d'un non appuyé.
Les chevaux sont faibles à cause du manque de pâturage et des conditions de voyage.

"-Une idée Commandant ?"

Tous deux tournent leurs regards vers Telthis.

"-Ma foi, je suis capable de me déplacer plus rapidement que beaucoup d'entre nous, et demoiselle Cassandra Renrin peut voler.

-Vous êtes le commandant de cette expédition. Si vous partiez, nous serions bien en peine de gérer ce campement. Je suggère de confier cette tâche à Madame Renrin.

-Vous êtes des officiers ou pas ? Gérer un campement devrait être dans vos cordes.

-Sauf votre respect Capitaine" s'emporte presque Brookes, prise par l'orgueil de son statut d'Académicienne "J'ai été formée au combat et à la navigation. Sans doute monsieur de Treville saura garder un œil sur nos vivres et nos effectifs, mais aucun de nous deux ne sommes aptes à rassurer ces hommes et à les guider comme vous le faites."

Treville posa ses mains sur ses hanches, la tête baissée. Il est visiblement gêné par cet aveux de faiblesse.

"-Je suis donc coincé ici." concéda Telthis "Soit. Mais nous ne pouvons pas envoyer demoiselle Renrin seule. les chances qu'elle parvienne à trouver le groupe du capitaine sont faibles. Un rien peut les cacher, et vu du ciel, il sera dur de voir leurs traces;

-Nous pourrions envoyer le Major Hewlett avec elle.

Eve est vite appuyée par Treville, qui avance que son ami Edmund, le Major du régiment de soldats du Wench est prit de passion par l'étude des astres. De ce fait, il s'est doté d'une vue admirable. En plus de sa longue expérience de soldats et de chasseur.

"-S'il a pratiqué la chasse d'animaux, trouver la trace d'un groupe de quelques dizaines d'humains devrait être faisable pour lui. Amenez-le moi. Et amenez-moi demoiselle Renrin."

Satisfait par ces ordres, Treville s'en retourne après avoir salué Telthis. Les deux capitaines ont abandonné en un regard l'idée de confronter l'Elfe sur le plan de ses mauvaises relations avec l'équipage. C'est là une partie qu'ils devront remettre à plus tard.
A son tour, Eve annonce son intention de retourner surveiller la baie et dispose, laissant Telthis à ses responsabilités.

C'est sur le pont du Wench que Cassandra et le Major Hewlett retrouve Telthis. Guidés par un sergent, les deux compères se questionnent quand aux intentions de l'Elfe. Une mission spéciale ? Ils n'y étaient guère habitués. En outre, l'élue de Lothye œuvrait encore sur la purification des quelques ornements sauvés de l'Achéron par Théoden. Le commandant de Demon Cove, juché sur les hauteurs de la dunette aidait à concevoir quelques barricades dans les rochers pour des tireurs.
Jusqu'à ce qu'il soit rejoint par les deux Odysséens qu'il avait fait mander. Là, c'est un air grave qui le prit, car il devait annoncer que le groupe de Théoden s'était vraisemblablement fait attaquer.
C'est avec conviction que Telthis leur ordonna d'entreprendre ce voyage. Personne ne s'y opposa, comme l'argumentation de l'elfe était chargée de sens. Seulement, au moment de se séparer, le Major Hewlett dû faire face à un impondérable des plus fâcheux : les sous-officiers, ou au moins une bonne moitié d'entre eux rechignaient à se séparer d'un autre de leur gradé. Outre les risques de voir la chaîne de commandement se désagréger, il demeurait l'aspect certainement antipathique que dégageait Telthis. Tant et si bien que Hewlett dû rassembler à lui Lieutenant, Enseignes et Sergents afin d'avoir leur consultation conjointe.
On maugréa, on menaça de rendre ses galon. Edmund Hewlett, soldat de métier comprit vite ce que tout cela signifiait : un air de mutinerie douce s'était mit à flotter sur Demon Cove. Elle n'était pas hostile, car les hommes avaient conscience de la complexité de leur situation. Mais si le retour sur le continent était encore inenvisageable, quitter l'abris relatif de Demon Cove était désormais également interdit. Du moins pas tant que ce "satané Elfe" serait le seul à commander.
Ou que Théoden serait de retour.
L'expédition de sauvetage ne serait pas près de partir avec ces histoires. Car il faudrait juger quelques cas particuliers de mutin, et revoir toute l'organisation du régiment. Ce dont il fit part à Cassandra, et tous deux durent se résoudre à rester encore un moment à Demon Cove.

~o~

Un exceptionnel spectacle venait d'émerger des plaines infinies des terres damnées que Théoden parcourait depuis deux jours. Au sortir de la forêt terrible où deux des siens avaient été emportés par une créature mystérieuse, le Capitaine guida son groupe jusqu'à ce qui ressemblait en tout point à une cité gigantesque. Ou du moins ses restes. De grandioses ruines, que le temps et les ravages n'avaient pas épargnés et qu'une mélancolie sinistre avait saisies. Il en fut plus d'un que le spectacle laissa le souffle coupé. Pour Théoden, qui souriait de toutes ses dents c'était là une véritable récompense : témoigner de l'existence d'un peuple avancé en ces terres. Peut-être avant même l'arrivée des démons. Ou après ! Des gens auraient-ils pu fonder pareille civilisation, pareilles cités malgré les assauts et la magie de ces damnés ?

A mesure qu'ils avançaient, les questions du Capitaine emplissaient de plus en plus ses pensées, comme purent le constater Johei et Samada qui témoignaient de ses hypothèses et de ses songes les plus ardents.
Il songeait à un peuple d'Elfe Blanc, d'Hommes ou de créatures plus curieuses que totu ce qu'ils avaient rencontrés. Il imaginait tour à tour des géants, puis des nains, des êtres ailés ou doués de pouvoirs hors du commun. La ruine de la cité devenait presque accessoire aux yeux de Théoden qui s'émerveillait devant les restes les plus humbles de statues, jonchant le sol poussiéreux et morne.

"-A-t-on déjà vue pareille splendeur ? Pareille majesté ?" lança-t-il, en désignant une haute tour constellée de fissures, aux teintes passées et aux ornements rompus par le temps. "Quel peuple admirable a bien pu fonder tout cela ? Et comment ?"

D'une main, il effleura le buste d'une gigantesque statue, jetée à terre. Il en caressa la joue, examina le regard.

"-Si ce n'est pas là le travail des hommes, ni celui des Elfes, ce ne peut être que celui des dieux eux-même !"

Il rit, follement et souleva de terre les restes d'une massive poignée de porte gravée. Son admiration était palpable. Mais elle n'éclipsait que peu celle des autres membres du voyage ! Nombre de soldats, devant l'entrée de la cité en ruine passèrent leurs fusil en bandoulière et se saisirent d'objets divers, brisés et usés mais gonflés de grandeur.

"-Sentez-vous cela, Johei ?" lança Théoden à la mage.

"-Quoi donc, Capitaine ?" répondit-elle en se glissant à hauteur du Capitaine, qui tenait un pan de bas relief brisé.

"-Cette gloire. Cette grandeur. Cette...

-Mélancolie ?" finit-elle, avant d'acquiescer avec un léger sourire.

Elle devait avoir apprit que c'était là une émotion à laquelle Théoden n'était pas insensible. Non seulement parce qu'il en était imprégné. Mais parce qu'elle composait à son sens une des plus belle chose qui soit.

Mais les portes s'approchaient, hautes et sombres. Leur ombre noya bientôt les compagnons de l'Odyssée qui se trouvaient là, et qui allaient les passer. Ils seraient les premier à le faire depuis des temps immémoriaux ! Ou peut être que quelqu'un, ou quelque chose les attendait déjà par delà ces murs et ces colonnes rompues. Samada le sentait, Johei aussi. Et tous les deux, ils ramenèrent le Capitaine à ses devoirs. Puis, on entra...

~o~

Tandis que Cassandra et Hewlett discutaient de leur opération de sauvetage reportée, il se trouva deux yeux pour les épier et une main habile pour les reproduire.
Comme toujours, Fiora Rossi s'était arrogé la meilleure place sur le pont du Wench pour dessiner la vie qui s'étendait en contrebas, dès le matin.
Et cette fois là, ce serait le Major et l'élue qui y passèrent, leurs profils contrariés et leurs tenues de voyage robuste captivant l'artiste Oréenne.
Son époux, Henrique la couvait comme toujours du regard, levant quelques fois les yeux du livre qu'il lisait à quelques pas de là.
Il fut sans doute surprit de voir un groupe hétéroclite de marins approcher son épouse. Il n'y avait pas le moindre gradé, seulement une poignée de jeunes gens habillés très simplement et munis de burins, de pinceaux et de plans. Les artistes du Wench. Ceux que l'on chargeaient d'entretenir les décorations du navire, que ce soit le tableau à la poupe, les peintures dans les cabines intérieures ou les sculptures. Incluant la figure de proue.
A leur approche, alors qu'ils s'alignaient maladroitement derrière madame Rossi, les marins se décoiffèrent poliment et attendirent dans un silence gêné en espérant qu'elle se retourne. Ce qu'elle ne fit pas, absorbée par son dessin.
L'un d'eux se racla alors la gorge, jetant un coup d'oeil à Henrique qui s'était levé pour aller se placer près de son épouse avec une certaine méfiance. Ce qui ajouta à la gêne du petit groupe, qui avait espéré discuter seuls à seule avec elle.

"-Haem...hum...madame Rossi ?" fit l'un d'eux, le plus vieux.

Alors elle se retourne, toute surprise et les dévisage.

"-O...Ou...ui...?

-Eh bien..hum...est-ce que...

-Est que ça va madame ?

-On se demandait si...

-Non pas comme ça abruti, ce n'est pas polit !

-On aurait besoin de votre aide..."

Ils articulaient mal, n'ayant pas tellement eu la chance de s'adresser à une dame Oréenne depuis longtemps. En outre, ils avaient peur de la froisser et d'essuyer un refus !

"-P...ou...r fa...fa...f...faire q...quoi ?

-Eh bien...on sait que...enfin que vous êtes plutôt...enfin vous savez...Doués pour les choses du dessin.

-Enfin...on voudrait que vous nous aidiez pour... eh bien il faut que l'on retaille la figure de proue du Wench et...

-Personne n'est capable redessiner les traits de quelqu'un aussi bien que vous."

Elle sembla commencer à comprendre. "Vous foulez que je vous fasse un modèle ?" leur demanda-t-elle. Après quelques échanges de regards timides, le petit groupe hocha de la tête de concert. Nerveux. Mais elle accepta, et on sentit un soulagement les parcourir. Enfin...jusqu'à ce que la question du paiement ne soit soulevé !
Elle balaya l'idée de se faire payer pour son aide, alors l'apaisement fut total. On échangea des merci, quelques regards gonflés d'enthousiasmes et ils se retirèrent, après avoir salués en vitesse Fiora de "M'dame", "Madame Rossi", "R'voir".

~o~

Pour poser le pied dans ces curieuses ruines, Théoden fut naturellement le premier. L'endroit avait quelque chose de grandiose que même les ténèbres environnantes ne surent atténuer. Peu importe qui avait vécu là, ce fut à n'en pas douter un peuple formidable.
A l'ombre des longères, des tours et des grands halls effondrés, le Capitaine mit en bon ordre ses troupes. Leurs tuniques blanches et leurs armes polies scintillaient dans la pénombre. Autours des membres de la petite expédition grouillait une foule de créatures invisibles, poussant gémissements et gargouillis indistincts à mesure qu'ils s'approchaient des continentaux.
C'est quand Samada en signala un, arqué sur les restes décapités d'une statue que Théoden tira sa lame au clair et attira derrière lui la mage Johei.

"-Restez donc derrière moi." lui souffla-t-il avec un demi sourire.

Au centre de cette grande place, les compagnons de l'Odyssée n'eurent pas longtemps à attendre avant que les quelques dizaines de monstres qui les épiaient ne se montrent.
Un par un, on les vit sortir de l'ombre avec leur démarche pénible.
Cette fois, Théoden fit rompre l'attente. Pas question de rester passif comme auparavant.
Ses fusiliers mirent le genoux à terre sur son ordre, formant une solide ligne de dix hommes devant une autre série de mousquetaires. Et aussitôt que la formation fut adoptée, le Capitaine abaissa son arme, leur lançant l'ordre d'ouvrir le feu.
Alors, dans un panache de fumée bien blanche, les vingt mousquets vrillèrent l'air et se déchargèrent de leur plomb bénit qui faucha immanquablement tout être infecté devant la ligne de feu.
Cette première salve déchaîna sur les humains un véritable chaos de chair et de rage. Ceux qui n'avaient pas été visés par les mousquetaires s'empressèrent de charger.
Pas un seul ne pu atteindre Johei, ou même Théoden. Samada y veilla fort bien, épaulé de quelques Nordiens et des meilleurs hommes du Wench. Les lames du Teikokujin se mirent à valser en de grands arcs purpurins, que seuls les estocs de Tobias surent compléter. A eux deux, on les vit faucher plus de damnés que toute l'entièreté de la formation continentale lors de la première salve.
Tobias qui, plus encore que Maxwell et Brujon se montra inarrêtable. Seul, il s'avança dans la mêlée et fit battre son fer contre ceux de ses adversaires avec une furie assourdissante ! Dans son sillage, il ne laissait rien. Ou en tout cas, rien d'assez intact pour seulement soulever une main.
Et cette hargne soudaine aurait pu lui coûter sa tête, si ça n'avait été Samada qui le tira en arrière de sa forte poigne. Une fois le mousquetaire ramené en arrière, les Nordiens purent laisser libre cours à leur si joyeuse lutte. Comme auparavant, ils levaient et abattaient leurs lourdes lames dans un concert de rires et de hourras hargneux. Et comme auparavant, le succès fut total. Tant et si bien que même le Capitaine n'eût pas une seule fois à se défendre ! Alors quand le dernier de ces épéistes s'effondra, il fut le premier à applaudir la bravoure de ses troupes, laissées pratiquement intactes par l'affrontement.
Toute la tension accumulée pendant cette journée de marche se trouva soulagée après cet affrontement. L'inattendu fut que la petite troupe trouvait dans l'affrontement un moyen de se détendre assez efficace. Théoden libéra Johei de sa protection, après avoir rengainé et organisa des fouilles de ces ruines mystérieuses.

Dans cette ville, fascinante, comme suspendue par le temps, les continentaux se sentirent comme écrasés par la majesté des bâtiments qui les surplombaient. Qui les jugeaient du haut de leurs innombrables tours d'existence. Se séparer fut certes difficile, mais détâcher les yeux de ce spectacle presque aveuglant fut plus ardu encore.
C'est ainsi que Samada prit la tête des fusiliers, laissant partir ensemble les Nordiens de leurs côtés, et Théoden avec Johei et ses trois fusiliers. La ville était parfaitement grandiose, mais d'une taille au demeurant modeste.
Chacun devait prendre une grande avenue et explorer le plus possible avant la tombée de la nuit, où tout le monde devait se retrouver sur la grande place.

Si forte, et pourtant si douce. Il la contempla longtemps avant de réaliser qu'il ne s'agissait pas d'une étoile solitaire. Qu'était-ce que cette lueur ? Théoden l'ignorait, devant son petit groupe dans un quartier ravagé de la cité.
En haut d'une haute tour, il voyait une lueur bleutée, scintillant dans le gris du paysage.

"-Allons-voir !" lança-t-il, malgré les mises en garde de la mage qui le suivait.

Atteindre les hauteurs fut plus long que compliqué, une fois que la décision fut prise. Il y avait beaucoup de passerelles entre les bâtiments, et beaucoup de cordages auxquelles s'agripper pour monter.
Il fut décidé que Tobias, Maxwell et Brujon resteraient légèrement en retrait afin d'assurer la protection de l'étage le temps que Théoden et Johei enquêtent sur cette étrange lumière.

Cette lumière, ils la trouvèrent vite emmanchée au bout de la poignée d'une lame rompue, gisant sur les restes d'une table démembrée. Ce devait être une arme prodigieuse, songea le Capitaine, tant la splendeur de sa conception le laissait pantois. Johei restait bien plus pragmatique que lui, comme il s'agenouillait pour examiner de plus près la relique qu'ils avaient trouvée.

"-On dirait... une sorte de rapière..." lui confia-t-il avec une voix troublée.

Son regard ne brillait pas avec celui de l'avare, venant de mettre la main sur une gemme à l'éclat incomparable. Il brillait de la curiosité de l'historien, devant une relique d'un temps ancien et à la conservation remarquable !
Pas de doute, il voulait la ramener, et la conserver....
Dim 6 Nov 2016 - 2:01
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Dargor
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Le Maitre de l'Intrigue
Dargor
Cette cité ne plaisait pas à Johei. Pas vraiment. Les démons que le groupe y avait affronté, les ruines dont elle était constituée… Et maintenant cette poignée de rapière qui luisait d’une lueur tout sauf naturelle. Elle était seule avec le capitaine Théoden, les autres étant en train d’explorer le reste de la ville. Elle aurait aimé suggérer de ne pas se mêler des affaires de cet artefact, mais le capitaine, ne l’entendant sans doute pas de cette oreille, ne lui laissa pas le choix en tendant d’ores et déjà la main pour s’en emparer.
Elle parvint à le retenir au tout dernier moment, en lui faisant remarquer que cela pouvait tout à fait être dangereux.

« Qu’est-ce qui vous l’indique ? demanda le capitaine, levant les yeux vers elle. »

Elle avait remarqué qu’il avait eu une attitude étrange en pénétrant dans la cité, mais ne s’attendait pas à une telle question. Elle le mit sur le compte de l’émerveillement d’un homme qui découvrait de nouvelles terres, de nouvelles cités, où personne n’avait jamais mis les pieds. Elle pouvait le comprendre, mais ça n’excusait pas l’imprudence.

« Eh bien, dit-elle… Nous sommes dans un continent où les seuls êtres vivants que nous avons croisés sont des démons. Dans cette cité détruite, nous en avons d’ailleurs croisé, et cet artefact brille d’une lumière tout sauf naturelle…
-Cette lumière, répondit Théoden, ne ressemble pas à ce que les démons produisent habituellement. Ça ne leur ressemble pas. »

Johei aurait pu aller chercher Djanela. Si quelqu’un ici pouvait dire ce qui ressemblait ou non aux démons, c’était elle et certainement pas eux deux. Mais elle devait d’abord raisonner le capitaine. Et dans le pire des cas…

« Laisse-moi vérifier moi-même, dit-elle. »
« Et si c’est effectivement un artefact dangereux, répondit Théoden, vous y laisseriez la vie. Ce que je ne peux pas laisser faire. »

S’ensuivit un long débat, qui énerva graduellement Johei. D’un naturel calme, elle fut pourtant particulièrement frustrée par l’attitude du capitaine. Qu’il souhaite la protéger, cela la flattait. Mais alors pourquoi mettre sa propre vie en jeu ? S’il était si dangereux que cela, elle tenta de lui dire qu’il valait mieux carrément laisser cette chose en paix, ce à quoi il répondit que s’ils avaient là la preuve irréfutable qu’un peuple avancé avait foulé ces terres avant même l’arrivée des démons, il était de leur devoir d’assurer que cette trace soit ramenée en sécurité, où l’on saurait entretenir son souvenir, et celui de tous ceux qui avaient vécu ici avant.
Ce raisonnement n’avait aucun sens du point de vue de Johei qui tenta de lui faire comprendre qu’ils ne savaient même pas qui était ce peuple, quand s’était-il établit ici, et quelles étaient ses coutumes. Argument qu’il écarta en disant que l’on pourrait toujours enquêter. Alors qu’elle s’apprêtait à répondre qu’une enquête partant d’une simple garde de rapière serait bien compliquée, il libéra doucement sa main pour s’emparer dudit objet. Elle l’arrêta à nouveau.
Même en admettant que ses arguments soient raisonnables, elle s’opposait à le laissait manipuler l’objet sans précautions. Il soupira, premier soupir d’une longue série qu’ils allaient tous les deux nourrir. Il lui demanda ce qu’elle suggérait, et elle suggéra de la laisser faire. Après tout n’était-elle pas une magicienne ? N’était-elle pas capable de prendre des précautions qu’il ne pouvait pas prendre ? Il ne comptait tout de même pas la laisser faire. A moins d’une bonne explication, expliqua-t-il, il ne la laisserait pas faire. Il était capitaine, et c’était à lui qu’il revenait de faire ça.
Elle ne comprenait pas cette obstination et soupira à son tour. L’explication, elle la lui donnait depuis le début. Même quand elle devait faire face à quelqu’un de spirituellement gravement malade, il se montrait moins obstiné. Sans doute parce que le capitaine, lui, semblait en pleine possession de ses capacités. Elle lui répéta qu’elle pouvait se protéger contre des maléfices contre lesquels il ne pouvait rien faire.

« En admettant qu’il y en ait, répondit-il. Cessez de contester ce que je vous dis et laisse-moi faire. »

Puisque la voix de la prudence semblait difficile à lui faire entendre, elle essaya de l’inquiéter un peu en évoquant quelque chose de grave. Après tout, il était le commodore Théoden. S’il mourrait, que deviendrait son expédition ? Hélas, la chaine de commandement était trop bien faite pour une hypothèse aussi simple. S’il mourrait, ses seconds prendraient le relaient. Et il y en aurait encore un au-dessus des autres, le capitaine de Treville, comme l’exigeait le règlement. S’il mourrait, ce serait le capitaine Brookes. Si elle mourrait, ce serait Telthis. Puis le major Hewlett. Et ainsi de suite jusqu’à ce que tout le monde soit rentré sans danger. Il ajouta qu’en attendant, il avait entreprit cette odyssée, et que risquer sa vie était son devoir et sa responsabilité.
Soit. Puisqu’il était décidé à faire des stupidités, autant essayer d’en limiter les conséquences. Elle haussa le ton, sans le vouloir, pour lui expliquer que rien ne l’obligeait à risquer sa vie. Cet artefact pouvait également être manipulé avec délicatesse, pour le ramener aux navires, et là-bas, prendre le temps de l’examiner plus attentivement avant de faire une action stupide,  et elle utilisa bien ce terme, qui pourrait avoir de graves conséquences. Mais dans l’esprit du capitaine, cela ne ferait que mettre en danger toute l’expédition à cause de ce qu’il appelait un excès de prudence.
Un excès de prudence. Elle avait appris à maitriser ses émotions et à les reconnaitre, aussi reconnut-elle une certaine rage monter en elle devant cette opiniâtreté imprudente. Elle la contrôla. Puisqu’il ne souhaitait pas approcher les navires, il était au moins possible de l’amener dans cette plaine immense. Rien n’obligeait à abandonner la prudence dont il parlait. Il était possible de transporter l’objet. Sans le toucher directement. Mais pour le capitaine, le danger était plus grand encore.

« Parce qu’il est moindre ici ? »

Il répondit que pour les autres, il l’était. Johei tenta de lui expliquer que les autres ne seraient pas nécessairement prévenu du danger s’ils mourraient ici, ce à quoi il répondit, car cet homme à n’en pas douter très savant dans les choses de la magie et dans toute la variété d’actions qu’elle pouvait faire, que les autres n’étaient pas stupides, et qu’en voyant leurs corps près de cet objet et la lumière douteuse de ce dernier, ils n’auraient pas de doute.
Plutôt que de perdre son temps à lui expliquer que la magie pouvait faire autre chose que de simplement les tuer eux deux ici, elle lui demanda si le fait de le transporter jusqu’au navire lui faisait craindre pour ces derniers, que pensait-il qu’il pourrait arriver au reste des gens dans la cité s’ils le déclenchaient ? Mais il préférait risquer une quarantaine de vies plutôt que celles d’un millier d’autres.
Vexée, blessée, bouillante d’une colère qu’elle ne pouvait retenir qu’avec une infinie patience, Johei mit les poings sur les hanches. Elle décida de ramener la conversation à des bases plus raisonnables que cette surenchère dans les pouvoirs potentiels de l’objet. Pouvoirs qu’il n’avait peut-être pas, avoua-t-elle volontiers, mais qui n’empêchaient pas la prudence. Théoden accepta cet argument, en croisant les bras. Elle essaya alors d’aller plus loin. Puisque cela n’empêchait pas la prudence, et qu’il était possible de le transporter, autant ne pas stupide. Elle lui fit remarquer qu’il prenait un risque inutile, et qu’il le sait, du moins l’espérait-elle. Alors autant éviter d’y adjoindre de la témérité.

« Il n’y a pas de témérité là-dedans, répondit-il. Je ne fais que ce que je dois. »

Elle essaya de lui faire entendre qu’il confondait ce qu’il devait et ce qu’il voulait faire, ce qui le rendait en effet téméraire. Aussi téméraire qu’une jeune homme qui avait besoin de prouver quelque chose. Souriant, il lui demanda ce qu’il avait à prouver. Elle lui répondit que justement, il n’avait rien à prouver. Il se retourna vers l’artefact en disant servir sa déesse. Poussée dans ses derniers retranchements devant l’homme qui était d’une telle mauvaise foi qu’il n’avait d’autre argument que d’en appeler à des loyautés supérieures pour justifier son acte stupide, elle tenta de détourner cette loyauté supérieure dans son sens : Ariel souhaitait-elle vraiment qu’il fasse cela ? Il lui répondit tranquillement qu’il la connaissait mieux que lui.
Elle le relâcha alors, tournant les talons. Cette fois c’était trop pour elle.

« La prochaine fois, maugréa-t-elle pour elle-même, prévenez vos conseillers si vous souhaitez vous ignorer ce qu’ils vous disent, tête de mule, grommela-t-elle pour elle-même. »

Elle regretta instantanément de s’être retournée, car derrière elle, le capitaine poussa une exclamation de surprise, quand la lueur de l’artefact s’éteignit brutalement.

---

Un océan de couleurs. Le feu. Le ciel. La mer. Les arbres. Tout se mélangeait autour du capitaine. Des volutes de fumées agitées par un vent violent tourbillonnaient autour de lui, le déséquilibrant. La cité, l’artefact, Johei… Il ne pouvait plus rien voir.
La fumée s’intensifiait, et les volutes devinrent brouillard. Mais ce n’était pas un brouillard naturel. Et ce n’était pas de la fumée venant d’un feu de bois. D’ailleurs, ce brouillard n’était guère épais. Alors que le vent violent se calmait, il put à nouveau bouger. Le sol était mou sous ses pieds. Quand il regarda, il vit qu’il ne marchait pas sur le sol, mais sur un ours. Un ours étrange. Il était vêtu comme un homme. Comme un soldat humain. C’était un ours, un puissant ours comme on en voyait dans les forêts du Vieux Continent.
Mais il portait un plastron de fer finement décoré. Ladite décoration était élégante et sobre sans gâcher le rôle premier de l’armure : la protection du poitrail de la bête. Il avait une paire de spalières sur les épaules. Un morion, adapté aux dimensions de son crâne, était tombé à côté de lui. A côté, car la tête de l’ours avait été déchiquetée par quelque chose. Le reste de son uniforme était un uniforme grangala rouge bordeaux avec des dorures. Un grangala particulièrement complexe, constitué de très nombreuses pièces. Avec au pied des bottes de cuir épais. Dans les mains, une longue hallebarde. Cet ours était un soldat, à n’en pas douter.
La fumée commençait à se dissiper. Et à mesure qu’elle le faisait, un véritable champ de bataille apparaissait. Il y avait des ours comme celui sur lequel il marchait, qui portaient un uniforme rouge ou un uniforme bleu selon les cas. Mais ils étaient peu nombreux. La majorité des bêtes qui s’étaient entretuées ici étaient des renards, des loups, des lynx, des chiens, des lions… Tous les prédateurs à poils et à sang chaud que Théoden connaissait étaient ici, gisants dans une même symphonie de carnage. Et ce brouillard qui n’en finissait pas de se dissiper… Pas un brouillard nature. Un brouillard causé par la fumée des canons et des mousquets qui n’avaient eu de cesse de tirer tout au long de la journée. Ces peuples maniaient la poudre.
Et leurs soldats, pour élégamment vêtus et armés qu’ils soient, n’en étaient pas moins tombés au combat. Il put alors entendre des voix derrière lui. Sur une colline qui dominait le champ de bataille. Quand il s’en approcha, il put voir qu’il s’agissait à en voir leurs uniformes d’officiers. Ces animaux se tenaient debout et droits comme des humains, même si leur taille variait selon leur espèce. Ils appartenaient au camp rouge. L’un d’eux, un loup, prit la parole

« Venez, joignez-vous à moi, messire guerrier,
Venez cueillir les fruits de notre victoire.
Aujourd’hui résonne le chant de notre gloire,
Venez, venez nous entendre les célébrer. »

A ces mots, un officier qui tournait le dos à Théoden prit la parole en se retournant. C’était un lynx. Et à sa ceinture, il portait une rapière. Celle dont il avait touché la garde peu avant.

[PV Théoden]Odyssée en terre lointaine Ekds

« De cette victoire dont vous me parlez, cher,
Je ne distingue que les coûts et les pertes.
Toutes ces vies, sont là celles de nos frères !
Pardon mon ami si le cœur n’est pas à la fête. »

Théoden n’eut pas le temps de demander le pourquoi du comment de cet étrange échange, car il fut transporté avant cela. De nouveau du vent, du feu, de l’eau, du ciel… Puis une salle des fêtes cette fois. La salle était magnifique, et une agréable musique jouée par un petit orchestre couvrait le brouhaha des conversations. Sur la droite de la salle, des miroirs par dizaines reflétaient un jardin caché par la nuit, même les illuminations se poursuivaient sur les premiers parterres de fleurs, les pelouses et les fontaines que l’on distinguait au loin. Le plafond dont pendaient plusieurs lustres de cristal, dont les bougies illuminaient la scène féérique, était décoré de fresques représentant la nature, mais aussi des scènes de festins et de batailles.
Dans cette salle tenait place un bal. Richement vêtues, les bêtes célébraient apparemment la victoire. Leurs épouses, bêtes également, était somptueusement vêtues de robes amples et élégantes. La scène était presque parfaite. La musique agréable. Tous parlaient d’une voix douce et suave, inattendue de la part de tels prédateurs. Et tous s’exprimaient par poèmes, comme l’avaient fait ce loup et ce lynx sur le champ de bataille.
Le lynx se trouvait d’ailleurs dans l’assemblée, non accompagné, si ce n’était par d’autres lynx mâles qui comme lui n’avaient pas leurs épouses à leurs bras. De toute évidence, ce regroupement était solitaire dans cette foule, où les renards dominaient largement en nombre. Toutefois ils n’étaient pas mis à l’écart, loin de là. En écoutant les conversations, il fut possible d’apprendre le nom du premier, celui qui semblait être le chef. Seigneur Natai d’Avalon. Et il était venu de loin pour cette bataille, lui et son escorte. Il avait hâte de retrouver chez lui, car sa femme devait bientôt mettre bas une portée. Mais les impératifs de la guerre l’avaient appelé.

Autre lieu, autre scène. Toujours la même transition. Feu et eau. Le palais dont il sortait, reconnaissable par ses jardins, était en haut d’une colline, dans une ville qui semblait dédiée à la beauté et l’élégance. Toutefois, tous ici n’étaient pas aussi richement vêtus. Ils regardaient avec envie des feux d’artifice illuminer le ciel au-dessus du palais. Des rires raisonnèrent, mais aussi des cris, ou des glapissements de peur ou de surprise. Quand Théoden alla l’observer, il se trouva qu’une loutre avait fait son apparition. Elle semblait venir de la guerre elle aussi, mais n’avait pas l’élégance et le raffinement des gens qui l’entouraient. Parce qu’une arme lui avait emporté une partie de la mâchoire. Comment rendre cela beau ? Parce qu’elle était une insulte à la beauté du tableau, la loutre fut moquée, fuie par les dames. Elle quitta la ville, comprenant qu’elle n’y avait plus sa place.
Dans la cité de la parfaite beauté, les gens normaux, les gens blessés, les gens laids, étaient en dangers. La loutre s’éloigna jusqu’à une falaise, où elle prononça un poème. Dans ce poème, elle demanda pardon à ceux qu’elle avait offensés par sa laideur. Pardon pour avoir cru qu’il pourrait revenir après que l’on ait détruit ce qui faisait de lui une bête civilisée. La loutre parla d’une civilisation obsédée par la beauté. Parla d’une civilisation où dès l’enfance, on enseignait aux enfants que ce que voyaient les yeux étaient essentiels. Où les enfants voulaient trop tôt ressembler à des adultes, et où les adultes n’hésitaient pas à mettre leurs jours en danger au nom de cette beauté. Et de ce peuple qui semblait civilisé naissait même des guerres. Mais elle ne rejetait pas cette société, pas plus qu’elle ne la maudit. Car la bête avait été heureuse. Et prendre conscience qu’elle était laide, voilà la cause de son malheur. Pas son rejet.
Puis elle sauta. Dans le monde de la parfaite beauté, ceux qui ne la possédaient pas ne devaient pas exister.

Autre lieu, autre temps, autre scène. Un navire faisait voile vers l’enceinte du port. Un navire elfique, Théoden pouvait le reconnaitre. Les bêtes, rendues curieuses par ce navire étrange, se massaient pour l’accueillir. Dans leurs dialogues et leurs poèmes, elles le décrivaient déjà comme une merveille sortie tout droit d’un rêve ou d’un quelconque palais divin. Aussi, quand des elfes en descendirent, ils furent accueillis avec maints égards. Et parmi eux se trouvait Sildael la Radieuse…
A cet instant Théoden se sentit brutalement comme arraché de quelque chose, et tout se mit à tourner.

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Ils n’étaient pas partis. Pourquoi n’étaient-ils pas partis ? Telthis ne comprenait pas. N’avaient-ils pas saisi l’urgence de la situation ? Le caractère impératif de sa mission. C’est froid qu’il vint les trouver. Froid car il allait leur donner un ordre, et cette fois, il entendait bien qu’il soit obéi. Il les trouva ensembles, ce qui était une bonne chose.

« Je vois que vous n’êtes pas partis, dit-il à Hewlett et Cassandra. Puis-je savoir ce qui vous prend tant de temps ? »

Hewlett se mit au garde à vous avant de répondre. Une mutinerie se préparait. Telthis lui demanda d’en dire plus, et en guise de réponse, le major s’écarta de la table devant laquelle il était posté et lui montra quelques dizaines de galons fraichement arrachés de leurs manches par des sergents, enseignes, caporales, adjudants et lieutenants.

« Je ne vois là que des officiers qui ont rendu leurs insignes, dit Telthis, qui commençait à comprendre.
-Et à votre avis monsieur, dit Hewlett, que se passe-t-il quand tout le milieu de la chaine de commandement cesse de transmettre les ordres ? »

Dans le système militaire des elfes blancs, de chaine de commandement il n’y avait point. Les elfes étaient pour la plupart autonomes, et n’avaient besoin d’ordre qu’en cas d’urgence. Les officiers ne servaient alors que de stratèges. Mais Telthis pouvait tout à fait imaginer le genre de problèmes que cela pouvait poser dans un système dans lequel les hommes n’étaient pas habitués à s’auto-gérer.

« A moins que vous n’ayez un autre système, dit-il cependant, les marins devront recevoir d’eux-mêmes leurs ordres.
-Non monsieur, répondit Hewlett. Le problème est double. La moitié des officiers refusent de servir tant que le Commodore ne sera pas de retour. L’autre c’est que leur comportement n’est que le reflet de l’état d’esprit général des hommes. »

Telthis comprit qu’il n’échapperait pas à un discours, ou à tout le moins à un recadrement. Il ne pouvait pas rendre un camp dans cet état à Théoden.

« Dois-je comprendre, demanda-t-il, qu’en cas de problème, ces hommes refuseront d’agir s’il ne revient pas ?
-Oui. Sauf réaction appropriée de votre part. Je ne peux maintenir l’ordre seul si les fusiliers ne m’obéissent plus, et avant longtemps tous ces braves gens décideront eux-mêmes de s’en retourner vers le continent, avec ou sans leurs officiers. »

Aux oreilles d’elfes de Telthis, double d’une oreille de militaire, un tel comportement constituait une lâcheté inqualifiable. Un elfe qui aurait envisagé la même chose ou tenu un discours semblable à celui que ces mutins devaient tenir aurait été remercié de l’armée sans autre forme de procès. Il prit une voix froide, celle d’un elfe déçu.

« Ah bon ? dit-il. Eh bien c’est lâche de leur part. Je ferai le nécessaire. Vous de votre côté avez une mission, et j’entends que vous l’exécutiez.
-Si je pars, dit Hewlett en grimaçant, il est à craindre une mutinerie ouverte monsieur. »

Telthis estimait que pour éviter cette mutinerie, le mieux à faire venant du major était encore de montrer l’exemple en obéissant à ses ordres. Mais des propos formulés ainsi auraient eu un mauvais effet.

« Elle n’aura pas lieu, dit-il. Soyez partis dans une heure. »

En tournant les talons, il put entendre un « Oui monsieur ! » suivit d’un claquement de talons derrière lui. A n’en pas douter, Hewlett et Cassandra allaient vite partir cette fois. De son côté, il avait un discours à préparer. Pour ce faire, il ordonna que toute l’expédition soit réunie dans deux heures. En attendant, il fit dresser une petite estrade afin de pouvoir parler en étant vu de tous. Il savait déjà ce qu’il allait leur dire. Il n’avait pas à leur mentir. Contrairement à eux, qui semblaient être prêts à lui mentir. Mais il ne devait pas se laisser aller à un tel sentiment, cela l’aurait poussé à être trop agressif dans son discours. Alors qu’il le préparait dans sa tête, il essayait de garder à l’esprit que s’il se contentait de traiter les mutins de lâches, cela aurait l’effet inverse de celui escompté. Il devrait se montrer convainquant.
Il sourit en choisissant de remettre sa propre place en cause. Et si quelqu’un la voulait, il n’avait qu’à la prendre. Voilà qui apprendrait un peu la notion de responsabilité à tous ces mutins. D’initiative. Il alla dans sa cabine chercher un arc. Il en aurait besoin. Et il enfila son armure, à laquelle il adjoignit des pièces qui ne servaient qu’aux cérémonies. Il devait se faire solennel pour parler aux hommes. Il avait remarqué que ça avait un effet certain sur les humains. Une fois qu’ils furent tous réunis, il monta sur l’estrade, arc avec flèche encochée à la main, et ses deux épées à sa ceinture, dans leurs fourreaux. Puis il parla.

« J’ai ouï dire, dit-il, qu’il y en avait parmi vous qui n’étaient pas satisfaits de ma façon de commander. Des qui envisageraient sans m’en parler de rendre leurs galons d’officiers. Certains l’ont même déjà fait. D’autres, qui ne sont pas officiers, approuveraient cette attitude et ressentiraient de la colère à mon égard, peut-être de l’incompréhension quant à la décision du Commodore Théoden de me confier les rênes de l’expédition en son absence, et envisageraient sérieusement la possibilité d’un soulèvement.
« A ceux-là, et j’ignore et ne souhaite pas connaitre leurs noms, je vous le dis. Messieurs vous êtes des lâches. Cette attitude est indigne d’hommes qui ont été triés sur le volet pour rejoindre ces navires. Toutefois, je ne suis pas orgueilleux au point de me croire infaillible. »

Sans prévenir personne, sans signe annonciateur, il banda la corde de son arc, et en éclair, visa et tira juste à côté de la tête d’Henrique Rossi qui se trouvait adossé au poteau d’un lampadaire improvisé qui illuminait le camp sur terre la nuit. Le silence tomba aussitôt. Il entendit un cri apeuré de femme, sans doute Fiora Rossi, après cet acte. Normal qu’elle ait eu peur pour son époux. La flèche s’était plantée dans le poteau juste à côté de sa tête, et s’il avait réussi son tir, alors quelques mèches de cheveux de l’oréen avaient dû voler un peu. D’ailleurs ce dernier ne resta pas sous le choc longtemps. Il se mit à courir, fendant la foule, vers l’estrade, sa femme sur ses talons, et une fois qu’il fut au pied, brisa le silence de plomb qui était tombé, il hurla.

« CA VA PAS ? TU AURAIS PU ME TUER !
-En effet, répondit Telthis en reposant l’arc et en s’adressant à nouveau à tous, tandis que Fiora Rossi tirait son mari en arrière. J’aurais pu. Et si j’avais voulu, je l’aurais même fait. Je ne suis pas infaillible, mais j’ai confiance en mes capacités. J’ai mené des guerres que vous ne pouvez même pas imaginer, combattu des bêtes bien plus terrifiantes que ce que vous avez vu jusqu’à maintenant.
« Si le Commodore Théoden m’a confié ce post, c’est qu’il a vu en moi ces capacités, et qu’il estime qu’elles seront utiles à la tête de l’expédition. »

Il sortir l’une de ses deux épées du fourreau.

« Cependant, j’admets ne pas être infaillible. Et comme personne ne l’est, le Commodore ne l’est pas non plus, aussi… »

Il planta l’épée sortie devant lui, sur le plancher de l’estrade, et sortit la deuxième, qu’il posa tranquillement sur épaule.

« Aussi, et bien que je trouve que ne pas oser me le dire en face est une attitude de lâche, je comprends que certains pensent que le Commodore a fait erreur, et j’admets que certains puissent estimer avoir de meilleures idées que moi quant à la façon de tenir ce camp, et que ces gens souhaitent me voir destitué, ou prendre ma place. A ceux-là, je vous le dis. Vous pouvez essayer, devant tout le monde, maintenant. Mais si vous ne saisissez pas votre chance, retournez au travail et ne parlez plus jamais de mutinerie sous mon commandement. »

Ce discours, c’est celui qu’il aurait tenu face à des elfes. Mais il eut son effet sur les humains. Un silence lourd, pesant, et un peu gêné, lui répondit. Finalement, un officier s’avança vers lui. Telthis connaissait cet homme chétif et coiffé à la va vite, doté de lunettes. C’était l’officier navigateur du Wench, le lieutenant Thomason.

« Commandant, commença-t-il, excusez-moi mais est-ce que je peux me permettre d…
-On ne veut pas de monstres comme vous ici ! beugla un homme patibulaire, visiblement bien remonté, qui écarta le lieutenant sans ménagement et monta sur l’estrade, s’emparant de l’épée plantée dessus. »

Telthis rangea sa propre épée au fourreau. Car en vérité il n’avait pas l’intention de tuer. Juste d’humilier devant tout le monde. Toutefois, il laissa une dernière chance à celui qui l’avait traité de monstre.

« Est-ce vraiment ce que tu souhaites ?
-Ouais ! répondit-il. »

L’homme le menaçait avec l’épée qu’il tenait gauchement en main. Il était fort d’une certaine assurance, Telthis devait bien le reconnaitre. Dans la foule, la plupart des marins étaient silencieux, mais certains l’encouragèrent.

« Qu’il en soit ainsi, dit Telthis en passant à l’attaque. »

Quelques secondes plus tard, il maintenait le marin au sol, et l’empêchait de se relever ou de se débattre. Ce dernier essayant néanmoins, il lassa Telthis qui le frappa assez fort pour l’assommer sans autre forme de procès. Il se releva.

« Que l’on mette cet homme aux fers, dit-il. Le Commodore décidera de son devenir, à son retour. D’autres candidats ? »

Personne ne s’avança. Deux hommes vinrent chercher le marin assommé pour exécuter ses ordres, et la foule commença à se disperser. Mais alors que chacun retournait au travail, un groupe d’hommes vinrent le trouver se mirent à genoux devant lui, demandant son pardon. Le lieutenant Thomason lui souffla que ces hommes, dont les manches étaient déchirées, étaient les officiers qui avaient renoncé à leurs grades.
Telthis aurait aimé leur annoncer qu’ils allaient tous être remplacés, mais il ne pouvait pas se donner ce luxe maintenant. On verrait au retour du Commodore.

« Soyez libres de vos mouvements, dit-il. Et vous passerez dans ma cabine à la fin de la journée pour que je puisse noter vos noms. Je ne vous remplace pas pour l’instant, mais je parlerai de votre attitude au Commodore, qui jugera de la conduite à tenir. S’il n’est pas de retour dans dix jours, je commencerai à chercher des hommes qui ont les qualités requises pour prendre votre place. »

A ces mots, les mutins repartirent la tête basse. Ce n’était que le début des problèmes, Telthis le savait. Mais il estimait, compte tenu de la mentalité des humains si différente de celle des elfes, s’être plutôt bien débrouillé.

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Johei ne prit pas de précautions. Les yeux du capitaine étaient blancs, et bien qu’il soit penché en arrière, il ne pouvait pas retirer sa main de cette garde. En cas de problème, tout arrêter. C’était encore la solution la plus efficace. Elle était dangereuse, bien sûr, mais pas beaucoup moins que les autres. Elle l’arracha donc brusquement de l’artefact, le projetant en arrière sans se poser de questions, et tombant même avec lui sous la force d’inertie qu’elle avait déclenché. Sans se relever, elle l’attrapa par le col. Ses yeux revenus normaux. Elle était furieuse cette fois.

« Vous êtes là ? demanda-t-elle. »

Le capitaine eut un petit tressautement, clignant plusieurs fois des yeux. Un grand sourire illumina son visage, et il eut une exclamation de joie.

« Tout simplement prodigieux ! dit-il dans un fou rire. »

Cela eut le mérite de refroidir la colère de Johei. Elle était désormais franchement inquiète pour le capitaine. Il allait falloir tenter de le ramener par toutes les méthodes possibles. Elle lui colla une baffe.

« Quel est mon nom ? demanda-t-elle.
-Vous devez être la charmante Johei ! dit-il en riant. Quoi que je ne l’ai jamais vue aussi contrariée… »

Il n’était clairement pas dans son état normal. Prise de la peur qu’il ne fasse quelque chose de dangereux pour eux deux, elle choisit de l’immobiliser, et utilisa ses pouvoirs pour former un étau de fer magique autour de ses jambes et de ses bras.

« Si vous êtes bien le capitaine Théoden, dit-elle, il va falloir reprendre votre sérieux très rapidement. Maintenant même. »

Il se figea un instant, baissant les yeux sur ses mains. Quand il releva le regard, il avait ce regard dur et sévère d’un capitaine mécontent.

« Ne prenez pas trop vos aises, madame. Vous semblez oublier que c’est votre commandant que vous restreignez avec votre magie.
-Et je prendrai, répondit-elle sans le lâcher, toutes les précautions pour m’assurer que sa santé mentale soit intacte. Alors, est-ce que ces précautions sont inutiles ? Est-ce que je peux vous lâcher ?
-Non, vous devez me lâcher, répondit-il. »

Il était dans son état normal. Ou du moins le croyait-elle. Il avait retrouvé son sérieux, et avait conscience de la gravité des actes qu’elle avait commis. C’était une bonne chose. Mais il faudrait en parler plus longuement par la suite. Elle relâcha l’étau.

« Je vous garderai à l’œil pendant quelques temps, néanmoins, dit-elle tandis qu’il se relevait.
-Faites comme bon vous semble, dit-il en l’ignorant, elle, alors qu’elle était en conséquence restée au sol, et aurait apprécié qu’il lui tende la main pour l’aider à se relever elle aussi. »

Il s’empara de sa propre cape à la place, et fourra dedans la garde sans la toucher cette fois, chose qu’il aurait dû faire depuis le début.

« Estimez-vous heureux que je n’en parle à personne, dit tout de même Johei en se relevant elle-même.
-Allez dire à ces hommes que vous avez giflé leur commandant, répondit-il. Je vous en prie. »

Elle lui fit savoir qu’il avait perdu la raison quand il avait touché cette chose, mais il abaissa son bras, chargeant le paquet sur son épaule, et lui répondit qu’il ne ressentait aucun désordre particulier dans son esprit. Puis il s’en alla. A cet instant, elle se jura qu’elle n’aurait de cesse d’avoir justement visité cet esprit une nouvelle fois.

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Ils avaient trouvé le groupe de Théoden à la lisière d’une forêt d’arbres morts. Le groupe avait découvert une cité en ruines, et était sur le chemin du retour. Ce qui était une bonne chose, car cela permettrait de discuter d’une stratégie pour éviter les éventuelles nouvelles attaques de cette bête. Ils avaient discuté, puis repris la route. En chemin, Cassandra nota que Johei marchait loin devant tout le monde, du pas vif et décidé d’une femme en colère. Elle voulut aller lui en demander la raison, quand elle sentit une main sur son épaule. C’était celle du samouraï Samada. Il avait l’air gêné. Elle lui demanda des explications.

« Eh bien je n’en ai pas vraiment, dit-il. Je sais juste qu’elle s’est isolée avec le capitaine dans cette cité, tout allait alors bien, et puis quand ils sont revenus, elle était comme ça. J’ignore ce qui s’est passé pendant qu’ils étaient à deux, mais ça ne devait pas être bien. Vous savez, Johei fait un travail où elle doit en permanence raisonner avec des gens dévastés par le chagrin, aveuglés par le désir de vengeance, apeurés par quelque chose… Que des gens qui sont difficiles à calmer, en somme. Vous pouvez l’imaginer. Alors ces femmes-là, quand elles font de la politique, elles ne pratiquent pas assez ce travail pour maitriser pleinement leurs émotions. Mais Johei ne fait pas de politique, elle se consacre exclusivement à cette tâche. Et je peux vous dire que celles qui comme elle consacrent leur vie à parler aux gens dans la détresse sont d’une infinie patience. On ne se vante pas de les mettre en colère. Car il faut vraiment insister très fort, et sur un point qui fait mal en plus. J’ignore ce qu’il s’est passé avec le Commodore… Mais j’ai peur qu’il ait commis une grave erreur… Ne lui en parlez pas, il pourrait prendre la mouche lui aussi. »

Cassandra appliqua son conseil. Il serait toujours temps de parler à ces deux-là une fois qu’ils se seraient calmés. Tous les deux.

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L’expédition était rentrée durant la nuit. Il y aurait dû avoir beaucoup à dire, même si leur retour serait célébré demain, car entre la mutinerie dont elle avait eu vent et les problèmes pour lesquels Treville demandait l’attention de Théoden, il s’était apparemment passé des choses ici. Et il y avait Johei qui voulait absolument voir le capitaine seule à seul. Djanela ignorait pourquoi. Mais finalement, parmi toutes ces personnes, c’est Telthis que le capitaine insista pour voir, car il avait terminé le journal de son père. Il fut donc invité à passer une partie de la nuit avec Théoden dans sa cabine. Contre toute attente, et alors qu’elle aurait espéré aller dormir un peu, Djanela fut invité à se joindre à eux.

« C’est toi qui a découvert l’ouvrage, dit Telthis. Je veux que tu saches ce qu’il y avait dedans. »

Elle s’était faite à l’idée d’obéir à Telthis en tous points. Après tout, il était d’une grande sagesse et d’une grande compétence dans la lutte contre les démons. Ils s’assirent donc à la table de Théoden. Elle, surtout pour écouter. Telthis pour exposer ce qu’il avait lu.

« Alors maitre Telthis, demanda Théoden. Comment a été la lecture de cet ouvrage ?
-Intéressante en bien des points, répondit-il. Sur votre passé, sur votre père, sur la corruption qu’il a subit, ce qu’est devenue son expédition, ses raisons de la commander… Je vous apporterai après la discussion une copie que j’ai réalisée du journal. Une copie car je veux que vous sachiez que j’ai pris l’initiative de brûler l’original. Ce livre était trop pollué, il a même essayé de me mordre. »

Djanela vit le visage du capitaine devenir nerveux. Quoi de plus normal vu ce qu’il allait apprendre. Et puis elle était curieuse de savoir ce qui était dit dans ce journal, tout de même.

« Ne ménagez pas plus longtemps le suspens, dit Théoden. J’aimerais tout entendre.
-Je vais donc commencer par le début, dit Telthis en sortant la bague trouvée dans l’Achéron. Voici la raison de votre père en ces terres.
-Cette bague ? demanda Théoden en fronçant les sourcils, partageant visiblement la perplexité de Djanela.
-En effet, dit Telthis. Elle était le passe-temps de votre père. Il l’a reçue de sa mère, qui lui a expliquée elle-même la recevoir de son père, et ainsi de suite. Il a essayé par jeu de l’utiliser pour remonter ses ancêtres. Voyez comme elle est belle. Elle a apparemment servi de modèle à de nombreux orfèvres dans l’histoire. Amusé, votre père a décidé lorsqu’il avait du temps libre d’essayer de remonter ces modèles, afin de trouver tous les précédents propriétaires de la bague, qu’il pensait être sans ancêtres. Vos ancêtres capitaines. Il avait depuis longtemps atteint le stade où il saurait parfois plusieurs générations d’un coup avant de retrouver trace de la bague, et où il était totalement impossible de trouver des noms, quand il a entendu dire que le dernier propriétaire, avant de la léguer à, avait pris la mer vers l’ouest et n’était jamais revenu.
«  Je crois que cela avait un peu viré à l’obsession pour lui, car il a instantanément écarté l’hypothèse plus vraisemblable d’un naufrage pour accepter comme véridique celle de la terre lointaine inconnue où se trouverait une partie de ce qu’il pensait être sa famille. »

Théoden massa un peu son nez, semblant digérer l’afflux brutal d’informations. Djanela pour sa part tirait déjà les conséquences de ce qu’elle savait. Le Commodore aurait des origines elfiques ? Il sembla réalisait.

« Attendez, attendez, dit-il. Je croyais que cette bague était celle de Sildael la Radieuse. Que ferait-elle dans ma fam… »

Il s’interrompit, les yeux ronds, envisageant apparemment cette hypothèse folle. Djanela l’envisageait avec lui. Mais Telthis mit fin à leur enthousiasme commun d’une façon brusque.

« Vous êtes bien conscient, dit-il à Théoden, que votre père s’est très probablement trompé. On ne remonte pas cinq millénaire d’arbre généalogique aussi aisément.
-Surtout que… dit le Commodore en hochant la tête, eh bien sur le continent je ne crois pas que nos registres remontent à aussi loin, même pour des gens aisés comme il semblait l’être.
-En effet, dit Telthis, le plus sérieux du monde. Toujours est-il que c’est avec ce sentiment qu’il a pris la mer est arrivé jusqu’ici. Il a navigué à l’aveuglette et a fini par trouver ce continent. Et vous vous en doutez, c’est là que les choses se sont gâtées pour lui. »

Théoden alla chercher des verres, et les servit tous les trois de vin. Il demanda ce qu’il s’était passé pour qu’il en arrive là.

« Une succession de mauvais choix, et de malheurs qui ont frappé son équipage, dit Telthis. Ils ont été attaqués par les démons.
« Laissez-moi vous parler de Dani Rinma, dit-il. C’était une jeune prêtresse d’Ariel à bord de l’Achéron. Une néophyte, guidée dans son apprentissage par la véritable prêtresse du bord. Quand les démons ont attaqué pour la première fois, ils ont tué beaucoup de marins. Et ils ont tué la prêtresse. Dani Rinma vit ce jour-là quelque chose qu’elle n’allait sans doute jamais oublier. Tous les sorts d’exorcisme qu’avait tenté sa maitresse ont échoué. Et les démons l’ont tuée après s’être moqués d’elle et avoir joué un peu avec ses pouvoirs. Si bien que Dani Rinma a vu celle qui était une guide spirituelle pour elle implorer la pitié des démons, qui ne l’ont bien sûr pas donné. Ils l’ont tué en ricanant, disant qu’ainsi, ils auraient son âme en plus de sa vie. Ce n’est que le début. »

Ce n’était que le début, mais Djanela voyait déjà où Telthis allait en venir. Cette Dani Rinma était évidemment corrompue jusqu’à la moelle depuis ce jour, car elle avait renoncé à affronter les démons. C’était évident.

« Aurait-elle était corrompue sans cela ? demanda Telthis. Il est désormais inutile de chercher à le savoir. Votre père l’a vue parler en bien de la puissance des démons après cet épisode. Djanela qui est ici vous confirmera que c’est un signe d’alarme majeur. »

Djanela hocha la tête affirmativement. Il y avait reconnaitre la puissance des démons et le danger qu’ils représentaient, et il y avait être admiratif, positif sur cette puissance, comme si on respectait cet adversaire. Ça c’était de la corruption.

« Mais comme votre père n’avait pas ces connaissances, dit Telthis, il a juste pris les paroles de l’apprentie prêtresse pour celles d’une jeune femme avisée qui avait compris qu’il ne fallait pas sous-estimer l’adversaire. Et cela fit son bonheur, car après cette période de malheur, l’équipage avait besoin qu’il soit entouré de gens avisés et qui seraient aptes à le conseiller. Il intégra donc Dani Rinma dans le cercle de commandement du navire, en tant que prêtresse officielle du bord. Ce furent ses deux premières graves erreurs.
« Par la suite, ils arrivèrent plus loin que Demon Cove, dans ce qui semblait être une mer intérieure. Votre ère souhaitait continuer, sur les conseils de Dani Rinma, qui disait avoir vu en rêve une sirène lui affirmant que le capitaine trouverait en ces lieux ce qu’il cherchait. Sur les mêmes conseils de cette dernière, il lui confia après avoir établi un camp de base le soin de mener certaines des expéditions d'exploration qu'il organisait. Et il continua à le faire, quand bien même à chaque expédition, des membres du groupe de Dani disparaissaient sans explication. Et à chaque fois qu'elle en revenait, elle avait pris un peu plus en assurance. Elle paraissait désormais sûre d'être guidée par Ariel, et se montrait très convaincante pour votre père, qui commençait de toute façon à être manipulée par elle, tandis qu'elle cherchait à le séduire, avec succès. Plus les jours passaient, plus votre père s'attardait à décrire sa ravissante silhouette, son élégant visage, et son attachante personnalité, plutôt que ses actes de capitaine, dans son journal.
« Un jour, arriva ce qui devait arriver, ils couchèrent ensembles pour la première fois. Votre père s'est montré très explicite dans son journal sur ce qu'elle lui apporta ce jour-là. Mais cela déclencha une mutinerie. Les membres d'équipages n'appréciaient en effet pas vraiment cette femme qui conseillait de façon bien trop proche leur capitaine, surtout sachant que ceux qui partaient en expédition avec lui disparaissaient parfois de façon mystérieuse au beau milieu de la nuit. Elle trainait une malédiction disaient-ils. Et les démons qu'ils avaient dû affronter plusieurs fois au cours d'expéditions n'avaient pas arrangé leur nervosité.
« Alors quand ils entendirent votre père et Dani Rinma faire l'amour, ils se révoltèrent. Des combats eurent lieu sur l'Achéron. Mutins contre loyaux à votre père. Et dans un sens, futurs serviteurs des démons contre futures abominations que nous avons tuées ce jour-là sur l'Achéron.
« Ils faillirent atteindre un objectif, ces mutins. Au cours de la bataille, ils mirent la main sur Dani Rinma, et la tirant par les cheveux, l'amenèrent sur le pont du navire. Votre père fit alors preuve de faiblesse. De grande faiblesse. Il entendit une voix qui lui murmura  à l'oreille qu'elle pouvait encore sauver son aimée. Sans se soucier de ce qu'il entendait, il accepta le marché. A cet instant, des démons volants attaquèrent, et sauvèrent votre père, Dani Rinma, et tous ceux qui lui étaient fidèles. Les mutins qui ne furent pas tués furent mis aux fers. »

Il prit une petite pause avant de continuer son discours. Djanela savait déjà comment cela allait finir. Dans les livres d’histoire, le schéma qui arrivait au père de Théoden était hélas le cas typique de celui qui était corrompu par amour. Un cas d’école presque. Le Commodore, de son côté, déglutit avec peine pendant ce léger silence. Il avait les yeux baissés sur le plancher, les fermant occasionnellement pendant un long moment. Il enchainait les verres.

« Que… que… dit-il après s’être raclé la gorge. Que dit ensuite le journal ?
-Il devient par la suite de plus en plus confus, et mal écrit. Votre père avait pris conscience de ce qu'il avait commis, et à cet instant, il avait compris que Dani Rinma servait les démons. Mais comprenez qu'il était tombé amoureux d'elle. Il pensait pouvoir la sauver. Mais les démons l’emmenèrent. Il envoya des expéditions de secours, qu'il dirigeait lui-même. L'une d'elle trouva une ville où se trouvaient les membres d'équipages disparus. Et des démons. Dani Rinma se trouvait avec eux. Elle l'accueillit très chaleureusement, comme une amante à laquelle il aurait tant manqué, et n'hésita pas à revenir avec lui à bord de l'Achéron. Le journal la décrit comme étant alors plus belle qu'elle ne l'était déjà, changée, en mieux. Je pense que les démons avaient commencé à la faire muter en ce sens, car les descriptions sont assez claires quant aux symptômes qu'elle présente.
« La suite, c'est des tours de lente descente dans la folie pour votre père, d'où les traces trouvées dans sa cabine. Il était désormais presque seul à bord de l'Achéron, tous les membres de l'équipage ayant rejoints les démons dans la cité précédemment évoquée, sauf les mutins laissés dans la cale, qu'il se contentait de nourrir. Mais il avait reçu pour mission de rester là, en sentinelle. Qui lui a confié cette mission ? Dani Rinma, en repartant pour la ville, promettant de revenir. Elle le faisait régulièrement. Une fois tous les deux lunes, toutes les trois lunes, pendant quelques semaines. Et à chaque fois, le même schéma. En la voyant arriver, son coeur fondait, il était heureux de la voir. Il tombait dans ses bras. Elle était à chaque fois plus belle, et plus volontaire aussi. Mais elle l'aimait... Et il l'aimait.
« Au bout de quelques jours, il recommençait cependant à réaliser qu'elle servait désormais les démons, et essayait de se défaire de sa toile. Il était alors brutal avec elle, souvent même violent. Mais quand il la frappait, elle se laissait faire, et son calme le désarmait alors, si bien qu'il revenait à l'étape où il était juste amoureux. Et cela continuait. Elle partait, et revenait à chaque fois, toujours plus belle.
« Il faillit bien la tuer un jour toutefois. Vous vous souvenez du sang séché sur le sol de sa cabine ? C'est celui de Dani Rinma. Il lui perça l'abdomen de son sabre. Mais alors qu'elle s'effondrait au sol, il ne vit plus en elle une ennemie, comme à chaque fois, mais la femme qu'il aimait. Il parvint à la sauver. Elle ne lui en voulut pas, mais sembla l'aimer d'autant plus. Tant et si bien que quand elle revint quelques lunes plus tard, elle avait le ventre rond d'une femme attendant un enfant. Le leur. Vous vous souvenez de la saleté sur les draps de votre père ? C'est parce qu'elle enfanta dans ce lit.
« La naissance de votre demi-soeur fut longue et difficile, car quand elle vint au monde, sa peau était dure comme de la porcelaine. A cet instant votre père faillit sombrer dans la folie. Il sortit sur le pont de son navire, en hurlant d'après son journal. Il avait engendré une mutante. Parce qu'il couchait avec une mutante. Il considéra alors Dani Rinma et sa propre fille comme des abominations, et chargeant ses pistolets, se promit de rayer les trois membres de cette famille de la surface du monde. Mais quand il retourna dans sa cabine, Dani Rinma faisait des risettes à son bébé, qui gazouillait.
« Ce fut l'ultime clou dans le cercueil de votre père. Il conclut devant ce spectacle que l'on pouvait vivre avec les démons. Et qu'ils étaient même des bons maitres, puisque par la force du destin, ils lui avaient donné une femme formidable, et une fille qui le serait à n'en pas douter tout autant. Il put alors aller rencontrer ce démon que j'ai banni, qu'il y avait à bord de l'Achéron. Il accepta d'installer une faille sur son propre navire et de le transformer en arche démoniaque, car les démons étaient bons, et il était nécessaire qu'ils puissent apporter leur véritable parole au Vieux Monde. Le nom du démon que Djanela a trouvé... C'est celui de ce démon-là.
« La suite, vous pouvez l'imaginer. Mutation en tout genre, louange pour les démons de sa part... Il sombra totalement à leur service. Dani Rinma eut un autre enfant, un fils cette fois, qui naquit avec un oeil au milieu du front, et fut adulte en vingt jours. Signes évidents qu'il était béni par ses maitres. Mais d'amour, il n'y avait plus dans l'esprit de votre père pour Dani Rinma. Ils arrêtèrent d'ailleurs de coucher ensembles après cette naissance. Car votre père ne voyait plus l'amour dans les démons. Il voyait peu à peu leur puissance... Il comprenait qu'il avait toujours été dans le faux... Je ne vous détaillerai pas son raisonnement.
« Vous l'avez compris. Et cela l'a amené jusqu'à notre rencontre. »

Djanela n’était surprise en rien par cette histoire, mais le capitaine avait de plus en plus de mal à cacher son trouble à mesure que le récit avançait. A la fin, il toisa un instant l’épée de son père, toute abimée, et leva pour s’en saisir, à plat dans les paumes de ses mains. Il demanda à Telthis si le journal indiquait où trouver Dani Rinma et ses enfants, mais Telthis répondit par la négative. Le capitaine se tourna alors vers son hublot, et affirma qu’il serait heureux de les croiser.
Tout en regardant dehors, et en tremblant, il jura de passer l’épée de son père au travers du corps de la maudite prêtresse qui lui avait fait ça. Elle et ses deux enfants. Il appela son frère et sa sœur damnés qu’il rejetait avec la plus forte des convictions.

« Un sage serment, dit Djanela, souriante. »


Elle appréciait un peu ce changement d’attitude, à vrai dire. Cela lui faciliterait grandement la tâche si elle voulait conseiller le capitaine quant à l’attitude à tenir avec des hommes corrompus ou un lieu infesté de démons, dorénavant.

« Puisque nous ne savons pas où les trouver, nous devons commencer quelque part, affirma Théoden. Je veux trouver cette prêtresse et ses bâtards d’enfants. Nous partons pour la Mer Intérieure sans tarder. Je vous laisse annoncer le départ, j’ai besoin d’un … Moment.
-Je crois, le coupa Telthis, que messire Treville voudra vous parler de nos vivres avant cela, capitaine. Et je ne crois pas qu’il acceptera d’attendre. Et nous avons bien des choses à nous dire.
-Pour le capitaine, dit Théoden, dites-lui que je le recevrai dans mon bureau dès l’aube, le temps de libre les rapports que vous m’avez laissés.
-Qu’il en soit ainsi, dit Telthis, en sortant, suivi de Djanela. »

La situation allait devenir intéressante pour la chasseresse de démons, qui, fatiguée, était cependant trop heureuse de rejoindre sa chambre. Les derniers jours avaient été riches en évènements après tout…

---

Ivar ouvrit les yeux, et une grande bouffée d’air pénétra dans ses poumons. Il essaya de se lever, et y parvint sans difficulté. Il n’était apparemment pas blessé.

« Je suis vivant, dit-il. »

Il avait de la chance et en était parfaitement conscient. Il se redressa complètement.

« JE SUIS VIVANT ! »

Quand la bête l’avait attrapé, il avait cru sa dernière heure venue. Mais le singe avait bondit de partout. Il ne savait pas trop à quel moment il s’était évanoui. Et il s’en fichait. Il était dans un trou dans le sol. Il avait dû y tomber. Tomber des mains du singe ? Sans doute. Il en sortit, trop heureux d’être encore en vie. Il lui faudrait à n’en pas douter réussir à s’orienter dans cette maudite plaine, mais à tout le moins il était en vie, et ne désespérait donc pas de réussir à retrouver les autres.
Il n’était pas dans plaine quand il sortit. Il était sur une colline. A cet instant seulement il remarqua ce qui composait le sol blanc autour de lui. Des crânes, des ossements par centaines, par milliers, qui formaient une véritable hauteur. A cet instant il sentir des présences. Autour de lui. Il avait entendu parler dans les légendes de spectres infâmes qui hantaient des champs de bataille trop importants. Si c’en était bien un. Très vite, il se rendit compte qu’il était encerclé par ces mêmes spectres. Alors, des visions de sang et de carnage commencèrent à hanter son esprit.
Il ne remarqua pas que parmi les spectres se trouvait une femme. Il était trop occupé à sentir que tout son corps le brûlait. Les spectres ! Les spectres les spectres les spectres ! Il voyait leurs souvenirs maintenant. Une lance dans la gorge. Des démons qui riaient. Le feu dans le ciel. Il était à genoux devant toutes ces visions. Il souffrait la mort de tous les guerriers qui avaient vécu cette bataille. La mort… Une grande bataille. N’était-il pas un guerrier des Marches ? N’était-il pas prêt à affronter une grande bataille ? Oui ! Une bataille ou une grande gloire lui était promise.

« Que veux-tu ? demanda la femme.
-Je veux … Livrer bataille et devenir célèbre, répondit Ivar.
-C’est une bonne chose, dit la femme, et elle toucha son genou. »

A cet instant, Ivar réalisa que cette humaine ne l’atteignait qu’à hauteur de la cuisse. De la cuisse rouge comme le sang, à travers ses vêtements déchirés. Il aurait pu lui arracher aisément la tête, mais sa présence était apaisante. Et elle était belle, et souriante. Elle ne pouvait pas lui vouloir de mal.

« Tu vas devenir célèbre, dit-elle. En servant tes maitres. »

Il se sentit changer. Sa vision retomba. Il rapetissait à vue d’œil. Il se retrouva bien vite à sa hauteur, et sa peau était revenue celle d’un humain normal.

« Mais…
-Choqué ? demanda-t-elle.
-J’étais prêt à livrer bataille, dit-il. J’étais devenu un avatar vivant de la guerre.
-Et tu le redeviendras. Le Prince sans Nom peut te donner cela, et plus encore. Il peut te donner la guerre, et une éternité de carnages à laquelle tu pourras prendre part. Si tu lui obéis.
-Que … Que dois-je faire ? demanda-t-il.
-C’est très simple, susurra la femme… Mon nom est Dani Rinma, et je suis ici pour t’expliquer la mission que le Prince sans Nom attend de toi.
-Le Prince commande et je sers, répondit Ivar.
-Nous servons tous, dit Dani. »

Le singe escaladait la colline derrière elle. Il ne faisait pas peur à Ivar, qui reconnaissait bien en lui un serviteur du Prince.
Lun 7 Nov 2016 - 23:29
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Capitaine Theoden
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Capitaine Theoden
Quitter Demon Cove. C'était bien là un rêve qui avait traversé les esprits de beaucoup d'hommes de l'Odyssée, depuis la lune et demie où ils y avaient débarqués.
La vie, dans cette abyssale grotte n'y était pas particulièrement désagréable, malgré l'omniprésence des démons dans les coeurs et les discussions. L'endroit était certes froid, sombre et humide mais entre ces paroies noires ouvertes sur le ciel un certain sentiment de sécurité avait commencé à naître chez l'équipage.
Personne n'avait vu de démons creuser la roche ou arracher des falaises entières, après tout.
C'est pourtant sans traîner que l'on prépara le départ. Et pour cela, il y avait beaucoup à faire. Non seulement il fallait réembarquer les vivres et les munitions, mais il fallait aussi démonter les barricades et tout le campement qui s'était développé autours de la côte. Près d'un millier de tentes, au moins le double de couchages, des tonneaux par centaines, des caisses à n'en plus compter et, bien sûr, les pièces d'artilleries démontées du Wench qui avait servit à défendre l'entrée principale de Demon Cove.
L'un dans l'autre, tout cela ne devait pas prendre plus d'une journée compte tenue du fait que l'Odyssée comportait encore plus de mille deux cent âmes et avait souffert de pertes assez sommaires. Mais au lendemain de la dite journée, aucune voile n'avait encore été larguée.
La cause était assez simple : il n'y avait tout simplement plus assez d'officiers pour coordonner les manoeuvres les plus élémentaires. Et Théoden devait assembler une cour martiale pour statuer sur le sort de ceux qui s'étaient mutinés.
Pendant toute une matinée, il reçut donc avec le Major Hewlett et les Capitaines qui le secondaient chacun des accusés et discuta avec eux.
Malgré son grade de Capitaine, Telthis avait été exclu du processus. L'équipage ne pouvait pas le voir siéger à côté du Commodore, sans que cela soit risquer de laisser penser à une vendetta personnelle. Ou pire, que le commandant soit sous l'influence de l'Elfe Blanc.
Alors les détenus se mirent à défiler, dès l'aube. Il y avait en tout pas moins d'une vingtaine de mutins à juger. Du Caporal au Lieutenant. Différents grades, différentes responsabilités, différentes histoires : différentes sanctions.
Au terme de ces échanges, il fut décidé que la plupart des hommes souffriraient d'une volée de coups de fouets ou verraient leurs grades revus à la baisse. Quelques uns reprenaient du service dans leurs conditions d'avant. Mais il en fut trois qui exprimaient toujours une hostilité sans borne envers les Teikokujins embarqués à bord. Ceux-là, et Théoden pu en observer un souffrir de démence, ceux-là furent condamnés à être exécutés.

"-Vous, je le regrette, vous ne quitterez jamais Demon Cove." leur avait dit le Commodore avec peine.

La sentence était pénible à prononcer. Théoden se trouvait devant le cas où il devait lui même tuer les hommes qu'il avait emmenés dans sa folle Odyssée.
Alors bien sûr, il fut impossible d'éviter le sentiment de culpabilité. Néanmoins, lorsque le peloton d'exécution se mit en place sur le pont du Wench il ne détourna pas le regard. Au son de la caisse claire, sous un étendard affalé dans un vent frais, le Major Hewlett tira son épée au clair.
Quinze fusiliers s'alignèrent alors en double rangées, et leurs fusils se dressèrent, avant de tomber à l'horizontale.
Lorsque le sabre du commandant s'abaissa, trois corps s'écroulèrent sur le pont. Sans que quiconque ne détourne le regard. Lorsque Théoden s'avança pour procéder dans la foulée aux inhumations, son regard s'attarda sur les minces filets de sang qui commençaient à courir entre les planches du pont. De son pont. Trois bonnes vies gaspillées par de mauvaises décisions de sa part.
Les corps furent roulés dans des pans de toile épaisses. Puis trois marins approchèrent avec des aiguilles et refermèrent les cercueils improvisés à l'aide de grosse corde et d'aiguillons courbés.
Comme le voulait la tradition, pour s'assurer de la mort des malheureux, ils remontèrent de leurs pieds jusqu'à leurs visage et passèrent la couture à travers la chair molle de leur nez. Il n'y eut aucun sursaut dans les sacs mortuaires, signe que tous les trois avaient péris. Alors seulement, on les chargea sur un caillebotis de rechange en équilibre sur le bastinguage. Deux prêtresses -dont l'apparition fit d'ailleurs partir dans l'instant Tobias- vinrent alors bénir les disparus.

"-Aux yeux d'Ariel" conclu Théoden "Nous sommes tous égaux. Et il n'y a aucune différence entre vous, moi et nos trois compagnons que nous rendons à son royaume.
Mais sachez cela : arpenter ses eaux, c'est se plier à des règles. Des règles que ceci doit à jamais graver dans vos mémoires. Cette expédition exige le meilleur de chacun d'entre nous. Même de moi, votre commandant. Ces corps ne sont pas les témoins de votre échec, mais les monuments de mes erreurs. Je sais que depuis le domaine des dieux, nos morts nous observent. Nous jugent. Ils ne savent que trop bien ce que c'est de tout perdre. De tout donner. Alors pour eux, nous allons tout donner aussi.
Pour eux, nous allons reprendre le flambeau et continuer plus loin encore. Mais ce sera uni. Ce navire, et celui qui nous suit, ce sont nos forteresses. Nos royaumes, même ici où nos prières peinent à se faire entendre. Alors mes amis, aujourd'hui je prie pour que ces trois vies soient les dernières que nous ayons à prendre dans notre propre camps."

Après un léger silence, le Commodore conclu par un "Gloire à notre Déesse !" et se retira, enjambant d'un pas précautionneux les traînées de sang sur le sol. Il fut suivit de près par le Capitaine de Treville qui demanda encore une fois à lui parler.

Cette fois-ci, Théoden n'y coupa pas. Mais au terme d'un bref échange dans les coursives sous la dunette, le Commodore dû donner un cap tout à fait autre au Lieutenant Thomason -récemment promu- et faire passer le mot qu'ils retournaient vers l'Est en quête de vivres.
Quelque part, le moral en repartit à la hausse. L'idée même de quitter l'influence de ces démons rendait l'équipage heureux. Une minorité cependant fut bien en peine de cacher sa frustration. Etait-ce l'effet du discours du Commodore ? Ou bien celui de la magie des démons ? A Djanela de faire le tris. Car le nombre des admirateurs de ces abominations damnées qu'ils avaient croisées ne cessait de croître !

Sous le pont, justement, on se préparait au départ. Et Johei, comme beaucoup de Teikokujins devait regagner sa cabine pour s'assurer que tout y était en ordre. Par mesure de commodité, Théoden avait demandé qu'on lui laisse la couche de la prêtresse Eléa, disparue pendant l'expédition de Djanela dans les entrailles de l'Achéron[/]. Elle y trouva Tobias, assise sur la couche de la défunte. Le pauvre bougre s'affairait à remballer les maigres effets de sa compagne avec un air qui ne faisait qu'esquisser la peine qui l'étreignait. Il en cachait beaucoup, grâce à l'aide que lui avait procuré Samada.
Dans un élan d'empathie, Johei préféra donc le laisser et fit demi tour sur le pas de la porte. Elle avait de toute façon beaucoup à faire ailleurs ! Mais au détour d'un corridor, alors qu'elle remontait vers l'entrepont, Johei croisa la route d'un groupe de marins préoccupés. A vrai dire, ils étaient pris dans une conversation passionnée, remuant des outils dans tous les sens et s'arrachant quelques feuilles de papier.
Elle les avait déjà croisés, à terre. Plusieurs fois depuis le retour de l'expédition de Théoden. Et comme à chaque fois, son arrivée fit tomber un lourd silence sur leur échange. Tous s'écartèrent, lui souriant maladroitement et cachèrent derrière eux ce qu'ils tenaient.

"-M'dame" disaient-ils sur son chemin, avant de s'esquiver le plus vite possible.

Avant même qu'elle n'ait pu poser la moindre question, Johei se trouva de nouveau seule dans la coursive, le débat reprenant avec passion un peu plus bas dans les entrailles du navire. Bien entendu, comme par hasard, tout le monde s'en tint à un silence rigoureux quand elle posait la moindre question. Sans doute quelques mystères de marins, ou pire...

~o~

Quitter Demon Cove fut une affaire délicate pour le [i]Blacksmith
, encore plus pour le Wicked Wench qu'il fallut tracter pendant une bonne partie de la manoeuvre. Aussi, le retour à l'océan fut une véritable bouffé d'air frais. Et de soulagement ! Après près de six heures de manoeuvres intensives, Théoden pu enfin abandonner la barre à son second, sous les applaudissements de l'équipage. Eve et lui avaient encore une fois preuve des talents des diplômés de l'Académie Navale de Kelvin ! Et de leur lien si particulier.

"-Aller les gars, libérez-moi toute cette toile ! On file plein Est, dans le vent. Et rangez-moi ces avirons !" lança-t-il en redescendant vers sa cabine.

C'est là qu'il retrouva son cartographe, bien affairé sur un mur de sa cabine. Qu'y faisait-il ?
Théoden lui avait commandé le plus grand ouvrage de toute sa vie. Une carte complète des océans de Ryscior, retraçant non seulement les mers et les fleuves connus autours des côtes du vieux monde, mais aussi le Nouveau-Monde, le contours de Teikoku et une ébauche des Terres d'Albion. Le résultat était assez grandiose. Une fresque de plusieurs mètres, grandement incomplète dans sa moitié gauche mais unique en son genre ! A son entrée, le Commodore eut un grand sourire en voyant l'ouvrage s'achever.

"-Alors, comment cela se passe-t-il fils ?"

Le jeune homme, manquant de faire tomber les pinceaux qu'il tenait se retourna et se mit en hâte au garde à vous. Ce faisant, il se colla ses outils sur la tempe et se peinturlura plus encore qu'avant cela ! Rouge de honte, et de gêne, le pauvre garçon ne pu que bredouiller avec maladresse que son travail était terminé pour l'instant.

"-Bien joué petit. Tu peux aller te reposer." fait Théoden en se retenant de rire.

Le Commodore lui tapote l'épaule et le laisse ranger.

"-Oh et tu feras attention hein, tu en as sur la tempe. Tu ne voudrais pas que Mademoiselle Renrin ou Johei te voient ainsi, hm ?"

Le pauvre bougre vira encore d'avantage au rouge, manquant de s'arracher de la peau en s'essuyant en hâte et fila, après un "Merci" plus haché que d'habitude.

Après son départ, Théoden se laisse tomber dans son fauteuil, dans un soupire amusé et retourne à la rédaction de son journal personnel.

Jour 138 :

C'est par une météo clémente que je fais repartir mon Odyssée vers l'Est.
A la lumière des informations du Capitaine de Treville, qui me seconde avec un talent surprenant, il est évident que je prends là la seule décision qui vaille à ce point du voyage. J'aurais mené mes hommes plus loin que n'importe qui depuis plusieurs millénaires dans l'Est. Mais après quatre mois de voyage, il est évident que nos vivres ne sont plus suffisant pour poursuivre. Face à des forces impossibles à mesurer, je ne prendrais pas le risque de défier Virel et de jouer les mille deux cents âme qui comptent sur moi. Alors faute de solution de réapprovisionnement à court terme, le départ est obligatoire.
J'emporte néanmoins quelques prodigieux souvenirs de ces Terres d'Albion. Ce fragment de lame, prodigieux souvenir d'un monde qui s'est résumé à moi en quelques brefs instants. Il y a aussi ce monticule de roches et de plantes mortes que John semble affectionner tout particulièrement. Selon lui, tout cela n'existe pas sur notre continent. Ce seraient des variétés... comment disait-il ? Andémique. Eh bien j'espère qu'il saura en tirer autre chose que des pages et des pages de descriptions et de croquis. Je crois que le plus gros succès de cette Odyssée... et le plus gros échec sera sans doute la découverte de l'Achéron. Et... de mon père.
Le Capitaine Nathan James, dont je découvre la vie au fil des pages déchiffrées par Telthis. Qui eut cru qu'un homme aussi prodigieux puisse souffrir d'une fin aussi tragique ? Je regrette de ne pas avoir pu partager plus de choses avec lui.
Maintenant, tout ce qu'il me reste de lui tient en un feuillet de mille cinq cent pages, une paire de cloches de quart, une barre et une lame rongée par les éléments.
Ca, et une promesse : celle de



"-Commodore ?"

Théoden fut interrompu là par la voix familière de Telthis qui refermait la porte de sa cabine. L'Elfe répondait à une toute récente convocation du Commodore, juste après qu'ils aient passé la sortie de Demon Cove.

"-Ah, vous voilà. Bien, bien asseyez-vous nous avons à parler d'affaires sérieuses."

L'Elfe prit place sur un des deux sièges devant le bureau de Théoden.

"-Je vous écoute capitaine.

-J'ai mit la main sur quelque chose" commença le Commodore "qui devrait vous intéresser, lors de notre dernière expédition dans les Terres d'Albion.

-Quoi donc ?"

Théoden pose alors la poignée de la rapière découverte à terre, enveloppée dans un chiffon de soie. On peut voir une faible lueur scintiller au travers. Telthis se penche dessus et ôte avec attention le tissus pour regarder ce qu'il se trouvait dessus. Sa curiosité est apparemment piquée par l'objet.

"-Un vestige de ce qui semble avoir vécu" explique Théoden "ici, avant l'arrivée des démons... et de cette Sildael la Radieuse que nous recherchons.

-Je ne vois là qu'une rapière... Enchantée de façon peu subtile, sans doute.

- Lorsque je m'en suis saisi, malgré les mises en garde de demoiselle Johei, j'ai été victime d'un phénomène des plus étrange.
Des...Visions de ce qui fut sur cette terre, autrefois. Des choses merveilleuses, même pour moi. Et avant que je sois arraché de la relique, il m'est apparu le vaisseau Elfe que nous recherchons. Ainsi que la cousine de la Reine, Sildael la Radieuse.

-Je ne ferai aucun commentaire si la façon dont vous avez ignoré son conseil, parce que cela vous a permis de ramener une information. Vous dites avoir vu Sildael ? Et les autres elfes de son expédition ?

-Le vaisseau entrait dans un port, non loin de ce qui aurait été Demon Cove. Sans doute le premier contact de votre camarade, comme les créatures vivant déjà sur place étaient émerveillées par l'arrivée des Elfes.
Je peine à en dire d'avantage, le reste est trop décousu. En revanche, il semble que la magie de cette relique opère toujours si vous désirez vous y aventurer. Je ne crois pas y avoir laissé ma santé mentale, mais on peut peut-être apprendre quelques choses."

Mais lorsque Telthis empoigna l'arme, rien ne se passa. Pas d'éclair de magie, pas d'onde, pas de changement d'attitude chez l'Elfe. Il semblait déçu.
L'objet était apparemment à court d'énergie, épuisée après la dernière vague de souvenirs qu'il avait provoqué.
Le Commodore se fendit d'une moue gênée.

"-Hmm... je suis navré maître Telthis. Je m'étais persuadé que ça marcherait.

-Cela arrive parfois avec les objets enchantés.

-Je vais inscrire tout ce que ma mémoire a pu retenir de ces visions et vous les rapporterais dans les moindres détails, des fois que. Avec, en plus, les croquis de ce qu'il m'a été possible de distinguer.

-Je vous en remercie. Mais ne devriez-vous pas en informer le reste des officiers ?

-Nous n'avons pas encore de piste sérieuse. L'équipage profitera bien mieux de son repos dans les territoires humains si il ignore que c'est pour mieux y retourner d'ici une lune ou deux. Pendant ce temps, je suppose que nous pourrons trouver le moyen de correspondre avec la Reine Malene.

-Je le pense aussi.

-En attendant, je conserverais cette relique. Peut-être intéressera-t-elle le forgeron qui a forgé la merveille dont on m'a fait cadeau.

-Peut-être, mais sa facture est humble à mon sens."

Un sourire amusé saisit l'expression de Théoden, qui rit un instant en entendant Telthis.

"-Vous les Elfes Blanc..."

Il ne termine pas sa phrase, se levant de son fauteuil pour aller ouvrir la porte à Telthis. Il lui propose de le raccompagner, le remerciant d'être venu aussi rapidement.

"-De rien, capitaine." conclu l'intéressé, en repartant à ses affaires.

~o~

Quelques jours passèrent, sans que le retour vers l'Est civilisé soit troublé le moins du monde. Les vaisseaux de l'Odyssée croisaient à quelques encablures des côtes rocheuses d'Albion la sinistre, soutenus par un vent favorable et une météo relativement clémente.
Par mesure de précaution, le Blacksmith avait prit la tête et devançait le Wench d'une paire de nautiques. A bord des deux vaisseaux, le moral était au beau fixe. L'espoir de rentrer rendait les marins guillerets, et on les entendait souvent chanter pendant les manoeuvres. La nuit, on fêtait sous le pont la fin du calvaire de Demon Cove.
C'est justement par une de ces nuits là que Théoden apparut sur le pont. Vêtu plus légèrement qu'à l'accoutumé -sa chemise à demi ouverte se gonflait sous l'effet du vent, retenue par un foulard serré à sa taille- il tenait une bouteille de vin dans une main, et deux verres dans l'autre. Au détour du passavant tribord, il aperçu Johei qui montait sur le pont arrière et décida de la rejoindre.

"-Johei, justement je vous cherchais !" lança-t-il en achevant de grimper la volée de marche qui le séparait d'elle.

"-Capitaine ?" lui répondit-elle, en se retournant.

"-Je crois que nous avons à parler, tous les deux."

Le Commodore vint s'adosser au bastingage solide, après avoir contourné une espingole. Ce faisant, il emplit ses deux verre de cristal d'un vin doux et coloré. Il en tend un à la jeune femme, qui la prend sans sourciller.

"-Je vous écoute.

-Justement, non. Ce n'est pas à moi de parler cette fois.

-Ah bon ?
-Ne soyez pas surprise, je sens bien que depuis ce qu'il est arrivé lors de cette expédition vous nourrissez un certain ressentiment envers moi."

Il lève son verre légèrement, pour l'encourager à boire avec lui.

"-Allons, ne craignez rien ce vin n'est pas fort. En outre, c'est coutume de boire un verre lorsque c'est le Capitaine qui vous le sert."

Il lui fait un clin d'œil, avec un sourire et vide le sien.
Johei porta la coupe à ses lèvres, délicatement et commença à boire sans un mot. Ce qui ne fit que sourire d'avantage Théoden, appréciant l'effort.

"-Je sais ce que c'est de ne pas se permettre de parler. Mais là, je vous offre l'occasion de relâcher tout ce que vous souhaitez me dire sans tenir le moins du monde compte de mon grade, et de nos responsabilités respectives.

-Vous dire quoi ? Que c'est inutile d'avoir des conseillers si c'est pour les ignorer ?

-Me dire ce que vous voulez.

-C'est fait.

-Est-ce cela qui me vaut tous ces regards glacials et ces évitements depuis quelques jours ?"

Il se redresse un peu.

"-J'essaye de faire en sorte que quelque chose de bon ressorte de tout cela. Voir où j'ai pu me montrer aussi blessant.

-Quand vous avez ignoré mes conseils et que vous n'avez suivi que votre obstination à prendre des risques inutiles ?

-Inutiles, ils l'étaient peut-être." répondit-il avant de se racler la gorge. Il devait admettre qu'ils l'étaient carrément ! "Mais je crois que vous avez tout autant connaissance que moi de cette étrange tendance qui me pousse vers le suicide.

-Pourquoi alors prendre des conseillers supposer vous éviter cela ?

-Je suppose que quelques fois, un homme a besoin de se distancier de tout cela. De décider seul." il hausse les épaules "Ce qui n'est pas souvent permit, malgré ce que l'on peut penser, dans le rôle de commandant."

Dans un sourire, il ajouta ne pas connaître beaucoup de gens plus avisé qu'elle. Ou Telthis. Peut-être seulement Gibbs lui avait un jour servit de sage. Gibbs et son mentor, quelques décénnies en arrière lorsqu'il servait dans la Navy Kelvinoise.

"-Alors pourquoi ne pas m'écouter si j'apparais si intelligente ?"

Peinant à exprimer ce qu'il ressentait, Théoden trouva une idée afin d'évoquer ce sentiment qui le tiraillait depuis le début de l'Odyssée. Il sourit sensiblement et leva les yeux vers Johei, lui demandant si elle avait un jour mit les pieds dans la vallée des Elfes Blancs. Ces êtres si... parfaits. Du moins pour l'oeil humain !
Sans grande surprise pour lui, elle lui répondit que non. Qu'elle n'avait jamais mit un pied là bas.

"-Peut-être que sur Teikoku, on vous a apprit la réserve, l'humilité et la raison. Mais sur le Continent, quand on se trouve en présence de personnes infiniment plus douées en tout que vous on ne peut s'empêcher de ressentir jalousie, envie, parfois défiance, impuissance et cela mène invariable à nous imposer une lourde remise en question et beaucoup de dévaluation.
Le rapport avec la vallée des Elfes Blancs est que nous nous trouvons en présence de Telthis qui est... eh bien qui est Telthis." il n'y avait vraisemblablement pas de mot dans la langue humaine pour le qualifier. "A lui seul, il aurait le moyen de mener à bien cette Odyssée. Comme vos compagnons Teikokujin égalent au minimum les meilleurs de mes hommes. Et ce sentiment que nous avons, Continentaux. Qui me traverse de plus en plus nous pousse petit à petit à faire des choses stupides."

Il se racle la gorge.

"-Je ne voulais pas m'éterniser là dessus, sur les faiblesses de nos raisonnements, mais je crois qu'il s'agissait avant tout de prouver pourquoi je suis là. Et pas quelqu'un d'autre.

-Donc en somme, vous essayez de faire des choses téméraires... Par jalousie ?" tente-t-elle après un silence emplit de réflexion.

Ce n'était pas tout à fait cela, mais elle n'était pas dans le faux pour autant.

"-Peut-être, oui. Peut-être est-ce pour me convaincre que je n'ai rien à envier à ces gens. La vérité c'est que si ces Teikokujins et Telthis décident de se soulever contre moi, je suis totalement impuissant."

Il tourne un instant la tête vers elle, souriant un peu malgré une inquiétude réelle.

"-Ce n'est normalement pas imaginable, pour un bon Capitaine.

-Vous souhaitez peut-être alors que nous repartions sur Teikoku ?

-Et après quoi ?" répond le Capitaine, en croisant les bras "Je n'ai pas mené ce voyage à son terme !

-Mais, vous venez de me dire qu'à cause de nos talents vous avez du mal à nous accepter dans cette expédition.

-Sauf qu'ils sont indispensable à son succès. Ce n'est pas pour rien qu'aucun autre navire n'a été capable de traverser ces eaux jusqu'à rallier le Vieux Continent sans être perdu pour de bon.

-Et donc ?

-Et donc le problème ne vient pas des conseillers, ni de leurs troupes."

Il s'éclaircit la voix.

"-Il faut que je m'y fasse. Je ne suis commandant que dans les titres. Cette Odyssée est autant celle de Telthis que celle de Samada ou la votre."

Johei afficha un air choqué. Surprise ou consternée par les propos de Théoden, elle s'insurge alors, haussant sensiblement le ton.

"-Mais c'est faux !"

Ce qui fit sourire le Commodore.

"-Je ne suis pas dans mon élément ici, pas du tout. Si nous devions couler une flotte de vaisseaux Elfes Noirs, je me sentirais plus à ma place ! Là, vous le voyez bien, je ne peux que me tromper, seul.

-Vous auriez pu éviter de faire cette erreur même sans moi. Et si vous me dites que vous avez touché cet artefact juste pour m'impresionner, alors il faut vraiment que je parte."

Une femme séduisante, une façon totalement déraisonnable de l'impressionner, la séduction par l'inattendu... ça lui ressemblait, il devait le reconnaître. Passait-elle trop de temps dans son esprit ? Théoden dû bien admettre qu'elle marquait un point ! C'en était gênant. Mais il rit, amusé.

"-Vingt tours en arrière, peut-être que cela aurait été le cas ! Je suis un brin trop vieux pour essayer d'impressionner les femmes."

Il hausse les épaules.

"-Tout ça pour dire que je vais travailler là dessus, et éviter de reproduire ce qu'il s'est passé la dernière fois.

-Merci."

Leur conversation s'évanouit là dessus, le plus naturellement du monde. Théoden proposa un second verre à la jeune femme, qui refusa poliment. Alors il se décida à la laisser en paix, la débarrassant de son verre vide. Après un "Bonsoir" poli, répondu tout aussi gentiment, le Commodore s'en retourne avec la satisfaction d'avoir entamé un début de réconciliation. En chemin vers sa cabine, décidé à se reposer jusqu'au matin, il croise Edmund, en tenue légère également qui erre comme souvent, le nez dans les étoiles.
Il n'y en avait vraisemblablement pas, à Demon Cove. Un ciel étoilé, c'était là quelque chose qui rendait cet homme là simplement heureux.
Après quelques mots, entre eux deux, Théoden fut finalement couché. Cette nuit là il rêva. Il rêva du continent, qui se rapprochait inexorablement. Il rêva de cette femme qu'il avait laissé dans les Îles de Jade. Il rêva des Marches d'Acier, et des amis qu'il y avait laissé. Il rêva de son père, enfin, qui était enfin libéré de l'Achéron et qui avait enfin quitté Demon Cove.
L'un dans l'autre, le retour à la civilisation lui ferait peut-être du bien aussi...
Dim 13 Nov 2016 - 15:22
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Dargor
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IL les observa. Attaquer leur source de nourriture avait eu un effet indésirable. Les mortels s’en allaient. IL était prêt à les laisser se défendre pour s’amuser un peu, mais pas à les laisser s’enfuir de SON territoire aussi facilement. IL voulait ces deux navires. IL voulait autant de leurs membres d’équipages que possible. IL les aurait. Mais pour cela, IL devait les pousser à faire demi-tour. Peut-être abimer ainsi leurs machineries mortelles, sans pour autant totalement immobiliser leurs navires, pourrait suffire à les pousser à faire demi-tour. Mais pour être certain de son coup, IL choisit ainsi d’envoyer deux de ses plus puissants serviteurs. IL le fit. Il n’était pas question de laisser s’échapper deux arches aussi aisément.

---

La nuit était tombée. Les deux navires auraient bientôt fini de longer la chaine de montagnes qu’ils avaient déjà longées à l’aller. Johei, n’ayant pas réussi, suite à la discussion qu’elle avait eue avec le commodore, et qui la préoccupait, à trouver le sommeil, se trouvait sur le pont du Wicked Wench. Bien que des échanges aient régulièrement lieu entre les hommes d’équipage affectés à la manœuvre de nuit, voyager par ce ciel dégagé, sous une pleine lune et une myriade d’étoiles scintillantes, avait quelque chose de bien plus serein et calme. Ce sentiment était conforté par une mer bonne, apte à la navigation, et surtout, le fait que l’on sache les démons loin d’ici. Qu’on sache que chaque mètre gagné éloignait d’eux. Beaucoup étaient soulagés dans l’équipage. Et elle aussi.
Ce contexte de détente lui permettait de réfléchir avec calme à ce que lui avait dit le capitaine. Elle avait réellement peur d’être une gêne pour lui après cette conversation. Il faudrait qu’elle lui en parle, une fois de retour à Teikoku, s’il prévoyait de s’y arrêter. Qu’elle lui en parle avec sérieux. Que tout soit définitivement mis au clair, et que l’on détermine si sa présence au sein de l’expédition était réellement indispensable, ou à défaut bénéfique.

« Est-ce que c’est moi ou est-ce qu’il y a une forme sombre dans l’eau ? demanda une voix proche d’elle. »

Elle s’approcha du groupe de marins qui observaient par-dessus le bastingage. Après tout, elle pourrait aider à cela. Ils pouvaient distinguer des ombres, la nuit, mais elle était une teikokujin. Sans être une elfe, elle avait en partie des yeux d’elfes, des yeux qui pouvaient voir dans la nuit. Elle se pencha avec eux. Et ils avaient raison. Il y avait quelque chose dans l’eau, entre les deux navires. Mais c’était quelque chose d’énorme, qui semblait remonter du plus profond de la mer, et grossissait à vue d’œil. Maintenant, les marins aussi pouvaient le voir aisément. Il n’était plus possible de manquer la vision de cette bête qui à n’en pas douter avait remarqué les deux navires.
Johei recula prudemment. Elle avait un mauvais pressentiment. Mais ça n’était que ça après tout. Un pressentiment. Les démons étaient loin derrière désormais, n’est-ce pas ? Dans Demon Cove, elle aurait instantanément donné l’alarme si elle avait été prise de cette inquiétude. Mais on n’y était plus après tout.
Soudain, dans un grand bruit de gerbe d’eau, la bête sortit, et se dressa de toute sa hauteur devant le groupe qui était resté. Il s’agissait d’une forme reptilienne, sortie droite de l’eau, tel un arbre géant et sans branches qui aurait poussé dans la mer. Un arbre orné d’une gueule que l’on pouvait distinguer dans l’obscurité, et de deux yeux luisants, deux yeux mauvais en son sommet. La chose considéra un instant les marins qui déjà sonnaient l’alarme. Puis alors que Johei reculait, se mit à baver. La bave retomba sur le pont, sur les habits des membres d’équipages proches, sur Johei en partie. Le serpent les contemplait désormais depuis juste au-dessus d’eux.
A cet instant, un marin poussa un cri de douleur. Ce cri fit instantanément agir le monstre. Et le monde sombra dans le chaos.

---

En entendant des cris d’alarme puis de douleur le réveiller, Telthis sut qu’ils avaient été sots de croire que la distance les mettrait à l’abri des démons. Pas tout de suite du moins. Sans prendre le temps de s’habiller, il s’empara de ses épées, les dégaina et se mit à courir vers le pont, où sa présence serait bien vite à n’en pas douter requise, au vu de ce qu’il entendait.
Il ne s’y était pas trompé. Bien que l’attaque n’ait commencé que depuis quelques instants, le pont était déjà en plein chaos. Une partie entière avait été ravagée par une quelconque monstruosité qui aux dires confus des marins avait replongé. Mais plus intéressant pour l’instant, une myriade de petites créatures s’attaquaient à tout ce qui bougeait. Des démons en effet. Des petits démons d’une dizaine de centimètres de haut, que Telthis connaissait pour les avoir déjà affrontés. Derrière lui, Djanela sortit, et elle aussi eut l’air de les reconnaitre. Telthis s’avança vers l’un d’eux, qui était occupé à déchirer la gorge d’un marin de ses crocs. Il l’écrasa avec son pied sans autre forme de procès.
La petite créature explosa dans un bruit de pustule que l’on crèverait, répandant de la pulpe et du sang partout autour d’elle. Telthis savait ce dont il était question. Ces petites choses étaient extrêmement faciles à tuer, il suffisait souvent de les écraser comme il venait de le faire. Des prêtres, en nettoyant, suffiraient à les renvoyer d’où ils venaient. Mais ces vermines de démons étaient, car vermines étaient leurs noms, pour les elfes comme l’ordre de Djanela, sur leurs courtes pattes très rapides et avaient la fâcheuse habitude de sauter déchirer avec leurs crocs tous les organes vitaux qu’ils pouvaient identifier, voire pas vitaux. Et ils pouvaient sauter très haut. Si leur nombre grandissait, ils pouvaient très vite passer du stade de petites vermines au stade d’immense menace.
Ce qui inquiétait plus Telthis, c’était que ces vermines n’apparaissaient jamais par hasard. Il y avait forcément quelque chose qui les avait amenés ici. A cet instant, il entendit une grande éclaboussure, et vit la bête.

---

Djanela se débarrassa d’une vermine qui l’embêtait quand la bête sortit de l’eau. Une créature immense, d’un genre qu’elle n’avait jamais vu.

« Quel genre de démon est-ce là ? demanda-t-elle à Telthis, qui nettoyait des vermines de son côté.
-C’est un serpent de mer ! cria un marin, qu’elle ne parvint pas à identifier dans la cohue. »

Elle put instantanément donner tort au marin, car à cet instant le monstre se mit à baver, et des gouttes de baves qui s’écrasèrent sur le pont du Wicked surgirent un grand nombre de vermines, ce qui expliquait pourquoi y’en avait-il déjà autant quand elle et Telthis étaient montés.

« Ce n’est donc pas un serpent de mer, dit-elle en rejoignant Telthis, faisant attention à ne pas se faire mordre.
-J’en ai vu au cours de ma vie, répondit l’elfe. Et j’ai une mauvaise nouvelle pour vous Djanela, ils ressemblent à ce que nous venons de voir. »

Djanela réfléchit rapidement aux conséquences. Si la créature qui était en train de baver, faisant jaillir des vermines, était vraiment un serpent de mer, alors c’était supposé être un serviteur d’Ariel !

« Nous n’avons plus qu’à supposer, dit Telthis, que même des créatures aussi puissantes peuvent être corromp… »

Il ne put pas terminer sa phrase, car lassé de baver sur le pont, et devant l’agitation qui gagnait désormais les deux navires, puisque le Blacksmith cherchait à venir leur porter secours, le serpent lui-même passa à l’attaque. Sa forme dressée s’arc-bouta, et sans aucun signe avant-coureur, il bondit par-dessus le navire pour regagner la mer de l’autre côté, fauchant tout ce qu’il pouvait sur son passage.
A cet instant, un rugissement leur parvint, venant des cieux. Il y avait une autre bête.

---

A l’instant où elle avait entendu les cris, Cassandra était montée sur le pont. Là, elle avait ramassé Johei, qui était tombée en arrière et s’était assommée contre un mat lors de la première attaque du serpent. A l’aide de petites flammèches, elle défendait la teikokujin inconsciente et évitait que des vermines ne viennent chercher à la dévorer. C’est en entendant son rugissement qu’elle leva les yeux au ciel et vit le dragon. Mais ça n’était pas un dragon normal…

Spoiler:

Deux têtes en fait d’une, et du feu qui partait de partout son corps, illuminant plusieurs gueules grotesques et mal placée. Comme des aberrations, des mutations, qui se seraient développées sur la bête. Une seule des têtes à proprement parler crachait le feu. L’autre, illuminée par la première, n’avait pas grand-chose de draconique. En fait d’écailles, elle était de peau, et de peau suintante de crasse, de peau grotesquement étirée, comme si elle avait été retirée de celle déjà crachée sous les écailles de la bête pour en faire une tête supplémentaire. Modifié. Si le serpent des mers pouvait muter, alors pourquoi pas un dragon après tout ?

---

En vérité, IL le savait en lisant sur les humains attaqués cette interrogation, faire muter un dragon était impossible. Ces créatures étaient les plus puissantes bêtes qui foulaient le sol des mortels, et résistaient impeccablement à l’influence des démons. Mais IL savait que les démons ne se laissaient pas abattre pour autant. Pour faire muter un dragon, il fallait un démon pour posséder son corps et lutter en permanence contre le dragon qui y habitait. Une tête pour le dragon, une tête pour  le démon. Et IL avait obtenu une machine à tuer complètement folle et difficilement contrôlable, car le dragon, forcé de cohabiter spirituellement avec un démon, avait perdu la raison. Et le démon ? Eh bien le démon tentait tant bien que mal de diriger cet esprit brisé pour le faire obéir à SA volonté.

---

Le dragon, voyant que le serpent de mer s’apprêtait à attaquer une troisième fois le Wicked Wench, choisit le Blacksmith pour cible. Samada, qui luttait contre le serpent, n’eut pas le temps de le voir agir. Mais il entendit un grand craquement de bois, et quand il se retourna, le mât arrière du Blacksmith s’effondrait, déstabilisant grandement le navire. Puis il céda tout à fait quand le dragon lâcha la partie qu’il tenait et la balança négligemment, comme on jetterait au loin une pierre, sur le navire lui-même. Puis, lassé de cracher le feu pour impressionner, il le cracha sur les voiles.

---

Henrique Rossi, sortit sur le pont, vit l’incendie se déclarer à bord de l’autre navire. Il le porta à l’attention de Cassandra, qui lui demanda de les protéger, elle et Johei, tandis qu’elle éteignait cela. Il s’exécuta, mais entendit l’élue s’étonner. Elle ne pouvait pas tout éteindre. Puis une lumière verte s’éleva. Il se retourna quelques instants, puis recommença à combattre la vermine. Mais cela avait été assez rapide pour voir que la raison de cette lueur verte étaient des flammes de ladite couleur qui dévoraient une partie du navire.

« Je n’arrive pas à éteindre celles-là à distance, lui dit Cassandra. Je vais essayer de m’en approcher. »

Elle invoqua son phénix, et se mit en route.

---

IL rit en voyant les dégâts causés par les deux bêtes. Il y avait quelques minutes, ces deux navires allaient paisiblement sur l’eau. Mais n’était-ce pas la nature des démons de tout changer ? En quelques minutes ? Mais IL savait se montrer raisonnable. Ces navires, IL les voulait. Ces navires étaient destinés à agrandir SA flotte personnelle. Il ne s’agissait pas non plus de les couler. Alors, IL transmit mentalement à SES serviteurs SES instructions. Un cinquième et ultime passage pour le serpent de mer, un deuxième passage pour le dragon, et ils devraient cesser et se replier. Toutefois, en voyant l’élue divine voler au-dessus des flots, il demanda au serpent s’il n’était pas possible de l’avaler au passage après avoir fait son dernier passage…

---

Cassandra put protéger le Blacksmith des flammes naturelles, mais pas des vertes, quand le dragon passa à nouveau. Puis, alors qu’elle s’approchait, il sembla s’enfuir. Elle se mit debout sur son phénix, curieuse, le suivant des yeux. Elle pensait être assez en hauteur pour échapper au serpent. Il n’en fut rien. Elle sentit soudain une mâchoire puissante se refermer sur sa cheville, et sans comprendre ce qui lui arrivait, se sentit entrainée. Rapidement, les flots glacés de la mer se refermèrent sur elle. Elle crut sa dernière heure arrivée, tandis que le monstre l’entrainait toujours plus profondément, et que l’eau salée emplissait ses poumons…
Les ténèbres l’entourèrent. Elle ne sut pas ce qui se passa ensuite. Quand elle se réveilla, elle était accrochée à un bout de bois qui flottait. Le soleil s’était levé et illuminait le ciel, et elle était toujours dans l’eau. Au loin, elle pouvait encore apercevoir les navires qui semblaient à l’arrêt. Elle tenta d’appeler, ne se sentant pas assez de forces pour invoquer un phénix et voler. Pas de réponse. Rassemblant tout de ce qui lui restait, elle envoya en l’air une gerbe de flammes. L’avaient-ils vue ou non ? Elle l’ignorait. Mais ce qu’elle savait, c’est qu’elle avait terriblement mal à la cheville mordue et au pied, qu’elle sentait toutefois encore. Et qu’elle se sentait incroyablement vidée de ses forces. Elle se cramponna de toutes ses forces à sa planche, prenant conscience que s’ils l’avaient vue, ils prendraient certainement du temps pour arriver jusqu’à elle. D’ici là, elle ne devait pas lâcher, peu importe ce qu’il lui en coutait…
Mar 15 Nov 2016 - 23:20
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Capitaine Theoden
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Comme lors des exercices quotidiens, imposés par le Major Hewlett, les deux navires de l'Odyssée répondirent à l'urgence avec une efficacité exemplaire ! Le premier cris venait de retentir, lorsque la cloche d'alarme fut sonnée. Avec elle, ce furent tous les officiers, et tous les soldats des deux bords qui se mirent en alerte. En l'espace de quelques instants. Derrière les tuniques et les armures montèrent presque aussi vite les centaines de marins dormant sous les ponts.
Comme le prévoyaient les protocoles édictés par les officiers, voulant assurer au mieux les défenses des navires en cas d'attaque surprise, on laissa avant tout les guerriers professionnels se charger du nettoyage du pont. Et cela aurait pu demeurer ainsi, si seulement ce dragon n'avait pas pointé son nez.
Son rugissement lugubre glaça tous ceux qui se trouvaient en contrebas. Tous, et toutes sans exception faisaient face à un spectacle effroyable. Depuis le pont du Wench Telthis et Théoden se consultèrent d'un regard perplexe, nerveux. Mais résolu. Alors, comme si une entente tacite était née entre eux, l'Elfe prit le chemin du pont en contrebas afin d'organiser les soldats et défendre les hommes contre ces petites créatures qui rongeaient les inconscients. Théoden prit le chemin du passavant tribord, lançant des regards nerveux en direction du Blacksmith qui subissait déjà les premiers assauts du dragon. Quelque part, là bas, il y avait Eve qui lui lançait les mêmes regards. Il le savait ! Il le sentait.
Mais avant même qu'il puisse lancer son premier ordre, le Commodore sentit une violente secousse ébranler son vaisseau suivie de près par un nouveau hurlement.
Le serpent de mer refaisait surface. Cette fois là, il jaillit sur le flanc gauche du bâtiment nacré de Théoden. De toute sa force, il plongea au dessus du bastingage et happa une demie douzaine d'hommes en un claquement de doigts, avant de replonger de l'autre côté sans la moindre égratignure ! La soudaineté de l'attaque eut l'effet d'un véritable coup de fouet pour Théoden qui se mit à beugler ses ordres d'une voix tonitruante.

"-Tout le monde à son poste de combat ! Maître Fletcher, je veux deux hommes sur chacune de ces pièces ! Major, prenez deux lieutenants et former moi des lignes de feu derrière ces murailles ! Je veux des hommes aux espingoles !"

Hurlant comme un diable, il passait entre ses hommes qui couraient par colonne afin de rejoindre leurs pièces. Avant même que le pont soit libéré de ses infâmes envahisseurs, tous les mantelets contre les flancs du Wench furent soulevés. En cadence. Derrière l'épaisse coque de chêne du navire, deux artilleurs par baliste. Entraînés, incroyablement en forme et résolus à en découdre.

Telthis, avec l'aide de Samada et des meilleurs hommes de Théoden finissait de nettoyer le plancher du 74 canons, quand le dragon qui les attaquait sortit de nouveau des nuages. L'Elfe Blanc, qui nota les mutations de la bête avec ses yeux perçant le vit plonger comme une boule de flamme sur le petit Blacksmith, posé comme une bille de plomb sur une mer d'huile.
D'un rugissement, il embrasa le ciel, avant de remonter. Avec horreur, ceux qui regardaient alors l'escorte du Wench vire la créature damnée emporter tout entier le mât d'artimon entre ses griffes et ses gueules béantes. Il y eut des gémissements horrifiés, et des hurlements au loin. Ceux des pauvres hommes qui manoeuvraient dans la mâture, lorsque le mât céda et qui tombèrent en flamme sur les eaux.

Théoden poussa un juron peu élégant devant tout cet horreur. La situation se corsait rudement. Car désormais, le temps était compté avant que l'intégralité de la mâture du Blacksmith ne s'effondre, le laissant impuissant face aux attaques de leurs adversaires.
Juché à la proue du Wench, suivit par une ordonnance et deux lieutenants, le Commodore se tourna vers eux et aboya une nouvelle volée d'ordres, consultant machinalement son compas et le vent au dessus de sa tête.

"-Je nous veux à porté d'abordage du Blacksmith. Hors de question de les laisser sans assistance !"

On entendait déjà des tirs, provenir du noir vaisseau. Ses canons n'avaient pas assez de hausse pour viser le dragon, et n'étaient de toute façon assurément pas assez précis. Mais Eve espérait, tout comme Théoden en cet instant, porter assistance à son frère Académicien. Elle visait le serpent de mer, qui ne tardait pas à se montrer de nouveau.

"-Envoyez moi des hommes dans ces mâts !" ordonna le Commodore "Que Treville s'occupe de notre cap. Je me charge de ce serpent !" lança-t-il enfin, alors que ses hommes se retiraient pour dispatcher les ordres.

Il y eut alors un spectacle tout à fait improbable, sur les eaux noires de ce monde lointain. Entre les étoiles silencieuses et l'océan tumultueux, le Wench déchargea une véritable pluie d'étincelles.
Ses batteries se vidaient, les unes après les autres sur les anneaux du Serpent de mer. Sans produire de bruit, des harpons d'argent filèrent dans les airs et jalonnèrent la piste de la bête qui ne pu bientôt plus fuir et encaissa son premier tir. Le serpent encaissa avec un beuglement strident, comme le dard argenté avait fait sauter ses écailles et s'était logé profondément dans ses chairs. On la vit s'agiter dans l'eau, se tortiller et disparaître un moment.

Juste à temps pour le Wench de se mettre en branle, et rejoindre le Blacksmith qui se défendait de son mieux contre les départs d'incendie à son bord.

"-Restez aux aguets messieurs, ce serpent rôde toujours !" lança Théoden après applaudis avec les autres la paire d'artilleurs qui avaient fait mouche.

Telthis revenait victorieux aussi, et tous deux se jaugèrent un moment du regard.
L'Elfe couvert d'un simple pagne brodé, Théoden dans une chemise et une culotte fendue sur les mollets. Théoden eut un rictus, qui fit hausser un sourcil à l'Elfe.
Mais ils ne parlèrent pas. Pour quoi faire ? Ils tournèrent la tête vers le Blacksmith, lorsque le dragon plongea une fois de plus. Théoden offrit une accolade à l'Elfe, qui lui rendit et ils se séparèrent afin de se préparer à la suite.

En fait d'une nouvelle plongée mordante, le dragon sembla s'exaspérer. Cette fois, il déversa un flot de flammes sur les mâts du navire Nordien, qui prit feu dans l'instant. A nouveau, le chaos fut complet. Et le Smith se trouva cloué sur place, défait d'un bon tiers de son équipage qui rôtissait vif sur leurs vergues.
De nouveau, en réponse, les batteries du Wench ouvrirent le feu, largement plus mobiles que de simples canons. En vain.
Théoden vit Cassandra prendre son envol, afin d'approcher la créature ailée. Mais avant même qu'il ne puisse se soucier de son sort, le 74 canons qu'il commandait reçu un nouveau choc. Une secousse de plus. Et cette fois, le serpent de mer ressurgit plus enragé que jamais ! D'un violent coup de sa longue queue, il frappa le pont, plusieurs fois et mordit avec rage le bois qui devait protéger tout un flanc du vaisseau avant de redisparaître.
Ce fut une véritable boucherie ! D'autant plus que plus rien ne protégeait désormais les tireurs qui se trouvaient dans les ponts supérieurs. Il fallait agir. Avant que le Smith n'ait totalement brûlé.

Ce n'est pas véritablement trouver ce serpent qui posa problème à Théoden. Mais l'atteindre ! Agile, vive, la créature damnée se mouvait si vite qu'il était pratiquement impossible de l'atteindre avec des armes humaines.
Et pourtant, des coups, elle en avait prit. Plus d'un. Et Théoden s'avança sur le pont avec la détermination de lui en infliger un de plus. Un de ceux dont il serait difficile de guérir !
Devant l'urgence de la situation -les assauts répétés fragilisaient de plus en plus la mature- Théoden fut prit d'une idée folle. Curieusement, c'en était une qu'il n'aurait peut être même pas osé imaginer quelques lunes plus tôt !
Si le serpent ne descendait pas jusqu'à sa lame, alors il monterait le chercher.
D'un pas ferme, le Commodore quitta la barre et entreprit de traverser le pont en plein chaos. Entre ses hommes, qui couraient pour approvisionner les pièces, entre les traînées cottoneuses de fumées des mousquets et les éclats de bois, Théoden devait prendre garde à ne pas se faire faucher par le serpent qui semblait se déchaîner.
Des corps volaient. C'était là un spectacle effrayant ! Les secousses qu'encaissait le Wench faisaient souvent tomber des tireurs des mâts, ou renversaient ceux qui montaient aider aux manoeuvres.

Alors qu'une fois de plus, le serpent plongeait sur le pont du Wench, sa gueule béante menaçant de réduire en charpie tout ce qui se trouvait sur son chemin, Théoden empoigna fermement un épais cordage, supposé aider à tenir en place une des vergues du grand mât. La confrontation s'annonçait violente. Peut-être même n'y en aurait-il même pas !
Le serpent de mer rugit, et le bois du bastingage explosa sur le passage de ses puissantes mâchoires.
Théoden trancha d'un coup de rapière le cordage qu'il serrait dans sa main. Et alors que plus haut, une vergue s'affaissait, lui même se trouvait happé vers le haut.
Sous ses pieds, le Commodore vit la gueule béante du serpent claquer sur du vent. Mais comme la créature était emportée par son élan vers les eaux, une fois de plus, il lâcha son cordage et se laissa tomber sur elle.

La force de la chute manqua de le sonner, d'autant plus qu'il se réceptionnait sur des écailles solides. Fort heureusement, armé de sa rapière et de sa main gauche, qu'il tira de son dos, Théoden eut la présence d'esprit de la ficher dans la chair de sa proie, à la faveur de l'accélération de sa chute.
Il ne réalisa qu'après que la douleur qu'il avait infligé au serpent, frappé à la base de son crâne n'avait fait que le pousser à plonger... et entraîner son cavalier avec lui.
Théoden se cramponna à ses armes aussi fort qu'il le pu, alors que l'eau se refermait autours de lui. Sa lame ne plia pas, il ne plia pas non plus. Comprimé par le manque d'oxygène, et la vitesse ahurissante de la créature sous l'eau, Théoden se plaqua contre elle, jusqu'à ce que l'air libre le libère enfin.
Le serpent se dressa à la proue du Wench, hurlant déjà toute sa rage, mais le Commodore y était toujours, fermement agrippé.
C'était le moment, SON moment ! Alors, il prit appuie sur sa main gauche, qu'il abandonna dans les chairs molles de la gorge du serpent et sauta. Sa rapière trouva la mâchoire de la bête, il s'en servit pour s'y retenir. A cet instant, Théoden ne le réalisait pas sous le coup de l'effroie, mais sa tête se trouvait juste contre l'oeil du serpent.
Mais ses forces s'amenuisaient déjà. Ses jambes ne le soutiendraient plus longtemps, ses membres se tétanisaient déjà. Alors en un éclair, sa bague embrasa les muscles de son bras et il frappa au hasard, de sa rapière. Impossible de viser, comme il dû abandonner toute prise pour porter son coup !

Il ne su pas tout de suite ce qu'il advint de lui, après ça. A vrai dire, il n'en avait aucun souvenir. Si ce n'est un cris bestial déchirant, qui avait fait trembler tout entier son corps. Son corps, justement... il se sentait brisé, assommé par la lourdeur de ses membres, et la douleur... oh la douleur...
Mais où était-il ? Il se le demandait.
Au dessus de lui, un visage : celui du Docteur Thackery. Autours, des voix familières murmuraient des choses lointaines, déformées par le tintement assourdissant d'un carillon tout entier.
Il sentait le bois d'un pont, sous son dos. Il se sentait trembler, il se sentait tousser quelque chose d'épais, au goût métallique. Puis à nouveau le grand noir.
Un de ceux qui allait durer très longtemps, et plonger tous les officiers dans un tracas hors norme !

Alors c'est Treville qui eut la charge de l'Odyssée, avec les conseils avisés de Telthis. Le combat avait finit par se terminer, voyant les forces démoniaques se replier d'elles même.
A ce sujet il ne se posa pas de question : il n'était pas de bon ton de regretter le combat, après tant de pertes.
Le Smith avait vue la totalité de sa mâture être emportée par les flammes, et couchée sur l'eau. Cela avait fait un grand fracas, et sonné la fin de la retraite vers le Nouveau Monde.
Les pertes étaient modestes à bord du Wench. En revanche, son escorte Nordienne avait perdu beaucoup : 150 hommes au total.
Le Commodore était dans sa cabine, allant et venant entre l'inconscience et le délire complet. Après un coup violent porté au serpent de mer, beaucoup l'avait vu essuyer un coup violent et finir par se briser contre le mât de misaine, comme un fétus de paille.
Néanmoins, sa rapière était tâchée de sang. Et sur le pont, son corps fut accompagnée d'une dent, tranchée nette. Un trophée digne, si son propriétaire survivait !
Maintenant, Treville avait une nouvelle tâche : retrouver l'élue de Lothÿe.

Cassandra, on l'avait vue s'élever vers le dragon. Mais quelques uns virent son phénix disparaître, après que le serpent de mer qu'avait tenté de stopper Théoden ne le fauche en plein vol.
Après, elle avait disparu sous l'eau. C'est pourquoi, au mépris de toutes les précautions, Treville avait lancé des opérations de sauvetage et ordonné à toutes les chaloupes dont il disposait de quadriller les eaux.

On l'avait fort heureusement retrouvée, quelques heures après la fin des combats. Elle était également inconsciente, mais bien vivante. Et Thackery s'acharnait à réparer au mieux de ses savoirs les quelques plaies béantes qui marqueraient à jamais ses mollets.
Il était heureusement aidé par les plantes qu'il avait pu amasser sur Teikoku. Quelques plantes, assemblées par une ingéniosité surprenante !
Elle survivrait, pour l'heure. Mais désormais, le sort de chacun était incertain. Car ils étaient coincés pour un bon moment sur place, livrés aux affres du sort et condamnés à abandonner l'espoir de regagner les colonies.
Jeu 17 Nov 2016 - 23:45
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Dargor
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Le Maitre de l'Intrigue
Dargor
Ils avaient tous, sans exception, la désagréable sensation d’être surveillés. L’attaque avait déjà eu lieu depuis deux jours, mais les bêtes, après avoir laissé les deux navires en panne, n’étaient jamais vraiment parties. Le dragon s’était tranquillement posé sur la bande de terre qu’ils longeaient avant l’arrivée des deux monstres, et le serpent de mer, s’il était la plupart du temps invisible, émergeait régulièrement de l’eau au niveau de la ligne d’horizon, coupant l’accès du grand large aux navires. Non pas qu’ils puissent y aller de toute façon.
Le Blacksmith avait presque perdu toute sa mature et avait dû enregistrer de lourdes pertes lorsque celle-ci avait pris feu. Les flammes vertes qui l’avaient dévorées, celles-là mêmes qu’elle, Cassandra Renrin, n’avait pas réussi à éteindre, ne l’avaient été que parce qu’elles n’étaient pas faites pour brûler longuement. Telthis et Djanela les avaient identifiées comme le feu démoniaque, celui qui venait du cœur des enfers, selon les légendes. Un tel incendie ne pouvait être éteint que par les pouvoirs de plusieurs prêtres, ou avec de l’eau bénite. Ou plus simplement, et cela avait été le cas, parce que seul, sans faille ni démon pour l’alimenter, le feu démoniaque ne pouvait survivre bien longtemps dans le monde réel. Il était beaucoup trop instable.
Ce phénomène, Cassandra s’était jurée de l’étudier de plus près. Même si au fond, elle espérait ne pas en avoir l’occasion. Mais des flammes qui échappaient à son contrôle, elle, l’élue de Lothÿe, cela attisait sa curiosité, il fallait bien l’avouer. Tout comme sa propre survie l’étonnait. Elle se demandait encore comment avait-elle pu se réveiller à la surface de l’eau, cramponnée à cette planche, sans être noyée. Après, elle avait eu de la chance. Et elle savait à qui elle devait le fait de ne pas s’être retrouvée amputée d’un pied à son réveil.
Elle pensait à tout cela, en regardant au loin le serpent de mer, appuyée sur ses béquilles, béquilles nécessaires car elle avait encore trop mal pour poser le pied au sol, quand la Mère Supérieure Asmia, qui commandait les prêtresses de l’expédition, vint la trouver. Elle venait s’enquérir de sa santé.

« Je suis surprise, dit-elle, de ne point vous voir guérie Damoiselle Renrin. Les soins de mes sœurs ne seraient-ils points efficaces ?
-Oh, ce n’est pas ça, répondit Cassandra, souriante. Je pourrais même me soigner moi-même au pire. Je reste ainsi par choix. »

Ce choix était loin d’être agréable cependant, et elle le regrettait amèrement à chaque fois qu’elle essayait de marcher sans ses béquilles, pour l’instant du moins. La Mère Supérieure sembla toutefois surprise, et une moue interloquée fendit son habituel masque de quiétude.

« Pourquoi ce choix ? demanda-t-elle.
-Ne le dites pas à Thackery, répondit Cassandra, mais je pense l’avoir assez vexé comme ça. Pour une fois qu’il a l’occasion de me démontrer sa science, je vais le laisser faire, si cela peut lui faire plaisir. Je n’aimerais pas qu’il nourrisse un ressenti à mon … A notre égard. »

La Mère Supérieure sourit un peu en entendant ces paroles. Cassandra savait qu’elle approuverait, au fond, le fait de ménager le médecin du bord.

« Une sage intention de votre part, mademoiselle, dit-elle. Il ne fait aucun doute que le docteur saura apprécier cela. Mais je vous en prie, ne vous laissez pas souffrir inutilement trop longtemps.
-Ça fait mal, c’est vrai, dit Cassandra. Pour être honnête, je ne pense pas avoir déjà connu pire, mais j’ai déjà eu mal par le passé. Au pire, en cas d’urgence, je peux toujours me soigner à toute vitesse si ma présence est requise.
-Je salue votre courage, répondit la Mère Supérieure, apparemment convaincue. En espérant toutefois que cette gentillesse ne vous coûte pas vos jambes. De vous à moi, j’ai toujours pensé que le docteur était à moitié fou. »

Cassandra ne pouvait pas vraiment lui donner tort, c’était l’impression qu’il lui donnait à elle aussi. Mais elle devait parler d’autre chose à la Mère Supérieure.

« Je lui suis déjà bien assez reconnaissante de ne pas m’être réveillée avec un pied en moins, dit-elle. Mais dites-moi, mère Asmia, je suis perturbée. Pourquoi ai-je survécu ? Il est impossible que ce monstre m’ait relâchée pour le plaisir. Et j’étais de toute façon en train de me noyer. Quelqu’un est forcément intervenu, mais qui ?
-Il n’existe qu’un seul être à notre connaissance capable de sauver un noyé de la mort, répondit la Mère Supérieure en écartant légèrement les mains, portant son regard vers le ciel. Je crois mademoiselle que notre déesse vous a voulue en vie, afin de nous aider dans ces terribles épreuves.
-Elle doit vraiment tenir à notre réussite alors, quelle que soit la nature de la quête qu’elle a confié au capitaine, dit Cassandra dans un rire nerveux. Car je crois qu’elle ne tient guère Lothÿe dans son cœur.
-Peu de gens, répondit la Mère Supérieure en joignant à nouveau ses mains et en lui offrant un regard serein, peuvent prétendre comprendre la reine des océans. Après tout, son propre n’est-il pas de changer aussi souvent que la surface de son domaine ? Lothÿe ou non, si elle a ordonné cette Sainte Expédition, elle a nécessairement conscience que votre aide nous sera capitale.
-Qui sait… commença Cassandra.
-Tout ce que nous pouvons faire, répondit la Mère Supérieure, c’est prier. Là est notre seul salut. Mais je ne doute pas que vous en ayez déjà conscience.
-Oui, répondit Cassandra, en observant quelques instants le soleil, puis en détournant les yeux, de peur de les brûler. »

Là-haut, songea-t-elle tandis que Mère Asmia s’inclinait et retourner officier, dans le plus grand des calmes, sur cet astre lumineux, assis sur son trône, se trouvait Lothÿe, sa divinité d’allégeance. En ce moment, à n’en pas douter, il la voyait. Elle se pencha au-dessus du bastingage. Ariel la voyait-elle aussi en ce moment ? La foi de Mère Asmia était un exemple inspirant. Peut-être devrait-elle l’écouter. Après tout, après avoir vécu plus d’un siècle, elle en venait parfois à qu’elle jouait avec des forces qui la dépassaient complètement…
A cet instant, elle appris que toutes les prêtresses étaient convoquées dans la cabine du capitaine.

---

Le capitaine avait un bras de démit et quelques côtes fêlées, mais à peine franchement émergé de l’inconscience, il avait été encerclé par toutes les prêtresses du navire, afin d’être remis sur pied le plus vite possible. Hors de question, songeait-on, de prendre des chemins plus communs et plus lents, pour cette occasion, au grand dam du docteur Thackery, qui fut forcé de se ranger à l’argument selon lequel si on l’attendait pour commander, il fallait qu’il soit en état de le faire.
Dès qu’il fut remis, un premier conseil fut rassemblé. A ce dernier furent invités Telthis, Samada, Johei, Treville, Brookes, Hewlett et les maîtres d’œuvre des deux navires. Tout ce monde fut rassemblé sur le pont arrière du Wench, autour d’une table. Théoden commença par demander un rapport détaillé des dégâts, qui fut rapidement donné.

« En conséquence, résuma Hwlett, le Blacksmith est dépendant du Wench dans ses déplacements jusqu’à ce que l’on trouve de quoi le réparer.
-Je ne recommande pas un passage en haute mer, continua Treville, nos vivres étant bien trop basses pour nous permettre de caboter.
-Alors nous sommes coincés ici ? demanda Samada. »

Telthis nota un phénomène rare sur les visages des samouraïs teikokukins, l’inquiétude. Samada était réellement inquiet d’être totalement coincé ici.

« Nous avons deux choix, lui répondit Brookes. Soit nous tentons tout de même el cabotage, en espérant un vent favorable et quelques bancs de poissons avant la mi-lune, soit nous…
-Soit nous rebroussons chemin et tentons le tout pour le tout à travers Albion la maudite, compléta Théoden. »

Telthis n’aurait pas aimé en arriver à proposer cela, mais devant ces deux solutions des plus risquées et dont aucune n’était réellement prometteuse de succès, il devait le faire.

« Je peux toujours, dit-il, demander à Malene de nous envoyer de l’assistance. Elle et moi sommes liés, et je peux voyager jusqu’à elle par magie. Mais pas revenir, notez cela. Cela me prendrait probablement une dizaine d’heures pour la rejoindre d’ici. Et elle pourrait ensuite envoyer des navires depuis Teikoku.
-Ne serait-ce pas risqué de tenter un tel voyage, demanda Théoden, vue la proximité des démons ? »

Ce faisant, il interrogea Johei du regard, la seule magicienne de l’assistance. Telthis savait que certaines voies elfiques utilisées par le passé étaient désormais proscrites, à cause desdits démons, mais pas celle qui le mènerait jusqu’à Malene. Il laissa toutefois la teikokujin répondre.

« Je n’ai jamais entendu parler d’une telle magie, avoua-t-elle.
-Le danger, dit Telthis, viendrait plutôt à mon sens de savoir si les démons ne pourraient pas s’attaquer aux navires venant à notre secours. J’ai absolument confiance dans leurs capacités à gagner une telle bataille, mais nous devons prendre cela en compte.
-Nous sommes prévenus des forces en présence, répondit Théoden. Les navires envoyés à notre rescousse ne seraient pas pris en défaut. Mais avant que nous ne risquions plus de vies pour cette expédition, je crois qu’il nous faut prendre un moment pour évaluer les risques qu’une seconde attaque ne se produise et n’ait raison de nous.
-Il est vrai que si nous faisions cela, je vous laisserai seul. Mais vous savez aussi vous défendre sans moi.
-Ne pourrions-nous pas tout simplement envoyer un message à Malene dans ce cas ? intervint un des Maîtres d’œuvre.
-Nous n’avons pas de moyen de lui envoyer un message aussi précis, répondit Telthis. Pas à ma connaissance.
-Nous n’allons donc pas en arriver là tout de suite, répondit Théoden. Nous avons donc beaucoup à faire pour l’heure. Je vais demander aux chaloupes de rechercher sur la côte un endroit où nous puissions accoster pas loin d’ici pour réparer. J’aimerais que vous, Samada, gériez cela.  Avant d’envoyer qui que ce soit chercher de l’aide, j’ai besoin de prier. En espérant que ma déesse soit satisfaite des résultats de son Odyssée. Vous vous approcherez des terres en essayant d’éviter de réveiller le dragon qui nous surveille. S’il montre le moindre signe d’agressivité, reculez. Ne risquez pas vos vies inutilement. »

Samada fit signe qu’il avait compris. Telthis fut rassuré pour lui en voyant un air déterminé reconquérir le visage du samouraï. Il avait une mission à laquelle se raccrocher à présent. Théoden consulta l’assemblée du regard, à la recherche d’interrogations. Ce fut Johei qui en posa une.

« Et si nous ne trouvons pas de quoi faire les réparations ? demanda-t-elle.
-Nous devrons tracter le Blacksmith vers notre point de départ, voir plus loin ou tenter une fois de plus de forcer notre passage vers la liberté, répondit Théoden en croisant les bras. Sur ce, vous savez tous comment vous rendre utile. Nous célèbrerons nos morts comme à l’accoutumée à la nuit tombée. En attendant, je vous remercie. »

Ainsi, chacun repartit vaquer aux occupations qui requéraient sa présence. Telthis n’en ayant pas, du moins pas pour l’instant, partit s’appuyer sur le bastingage et observa le dragon, nonchalamment posé sur la terre. Il cherchait, en observant la bête, quelque chose de familier. Quelque chose qui lui permettrait de l’identifier. Il détailla la bête sous tous les angles qu’il pouvait. Le dragon dont il se rappelait, ou plutôt la dragonne dont il se rappelait, était une bête aux splendides écailles n’ayant rien à envier aux dorures des plus splendides palais, et l’iris de son œil était bleu comme le bleu de l’océan. Du moins, c’était ainsi qu’était décrite la bête. C’était ainsi qu’était décrite…

« Jusqu’à ma mort, lui dit Théoden, interrompant le cours de ses pensées, dans les arènes du continent contre la princesse, je n’aurais jamais imaginé en voir un, un jour. Mais un dragon infecté par des démons… Il semble que le destin soit plein de surprises. »

Telthis comprenait l’étonnement du capitaine. Ce dragon était un mystère pour lui aussi. Un mystère tel que le capitaine avait réussi à le surprendre, mais aussi une source d’inquiétude qu’il avoua.

« Il y avait une dragonne, sur le navire de Sildael, dit-il.
-Il semble que nous savons ce qu’il est advenu d’elle, répondit le capitaine en le regardant. Y’a-t-il un moyen pour nous de l’abattre ? Elle n’est visiblement plus l’alliée qu’elle fut. »

Abattre une dragonne… Il y avait des moyens de le faire bien sûr. Mais ils requéraient souvent de nombreux guerriers, bien organisés, et armés bien différemment de ceux qu’ils avaient, de même que des magiciens d’un grand talent. Enfin, ils requéraient de préparer le terrain, pour être certain de tromper la bête avec un plan.

« Je n’espère pas que ce soit elle, dit-il. Je refuse d’y croire. Quant à l’abattre…. Là, je ne crois pas que nous ayons un moyen de le faire.
-Si ce n’est pas elle, dit Théoden dans un soupir, ce dragon doit être plus vieux encore. Il nous faudra nous tenir à l’écart de lui, désormais. En revanche, pour le serpent…
-Prévoyez-vous de l’attaquer ? demanda Telthis, étonné par ce changement de sujet de conversation.
-Cette créature peut très clairement couler nos deux vaisseaux, répondit Théoden. Lorsque nous aurons commencé à tracter le Blacksmith, nous serons tous en position de faiblesse critique.
-S’il voulait nous couler, il aurait pu profiter de notre arrêt. Ou le faire cette nuit, quand il nous a attaqués, au lieu de brusquement cesser les hostilités.
-Il est possible, dit Théoden en croisant les bras, que ses nouveaux maîtres veuillent nous voir faire demi-tour. Sans ce serpent pour limiter nos gestes sur les eaux, je gage que nous pourrions tenter de forcer notre chemin à travers les flammes, avec l’aide de Cassandra. Quand bien même c’est un échec, la perte de ce serpent serait mettre un terme aux prétentions des démons sur le domaine de ma maîtresse. »

Telthis trouvait ces paroles très ambitieuses de la part du capitaine. Il fallait un brin de folie pour commander cette expédition, soit, mais le capitaine Théoden semblait négliger plusieurs détails qui lui paraissaient importants.

« N’oubliez pas que Cassandra, cette nuit-là, n’a pas pu maitriser toutes les flammes du dragon. Les flammes vertes du feu démoniaque échappent à son contrôle. Cela compromettrait un passage en force. Mais pour en revenir au serpent, dans notre état actuel, je nous vois mal l’affronter.
-Les dégâts que le Blacksmith a subit n’impactent pas sa puissance de feu, répondit le capitaine. La nôtre est toujours grandement intacte. Et puis il ne faut pas oublier que le Wench a déjà abattu un monstre marin par le passé.
-Si son but est juste de nous empêcher de partir, argua Telthis, il pourrait chercher à simplement éviter l’affrontement.
-Voilà pourquoi je ferais équiper nos prochaines salves de cordages épais, afin de le retenir à portée.
-Pensez-vous avoir des cordages assez solides ? demanda Telthis, dubitatif. La force de cette bête doit être monstrueuse. Je suggère la prudence capitaine. Si je partage votre envie de l’abattre, il faut rester conscients que la moindre erreur pourrait couter cher.
-Nous attendrons que les funérailles soient passées, dit le capitaine, apparemment peu convaincu. Si ce serpent tient ses distances d’ici là, nous tâcherons également de l’éviter. »

Cela mit fin à la conversation. Tous deux portèrent un dernier regard vers le dragon, qui penchait ses deux têtes vers les chaloupes du groupe de Samada, sans pour autant les approcher. Il les suivait du regard, sans se montrer agressif. Ou du moins pas trop.

---

La bête n’avait en effet jamais fait mine d’attaquer le groupe. Durant leur séjour à terre, Samada avait pu constater que le dragon ne faisait que les surveiller, et ne semblait pas spécialement avoir envie de les attaquer. Il avait un comportement étrange, ses deux têtes se battant parfois franchement, se mordant carrément et rugissant de colère. Mais si le dragon avait des problèmes mentaux, ce n’était pas son affaire.
L’affaire de Samada était plutôt sa mission, qui tournait, il fallait bien l’avouer, mal. Ces montagnes semblaient peu touchées par la civilisation comme par les démons, aussi des arbres y poussaient-ils en abondance. Mais aussitôt que son groupe s’en était approchés, le dragon était sorti de sa posture de surveillance et s’était jeté sur les arbres. Tout le groupe s’était enfui ou mis à l’abri, croyant que la bête attaquait, mais en vérité, le dragon s’était acharné à brûler ou à réduire à l’état de petit bois les arbres les plus proches. Ceux du groupe qui avaient choisi de se cacher dans la forêt à son approche connurent une fin tragique.
Samada avait ensuite rassemblé ses troupes, et ils avaient passé la nuit à terre, dans une grotte qui, ils l’espéraient, leur permettrait d’échapper à la fureur du cracheur de feu. Ils avaient même nourri l’espoir d’avoir trompé sa vigilance quand ils se levèrent au matin, mais cet espoir fut réduit à néant quand ils le trouvèrent passivement couché au sol, très proche d’eux. Trop à leur goût. A quelques dizaines de mètres de leur grotte, et il les observait, l’air menaçant. Vu qu’il ne passait pas à l’attaque, l’expédition put sortir et essayer une nouvelle fois de se diriger vers le bois. Le dragon sortit alors de sa torpeur, et alors qu’ils marchaient vers les arbres les plus proches encore debout, une langue de feu vert passa au-dessus de leurs têtes et dévora les arbres qu’ils cherchaient.

« On dirait qu’il joue avec nous, pesta Samada, frustré. »

Tobias, qui l’accompagnait, croisa les bras, après une longue moue. Il n’aimait pas la proximité de la bête. Personne ne l’aimait. Et n’eut été eux deux, la plupart des membres du groupe aurait déjà regagné les navires.

« Je ne crois pas, répondit Tobias, que nous puissions y faire quoi que ce soit. Cette créature doit vouloir nous voir rentrer bredouilles !
-J’en ai bien peur, répondit Samada. As-tu une idée de plan pour abattre quelques arbres sans qu’il ne les brûle comme les précédents ? J’avoue ne pas en trouver.
-Une autre chaloupe, une diversion… commença Tobias, se mettant à son tour à réfléchir. J’ai trouvé ! Deux groupes ! Récupérant du bois avec assez de distance l’un de l’autre pour l’empêcher de brûler tout le bois d’un coup.
-En espérant qu’il ne puisse pas aller d’un groupe à l’autre à tire d’aile, dit Samada, cela pourrait marcher. »

Ils tentèrent le coup. Samada prit la tête d’un groupe, Tobias celle de l’autre, et ils se séparèrent, sous l’œil qui semblait amusé du dragon. Amusé parce que bien sûr, d’un battement d’ailes, il pouvait aller d’un groupe à l’autre, et brûler les arbres qu’ils cherchaient à abattre. Pis encore, il se lassa au cours de la journée de ce petit jeu et se mit à se montrer agressif. Au début, il ne cherchait à tuer que ceux qui restaient sous les arbres malgré ses attaques, mais au fur et à mesure de la journée, il les traqua toujours plus loin de la lisière. Finalement, quand les deux groupes se réunirent, Samada dût prendre la décision de pas risquer inutilement leurs vies. Ils allaient retourner au Wicked, et expliquer leur situation au capitaine, qui à n’en pas douter comprendrait.

---

« Je vois que vous rentrez bredouille, dit Théoden, observant nerveusement les deux créatures au loin. C’était à craindre. Tout comme les pertes que vous avez subies étaient à craindre.
-Il nous a laissé nous enfoncer un peu dans les terres, dit Samada, la tête basse, mais dès que nous approchions d’un bois, il y mettait le feu pour nous empêcher de nous en emparer.
-Ce dragon et ses maîtres se jouent de nous, soupira Théoden. Et nous ne pouvons pas nous permettre de perdre plus d’hommes. Mais vous n’avez pas démérité, allez donc vous reposer. »

Samada fut trop heureux de se retirer. Il avait honte de son attitude au cours de cette expédition. Il ne pouvait en effet pas s’empêcher de penser qu’il aurait pu éviter ces pertes inutiles, mais il avait échoué. Il alla trouver Johei. Il avait à lui parler.

---

Théoden convoqua, suite à cette nouvelle, le même conseil que celui qu’il avait réuni la veille. Cette fois, Djanela fut convoquée. Elle était curieuse de connaitre le pourquoi de sa présence à ce conseil, à laquelle elle n’aurait normalement pas dû prendre part. Le commodore allait certainement parler des démons, s’il avait cru bon de l’amener.

« Tout le monde est là ? commença-t-il, après s’être assis en dernier. Je crois qu’il est temps pour nous de parler de ce qu’il va advenir de cette expédition. Vous le savez, ces deux monstres qui nous barrent la route nous observèrent depuis leur attaque. Il est évident qu’ils obéissent à des démons mal intentionnés et qu’ils se jouent de nous. Leur objectif est clair : nous forcer à faire demi-tour, et nous amener dans un piège. Malheureusement, les échecs répétés de nos expéditions à terre, ainsi que le soudain handicap du Blacksmith nous forcent à leur céder une victoire. Nous n’avons pas la force nécessaire pour nous opposer à eux.
« POUR L’INSTANT ! ajouta-t-il en levant un doigt. Car je ne doute pas que nos dieux veillent sur nous. Et que l’occasion de frapper se présentera sans tarder à nous.
-Puissent-ils vous entendre, dit l’elfe Telthis.
-Je le souhaite également, acquiesça Théoden. Voilà pourquoi j’ai décidé de nouvelles mesures, afin d’assurer à cette Odyssée la fin la plus positive possible. Pour commencer, je vais ordonner que le Blacksmith soit transformé en hôpital flottant. Je vais augmenter le nombre de vigies sur le pont, de jour comme de nuit. Le rationnement instauré par le Capitaine de Treville restera en vigueur. De même je confierai à nos prêtresses, avec l’aide de Djanela, la mission de débusquer tout adorateur secret de ces démons. Il ne nous faut que des hommes vaillants, et fidèles. Les autres, ils seront fusillés sans autre forme de procès. »

Djanela fut impressionnée par cette confiance qu’il plaçait en elle. Lui avait-il déjà pardonné pour Salea ? Elle en doutait. Mais en tous les cas, cette confiance était aussi étonnante qu’elle était une bonne nouvelle. Elle avait déjà quelques noms qu’elle dénoncerait bien, après tout. Elle avait dû sourire en pensant à cela, car le commodore la regarda sévèrement, levant un doigt lourd de significations assez claires.

« Si jamais on me rapporte des exécution injustifiées, prévint-il, vous serez la première à en subir le coût. Ces hommes doivent croire en la justice de leurs capitaines. Sans cela, pourquoi nous suivraient-ils ?
-Bien entendu, dit Djanela, comprenant qu’elle ne pourrait pas tout de suite donner de noms. »

A n’en pas douter, il lui faudrait même être prudente. Si elle n’expliquait pas ses accusations et exécutions, à n’en pas douter, d nombreux marins se plaindraient d’exécutions injustifiées, quand bien même le seraient-elles. Elle ne pourrait pas simplement accuser sans preuves évidentes.

« Des questions ? demanda le commodore. »

Personne n’en avait.

« Bien, dit-il. Alors n’oubliez pas : vous êtes les meilleurs éléments de cette expédition. Il vous incombe mener par l’exemple ! Je ne veux pas de défaitisme en public. Inspirez ces hommes, et nous irons loin tous ensembles. »

---

Ivar avait suivi Dani Rinma jusque dans une ville, où se trouvait déjà toute une troupe de guerriers prêts à servir le Maître. Ceux-là étaient comme lui des gens en quête de tout le pouvoir que pouvaient apporter les démons. La devise de ces guerriers ? Que le changement était inévitable. Et que tout ce qui pouvait être fait, c’était s’assurer qu’il soit en leur faveur. Et le changement était amené par les démons. Ivar en était désormais convaincu.
Dani Rinma l’avait laissé dans cette ville. Elle l’avait assez guidé après tout. Et puis il recevrait lui-même les ordres du Prince. Il les reçut d’ailleurs quelques jours après son départ, via Henast Rinma, fille de Dani. Charmante jeune femme à la peau de porcelaine, Henast était née ainsi, bénie par le Prince. Sa peau de porcelaine n’était en effet pas qu’une métaphore. Lorsqu’elle l’autorisa à la toucher, afin qu’il puisse constater lui-même, Ivar eut en effet la sensation de toucher la plus fine et la plus précieuse des porcelaines du continent.

Spoiler:

Lorsqu’elle lui demanda de la suivre, il le fit. Après tout, n’avait-elle pas été bénie dès la naissance par le prince ? Il la suivit jusqu’à la plaine désolée, puis dans la forêt où le singe l’avait enlevé. Là, elle l’accompagna jusqu’à une cité en ruines. Devant cette cité, elle s’arrêta, et se mit à tracer de petits cercles dans le sol, l’invitant à faire de même, jusqu’à ce qu’ensembles, ils en obtiennent une quarantaine. Puis elle sortit un couteau, et trancha sa paume. Du sang qui coula, elle mit quelques gouttes dans une fiole qu’elle sortit à cet instant. La fiole contenait un liquide saumâtre. Une fois le mélange obtenu, elle en versa quelques gouttes dans chaque cercle. Des bras se mirent alors à en sortir, puis des têtes, et enfin des corps. Des épéistes infernaux.

« Ces démons ne sont pas les plus doués des guerriers, pas les plus redoutables, lui dit Henast, mais ils sont la base de nos troupes. De celles qui iront dominer le monde quand le temps sera venu. Ils sont relativement faciles à invoquer lorsqu’on sait comment s’y prendre. Avec cette fiole notamment. Ne cherche pas à savoir ce qu’il y a dedans. Voici ce que tu vas faire. Tu vas aller retrouver ceux qui étaient les tiens. Et à la faveur de la nuit, tu invoqueras ainsi que je te l’ai montré un démon d’un autre genre. Tu utiliseras toute la fiole pour un seul cercle.
« Il ne faut que ce liquide… Et le sang de quelqu’un qui a été béni par les démons. Voyons si tu l’as été… »

A cet instant, elle trancha à son tour le bout du doigt d’Ivar. Ce dernier eut un sourire de satisfaction en voyant son sang couler. Il avait une teinte bleutée.

« C’est une bonne chose, dit-elle. Maintenant tu sais ta mission. Va ! »

Sans en dire plus, elle repartit vers sa propre cité. Ivar put voir les épéistes investir pour leur part la ville en ruines. Et lui, il transvasa le contenu de la fiole dans une flasque d’alcool qu’il gardait sur lui depuis les Marches. Puis il se mit en route vers Demon Cove. Vers la côte, à tout le moins. Trouver les siens ne serait pas chose facile s’ils étaient partis… Mais le Prince ne l’aurait pas envoyé si c’était impossible.
Mar 22 Nov 2016 - 22:29
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Capitaine Theoden
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Capitaine Theoden
"-Tenez-le, tenez-le bon sang !"

Peu de gens avaient, avant ce jour eu la pénible chance de voir la brûlure d'un feu de dragon, et ses effets sur les chairs humaines. Peu de gens avaient, avant lui, pu sentir la chair se consumer même des heures après le combat, et se décoller peu à peu des eaux. Peu de gens avaient, avant ces pauvres marins, pu expérimenter un degré de souffrance tel qu'ils auraient préféré se faire sauter la tête.
Mais ce spectacle là, le Docteur Thackery ne le trouvait pas répugnant. Il ne le trouvait pas repoussant, ni terrifiant. Il le fascinait, le passionnait !
Non pas qu'il n'ait pas de cœur, John a toujours été un homme emplit de pitié et de compassion. Non pas qu'il ne sache rien de la souffrance de ses patients, il la comprend, et l'a aussi en bien des occasions expérimentée. Mais en tant que Docteur, voir un tel éventail de blessures nouvelles à traiter était non seulement stimulant, mais aussi une véritable aubaine. De lit en lit, de nouveaux symptômes. De lit en lit, de nouveaux maux. Et chaque fois, l'espoir d'une nouvelle découverte.
Alors avec la même application, et toujours sans relâche, John s'appliquait à soigner chacun des pauvres blessé qu'on lui amenait. Souvent sans grand succès, mais jamais sans renoncer. C'était là son devoir ! Non seulement pour ses patients, ou pour ceux qui allaient arriver demain, la semaine suivante ou des lunes après, mais aussi pour tous ceux qui ont périt sous sa garde et qui vivent chaque instant de sa vie avec lui.
L'un dans l'autre, il ne possédait plus sa vie depuis bien longtemps. Mais ce qu'il pouvait encore offrir à la science, il le donnait sans compter. Alors bien sûr, comme toujours, on lui reprochait le nombre terrible de morts malgré ses soins. On lui rappelait sans cesse son inefficacité comparé à la magie des prêtres.
Une fois encore, alors qu'il revenait avec un nouvelle formule, un nouveau baume contre les brûlures on le repoussa. Encore ces femmes, dans leurs robes blanches.
Et une fois encore, il s'inclina, les laissa faire.
La différence, c'était que cette fois elles aussi échouaient. Alors il les regardait se lamenter, quelque lit plus loin. Il voyait la plus âgée prendre la plus jeune dans ses bras, la consoler un instant. Et il souriait.
Si faibles, face à l'échec.
Lorsqu'il se releva, cependant, après avoir bandé une énième blessure, il se trouva face à Cassandra. "Mademoiselle Renrin", plutôt. Il ne l'aimait guère, elle non plus.
Et il ne se gêna pas pour lui faire sentir, l'interpellant avec froideur alors qu'elle le regardait en silence.

"-Que puis-je faire pour vous, élue ?

-Je crois qu'il faut refaire mes bandages..."

Demande surprenante, d'autant plus qu'elle avait toujours semblé mettre un point d'honneur à montrer son mépris de la profession de docteur. Tout à sa perplexité, interdit le temps de réaliser que les jambes de la jeune femme étaient effectivement bandées, John oublia de lui répondre. Elle finit par se racler la gorge, sensiblement et il revint à lui. Quelque chose ne tournait pas rond.
Mais une patiente est une patiente, malgré tout, alors il lui indiqua une chaise d'une main et va s'emparer de sa trousse de matériel.

"-Vos bandages ? Eh bien. Je n'aurais jamais cru voir ce genre de "grossièretés" sur une élue divine.

-La vie, c'est plein de surprises. Pour nous tous.

-C'est le genre de surprise dont vous pourriez vous passer pourtant. Apparemment."

Elle ne semblait pas se désarmer. D'ailleurs, si elle semblait cacher quelque chose, l'élue de Lothÿe était pourtant bel et bien blessée. Assit sur un tabouret face à elle, John pu voir de longues lacérations, descendant verticalement sur ses mollets. En fait, tout le pourtour de sa jambe. Comme si...quelque chose avait tenté de la dévorer et avait happé toute sa jambe.

"-D'autres en auront besoin plus que moi."

Pas faux, nota-t-il alors qu'il examinait la plaie. Il prit quelques notes, dans un carnet noirci par la mine de son crayon et s'attela à sa nouvelle tâche. La plaie fut nettoyée de nouveau, à l'aide d'eau claire. Et comme du sang coulait abondamment de la jambe de la jeune femme, il plongea la main dans tonnelet non loin et jeta sur le plancher une poignée de sable blanc, afin de s'éviter de déraper en se levant.

"-Sans aucun doute."

Une aiguille fine chauffait déjà, sur le plat d'un appareil de sa conception. Une lanterne au réservoir imposant, doté d'un support pour faire chauffer des dizaines de ces petits ustensiles métalliques. Il y en avait de bien des formes, de bien des tailles et de bien des versions. Mais John avait apprit à reconnaître tous ses instruments d'un seul coup d'œil. D'ailleurs il en avait fait faire la plupart selon ses propres croquis.
En attendant, tandis que les plaies reposaient sous des linges propres, humides, il s'employa à écraser dans un bol de bois des plantes récupérées sur Teikoku, avec divers liquides et poudres amassées ça et là. L'un dans l'autre, il espérait arriver à un remède idéal dans le traitement des infections. De quoi empêcher la gangrène de se développer, sans pour autant avoir à amputer un membre.
Il ne fut tiré de ses songes que par la voix détachée de Cassandra.

"-Vous faites un travail remarquable."

C'était soit une farce, soit l'aveux d'admiration le plus improbable qu'il ait jamais entendu. Même si il en avait entendu peu dans sa vie. Alors, après toutes ces moqueries, tout ce dédain, John se permit un "Voyez-vous cela." tandis qu'il posait sur le côté sa mixture. Après quoi, relevant les yeux vers elle, il lui montra deux fils. L'un était épais, brun et presque grossier. L'autre beaucoup plus fin, blanc et à peine perceptible.

"-J'expérimente un nouveau matériaux pour mes sutures. Je le pense plus robuste et d'une certaine manière plus...apte à empêcher la gangrène. Voulez-vous l'essayer ou je garde celui de d'habitude ?

-Ma foi, au moins comme vous l'avez si bien dit, je peux me soigner moi-même, ce que d'autres ne pourront pas faire, si ça tourne mal."

Il eut un bref sourire. Elle avait du courage, en plus de son esprit pragmatique. Au moins deux points qu'ils devaient avoir en commun, après tout.

"-Première suture alors, apparemment ?"

Il lui proposa un rouleau de cuir, afin qu'elle morde dedans et se mit en place. Elle accepta sans une once de fierté mal placée et déglutit.
John commença à recoudre la demi douzaine de plaies plus ou moins grosses parsemant la jambe de Cassandra. Il s'y applique pendant presque une éternité, avec des gestes fins et en changeant régulièrement d'aiguille. Malgré tout, une remarque lui échappe, tandis qu'il finit d'opérer. Ses sutures n'ont apparemment rien d'un simple tricot sur de la chaire. Pas de mailles simples, de nœuds de lacet ou de boucles inutiles. Mais un maillage complexe et serré, un agencement de tours et de détours. Une danse avec du fil, une vraie poésie brodée sur les plaies de Cassandra. La seule véritable fierté de John, à ce jour. Son vrai progrès depuis le début de l'Odyssée.

"-Pour quelqu'un qui peut se guérir seule, je ne peux m'empêcher de me demander ce que vous faites ici."

Il jette un coup d'œil à sa mixture, pour s'assurer qu'aucune mouche ne s'y jette et lève à nouveau les yeux vers elle. Elle a laissé tomber le morceau de cuir, une perle de sueur roulant sur sa tempe.

"-Je..."

Elle semble hésiter, se résigner à se taire, puis hésite à nouveau. Mais John soupire, et va pour tendre la main vers son bol de préparation.

"-Je pense que vous méritez de suivre vous-même les travaux que vous avez fait pour me permettre de continuer à marcher."

Il demeure un instant estomaqué par ce qu'il l'entend dire. "mérite", "travaux"... Il ne s'attendait pas à ce semblant de reconnaissance. Encore moins à cette... confiance ?

"-Eh bien... qui l'eut cru."

Il se lève alors, se dirigeant vers une commode pour chercher des bandages et soupire en chemin, se tournant vers elle.

"-Je passe pour un dingue, n'est-ce pas ?

-Bien sûr que non."

Mauvaise menteuse.

"-Eh bien il faut espérer que tout ceci ne vire pas au drame."

Une fois de nouveau assit, John commence à appliquer sur ses sutures la mixture odorante qu'il a préparé plus tôt. Un assemblage brun-vert hétéroclite qui, au contact de la peau donna à Cassandra la vague impression d'avoir glissé sa jambe sous une couverture bien chaude. Mais au contact des chairs à vif, la chaleur se mua en une vive brûlure, soudaine et intense !
Après une grimace, et un moment de respiration pénible, Cassandra articula difficilement qu'ils s'en sortaient plutôt pas mal.
John haussa les épaules.

"-Recoudre une plaie est quelque chose de relativement connu maintenant. Même un dingue peut en exécuter une sans trop de risques.

-Merci néanmoins."

Il appliqua un bandage épais, et se lève.

"-Nous verrons pour les remerciements lorsque l'on enlèvera ces bandages. La chaleur que vous sentez dans vos jambes devrait durer une paire de jours. Lorsqu'elle se sera estompée, revenez donc me voir que je change le bandage.

-Je n'y manquerai pas." et elle se lève. "Merci bien."

Il lui indique la sortie, et lui tend ses béquilles.

"-Je crois que je dois vous remercier aussi.

-Il n'y a vraiment pas de quoi."

Il la laisse aller, la retenant au dernier moment.

"-Vous pourrez dire à la Mère Supérieure d'arrêter de nous épier."

Puis il s'en retourne, afin de s'occuper des patients qui lui restent.


~o~


"-Bordel, mais est-ce que c'est vraiment à moi de faire ça ?"

Ce n'était pas que le fait de devoir servir de coursier qui dérangeait Tobias. Mais surtout le fait que ce soit pour lui parler à LUI. Alors dans les coursives du Wench, le mousquetaire manqua par plusieurs fois de faire demi tours.
Mais finalement, devant la porte qu'il cherchait, il finit par se résoudre et toqua.
A l'intérieur, il trouva un Telthis en plein repos, penché sur des écrits. Raide comme un piquet, le soldat se racle la gorge, et tente une approche.

"-Le Commodore m'envoie vous chercher Capitaine." fait-il.

Sans un mot, l'Elfe se redresse en opinant du chef malgré la surprise. Ca ne ressemblait vraiment pas à ce que Théoden avait l'habitude de faire.
Après un court instant, Telthis se fut préparé, emportant ses armes sur le conseil du mousquetaire.
Ensemble, ils refirent le trajet vers l'extérieur où ils se trouvèrent face à un spectacle surprenant.

Alors que les travaux sur le Blacksmith touchent à leur fin, ils peuvent voir que le second vaisseau a été amené bord contre bord avec le Wench. Dépourvus de ses quelques restes de mâture, le quatrième rang a vu son pont entièrement comblé. Sorte de barge, incapable de se déplacer seul, le Smith est aujourd'hui couvert de l'intégralité des forces armées dont l'Odyssée est encore dotée.
Fusiliers, mousquetaires, Nordiens. Il n'y a que les Teikokujins qui échappent à l'exercice du garde à vous en rang serré.
Théoden, lui, attend Telthis juste après la passerelle descendant vers les entrailles du navire. L'air aussi avenant qu'à l'accoutumé, le Commodore remercie Tobias d'un signe de tête et guide l'Elfe vers le bastingage du Wench.

"-Commodore ?"

Devant l'assemblement, Telthis semble se poser quelques questions.

"-Comme vous le savez, nous repartons pour Albion d'ici demain. Voilà pourquoi j'ai organisé tout ceci. Devant nous sont assemblées toutes les forces dont nous disposons encore."

Après s'être à demi tourné vers l'Elfe, Théoden croise les bras.

"-J'aimerais que vous repreniez l'entraînement. Peu importe comment, par groupes de combien, quand... il faut que ces hommes soient au mieux préparé à ce qui nous attend. Pour ce faire, le Blacksmith a été transformé en terrain d'exercice. Que tous ceux qui ne sont pas à la manœuvre s'exercent ou se reposent. Nous ne pouvons plus nous permettre le luxe de l"oisiveté. Et...j'ai quelques hommes qui m'ont chaudement conseillé votre méthode."

Il lui désigne quelques fusiliers, incluant Tobias, Maxwell et Brujon.

"-En outre, ceux qui ont reçu votre enseignement ont montré une efficacité incomparable au combat."

Telthis sembla un instant incapable de répondre, mais finit par accepter malgré l'immensité de la tâche. Cela représentait près de deux cents hommes à entraîner !
Mais après tout, ils pourraient aussi bien en avoir pour plusieurs tours dans ces terres maudites.

Satisfait, Théoden confia à Telthis le soin de s'organiser, avec l'aide des officiers de la garde et se retira afin de voir les derniers détails du départ avec Treville et Brookes. Le soir tombait déjà, et il restait encore beaucoup à faire.

~o~


Le lendemain vint sans tarder. Presque trop tôt, d'ailleurs, au goût de beaucoup de monde. Il faisait froid ce matin là. Anormalement froid. Au saut du lit, Théoden fut d'ailleurs surprit de voir qu'au dehors, l'océan se gelait peu à peu autours de son vaisseau sans la moindre difficulté.
Il ne se trompait pas, pourtant. Il ne lui semblait pas. Le redépart pour Albion aurait dû avoir déjà commencé depuis presque deux heures ! Alors pourquoi est ce que le Wench stationnait-il toujours sur place ?
Le temps d'émerger, et surtout de se vêtir, un chaos de plus en plus bruyant lui parvint depuis l'extérieur.

"-Pour l'amour du ciel, qu'est-ce que tout ceci ?" se murmura-t-il.

Et comme des bruits de verre brisé se faisaient de plus en plus entendre entre les hurlements et des coups sourds, le Commodore se décida à s'emparer de sa longue rapière qu'il tira de son fourreau à même le fauteuil qui le soutenait.
A demi débraillé, une main sur le front pour tenter de calmer une migraine croissante, Théoden fit irruption sur le pont central de son 74 canons. Uniquement pour y découvrir une meute de ses marins aux prises avec des fusiliers.
A en juger par la situation, et surtout l'état du Major Hewlett -qui devait sans doute être de garde à ce moment là- Théoden fut forcé de déduire qu'une mutinerie avait lieu en ce moment même.
Hewlett avait dû essayer de l'alerter, mais il gisait maintenant inconscient aux pieds de la cloche de quart. Du sang perlait à travers les fibres épaisses de sa perruque blanche.
Alors, pour interrompre la mêlée, Théoden s'empara du mousquet d'un de ses hommes, le brandissant à bout de bras au dessus de sa tête et pressa la détente sans tarder.
La détonation arrêta tout le monde sur l'instant ! Alors, le Commodore pu s'avancer sur le pont face aux mutins. Il aida un homme à soulever le Major, qui gisait sur son passage.

"-On ne retournera jamais là bas !" lança l'un des mutins, en s'emparant du sabre d'un garde à terre.

"-Pas question ! On refuse de mourir pour ces foutus Elfes !

-On rentre chez nous !"

Il était difficile de compter le nombre de mutins devant Théoden. A vrai dire, il aurait pu s'agir de l'intégralité de l'équipage que ça n'aurait rien changé.
Le Commodore leur offrit donc une dernière fois de se rendre.

"-Retournez à vos postes, messieurs." les prévint-il "Il y a bien une chose qui n'a pas changé, depuis que nous avons pénétrés ces eaux maudites."

Tout en parlant, Théoden s'était saisit d'un mousquet chargé, laissé par un soldat sonné sur un tonneau.

"-Je ne négocie pas avec les mutins."

Il fut répondu par des jets de bouteille qui vinrent, sans exception s'écraser tout autours de lui sans qu'il cille. Une seule manqua de le frapper, de plein fouet. Mais elle vola soudainement en éclat, fauchée par un tir de pistolet que Théoden déchargea sans même prendre la peine de lever le bras.

Du verre pilé se mit à pleuvoir sur lui, tranchant ça et là sur ses vêtements et son visage. Mais même là il ne plia pas, ferme face à ceux qui avaient décidé de saper son autorité. L'exercice n'était pas plaisant, mais il devait mettre de côté le commandant affable, peu avare en sourires et en compliments pour rasseoir sa domination sur son équipage.
Sur les passavants, sur le gaillard d'avant et d'arrière se trouvaient une foule considérable. Il y avait le Docteur Thackery, Samada, Djanela... Johei. Mais lorsqu'elle tenta de le rejoindre afin d'empêcher l'inévitable bain de sang, Théoden la retint d'un signe de la main.
On le vit lever la tête vers un de ses fusiliers qui lui lança sa baïonnette sans hésitation.

De tous ceux qui étaient présents, Treville était sans aucun doute le plus nerveux. Il avait déjà vu comment Théoden réprimait les mutineries. Ce ne serait pas beau à voir.

Dans la lutte qui s'ensuivit, la douzaine de marins qui tentaient de s'arroger le pouvoir sembla peu à peu perdre de sa hargne. En face d'eux, Théoden fit une fois encore preuve de toute son habilité, une rapière à la main.
Face à un, deux, ou trois adversaires, il semblait impossible de l'atteindre. On le vit parer un coup d'une effrayante hache d'abordage, et descendre à genoux pour porter un estoc meurtrier juste sous le bras de son adversaire...Dans le malheureux derrière lui !
Il n'était jamais où on l'attendait. Et ses coups tombaient avec une rapidité que seuls les Teikokujins présents purent suivre. Malheureusement, Théoden avait ses faiblesses. En l'occurence, la sienne le priva soudainement de l'usage de sa main gauche ! Un coup soudain, qu'il tenta de parer de sa baïonnette le désarma et le força à reculer. Tant et si bien que par deux fois il se fit presque empaler sur un pieux. La vérité était là, son bras gauche demeurait faible depuis plus de dix tours. Depuis qu'un basilic l'avait frappé en pleine épaule ! A l'époque, c'était le tout jeune Docteur Thackery qui l'avait sauvé. Sans que lui même sache trop comment d'ailleurs.
Mais maintenant que cette faiblesse ressortait, Théoden se trouva bien en peine de se défendre. La moitié de ses adversaires gisaient déjà à même le pont, mais les autres refusaient encore de se rendre au trépas.
D'un coup malhabile, le Commodore abattit un mutin, mais dans son élan l'accompagna à genoux dans sa chute. Et c'eût été sa fin, si des passavants il n'y eut pas une aide providentielle qui se porta à son secours.
Ce fut la fine lame de Tobias qui retinrent les coups des mutins, jusqu'à ce que Théoden ait pu se relever. Ce faisant, il s'empara du pistolet accroché à la ceinture du mousquetaire, dans son dos et l'arma.
Mais le mousquet, ce mousquet était lourd. Aussi facile qu'il lui fut d'abattre cette bouteille en plein vol, à peine quelques minutes plus tôt, l'arme semblait peser dix fois son poids dans sa main, à présent que sa vieille douleur s'était réveillée.

Tobias tint bon un moment. C'était la meilleure lame humaine de l'équipage après tout. Après Théoden. Mais ce n'était pas un surhomme ! Alors il finit par tomber à son tour, abattut d'un revers de crosse en pleine face.
Le bougre, qui le fit tomber en eut presque fait autant du Commodore, si il n'avait pas dévié son coup de sa rapière, avant de décharger péniblement son mousquet dans sa cuisse ! Ce fut au prix de son épaule qui, cette fois, ce disloqua bel et bien dans un claquement sinistre. Et Théoden dû se défendre avec sa seule main droite. Jusqu'à ce qu'une longue flèche vienne faucher le dernier assaillant.

Une flèche. Ca ne pouvait être qu'une seule personne. D'un coup d'oeil par dessus son épaule, Théoden pu reconnaître la longue chevelure de Telthis, ondoyant dans le vent.

La leçon de ce court affrontement fut amère pour les dirigeants de l'Odyssée. Théoden en tête. Car à peine quelques heures plus tard, alors que le Wench et le Blacksmith repartent vers les eaux d'Albion la Maudite, les funérailles des victimes de la dernière mutinerie laissent planer un climat tendu entre les hommes.
Il n'a jamais été plus évident que la confiance qu'a tissé patiemment le Commodore avec ses hommes s'étiole, peu à peu. Et qu'à force de déception, l'équipage s'épuise.
Alors, après un dernier regard pour les eaux familières qu'ils s'apprêtent à quitter, Théoden se laisse tomber derrière son bureau. Pour la première fois depuis des lunes, il allait boire.
Aujourd'hui ne fut pas une bonne journée.
Demain serait sans doute pire.
Mer 21 Déc 2016 - 0:52
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Dargor
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Le Maitre de l'Intrigue
Dargor
Ils étaient une cinquantaine. Ils furent rassemblés sur le pont, un beau matin, un martin ensoleillé, qui aurait pu ressembler à n’importe quel autre. Mais pour eux, ce ne serait pas n’importe quel matin. Ils allaient mourir, et ils le savaient. Et tous autour d’eux le savaient. Sommairement, un discours fut prononcé, faisant état de ce qui leur était reproché, puis la sentence fut annoncée. Simplicité, efficacité, furent les maîtres mots de cette cérémonie, s’il était convenable d’appeler cela ainsi.
Johei, pour sa part, n’aurait pas donné le nom de cérémonie à ce à quoi, somme toute, elle refusa d’assister. Quand ils commencèrent à être séparés, discrètement, essayant de ne pas être vue, elle préféra regagner la sûreté de sa cabine. Dans la coursive où se trouvait cette dernière se trouvait également la porte donnant à la bibliothèque où était logée Djanela, la chasseresse de démons ramienne. Celle-ci avait gardé sa porte ouverte. Jetant par curiosité autant que pour chercher à penser à autre chose qu’à ce qui avait lieu sur le pont un œil à l’intérieur, Johei put y apercevoir la chasseresse elle-même, en train d’écrire.

« Vous écrivez ? hasarda Johei, souhaitant engager une conversation, pour détacher ses pensées de l’exécution qui avait lieu.
-Oui, répondit Djanela. J’écris sur ce que nous avons vu comme démons, sur leur comportement, leur façon de combattre… C’est une part de mon travail de chasseresse. Consigner ce que j’apprends par écrit, afin que les chasseresses qui me succèderont à l’avenir soient capables de s’y retrouver plus aisément.
-C’est une approche très réaliste et terre à terre de votre combat, dit Johei.
-Les gens nous prennent souvent pour des mystiques ou des femmes qui n’en font qu’à leur tête et n’écoutent que leur propre cruauté, répondit Djanela en riant, mais ils ignorent que nous étudions et travaillons longuement nos travaux. Certaines de nos sœurs ont presque une approche scientifique de notre travail. Le risque étant cependant alors de confondre étude et aide des démons. Pour aider à cette étude, toutefois, une sœur qui a choisi de combattre peut profiter des instants de paix. Comme maintenant par exemple. Mais dites-moi, n’êtes-vous pas allée assister à l’exécution ?
-C’est-à-dire que je n’avais pas envie d’assister à cela, répondit Johei.
-Ah bon ? demanda Djanela. Et pourquoi cela ?
-Eh bien… Je me demande, dit Johei, quelle utilité le capitaine Théoden imagine-t-il, au juste, tirer de cette horrible démonstration de cruauté ?
-A la discipline et à donner aux potentiels mutins une bonne leçon, répondit Djanela sèchement.
-Ne croit-il pas que ces marins ont un fardeau suffisant à porter sans qu’on y ajoute en plus la menace d’être massacrés s’ils commettent des fautes ? »

Le ton dans sa voix était calme, mais au fond, Johei ne voyait que si peu l’utilité de ce massacre qu’elle se sentait révoltée, et une émotion la prenait au tripes, mélanges de détresse de colère. Elle sentait ses poings serrés et ses yeux la brûler. Elle n’avait pas l’intention de se mettre à pleurer, mais Djanela dût voir sa détresse, car elle prit un ton moins sec, moins autoritaire.

« Si le capitaine veut se faire respecter, expliqua-t-elle, il n’a pas le choix. S’il laisse une telle révolte impunie, alors il ne pourra plus faire preuve de l’autorité nécessaire pour diriger l’expédition. C’est comme ça.
-Il doit forcément y avoir d’autres solutions que de faire couler le sang autant qu’il l’a fait, répondit Johei.
-Nous sommes loin de tout ! dit Djanela, retrouvant sa voix sèche. Le continent le plus proche est couvert de démons, nous n’avons que nous-mêmes sur qui compter ! Nous ne pouvons pas faire dans la demi-mesure, pas prendre de risques. Le capitaine a tout à fait raison de faire son choix ! Et puis arrêtez avec la pression sur le dos des marins ! Vous croyez qu’il n’en a pas lui ? Il a pris la responsabilité de nous amener tous ici, loin de notre monde, et maintenant, c’est lui qui nous commande, lui qui doit prendre les décisions qui peut-être engageront nos vies à tous ! Y compris la vôtre ma chère ! Que ces marins défient le capitaine est inadmissible, parce que si on se met à tous discuter, on n’avancera jamais en rien, et au final, nous serons une proie facile pour les démons. Que des avis viennent perturber son jugement, et il hésitera. Alors oui, il a besoin de cette démonstration de cruauté, comme vous l’appelez, parce qu’il ne peut pas laisser qui que ce soit retirer la confiance qu’il se place en lui-même. Je connais ça, parce que j’ai la même pression sur le dos quand je cherche à aller combattre les démons. A chaque fois que je vais en affronter un, je dois me rappeler que c’est peut-être le destin du monde qui repose sur mes épaules. C’est comme ça. Pour le Commodore, c’est non seulement peut-être le monde, puisqu’il y a des démons en face, mais à tout le moins son monde. Nous.
-Est-ce vraiment une raison pour tuer ? insista Johei. J’entends bien qu’il ne doit pas se laisser marcher sur les pieds, mais il s’agit tout de même de vies humaines. »

Djanela grommela et refusa de répondre, retournant à son écriture. Johei, comprenant qu’elle n’arriverait pas à obtenir quoi que ce soit de plus de la chasseresse de démons, reprit sa route. Plutôt que de retourner dans sa cabine, elle préféra déambuler sans vrai but dans les coursives du navire. Au bout de quelques heures, cette errance la ramena sur le pont du navire. Le pont du navire qui avait été retourné depuis la cérémonie. Chacun avait repris la manœuvre de son côté, car après l’attaque des deux monstres marins, après l’impossibilité de réparer ici, décision avait été prise de retourner vers Albion. De retourner vers ce qui les avait déjà fait reculer une première fois. Sauf que cette fois, ils ne pouvaient plus reculer.
Etait-ce pour cela que le capitaine avait fait cette exécution ? Pour empêcher qui que ce soit de fuir alors qu’ils étaient au pied du mur ? Johei n’aimait pas cette idée néanmoins. Et par le ciel, il faisait de plus en plus froid ici.

---

Le froid avait surpris l’expédition, de sa morsure gelée. Le blizzard qui l’accompagnait était tombé de façon tout aussi brutale que les températures. Tous, alors qu’ils étaient en tenue tempérée, avaient dû aller chercher de lourdes fourrures. Ou de lourds manteaux pour les marins. Tout cela pour ne pas mourir de froid. Seule elle, Cassandra, qui disposait de sa propre source de chaleur intérieure, évoluait encore dans ses robes habituelles. Mais elle devait au final aller à la tâche, peut-être plus encore que tout le monde. En effet, il faisait si froid que la mer elle-même avait gelé. La couche de glace était fine, mais elle suffisait à paralyser les deux navires, pris dans cette dernière. Pour autant, malgré ce coup du sort, au vu de l’état de leurs vivres, le capitaine Théoden et ses officiers avaient jugé qu’il ne serait pas bon d’attendre que la vague de froid passe. Aussi avait-elle proposé de faire fondre un chenal pour que les navires puissent recommencer à avancer. Affaire plus facile à dire qu’à faire. Derrière elle, elle entendait le craquement du bois des deux navires. Mais autour d’elle, ce n’était que le vent et le blizzard. Elle faisait fondre la glace devant elle, creusant un chenal assez large pour que le Wench et le Blacksmith puissent passer. Mais elle ne savait pas vraiment où aller. Elle devait fréquemment faire des allers-retours vers les navires pour demander la direction qu’elle devait prendre. Tous son sens de l’orientation était inefficace ici. Car le blizzard était si intense que lorsqu’elle partait devant les navires pour faire fondre la glace, elle les perdait de vue. Elle réussit même à se perdre sur les quelques mètres qu’elle avait à franchir pendant un moment, ce n’est qu’en se réchauffant sur la glace, attendant que le brouillard se lève, qu’elle put retrouver les navires, qui étaient restés relativement immobiles en son absence.

Mais au final, ils s’étaient sortis de la glace. Le froid derrière eux, ils s’étaient engagés vers Albion. Ils avaient longé le continent après Demon Cove, puis finalement, celui-ci s’était ouvert. Pensant qu’on avait atteint sa pointe ouest, le Commodore avait ordonné de virer au sud. Mais ils s’étaient en fait aperçus qu’il s’agissait d’une sorte de mer intérieure. D’une étrange mer intérieure. Nul ne savait pourquoi, mais il y avait quelque chose d’étrange ici. Quelque chose qui leur laissait une sensation de pas normal. C’était l’atmosphère de cette mer, qui présentait un calme plat impeccable. Et pourtant, un petit vent laissait les navires livres de naviguer, doucement…
Ven 23 Déc 2016 - 23:04
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Capitaine Theoden
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Capitaine Theoden
La découverte de ce nouvel océan fut une surprise bien inconvenante pour Théoden. Comme pour tous ses officiers. Au sortir de l'étroit canal qui les avait emmené de la civilisation à l'inconnu, le Wenchse trouvait face à une étendue mystérieuse. Des eaux lugubres, suintant de surnaturel, et dont chaque vaguelette, chaque apic, chaque bourrasque hurlaient à la damnation. Jamais auparavant les hommes et les femmes de l'Odyssée ne se sentirent si seuls, si abandonnés des dieux. Il le sentait jusque dans son coeur, cette absence. Pour la première fois de sa vie, Théoden se trouvait libéré du poids du regard de sa déesse. Et il avait froid. Rendu aussi loin de sa déesse, le Commodore se trouva pratiquement libre d'agir comme il le voulait.
Mais bien que ses instincts l'incitaient à se lancer corps et âme droit devant lui,
le devoir le retint au plus raisonnable des constats : face à cet océan inconnu, s'engager dans les hautes mers est le meilleur moyen de se perdre.
Alors, sur le double conseil de son maître navigateur et de ses Capitaines, le Commodore fait mettre le cap sur le sud. Caboter, c'était s'assurer de ne pas se perdre mais aussi pouvoir trouver un refuge et de quoi réparer les avaries sévères infligées aux deux vaisseaux de la flotte.
Par mesure de précaution, Théoden fait monter dans la mâture des Teikokujins à vue perçante, afin de relever ses fusiliers fatigués. En outre, on fait également mettre à l'eau l'Argos et le Phobos -les deux chaloupes à voile- du Wench afin de guetter une éventuelle présence. Reliées par des câbles à la proue du 74 canons, ces deux embarcations permirent également de maintenir une certaine vitesse alors que le vent semble se faire de plus en plus rare.

En plein territoire ennemi, sur les eaux, il est de notoriété commune que la discrétion implique deux choses : silence et lenteur. De fait, lorsque l'on navigue à bord de vaisseaux dotés de plusieurs centaine de mètre de haut de mâture, songer se confondre dans les vagues est une idée folle. Bien sûr, la brume aurait pu aider. Mais elle même s'est dissoute à la sortie de la passe, au grand damn des Odysséens.
Reste donc le silence. Une détonation, un hurlement, un coup de sifflet, une cloche... et rapidement toute forme de vie à des lieux à la ronde peut apprendre la présence de l'Odyssée sur ces eaux. La lenteur, afin de tenter le plus possible de se cacher et de se confondre contre les falaises abruptes encerclant l'océan.
L'un dans l'autre, les lunes à venir ne seraient vraiment vraiment pas plaisantes à vivre. Pas de lumières sur les ponts, pas de feu malgré le froids, silence complet de jours comme de nuit et surtout : rames.
Tout le monde l'a sentit, lorsque c'est arrivé. D'un coup d'un seul, alors qu'ils pénétraient sur ces eaux nouvelles, le vent s'est affaissé. Et avec lui toute la voilure du Wench. Mauvais présage pour certain, faute aux falaises proches pour d'autres, le fait était que l'Odyssée se trouva en un instant bloquée sur place.
Alors désormais, il faudrait ramer pour avancer. Lentement, en silence, tout le jours durant.

"-Nous sommes maudits, Commodore." souffla Treville à Théoden, alors qu'ils regardaient tous deux l'immense étendue d'eau sur leur flanc tribord.

"-Ne soyez pas défaitistes, Capitaine. J'ai la conviction que cet océan est la clé pour nous tirer de tous nos ennuis."

La réponse de Théoden était assuré, malgré ce vide croissant qui le rongeait. Ariel était une déesse généralement distraite, peu occupée à surveiller les mortels. Il le savait parce que, malgré lui, au cours de toutes ses batailles navales passées, il avait expédié par le fond bon nombre des prêtresses de la Grande Garce.
Mais là, il ne sentait même plus son lointain regard.
Hasard ou non, le lendemain de leur longue traversé de ces eaux silencieuses, un groupe de prêtresses vint trouver Théoden sur le pont du Blacksmith, alors qu'il s'entretenait avec Telthis au sujet de l'entraînement des gardes.
Visiblement prises d'une angoisse nouvelles, les jeunes femmes eurent tôt fait de prendre les deux hommes à partit pour leur confier des troubles dans leurs pouvoirs cléricaux.

"-Comment cela "défaillant" ?" leur répondit Théoden, ses poings posés sur ses hanches.

"-Au mieux ! Au pire inopérants !" s'affola encore une prêtresse "Je devais guérir une coupure que s'est faite un matelot pendant les manoeuvres d'hier, mais je n'ai pas même été capable d'empêcher le pauvre homme de perdre son sang !"

"-Nous avons toutes vérifiées." continua une prêtresse plus âgée. "Entre toutes nos soeurs, nous subissons des fluctuations de plus en plus importantes dans nos capacités à guérir ou même à bénir."

Cette fois, Telthis sortit de son silence.

"-Ce doit être exactement ce que nous disions Commodore. Cet océan est visiblement prit entre deux plans d'existence. Les démons ont une emprise certaine sur ces eaux. Assez forte pour menacer même l'influence d'Ariel sur ce qui y évolue ! Je recommande la plus grande prudence."

"-Et à raison, Telthis." fit le Commodore en remerciant les prêtresses avec un sourire et une semi révérence polie. Néanmoins, il ne peut réprimer un léger sourire sur son visage alors qu'il reprend son tour avec l'Elfe Blanc.

"-Que se passe-t-il, Commodore ?" interroge d'ailleurs Telthis, s'attendant pourtant à trouver un air soucieux sur le visage de Théoden.

"-Oh, rien mon cher Telthis. Rien." et comme ils arrivaient à la passerelle descendant vers les eaux, et la chaloupe sensé le ramener au Wench, Théoden s'en approche "Je ne peux m'empêcher de voir cette nouvelle comme la promesse d'aventures excitantes." il passe le bastingage et commence à descendre, lançant d'un ton plus brave encore "Que c'est bon d'être libéré du poids de Leurs regards !"
Il disparut là dessus, dans un rire.

~o~

Evoluer le long des côtes de cet océan anonyme était une épreuve difficile pour la totalité de l'équipage. Tous les officiers en avaient conscience. Johei la première. Voilà pourquoi elle s'appliquait plus encore que d'habitude à apaiser les esprits, quitte à rogner sur son temps de sommeil.
Cette fois, c'était le tour du Commodore. Malgré les récentes exécutions, et la légère rancoeur qu'elle semblait nourrir à l'égard de Théoden, elle le prit à part dans sa cabine, comme à leur habitude et ils entamèrent quelques exercices de méditation.
Tout aurait pu se passer tranquillement, sans accroc, si seulement le mousquetaire Tobias n'avait pas entendu l'échange entre la Teikokujin et Djanela, alors qu'il revenait de l'infirmerie. Comme lui dictait son devoir, il était bien sûr aller confier ce qu'il avait entendu à son commandant. Songeant qu'en ces temps incertains parmi l'équipage, il était mieux que Théoden ait conscience de tous les griefs que les membres du bord nourrissaient à son égard.

Tout naturellement, sans même nommer Tobias, Théoden avait donc décidé d'aborder le sujet, à la faveur d'un long silence et d'un instant de pause.

"-Vous n'étiez pas là lors des dernières exécutions.

-Non.

-Pourquoi cela ?

-Je n'aime pas les massacres."

"Massacre"... terme un brin exagéré pour cinquante morts. Mais la conscience de Théoden refusait de lui reprocher l'emploi de ce terme.

"-Cinquante mutins et vous appelez ça un massacre ?

-Oui.

-Comment appelleriez-vous la perte d'un millier d'âme, en ce cas ?

-J'ai déjà eu cette leçon par une autre, capitaine. Je sais que vous avez des responsabilités. Mais il y avait forcément d'autres solutions."

Il faudrait très certainement employer un vieux conte, pour essayer d'expliquer son geste. Une histoire bien connue des Académiciens Kelvinois qui lui revint en tête à ce moment. Ce serait parfait. Du moins, il l'espérait.

"-Je sais très bien ce que Djanela vous a dit. C'est exactement pour ça qu'il me semble nécessaire d'en parler moi même.
J'imagine que vous ne connaissez pas l'histoire du Bounty, Johei ?

-Non.

-Le Bounty était un vaisseau à peine plus petit que mon Wicked Wench. Affrété pour explorer des îles du sud, il avait à son bord moitié moins d'hommes que ce qui sert à bord de ce vaisseau.
Sur le retour, une mutinerie éclata. Pas méchante, c'était à peine une quinzaine de marins. Et vous savez ce que fit le Capitaine ?

-Il les tua ?

-Rien du tout. Il ne fit rien. Une lune plus tard, la mutinerie éclata de nouveau. Mais cette fois, ce fut trois fois plus de ses marins qui se rebellèrent. A nouveau, le Capitaine les contint.
Cette fois, que fit-il ?

-Je ne sais pas.

-Il fit pendre les responsables, et fouetter les autres pour l'exemple. Alors à nouveau, le calme revint. Jusqu'à ce qu'encore une lune plus tard la mutinerie se répande à nouveau à bord. Lorsqu'elle éclata, l'équipage était scindé en deux. Les combats en tuèrent la moitié. Les Officiers furent jetés à l'eau dans une barque, et les mutins repartirent avec le navire.
Seulement pour être emportés par une tempête et retrouvés un tour plus tard sur un banc de rochers en plein océan. Cette histoire, on l'apprend à tous les élèves officiers Kelvinois. Est-ce que vous avez deviné la morale de cette histoire ?"

Il croisait les doigts, pour qu'elle ait comprit. Et qu'elle accepte la chose. Ces exécutions sont des mesures difficiles à supporter en soi pour le commandant. Il avait l'espoir de ne pas essuyer de regards réprobateurs si jamais cela devait se reproduire.

"-Qu'il faut s'occuper des mutins. Mais ça n'implique pas de les tuer. J'en reviens à mon point, il y a forcément d'autres solutions."

Manqué.

"-La morale c'est que commander un navire comme celui-ci requiert de trouver l'équilibre parfait entre clémence et cruauté.
Laisser la mutinerie se répandre, ça aurait été risquer de la voir éclater de nouveau à une échelle plus grave encore. Mais traiter les mutins avec une excès de cruauté, ça aurait été effrayer mes hommes.
Si j'avais écouté vos suppliques, je gage que des murmures coléreux se feraient entendre sous les ponts. Un Commandant clément passe facilement pour un commandant faible. C'est comme ça.
Mais si je les avais soumis aux supplices du fouet, alors ils auraient eu peur de moi. Croyez le ou non mais ces exécutions sont le seul moyen de maintenir cette expédition debout. Nous ne sommes pas sur Teikoku, et nous ne sommes pas un équipage Teikokujin. La sagesse n'est pas le fort de ces hommes.

-Elle peut être éveillée en eux. J'aurais pu travailler jour et nuit si cela était nécessaire.

-Le problème est que vous n'êtes sous la protection d'aucune déesse ici. Si ces mutins avaient découvert que vous tentiez de me servir en désamorçant leur rébellion, ils vous auraient traité comme l'ennemi.
Avec tout ce que ça implique, concernant des hommes en mer depuis trop longtemps n'ayant pas vu la moindre présence féminine depuis plus d'un tour et demi."

Le meurtre aurait été le cadet des soucis de la jeune femme. Théoden ne pouvait pas tolérer ce risque. Elle si, apparemment. Mais il fallait s'y attendre. Il s'agissait de Johei, après tout !

"-J'ai confiance.

-Pas moi. Voilà pourquoi nous en sommes là.

-Je n'en aime pas plus cette décision.

-Il faudra l'accepter, j'en ai peur. A ce niveau là, que vous approuviez ou non cela ne m'intéresse pas. Sachez seulement que je prends pour moi chacune de ces vies. Et que ce n'est pas un plaisir de tuer ces gars.

-Qu'il en soit ainsi, comme dirait Telthis.

-Bien, le sujet est clos, alors."

Jusqu'à la prochaine fois, en tout cas...

~o~

Un mois à la rame. Ce serait déjà beaucoup en temps normal. Mais dans ces conditions, autant dire que l'équipage souffrait. Constamment. Le mal-être devenait une part entière de leur quotidien. Comme un ami inconvenant dont on ne peut pas se débarrasser parce qu'il paye le loyer de votre chambre à l'auberge.
Et les choses allaient de mal en pie pour l'Odyssée. Depuis la sortie de la passe, le Wench avait menés ces hommes et ces femmes à travers des lieux d'eau lugubre sans le moindre espoir d'arrêt à terre ou de repos. Le cap avait peu à peu changé, dicté par les irrégularité de la côte. Le sud s'était transformé en sud ouest. Le sud ouest en ouest, et maintenant il remontaient peu à peu vers le nord. Sans trouver la moindre échappatoire.
Quelques fois, le doute s'était invité à la table de Théoden. Et si il n'y avait pas d'échappatoire à cet enfer ? Et si cette cuvette infernale n'avait pas de sortie ? Et si ils étaient coincés là pour toujours ?
Théoden balayait systématiquement cette option, prenant même une fois ou deux la tête d'une des chaloupes à la tête de l'expédition pour s'assurer que les vigiles ne manquaient rien.
En vain.
Jusqu'à ce qu'un matin ils fassent une curieuse découverte. Une lugubre découverte, pour tout dire.
Le long des côtes avaient lentement commencé à s'amasser des carcasses de vaisseau par dizaines. On les voyait de loin, ces mâts décharnés, aux vergues brisées couronnées de voiles déchirées et jaunies par le temps. Les restes d'anciennes expéditions, sans doute. Cette vision là aurait été suffisamment sinistre, si seulement ces mâts ne surplombaient pas de véritables monstres de chairs et d'infestation. Des créatures géantes, comme ce que serait devenu l'Achéron, sans l'intervention de l'Odyssée.

"-Ils sont des dizaines..." souffla Thomason à la barre, alors qu'il observait le lointain au côté de son commandant.

A vrai dire, pas même les dieux ne sauraient dire si il avait raison, cette fois là. La peur avait peut être atterré son jugement. Mais dans tous les cas, il y en avait bien trop pour une seule Odyssée.
Alors, sur le conseil -bien que frustré- de Telthis, il fut décidé de passer au large, sans rames ni traction afin d'éviter d'attirer l'attention de ces fantômes de navires, possédés par des entités venues d'ailleurs.
Cette menace supplémentaire, visible à l'oeil nu sur l'horizon rendit l'équipage plus nerveux encore qu'avant. Les premiers suicides eurent lieu lors des trois jours de traversé qui s'ensuivirent, tant la pression était devenue extrême.
Les corps ne purent être brûlés, ni jetés à l'eau. Ils seraient stockés, en attendant mieux. Hors de question de les confier à ces eaux.

Au matin du quatrième jour, alors que les silhouettes des premiers de ces monstres glissaient lentement dans le dos de l'Odyssée, un accident survint. Une manoeuvre simplissime, consistant à changer une vergue usée tourna mal. Un cordage rongé par le sel et l'eau céda brutalement, alors que les hommes étaient à la manoeuvre et toute la pièce de bois, lourde de plusieurs centaines de livre s'abattit sur le pont dans un grand fracas ! Il y eut des blessés, ce fut le chaos. Et le bruit, autant que les hurlements des marins sur le pont à ce moment là fit tomber sur l'Odyssée la plus grande crainte de Telthis.

Des côtes se détacha lentement la silhouette incongrue d'un vaisseau démoniaque. Arqué, sa chair pourrissante teintant l'eau d'un vert pestilenciel, l'engin nagea droit vers le Wench en gémissant. Ses cris, et la faim apparente de cette créature glaça dans l'instant le sang de tous les marins présents.
Il était trop tard pour espérer y échapper ! Le combat était très visiblement la seule option restante.

"-Espérons que nous avons de quoi couler cette chose..." pria Treville, en attendant l'ordre.

Théoden n'attendit guère. Sur son ordre, les cloches du 74 canons se mirent à résonner, réveillant tous ceux qui pouvaient profiter d'un peu de sommeil, et les poussant à s'armer pour rejoindre les autres aux postes de combat.
Les quartiers-maître jouaient de leurs sifflets afin d'organiser à grand renfort de signaux sonores l'effort fournis par les hommes. Peu à peu, l'Odyssée sortit de sa torpeur.
Le Wench, qui était le seul à disposer de mâture s'orienta lentement vers son adversaire et lui présenta son flanc. Dans son sillage, le Blacksmith s'alignerait aussi, canons au sabord.
Mais la créature avançait vite, avec ses pattes puissantes. On commençait déjà à voir s'agiter les épéistes sur ses ponts brisés. Il ne fallait pas que cette arche atteigne les vaisseaux de l'Odyssée !
Alors Théoden fit envoyer le plus de monde possible aux ponts d'artillerie. Ils n'auraient qu'une seule salve de boulets, vue la distance, et au mieux deux de balistes.
Il y eut un instant où tout le monde fut à sa place, en attente de l'ordre de tirer. Alors un silence lourd se fit à bord. Tout le monde se regardait avec appréhension. Une appréhension doublée de résolution. Celle que tout ce chemin n'avait pas été accompli pour trépasser face à cette grotesque monstruosité !
Lorsqu'enfin le Wench fut aligné avec sa cible, Théoden hurla l'ordre de tir.
Son cris fut porté en écho par les voix de tous les officiers de son navire, suivit de ceux du Smith. On entendit d'abord les claquements secs des cordes de ses balistes. Presque une quarantaine de pieux en argents fendirent brusquement l'air, droit sur le nez de cette arche monstrueuse. Leurs sifflements perçant ne fit pas ciller les épéistes peuplant le dos de cette créature. En revanche, leur impact manqua de l'arrêter net ! Brutal, net, ils arrachèrent au monstre des hurlements de souffrance pénible à l'oreille. Du sang putride se mit à couler de ses plaies, des morceaux de chair entiers se décrochèrent et glissèrent dans l'océan. Mais elle ne s'arrêtait pas !
Alors, l'unique salve de canons du Smith frappa, avec la même exactitude que celle du Wench. Une vingtaine de boulets, incandescents, qui firent presque rouler la créature sur le flanc ! Mais elle encaissa, malgré le feu qui se déclarait -encouragé par Cassandra- et la crevasse béante qui s'était faite dans sa proue.
Mais lorsqu'enfin les derniers coups du Wicked Wench tombèrent, accompagnés de tirs d'espingoles et de mousquets, l'arche ne tint guère plus . La créature gémit une dernière fois, avant que sa gueule elle même ne se morcelle et ne tombe à l'eau, elle essaya de se cambrer, de se débattre, mais tomba inerte. Son élan la menait toujours sur les navires de l'Odyssée, mais Théoden retint d'un signe de la main de nouveaux tirs.

"-Laissez la glisser. Elle passera entre nous."

En effet, le corps du monstre, que l'océan avalait déjà allait sombrer par delà la ligne de feu formée par le 74 canons et son escorte. Les épéistes survivants sur son dos furent abattus par des fusiliers et les archers de Teikoku qui ne manquaient jamais un tir. Quand le monstre eut sombré, ne laissant pour toute trace sur Ryscior qu'une nauséabonde odeur de pourrit, il y eut un léger frémissement de soulagement que Telthis fut le premier à tempérer.

"-Nous l'emportons cette fois, mais pas de doutes." prévint-il "Cette fois, ils savent que nous sommes là."
Sam 24 Déc 2016 - 18:33
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Dargor
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Telthis ne fut pas étonné quand les canons se turent. De fait, le nuage de fumée noire assorti de flammes qui semblaient dévorer la carcasse de la bête monstrueuse qu’ils avaient bombardé pendant quelques minutes n’avaient rien de naturel. Et cela, Djanela, et les prêtresses, tous devaient d’ores et déjà l’avoir signalé à Théoden. Telthis enrageait en ce moment de ne pas être à bord du Wicked, pour avertir le capitaine sur ce qu’il convenait de faire face à cette situation. Ils auraient dû le retenir après la faille qu’avait découvert Djanela dans les entrailles de l’Achéron. Et si chacune de ces arches en recelait une dans ces entrailles ? Chacune contenait une faille, prête à être transportée par-delà les mers si cela s’avérait nécessaire. Ce plan était démoniaque, à l’image des bêtes qui en sortaient.
Les créatures démoniaques n’avaient en effet pas d’habitat d’origine défini. On les savait venant des enfers, des abysses, des royaumes démoniaques, royaumes du chaos pour certains, mais une fois sorties de cet autre plan d’existence, peu importe sa véritable nature, les créatures démoniaques ne pouvaient exister qu’à travers un hôte possédé ou une vaste quantité d’énergie magique. Et même là, leur présence n’était qu’éphémère et ne fallait pas longtemps avant qu’elles ne retournent dans le monde infernal d’o ù elles venaient. Peu importait sa nature. C’est pourquoi les seuls endroits au monde où les démons et bêtes démoniaques pouvaient résider sans craindre d’être bannis ou de se dissiper étaient les régions entourant des failles : ces endroits, fortement souillés par la déchirure de la réalité que constituaient ces failles, existaient en effet hors de l’espace, des lois du temps et de la physique, et leur paysage se corrompait rapidement, suivant les caprices des puissances infernales.
L’utilité, dès lors, d’avoir une flotte d’arches démoniaques contenant en leur intérieur des failles monstrueuses sautait aux yeux. Si une seule de ces arches venait à arriver sur des rivages civilisés, alors les ravages qu’elle y engendrerait seraient considérables. Rares étaient ceux qui savaient comment refermer une faille, et quand ils le savaient, ils n’étaient pas nombreux à être aptes à le faire vraiment. Et pendant qu’ils échoueraient à les fermer, les failles continueraient à vomir des démons, et à corrompre la réalité même autour d’elles, corrompant les régions et s’étendant toujours un peu plus, à mesure que les vents des abysses, qui les traversait en même temps que les démons, pousseraient la corruption toujours un peu plus loin.
En fait, une seule faille, si elle était négligée, une seule faille, si elle était laissée ouverte, pouvait tout à fait à terme engloutir le monde entier, et le plonger dans une éternité de carnages, de corruption sans fin, éternité bercée par le rire moqueur des divinités démoniaques, si tant était que de tels être soient capables de ressentir les sentiments nécessaires pour rire. Telthis ne chercherait pas à le savoir. Parce que ce n’était pas le destin qu’il souhaitait pour ce monde, et parce qu’il savait que ceux qui avaient tenté de définir les rois démons, de les décrire, y avaient perdu leur âme aussi bien que leur raison. Peu importait leur race, leur sexe ou leur âge.
Les démons, de manière générale, n’appartenaient pas à la réalité. Tout comme les dieux, dans un sens. Les esprits mortels ne pouvaient définir les concepts dont il s’agissait. Ils pouvaient tout au mieux décrire les moins puissants d’entre eux, mais s’ils cherchaient à sonder leur nature, alors tout était perdu. Car cette nature n’était pas celle de la réalité, et les esprits mortels ne pouvaient pas comprendre ce qui n’était pas la réalité. Pas sans sombrer dans la folie.

Tout cela, Telthis le savait car il avait déjà combattu les démons. Car il avait longuement écouté les récits des Anciens qui avaient sauvé le monde en livrant une guerre totale à ces bêtes sanguinaires, lorsque leur première incursion avait eu lieu. Et car il avait longuement discuté avec la chasseresse Djanela de ce que son ordre avait découvert sur eux. Il était impressionné de ce que ces humaines avaient accompli, avec le temps. Elles avaient su garder la patience que les elfes appréciaient, en construisant une œuvre sur des générations entières d’humaines, dont beaucoup avaient dû perdre la raison. C’était le destin qui, il le savait, attendait d’ailleurs Djanela elle-même. Elle étudiait les démons de trop près. Mais à n’en pas douter, puisque lui se trouvait à cet instant sur le Blacksmith, et puisqu’il ne pouvait pas intervenir pour parler au capitaine, elle saurait trouver les mots pour définir devant lui ce qu’ils avaient au loin, sur la berge.

---

Ils avaient décidé d’affronter cette chose parce que, avait compris Djanela, ils devaient désespérément toucher terre. La situation des vivres se faisait bien trop inquiétante. Au début, ils avaient compté sur la pêche, mais cette mer n’était hélas pas poissonneuse. Pas du tout. Elle était comme … Morte. C’était d’ailleurs le nom que les marins avaient choisi pour elle. Jamais de mouvement autre que le sillage soulevé par les navires à la surface de l’eau, et pas plus d’algues que de poissons dans l’eau. Il y avait longtemps qu’aucun oiseau ne suivait plus les deux navires. Ce silence leur avait fait prendre conscience de leur absence. Si les oiseaux étaient peu nombreux à les avoir suivis jusqu’au bout du monde, la communauté ne s’était réellement rendue compte que récemment que ces volatiles étaient en fait partis la première fois qu’ils avaient approché Albion. La nature elle-même se méfiait de ce qui la corrompait.
Les rivages également semblaient morts. Mais à en croire le journal du père de Théoden, des communautés d’humains, menées par Dani Rinma la traitresse, survivaient. Il devait donc y avoir quelque part de la nourriture. Pour survivre. Mais pour la trouver, il fallait impérativement toucher terre. On avait décidé que la prochaine crique sur laquelle il serait possible de débarquer serait la bonne. Elle était gardée par une arche. Comme toutes les précédentes. Décision fut prise de la bombarder à distance. Ce fut fait. Mais si la première avait coulé, car les ayant suivis trop loin, celle-ci resta proche de la rive. Bien trop proche. De sorte que les tirs n’eurent pour effet que de la coucher sur le flanc, et de percer des trous dans sa coque, ou dans sa peau, à l’image d’une bête monstrueuse blessée. Et à travers ces ouvertures était apparue quelque chose que Djanela n’aurait pas souhaité revoir, sauf dans ses pires cauchemars.
Les ténèbres et les flammes qui illuminaient et assombrissaient la bête, elle le savait, constituaient l’essence brute des Abysses. C’était comme une blessure sanguinolente, une déchirure dans la texture de la réalité et un passage vers une autre dimension. La peau de la bête, sous l’impulsion des derniers tirs de canons, se déchira tout à fait. La faille s’apparentait désormais à un grand anneau entouré de chairs impies, couvert de runes immensément puissantes qui brillaient et dont les formes mouvantes à elles seules étaient insupportables à regarder. Seuls ceux qui avaient une puissante volonté pouvaient observer ce spectacle, car elle était à même de briser les esprits.
Une faille. Elle en resta paralysée par la peur. Muette de terreur. Tous les souvenirs de l’Achéron revenaient la hanter en cet instant. Et ces voix…

---

Cassandra savait, sans jamais en avoir vu une, ce qu’était cette chose. Elle en détourna instantanément les yeux, mais cela ne l’empêcha pas d’entre les voix des démons qui en sortaient. Autour d’elle, beaucoup de marins eurent la sagesse de détourner le regard. Par peur. Par gêne. Par tristesse. De cette faille émanaient toutes les raisons du monde pour laquelle un mortel ne voudrait pas regarder quelque chose. Mais surtout parce que tous contemplaient quelque chose qu’ils ne comprenaient pas. Pour ceux qui furent assez braves pour la regarder, elle savait que leur vision du monde en serait changée à jamais. S’ils ne devenaient pas fous dans l’instant. Une poignée d’esprits trop faibles pour soutenir cette vision le devinrent d’ailleurs. Voyant que Djanela semblait s’ajouter à eux, restant pétrifiée de peur, elle comprit qu’il était de son devoir de faire prendre des mesures. Elle se précipita vers Théoden, qui semblait fasciné par la faille.
Non, il n’était pas question qu’il s’échappe dans ce gouffre irréel. Il fallait le rappeler à ses devoirs. Rester concentré.

« Commodore ! lui dit-elle en le secouant un peu. Il faut ordonner à tout le monde de descendre dans la cale, de s’y enfermer, et de ne contempler ce spectacle sous aucun prétexte ! »

Théoden la regarda un instant puis opina du chef. Rappelé à ses responsabilités, comme prévu, il dépêcha la moitié de ses gardes pour faire passer l’ordre de fermer les écoutilles et de faire rentrer tous les hommes dans la mature.

« Il nous faut fermer cette faille, dit-il. Cassandra, rentrez, je m’en chargerai avec mes meilleurs hommes.
-Je devrais vous accompagner, dit-elle, mais je crains de ne pas le vouloir. »

En fait de « vouloir », ce n’était pas par choix qu’elle ne voulait pas l’accompagner. C’était sa volonté même qui était altérée par cette chose, et elle le sût à l’instant où ces mots franchirent sa bouche.

« Cela tombe bien, dit-il. J’ai besoin de vous pour surveiller cette épave et de vous assurer que rien d’autre n’en sorte qui puisse nous nuire. Vous serez les yeux de cette expédition en mon absence ! »

L’élue déglutit en comprenant qu’elle devrait rester en vue de cette monstruosité, mais accepta. Elle regarda le capitaine partir, avec le gros de ses fusiliers, et quelques teikokujins. A côté d’elle, Djanela reprenait peu à peu ses esprits. Pour ce faire, elle s’était affalée contre le bastingage, dos à la faille, pour ne plus la voir. Cassandra la plaignait. Elle la savait replongée au plus profond de ses peurs. En bas, dans la cale, Johei devait déjà travailler très dur auprès des marins qui avaient vu la faille. Nul doute qu’elle avait matière à mourir à la tâche si elle souhaitait aller jusqu’à une complète guérison. Et de plus, Cassandra savait que Djanela, à elle seule, serait désormais un travail de plusieurs jours. Comme quand elle était revenue de l’Achéron.

---

Des claquements de doigts devant son visage ne semblèrent pas la ramener. Telthis jura. La capitaine Eve Brooks ne pouvait pas détacher son regard de la faille. Mauvais pour elle. Sans attendre plus de réaction de sa part, il rugit des ordres, de se cacher dans la cale. Il allait aider à s’occuper de cette chose, mais pour cela, il aurait besoin des fusiliers, l’élite des troupes. Il devait donc regagner le Wench. Mais avant cela, il devait organiser le repli. Il avait choisi des officiers pour l’aider à entrainer tout le monde sans avoir besoin des teikokujins. Ces cinq hommes étaient Henrique Rossi et des nordiques répondant aux noms de Natzaneï, Calypse, Shildaâm et Khesindra.
Les nordiques obéirent sans coup férir. Henrique, qui utilisait ses mains pour protéger ses yeux de cette faille comme il l’aurait fait du soleil, ce qui ne servait pas à grand-chose mais lui permettait de trouver en lui assez de volonté pour être convaincu que ça marchait réellement, et donc au final avait un impact, aurait voulu regagner le Wench pour protéger sa femme, mais Telthis parvint à l’en dissuader. Il voulut s’assurer que tout le monde soit bien à l’abri dans la cale avant de partir, c’est pourquoi quand il revint, le combat avait en vérité déjà commencé.
Les fusiliers, et Théoden, avaient de l’eau jusqu’aux genoux, et étaient à la porte de la faille, prêts à y entrer, ferraillant avec des épéistes démoniaques. Telthis jura, retira son armure puis se jeta à l’eau pour les rejoindre à la nage. Les épéistes démoniaques étaient bien moins concrets proches des failles qu’ils ne l’étaient une fois éloignés. Ce manque de concrétude augmentait leurs pouvoirs, et à n’en pas douter, les fusiliers et les samouraïs qui les affrontaient avaient déjà dû s’en rendre compte, et pour certains en faire les frais. Heureusement pour eux, beaucoup de démons avaient été fauchés par les tirs durant le bombardement, ce qui équilibra le combat en leur faveur. Car si ces bêtes continuaient à vivre, leurs assauts étaient plus maladroits.
En revanche, on n’attaquait pas simplement une faille en forçant son passage à l’intérieur. Il fallait faire preuve de malice, Telthis le savait. Djanela avait eu de la chance lors de sa première faille, parce que les démons, ne voyant que deux mortelles, avaient préféré le jeu à l’affrontement direct. Tout en nageant, il réfléchissait à la façon dont les démons réagiraient en voyant une centaine de mortels aux portes d’une faille. Les considéreraient-ils comme dangereux ou non pour la faille ? Et même s’ils le faisaient, décideraient-ils de jouer ou de combattre ? Les réponses à ces questions étaient d’une importance capitale. Car si les démons estimaient que le combat était nécessaire, alors ils enverraient des renforts.
Le propre d’une faille, après tout, c’était d’être un portail ouvert.

---

Samada trancha le cou d’un épéiste infernal, sa lame bénite le renvoyant d’où il venait. Le plan de tirer sur les démons à distance avait montré une efficacité faible. Les démons debout avaient pensé à se mettre à couvert et à utiliser les corps remuant de leurs camarades fauchés par les tirs pour se protéger, comme des remparts de chair. Il avait donc fallu tirer les épées, défi qui avait été plus au goût des épéistes.
Très vite, lui et les fusiliers alentours s’étaient rendus compte que ces épéistes étaient d’un tout autre niveau que ceux qu’ils avaient déjà affronté à deux reprises. Leurs gestes étaient … Moins précis, mais plus rapides en même temps. Moins précis parce que les démons apparaissaient comme flous. Samada avait déjà assisté à un phénomène semblable. Mais c’était lorsque la lumière d’une bougie se reflétait sur une fenêtre, par exemple. On avait l’impression de voir deux bougies au lieu d’une dans la fenêtre. Ou de la voir moins précise qu’elle n’était. C’était exactement ce phénomène qui animait les démons. De sorte qu’il était bien plus dur de prévoir leurs attaques. Quand on voyait deux adversaires là où il n’y en avait qu’un, comment savoir lequel frappait et frapper ?
Malgré cela, ils finirent par l’emporter, avec des pertes qui somme toute auraient pu être bien pire. Alors qu’il reposait son bras, Samada se fit la réflexion que s’il y avait une faille par arche damnée, alors en en coulant une, n’avaient-ils pas déplacé une faille au fond de cette mer, fût-elle morte ? Peut-être l’eau de la mer viendrait-elle alors éteindre les flammes qui, disait-on, brûlaient en enfer ?
C’est alors qu’ils sortirent.

---

Telthis n’était plus très loin quand il les vit. Visiblement, les démons avaient identifié cette troupe comme un danger. De nombreux démons sortaient à présent de la faille pour prendre leur incarnation dans le monde réel. C’était un cauchemar qui sortait de cette irréalité. Une légion d’être blasphématoires à l’ordre du monde, de créatures authentiquement et purement démoniaques, d’incarnations et d’abominations, était en train de franchir le portail. Telthis arriva à cet instant. Le combat se fit alors acharné, car les rapports de force étaient en train de changer.

« Le capitaine ? Où est le capitaine Théoden ? demanda-t-il en ferraillant avec un Grotesque qui venait de sortir. »

Un fusilier lui répondit qu’il l’avait vu bondir dans la faille juste avant que les démons n’en sortent. Seul, oui.

« Âne bâté d’humain, père de tous les bourricots, jura l’elfe. »

Aller seul jouer le héros, c’était bien le style du capitaine. Mais il ne fallait pas confondre être un héros et être un fou suicidaire. Dans une faille, seule la change déterminait la survie. Il fallait donc y entrer à plusieurs. Il vit un groupe d’une dizaine de fusiliers qui combattaient dos à dos, Tobias au centre. Il alla les trouver, et leur ordonna de le suivre, se taillant un chemin jusque vers la faille. Quatre fusiliers tombèrent avant de parvenir à cette dernière. Il n’en restait déjà que sept, dont Tobias. Avant d’y entrer, il gueula, s’adressant à ceux qui étaient restés combattre.

« REPLIEZ-VOUS ! Retournez aux navires, et organisez leurs défenses. Si nous ne sommes pas revenus dans douze heures, partez ! »

Sans attendre de voir si ses ordres étaient suivis, il bondit dans la faille. Seule la chance déterminait la survie, et c’était pour cela qu’on y entrait à plusieurs, cela, il le garda pour lui, car il ne voulait pas avouer aux fusiliers la raison pour laquelle cela se passait ainsi. Parce que dans la faille, leurs armes ne leur serviraient à rien. Dans cette faille, leur seule chance de survie était d’avoir la chance que les démons s’attaquent à leur voisin d’à côté et pas à eux. Voilà pourquoi on y entrait à plusieurs. Parce qu’on pouvait partir pendant que les autres subissaient des sorts pires que la mort. Telthis ne pouvait pas en vouloir au capitaine d’ignorer cela. En revanche, il lui en voulait de ne pas avoir envisagé un tel scénario.
A l’instant où ils y mirent les pieds, les démons derrière eux, la mer morte, les navires, le combat, tout s’évanouit. Si les humains s’attendaient à entrer dans une mer de feu, ils furent déçus. En fait de mer de feu, ils marchaient dans un endroit incroyablement silencieux. Des reflets d’eux, partout. Ils étaient un monde de miroirs.  Parfois, ils se heurtaient auxdits miroirs, parfois ils les traversaient. Même leurs pas étaient silencieux, et résonnaient pas. Puis la première attaque eu lieu.
Un fusilier voulait toucher un de ses reflets pour tenter de le traverser, comme ils le faisaient parfois. Au moment où il s’apprêtait à le toucher, le reflet se déforma brusquement, pour passer de l’humain à un amas inidentifiable de chairs, qui le saisit et l’emporta. Pas un cri. Même pas de surprise.

« Il est mort, dit Telthis, sans rien ajouter de plus, et continuant sa route. »

Comme pour confirmer ses dires, le miroir se mit à saigner. Puis ce fut le chaos. Des visions s’imposèrent à tous les braves humains qui le suivaient. Les démons dansaient autour d’eux, leur faisant voir des choses, leur enseignant leurs mensonges et la version du monde qu’ils disaient la vraie. Telthis savait qu’à ce moment précis, c’était là qu’ils devaient faire preuve de chance.

« Courrez ! dit-il. »

Il s’enfonça en courant plus profondément dans la faille. Déjà, deux fusiliers supplémentaires sur les sept manquèrent à l’appel. Il ne se retourna pas pour voir ce qu’il advenait d’eux. Il avait plus peur pour sa propre vie, mais aussi pour ceux qui l’accompagnaient. A sa droite, il entendit Tobias s’arrêter et se mettre à parler.

« Salea ? demanda-t-il. »

Sans faire un commentaire, Telthis le saisit par le bras et le força à courir. Il n’était pas question de perdre un mousquetaire aussi stupidement que ça. Mais Tobias, tout en courant, continuait à discuter avec Salea, avec une voix horrifiée. Il semblait que la prêtresse découvrait la souffrance et le plaisir à la fois dans ces abysses, et qu’elle voulait qu’il le rejoigne. Tobias avait encore assez de conscience pour être horrifié par cette vision. C’était déjà ça. C’était une manière de résister.
C’est à cet instant qu’ils virent le cœur de la faille. Simple cœur, flottant au milieu du vide, et le capitaine Théoden qui l’approchait. Mais qui ne survivrait pas à son approche. Des démons l’encerclaient, le caressaient et le griffaient, le tirant loin du cœur. Théoden semblait perdu, parlant à une vision. Arrivant à cet endroit, Telthis le saisit par le bras. Les démons attaquèrent alors le groupe entier. Le capitaine eut de la chance, ils le laissèrent en paix. Trop longuement.
On ne laissait pas Telthis et Théoden en paix trop longuement. Lorsque la faille fut dissipée, Telthis regarda derrière lui. Le soleil se couchait sur le monde réel, lui qui était encore haut dans le ciel quand ils étaient entrés dans la faille. Les navires étaient toujours là, ils n’étaient pas partis. Derrière lui, seuls trois fusiliers étaient encore là sur les sept qui étaient entrés. Dont Tobias, qui même l’illusion dissipait, parlait dans le vide à Salea. Il se remettrait, ou pas. On verrait cela plus tard. Un autre fusilier semblait à peu près maitre de lui-même, ce qui était miraculeux. Par contre, il était pâle comme la mort et avait le visage d’un homme qui ne serait plus jamais le même. Le troisième, pour le coup, semblait totalement avoir perdu la raison et rampait au sol, murmurant des mots incompréhensibles. Telthis préféra l’achever.

« Capitaine, dit Telthis en nettoyant son épée. La prochaine fois, ne faites pas ça. Nous avons eu trop de chance pour qu’il soit acceptable de continuer à compter dessus. Beaucoup trop. »
Lun 26 Déc 2016 - 0:35
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Capitaine Theoden
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Pour l'entièreté de l'équipage, le traumatisme de la découverte de cette faille fut un épisode difficile à digérer. Peu avaient eu le malheur de poser leurs yeux dessus à bord du Blacksmith, grâce à la rapide intervention de Telthis. Mais à bord du Wench, qui était lui directement au contact avec l'ennemi, beaucoup furent retourné par cette faille. Ce parfait illogisme, dans leur conception du monde.
Quelque chose qui défiait leur façon même d'exister, en des milliers de manières qu'ils ne sauraient exprimer. Cassandra sauva beaucoup de monde ce jour là, en ordonnant que l'équipage soit enfermée dans la cale du navire. De fait, si une bonne partie des marins étaient aux sabords à recharger leurs pièces, il s'en trouvait au moins le double dans la mâture, en train d'achever de mettre le navire en panne.
Ils abandonnèrent tout, sur l'ordre de l'élue et se réfugièrent sous le pont.
Mais tout le monde ne fut pas épargné, loin de là. A commencer par une bonne partie des Officiers du bord. Enseignes, Lieutenants, Quartiers Maîtres... Il ne fut que Treville et Hewlett pour maintenir un semblant d'ordre, tant bien que mal. Et surtout apporter l'aide dont avait besoin le Commodore, alors qu'il abordait avec les meilleurs de ses hommes cette carcasse damnée pour réduire au silence éternel l'injure à la nature qui s'y était installée.

Comme pour tout abordage, mené avec un minimum de savoir faire, le combat débuta avec un net avantage pour les Odysséens. Formant des lignes de feu dès la descente du Wench, ils parvinrent à faucher une première vague de leurs adversaires sans verser une seule goutte de sueur.
Autant dire que lorsque la mêlée éclata, leur excès de suffisance fut gratifiée d'un acide revers du sort. Même avec l'appuie du Commodore, et de ses mousquetaires, il fut difficile pour les hommes de l'Odyssée de maintenir leurs positions sans de sévères pertes. Sévères, non parce que beaucoup tombaient. Mais parce que ceux qui y passaient étaient d'excellentes lames, et qu'il serait difficile de les remplacer. Impossible, même vu les circonstances !
Les rangs s'éparpillèrent peu à peu. A cause de la proximité de la faille, il semblait que ces démons se dédoublaient. A vrai dire, dans la rage de la bataille personne ne s'encombra de ce genre de questions. A la faveur de leur nombre, les fusiliers s'entraidaient, se regroupaient et abattaient un à un leurs adversaires. Si un soldat frappait la mauvaise silhouette, entre les deux qui le menaçait, c'était au moins avec la conviction qu'il y aurait un homme derrière lui pour abattre la seconde. C'était ainsi qu'ils combattaient. Tous, comme des frères.
Autours des mousquetaires, tout le monde tint bon. Et ce fut toujours le cas lorsque Telthis arriva. Mais bien vite, Théoden se trouva seul en pointe. Ferraillant avec ardeur, sa vague enchantée luisant comme rarement, le Commodore avait finit par se trouver projeté en un endroit qu'il ne connaissait pas. Avant même qu'il ne réagisse, l'ennemi qu'il pourfendait disparaissait devant lui, et il se trouva -comprit-il- de l'autre côté du portail.

Le reste de la bataille fut un chaos sans nom. Après coup, Théoden apprit qu'il s'était engouffré dans la faille au moment où une contre-attaque violente avait eu lieu. Il comprit que l'intervention de Telthis le sauva des enfers. Mais que ce fut au prix de sacrifices lourds.

Ils furent quatre à ressortir de cette infernale faille, avant qu'elle ne collapse et disparaisse pour de bon. Telthis, bien sûr, Tobias, un brave homme du nom d'Henry et Théoden. Tous les quatre avaient accumulé un nombre affolant de blessures aux tailles diverses et variées. Théoden en tête, compte tenu du fait qu'il fut le premier à plonger dans les enfers. A l'image de ses hommes, ses vêtements étaient en lambeau. Et son sang en coulait par filets entiers, rouge vif. Ce n'est que lorsqu'il toussa une épaisse gerbe de sang, qui vint se dissiper dans l'eau à ses genoux que Théoden réalisa la vive douleur qui le prenait aux tibias et aux pieds. L'eau était salée et ravivait la moindre de ses douloureuses coupures.
Cramponné à l'épaule de Telthis, qui le soutint jusqu'à ce qu'ils soient sortis de la faille, le Commodore reprit son souffle. Ainsi que tous ses hommes. Il souffrait, énormément. De même que Henry qui avait pratiquement perdu un bras et probablement Telthis, qui taisait sans aucun doute sa souffrance. Il ne lui en voulait guère, il aurait voulu être aussi brave. Mais ainsi charcuté, c'était à peine si il parvenait encore à tenir sa rapière.
Le sort le plus malheureux fut celui de Tobias. Pour une raison que Théoden ignorait, il le vit s'effondrer dans l'eau en hurlant et tenter de se jetter en arrière. Il n'eut guère le temps de réagir, comme Telthis le tirait vers une partie plus élevée du pont.

Alors qu'ils posaient le pieds sur une partie presque intacte du pont, Théoden réalisa ce qu'il s'était passé. Il se rappela les corps qu'il avait dû enjamber dans la faille, et le sang qui jaillissaient de ses hommes, éventrés par les démons. Malgré le sang, les larmes et la sueur, malgré sa fatigue et la douleur, il trouva la force de se dégager de la prise de l'Elfe, qui le laissa faire sans un brin de surprise.

"-AVEZ-VOUS DONC PERDU L'ESPRIT ?!" tonna-t-il, en chancelant à quelques pas de son sauveur. Ainsi défait, Théoden avait l'allure d'un dément. Les hommes qui le voyaient ne savaient pas encore que ce n'était là que le visage d'un rescapé de plus. D'un miraculé.
Telthis semblait toujours habité par cette force immuable. Ce calme froid qui retint sa voix et la retreint à la plus stricte rigueur.

"-Moins que vous on dirait.

-IL ETAIT HORS DE QUESTION DE VOUS RISQUER LA BAS !"

Ca n'avait pas été un hasard si Telthis n'avait pas été rappatrié du Blacksmith avant l'engagement avec l'arche démoniaque. Ca avait encore moins été un hasard si Théoden n'avait prit aucun homme avec lui. Théoden, fatigué de perdre des hommes avait eu l'espoir d'épargner un sacrifice supplémentaire à son équipage. Quitte à y perdre la vie. Si Telthis restait, il pouvait s'en aller.

"-Et vous alors ?

-Il n'était pas question de perdre qui que ce soit là bas ! Combien de ces hommes avez vous emmenés avec vous ?!

-Suffisament pour vous sauver la vie et nous assurer la victoire.

-REPONDEZ-MOI CAPITAINE !"

Théoden râlait, à bout de souffle. Il continuait de perdre du sang, à travers les restes de ses vêtements. Derrière eux, des infirmiers et des soldats sautaient du Wench pour porter secours à leurs camarades. Les empêcher de céder aux bouffées de désespoir qui les prenaient. C'était un spectacle terrifiant pour tout le monde. Ils portaient désormais en eux le souvenir de cette défaillance du monde. Ils avaient cette tâche au fond du coeur qui luisaient dans leur regard. Dans leurs yeux qui hurlaient à la mort à chaque instant.

"-Quand vous serez calmé.

-Je vous interdit de me donner des ordres ! REPONDEZ MOI POUR L'AMOUR DU CIEL !"

Théoden avait levé sa rapière, peut être plus vite qu'il ne l'aurait voulu. Son geste avait été maladroit, mais Telthis s'était évité ce coup malheureux en reculant d'un pas.

"-Je n'ai pas à obéir à vos ordres quand vous n'êtes pas maitre de vous-même."

Théoden s'appuya sur ses genoux, un instant. Il se sentait de moins en moins bien. Et les bouffées de chaleurs qui le prenaient, sous le coup de la colère et de la frustration lui faisaient peu à peu perdre pied.

"-CE N'EST...Ce n'est...CE N'EST PAS A VOUS DE...De..d'en dé...déci...

-A qui alors ? A vous peut-être ?"

Une gerbe de sang répondit à Telthis. Elle le surprit lui autant que Théoden, qui porta sans attendre ses mains à son cou. Son sang, il se mit presque à le vomir à flots entiers. Les yeux écarquillés, il regarda un instant son propre corps, qui chancelait puis Telthis. Il ne décolérait pas, mais de toute évidence il en avait reçu assez pour se trouver hors de combat.
Ses genoux ployèrent, et il tomba sur le pont avec grand fracas. L'inconscience le gagna avant qu'il n'ait eu le temps de s'étouffer dans son sang.



~o~


Pour quelqu'un d'inconscient, il est assez difficile de faire la part entre le rêve, la réalité, et un effondrement complet du monde qui nous entoure. Comment sentir le moment où son propre rêve nous échappe, pour laisser place à quelque chose d'autre. Quelque chose de différent, venu d'ailleurs. En l'occurrence, pour Théoden, cette frontière fut passée lorsque son corps brisé sombra dans un océan de froid et d'obscurité. Mais ce froid là, il le connaissait. D'ailleurs, il avait apprit à l'aimer, autant qu'à le craindre. Même dans le noir, debout dans un nuage de son propre sang, il ne paniquait pas. Mais il se questionnait.
Puis, levant les yeux il aperçu une lueur, chancelante et faible. Mais elle était douce, elle l'apaisait. Au fond de cette eau qui ne l'étouffait pas, il oublia peu à peu la souffrance de son corps et admira. Il revit alors, à force de tours et de détours la silhouette brisée de son navire. Le Wench qui s'obstinait à apparaître, posé là. C'était un signe. Un signe qu'il comprit de suite, et le poussa à se laisser tomber à genoux.

"-Ma...Ma reine !"

Sa voix, il la retrouvait peu à peu, sous la quiétude de cette lueur argentée. Ses rayons l'éclairaient. En leur coeur se trouvait une silhouette. Elle était posée là, dressée avec élégance au dessus du vaisseau de Théoden. Ariel, la déesse des océans.
Il la revoyait enfin, après plus de deux tours de silence. Impossible de l'oublier, cette chevelure noir de jaie, ondulant dans l'eau. Cette robe aux manches longues, entrelacée d'argent. Et son regard...saisissant.
Comme cette fois, lorsqu'il trépassa en Ram, Théoden n'osa pas l'affronter. Comme alors, il garda la tête basse, incapable d'ignorer le sort qui l'attendait si il offusquait sa dangereuse maîtresse, et son escorte de redoutables sirènes.
Sa voix s'éleva, d'ailleurs. Il en frémit, sans trop savoir pourquoi. Elle le terrifiait, mais sa présence était d'un réconfort surprenant. Même si il avait oublié la source de son mal-être, en cet instant bénit.

"-Tu commences à avoir une véritable idée de la nature de ces terres, je crois."

Ca oui, il le réalisait. Avec ces mots, elle lui rendit ses souvenirs, restés coincés loin de là, avec son corps et ses songes malheureux. Malheureux, il le fut. Les souvenirs de ces presques 400 âmes gaspillées saisirent son coeur. Il manqua de sangloter, mais il ne fallait pas sembler faible. Pas devant elle.

"-Pourquoi, pourquoi me punir ainsi ?" questionne-t-il.


Théoden releva la tête, prenant garde à ne pas hausser le ton. Ses moyens retrouvés, peu à peu, il ressentit le besoin de savoir. L'avait-elle vraiment damné ?

"-Vous ais-je déçu à ce point, pour que vous décidiez de m'envoyer dans cet enfer ?"

Elle en sembla surprise. Enfin... pour peu qu'un Homme puisse prétendre décrypter les sentiments d'une déesse. Mais il est vrai que sa question, Théoden le sentit, laissa un instant sa Reine surprise. Ou à défaut, interloquée.

"-Une punition ? Mais pas du tout.

-A....Alors... Pourquoi ?"

Lentement, Théoden s'autorise à reprendre un peu de hauteur, redressant son torse. Il demeure à genoux, exténué.

"-Ce n'est pas évident ?"

Théoden baisse un instant les yeux, le temps de réfléchir.

"-C...Ces arches...Mais je ne pourrais jamais toutes les purifier ma Reine !

-Ce n'est pas possible pour un mortel, non. Mais peut-être y a-t-il une autre raison. Serais-je venue trop tôt ? En tous les cas, tu as déjà la plupart des cartes nécessaires pour la comprendre. Réfléchis encore un peu."

Ce n'est pas possible pour un mortel. En y songeant, Théoden réalisa l'horreur de sa situation. Incapable de se cacher, dans cet océan démoniaque, il ne pourrait éliminer tous ses adversaires, si il devait croiser la route d'une flotte de ces démons.
Mais c'était un autre débat, pour un autre temps. En y songeant un peu plus, il se rappela de cette Dani Rinma.

"-Je...Je... serait-ce cette prêtresse ? Dani Rinma ?"

Il regarde sa main droite et serre le poings. Ce monstre qui a poussé son père à la ruine.

"-Vous voudriez que je l'élimine ?

-Si tu pouvais le faire, j'en serais personnellement heureuse. Mais ce n'est pas ça.

-Je le ferais, si je savais où la trouver sur ces terres maudites."

Il finit par se relever, maladroitement.

"-Je ne vois que...Sildael la Radieuse ?

-Non. Je vois qu'il est bien trop tôt. D'autres cartes te seront données, et je reviendrai alors."

Théoden laisse un soupire lui échapper. En règle général, la fierté lui dicte de ne jamais passer pour un ignorant. Devant ses hommes, devant ses amis, devant ses Seigneurs. Mais là, il se trouvait en défaut devant sa Reine. Une position plus que désagréable, d'autant qu'elle le ramenait à ce qu'il était : un simple Homme, à la tête d'une expédition de plus en plus mal. Et il désespérait, face à tout ce qu'il avait encore à apprendre.

"-Vous reviendrez... si il reste toujours quelqu'un à qui apparaître oui."

Ce dont il était de moins en moins persuadé. Contrairement à elle, apparemment !

"-Je n'en doute pas. Oh ! Une dernière chose, si tu parviens à capturer cette prêtresse vivante, ne l'exécute pas avant que je ne sois passée."

~o~

Etablir un campement fut une tâche difficile pour les officiers encore debout après la bataille. Sans Théoden, Telthis à l'infirmerie, Eve hors jeu, ce fut le Capitaine de Treville qui dû prendre la suite des opérations en charge. Devant l'urgence de la situation, il eut comme un déclic. Un remarquable sursaut qui lui permit de remobiliser les forces dont il disposait. Alors tandis que l'on soignait les blessés, et que l'on prenait soin des traumatisés, il mena peu à peu le Wench jusqu'à la terre, et organisa la récupération du Smith.

La crique dans laquelle ils avaient atterrit était une large plage, taillée dans une roche noire. Elle avait pour seul véritable avantage d'être relativement abritée de l'océan, et de dissimuler ce qui s'y trouvait. En outre, le vent n'y entrait pas, ce qui permettrait aux hommes de se réchauffer sans mal. Et de pouvoir discuter sans que leurs voix ne soient portées au loin.
Ironiquement, les hommes bâptisèrent l'endroit "Heavens Bay". Treville devait leur accorder que le souffle qu'ils pourraient reprendre ici avait des airs de vacance, comparé aux trois dernières lunes.
Au delà des falaises environnantes, il n'était pas encore possible de savoir ce qu'il se trouvait. D'ailleurs, Hewlett et Treville se gardèrent bien de poser la question.
Ils furent alors heureux d'avoir le soutiens du brave Samada. Et de Cassandra. Tous deux furent les premiers à se porter volontaires, et partirent étudier ces hautes façades rocheuses, en quêtes de failles et d'ouvertures vers l'extérieur. Peut-être Cassandra ressentait-elle le besoin de rattraper sa relative impuissance, lors du dernier combat. Peut-être Samada préférait-il s'éloigner, plutôt que d'assister au délitement de plus en plus important de l'équipage qu'il côtoyait depuis bientôt plus d'un tour.
Délitement, c'était le mot. Il suffisait de voir le chaos régnant sur le pont du Wicked Wench pour le comprendre. Les blessés qui hurlaient, jusque dans les ponts inférieurs. Les traumatisés qui se débattaient et que l'on devait désarmer d'urgence pour éviter quelques catastrophes.
Parmi eux se trouvait le malheureux Tobias, que le destin semblait décidément tirer toujours plus bas. A peine revenu à bord, il avait fallut à ses deux compagnons mousquetaires bien des efforts pour lui arracher son arme et le maîtriser. Non sans verser à leur tour un peu de sang.
De fait, le pauvre homme était persuadé d'avoir aperçu sa tendre Salea, par delà les flots de sang et les corps décharnés qui avaient tenté de lui ôter sa vie et son âme.
Pire encore, il avait la conviction d'avoir moyen de la sauver de son horrible destin. De son éternité de dévoiement et de souffrance, dans les mains des démons.
A vrai dire, ce spectacle avait soulevé les coeurs de beaucoup de ses compagnons. La peine se lisait sur leurs faces, alors qu'ils tentaient de le raisonner.
Mais même Brujon, le lutteur du trio peinait à retenir son camarade, qui se débattait à s'en arracher des membres et qui saignait toujours plus. Maxwell s'était accroupi devant lui, et parlait, en tentant de capter son regard fuyant. En vain.

Au même moment, un peu plus loin, Johei achevait d'apaiser un autre homme. Elle ne faisait encore que du travail de surface, elle le savait. Mais il fallait calmer toutes ces âmes, avant que la panique ne s'empare de leurs amis. Elle apportait donc réconfort, et repos à tous ceux qu'elle pouvait approcher. Autours d'elle, les prêtresses s'affairaient également, comme elles pouvaient. Vite rejointes par leurs camarades du Blacksmith.
Passant entre deux infirmiers, la Teikokujin finit par apercevoir la lutte désespérée que livrent les deux mousquetaires et décide de leur porter secours. Elle le fit avec la résolution de ne pas se reposer tant que ces soldats n'auraient pas trouvé un minimum de quiétude.
Elle arriva au moment où Maxwell abandonnait, dans un soupire malheureux. Il ne trouvait plus les mots pour son ami, qui hurlait comme un dément.
Johei prit sa place sans tarder, et rassembla toute l'énergie qui lui restait pour tenter d'être la plus bienveillante. La plus radieuse.

"-Tobias, la faille a été refermée, vous ne pouvez de toute façon pas y retourner."

Le mousquetaire secoua la tête, vivement. Il refusait d'entendre ça.

"-Elle était là ! I...Il doit bien y avoir...il doit bien y avoir d'autres failles !

-Il y en a certainement d'autres, mais cela ne pouvait pas être elle, vous avez vu son cadavre aussi bien que nous autres dans l'Achéron.

-C...Ca aurait pu être quelqu'un d'autre ! O...On... mais les voix...et et elle me connaissait !

-Tobias, écoutez-moi. Les démons peuvent agir directement sur les âmes. Ils sont certainement capables de contrefaire celle de Salea. C'est un piège qu'ils vous tendent."

Tobias, pour l'instant sourd à ce que lui dit Johei finit par parvenir à expédier un violent coup de tête à Brujon, qui le tenait et bondit en avant, vers le bastingage. Il est arrêté par deux gardes, puis trois et on l'assomme, pour éviter de le voir quitter le navire. Johei assista à la scène parfaitement impuissante, et dû s'avouer vaincue pour une fois. Alors tandis qu'on emmenait le mousquetaire inerte à l'infirmerie, pour qu'il se repose, la Teikokujin pu s'en retourner vers un autre patient.

Très peu des blessés purent être transferé à terre, alors que l'on établissait un nouveau campement. Quitter les intérieurs étroits des bâtiments fut pour l'équipage un regain de confort bienvenu. Même si cela voulait dire emménager dans des tentes rudimentaires.
Treville veilla fort bien à l'installation de tout ce beau monde. A l'aide des forces préservées par Telthis à bord du Blacksmith, il pu organiser des patrouilles régulières autours du camp, afin de s'assurer qu'aucune force ne tentait de les prendre à revers.
En outre, Telthis lui même semblait s'avouer soulagé de voir le Capitaine humain prendre charge de l'organisation, le temps de se remettre de ce qui avait été une véritable plongée en enfer.
Pour sa part, Théoden resta longtemps inconscient. Jusqu'au lendemain où Ariel le libéra de ses songes tumultueux. Il avait été soigné sans tarder, mais la fatigue l'avait contraint au lit. Trop faible. Mais lorsqu'il reparu sur le pont, c'était avec un air relativement frais -malgré les bandages- et un léger boitement.
Au lendemain, le Blacksmith avait été placé à l'entrée de la crique, enharnaché à des canots afin de pouvoir le déplacer. Il restait aux aguets, en cas d'assaut surprise sur Heavens Bay.
Le Wench, plus proche des côtes, se déchargeait peu à peu de ses hommes et de ses ressources. Sur le modèle du campement de Demon Cove, des centaines de petites tentes avaient déjà fleuri sur la roche. Avec, des petits feux et même un peu de musique réchauffèrent les coeurs des marins. Seuls à l'autre bout du monde.
Malheureusement, Théoden se trouva poings lié. A terre, il aurait fallu pousser d'avantage les missions de reconnaissance, afin de s'assurer qu'aucune force ennemie ne les menaçait. Mais la plupart des officiers, et sous officiers de l'Odyssée -Eve Brooke en tête- avait été mis hors combat par l'apparition impromptue de la faille.
Faute de support, Théoden fut forcé d'attendre leur rétablissement, impuissant.
Mer 28 Déc 2016 - 13:36
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Dargor
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Le Maitre de l'Intrigue
Dargor
La neige tomba ce soir-là. Le froid qui avait gelé auparavant la mer autour des deux navires avait fini par les rattraper, et s’installa sur le campement deux jours après leur arrivée. Le vent glacé du nord n’arrangeait pas les affaires de l’expédition, qui léchait encore les plaies laissées par la précédente bataille, contre la faille. Ces plaies étaient laissées tant sur le plan de l’esprit que du corps, pour ceux qui avaient combattu comme ceux qui avaient contemplé de leurs yeux l’objet de leur tourment. Et maintenant, ils devaient affronter un froid mordant. Dès qu’ils étaient inactifs, les hommes se regroupaient autour de sources de chaleurs, parfois collés les uns aux autres pour la maintenir plus efficacement.
Des expéditions étaient déjà parties du camp pour en explorer les environs ? C’est dans ce contexte qu’il fut déterminé qu’elles devaient s’intensifier. Les vivres allaient devenir un problème sur tous les plans si l’on n’y faisait pas attention. Et tout demi-tour semblait définitivement inenvisageable. Après tout, la mer morte, même dans son silence, gelait également, immobilisant les deux navires. La nuit, un blizzard épais tombait sur le camp, rendant tout voyage d’un navire ou l’autre, ou d’un navire à la berge, presque suicidaire : le risque de se perdre était tout simplement trop grand. Et dans ce froid, cela n’aurait pas pardonné.
Décision fut donc prise par le commodore de partir avant d’être totalement remis de ses blessures comme de ses émotions. Le moral descendait de façon assez dramatique pour qu’il soit obligé de mener par l’exemple. Bien sûr, il ne s’agissait pas de soigner les malheureux qui étaient devenus effrayés, sans espoirs, paranoïaques, ou pire encore, suite à la vue de la faille. Mais ceux-là restaient une minorité, et Johei s’occupait d’eux. Il s’agissait de tous les autres.

Les rapports des premières expéditions ayant eu lieu faisaient état d’une région vallonnée, accidentée. Ils n’étaient pas allés bien loin, mais d’après ce que l’on savait, et c’était là une chose bien étrange, cette région vallonnée, presque montagneuse, était constituée d’un marécage bourbeux. L’expédition du capitaine pu espérer, au vu du froid, pouvoir marcher sur ce dernier en ayant juste à se méfier d’une glace fine. Ce ne fut pas le cas. Si la mer avait gelé, l’eau douce du marécage vallonné restait à l’état liquide. Elle était même à une température proche des marais que l’on pouvait trouver dans la Jungle du vieux continent. C’est du moins la comparaison qui leur vint à l’esprit.

« Géographiquement, cette région est aberrante, déclara Telthis au bout de deux jours de marche. Nous avons pu l’observer par le passé, mais de façon succincte, les démons n’ayant jamais réussi à se maintenir assez longtemps. Les mages elfiques pensaient que les énergies démoniaques affectant parfois la texture même du monde créent ces régions où la géographie n’a aucun sens. La leçon qu’il y a à en tirer, c’est que nous sommes définitivement sur le territoire des démons. Et qu’ils ne se priveront pas de nous le rappeler… »

A l’instant où ces derniers morts franchirent sa bouche, ils constatèrent que des formes étranges émergeaient de l’eau. Des guerriers, du moins les squelettes qu’il en restait, dressés, debout, dans leur position de bataille. Ces cadavres avaient quelque chose d’horrible dans la mesure où il semblait que tous ces soldats avaient été immobilisés sur place en plein cours d’une bataille et étaient morts ainsi, puis que le marais s’était développé autour d’eux. Plusieurs marins commencèrent à les examiner.

« Commodore Théoden, demanda Telthis, ces cadavres me semblent humains. N’aviez-vous pas affirmé que les gens que vous avez vu vivre étaient proches de la bête autant que de l’Homme ? Commodore ? »

Le commodore ne répondait pas. Il avait posé la main sur un artefact qu’un guerrier portait comme un gri-gri. Et il semblait comme … Absorbé.

---

Du jour où Sildael la Radieuse et ses elfes débarquèrent, le monde fut changé pour les hommes-bêtes. Des êtres si élégants venus d’au-delà des mers déclenchèrent parmi eux un débat. Eux qui vénéraient la beauté étaient-ils si éloignés de l’élégance vraie que présentaient les elfes ? Mais d’un autre côté, quand on leur en parlait, les elfes, et notamment Sildael, tentaient d’expliquer que la conception de la beauté était subjective et que les hommes-bêtes ne devaient pas vivre dans la crainte de ne pas avoir l’élégance vraie des elfes.
Messire Perce-Cuir, un ours qui dirigeait une cité, n’était pas de cet avis-là. Après tout, n’avait-il pas érigé une statue en l’honneur de dame goupil, une renarde dont il vénérait plus que tout la beauté ? Si la beauté était chose subjective, arguait-il, pourquoi pouvait-il trouver une renarde belle, lui qui était assimilé à l’ours ?
Les elfes tentaient de calmer ce débat qui régnait parmi les hommes-bêtes, tout en cherchant de leur côté à apprendre de ce peuple, et à dispenser leur propre savoir. Aux hommes-bêtes fut fait don de la magie par les elfes, tandis qu’aux elfes fut fait don de maintes formes d’art et de beauté, qui remplirent d’étoiles les yeux des elfes, pourtant habitués à l’élégance et à la perfection.
Car les elfes étaient un beau peuple. Chez certains hommes-bêtes, cela tournait à une véritable obsession. A l’inverse, chez d’autres, dont le seigneur Natai d’Avalon, le lynx, cela voulait simplement dire que les hommes-bêtes étaient plus élégants, plus beaux que les elfes ne le seraient jamais. Et qu’au contraire, c’était eux qui devaient mener ces êtres à la peau blanche vierge de tout pelage vers une nouvelle conception du monde.
Quant aux elfes, encore et toujours, ils essayaient de montrer aux deux camps que ce débat n’avait pas lieu d’être. Mais ce débat s’envenimait, à mesure que passaient les tours, et que les saisons se succédaient les unes aux autres. De simple discussion, il devint dispute. De dispute, il devint querelle. Les elfes avaient désormais des adorateurs d’un côté, et des gens qui les haïssaient profondément de l’autre. Les adorateurs voulaient être leurs semblables, voulaient devenir des elfes. Ceux-là étaient menés par Messire Perce-Cuir. Les ennemis souhaitaient que les elfes acceptent leur infériorité, voire carrément les traiter en ce qu’ils étaient. Des êtres inférieurs. Ceux-là étaient menés pas le Seigneur Natai d’Avalon.
Et au milieu, les elfes essayaient désormais de réparer les dégâts qu’ils savaient avoir causé à ces pays dont ils avaient troublé l’harmonie. Tout n’était pas parfait avant leur arrivée, bien sûr. Mais pour autant, une telle discorde n’avait jamais eu lieu de mémoire d’hommes-bêtes.

« Une discorde stupide, tentait d’expliquer Sildael la Radieuse à Messire Perce-Cuir. Mais que nous avons déclenchée. Je vous en supplie, acceptez de rencontrer le Seigneur Natai d’Avalon. A nous trois, nous saurons trouver une issue à cette crise monstrueuse. Je regrette déjà d’être venue ici. Laissez-moi au moins réparer les torts de mon peuple. »

Ce qu’elle ignorait, c’est que les lynx d’Avalon, de leur côté, donnaient au même instant une chasse à l’elfe depuis la porte de leur cité. Ceux de la délégation elfique qui avaient été envoyés à Avalon, cité blanche aux sept murs immaculés, située au cœur des montagnes proches de la mer intérieure, durent courir pour leur vie, au beau milieu d’un hiver qui tapissait de son blanc manteau la région. Anaël, frère de Sildael, en particulier, fut pourchassé par le Seigneur Natai et par ses sept filles. Il finit avec sept lances dans le dos, le visage dans la neige. A cette vision, des cris de « CARNAGE ! » s’élevèrent. La plus jeune des filles se tourna vers son père, et lui demanda ce que signifiait les cris de ses six sœurs. Son père lui révéla qu’il fut un temps où à la guerre, les hommes-bêtes mangeaient leurs ennemis, oubliant ce qui faisait d’eux ce qu’ils étaient. « CARNAGE ! » était le terme utilisé.
Natai eut à réfléchir de l’agissement de ses filles alors qu’elles achevaient de ronger les os de l’elfe. Se pouvait-il qu’ils en soient arrivés à un tel stade de haine qu’ils abandonnaient tout ce qui faisait leur fierté quand ils avaient affaire à leur ennemi ? D’autant plus que l’incident ne fut pas isolé. Non contents de tuer les membres de la délégation, bien d’autres lynx avaient appelés au carnage.

« LA GUERRE ! rugit Messire Perce-Cuir, quand la nouvelle fut connue. »

Sildael, affligée par la perte des siens, le suivit sur le chemin d’Avalon. Pas par vengeance, bien sûr, mais parce qu’elle ne désespérait toujours pas de trouver une issue heureuse à cet évènement. Ce que tous, Perce-Cuir, Natai et Sildael ignoraient alors, c’était que la magie enseignée par les elfes aux hommes-bêtes, même si encore peu maitrisée, n’était pas tombée dans l’oreille de sourds. Quelques hommes-bêtes plus obsédés encore par la beauté des elfes que les autres avaient conçu un plan pour avoir cette beauté. Un plan qui causerait à n’en pas douter la perte du continent dans son entier, put réaliser le commodore Théoden, en les voyant converser avec un démon, celui-là même que Telthis avait combattu ce jour-là sur la falaise.

« Je vous donnerai la beauté des elfes, dit-il en souriant. A une seule condition… Mon peuple est prisonnier, voyez-vous. Il faudrait ouvrir une immense faille pour qu’il puisse briser ses chaines. La liberté de mon peuple, contre la beauté pour le vôtre. L’accord est honnête. Nous nous contenterons des terres du Seigneur Natai, ce traitre tueur d’elfes… »

Les mages étaient-ils naïfs ? Etaient-ils rendus fous par la présence du démon ? Impossible à dire. Mais le pacte qui allait sceller le destin des terres d’Albion fut passé ce soir-là.
Sam 31 Déc 2016 - 0:11
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Capitaine Theoden
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La découverte de ces corps givrés dans la boue fut pour les membres de l'expédition un second choc, après avoir traversé ces terres étranges.
Ils étaient trente, ceux qui avaient été choisis par Telthis pour participer à ce voyage, par delà Heavens Bay. Des hommes, bien sûr, mais aussi des Teikokujins. A leur tête se trouvait non seulement Telthis et le Commodore Théoden, mais aussi Cassandra et le Mousquetaire Maxwell.
Dans ce champs de morts, où des corps étranges étaient figés, beaucoup de questions tombèrent sur le groupe, et se mirent à serpenter entre les hommes. Certains, se demandant si il ne valait pas mieux les faire brûler enfila la baïonnette de son fusil dans le crâne d'un guerrier inertes. Autant dire que son comportement ne fut guère apprécié par les Teikokujins présents, plaidant que tous dans cette curieuse armée étaient morts, et qu'il fallait les respecter.
Maxwell, avec quelques sous officiers se chargea du maintiens du calme, tandis que Telthis tentait de tirer le Commodore de sa rêverie contemplative. Le regard posé sur ce fragment de lame scintillant, Théoden s'était trouvé plongé dans ces mêmes hallucinations que lors de sa précédente expédition avec Johei.
Avant que Telthis n'intervienne, tout fut terminé. Et alors que la lame émettait ses dernières lueurs, le Commodore fut ramené à lui.

Telthis dû le voir secouer la tête vivement, et attendre un moment avant qu'ils ne puissent discuter. Il était visiblement interloqué par le comportement de Théoden, qui lui lui jeta d'un air intrépide un grand sourire et s'empressa de récupérer le fragment de lame.

-Telthis... C'est un miracle !

-Quoi donc ?

-Cet objet..." lui fit-il en brandissant l'objet. "Cet objet vient de m'indiquer précisément où nous pourrions trouver Sildael la Radieuse !"

Interdit, l'Elfe Blanc examina l'artéfact d'un regard curieux, avant de relever les yeux vers son interlocuteur, qui le rangeait déjà dans ses effets.

"-En êtes-vous sûr ?

-Une cité, plus grande que toute celle que j'ai pu voir dans toute mon existence, implantée pas loin de la côte. Cet objet vient de me délivrer un souvenir d'une époque lointaine, et la cousine de la Reine y apparaît une fois encore ! Elle s'y dirigeait.

-Alors nous n'avons rien appris. Des millénaires ont passé depuis cette époque. Cette cité a très probablement été détruite depuis, ou bien Sildael a pu se déplacer.

-Un début de piste vaut sans doute mieux que pas de piste du tout, Capitaine ! Nous devons nous y rendre, et enquêter sur le devenir de cette... Avalon.

-Je vous y accompagnerai, mais je ne partage pas votre optimisme.

-Il y a quelque chose de plus que vous devez savoir. Dans ces souvenirs qui me sont apparus, la compagnie menée par Sildael a été gravement prise à partie par des locaux. Incluant les habitants de cette... Avalon. Le pire est clairement à craindre.

-Le pire est envisagé depuis que je sais qu'elle est arrivée sur cette terre infestée de démons, Commodore. Quant aux habitants d'Avalon, ils sont à n'en pas douter morts ou au service des démons. Dans le premier cas, ils ne sont pas une menace, dans le second, ils en sont une quoi qu'il arrive ou qu'ils aient fait par le passé.

-Je crois qu'il ne faut pas laisser tout espoir s'éteindre." fait le Commodore en haussant les épaules "Nous parlons de la cousine de la Reine Malene après tout."

Il croise les bras.

"-Mais je prends note de votre scepticisme.

-Je ne perds pas espoir, je reste juste réaliste."

Théoden se trouva submergée d'une vague de lassitude, encore jamais éprouvée jusque là. Même face à ce marbre insensible qui lui servait de second. C'était pour tout dire comme si son comportement se modifiait, pour une raison qu'il était difficile à saisir. Le Commodore poussa un long soupire, et passa une main sur son visage.
Qu'il le trouvait malheureux, ce personnage de Telthis. Le temps passant il avait apprit à s'habituer à son expérience, à ses capacités et à son réalisme à tout épreuve. Mais après avoir partagé pratiquement un tours avec lui en plein enfer, il avait aussi apprit à haïr son manque de fantaisie, de positivisme et il sentait de plus en plus qu'à chaque pas que l'Odyssée avait l'air de faire en avant, l'Elfe freinait des quatre fers. Il ne voulait pas être là après tout.
Mais il restait résolument passif. Jamais une suggestion, jamais un semblant d'encouragement. Théoden dû s'avouer à bout de nerfs, et c'était bien la toute première fois qu'il se permettait de le faire sentir. Ce qui en soit était anormal.

"-Ne rêvez-vous donc jamais, Telthis ?" lança-t-il d'un air exaspéré.

Mais là encore, Telthis resta fidèle à lui même. Et comme à son habitude, l'Elfe ne lui répondit rien de satisfaisant. Pas même de quoi entamer une conversation passionnante.

"-Cela m'arrive, mais je sais distinguer mes rêves de la réalité.

-Vous n'êtes pas du genre marrant, n'est-ce pas ?

-Pas sur des sujets aussi graves."

Cette dernière phrase acheva les quelques restes de courage de Théoden, qui baissa les bras, ramassa son sac et partit. Il siffla un coup, pour rassembler à lui sa compagnie.

"-Nous filons le long de la côte. Restez groupés, et ne ramassez rien que ces corps semblent porter."

Sa voix résonna un instant dans la vallée, mais elle fut obéit avant même que le second écho ne lui soit revenu.
Seul en tête, Maxwell sur les talons, Théoden emmena sa troupe dans la direction qu'il semblait avoir reconnu, dans son rêve magique. A l'aide d'un carnet et d'un crayon, il faisait quelques relevés élémentaires, afin d'aider le travail de son cartographe. Il fallait dire qu'il y aurait du travail pour tracer une carte de ce continent ! Mais à mesure que les jours avançaient, Théoden réalisait à quel point cette tâche était devenue capitale pour la survie de son Odyssée. Non seulement parce qu'elle évitait que des retardataires ne soit perdus à jamais, mais avant tout parce que ces activités secondaires gardaient son esprit occupé en permanence, et lui évitait la tentation de la rêverie, qui immanquablement le ramènerait à la situation de son expédition et le pousserait un peu plus vers le gouffre de la déprime.
D'ailleurs, il fut aisé de remarquer à quel point chacun se livrait à ce genre de tâches avec la même application. Ecriture, sculpture, musique... il y en avait pour tout le monde ! Même en pleines terres d'Albion, de maladroites mélopées s'élevaient. Souvent jouées par les marins anxieux, elles leurs permettaient de se donner du courage, autant que d'éviter de sombrer dans la panique.
Le Capitaine de Treville avait finit par ne plus réglementer l'accès au stock d'instruments du Wench et contraindre le moins possible l'équipage au silence complet. Pour un peu, l'alcool coulerait lui aussi à flot ! Mais c'était très visiblement contre indiqué.
De toute façon, la plupart des stocks furent détruit quatre lunes auparavant. Voir plus.
C'est au son de flûtes, et de pas maladroits que la troupe quitta peu à peu les marais entourant Heavens Bay. En deux jours, ils retrouvèrent la côte. En quatre, ils furent hissé au sommet des hauteurs encerclant l'océan. Mais après une semaine, l'expédition rencontra de nouveaux problèmes.
Après les marais et les falaises escarpées, Théoden mena son équipage jusqu'au pied d'un bien étrange mur. D'où ils étaient, la scène était tout à fait particulière.
La muraille était construite d'une pierre blanche tout à fait surprenante, dans ce paysage noir et morne. Elle brillait presque, sous la lumière pourtant terne du soleil. En plus de sa hauteur, équivalente à plus de dix fois celle d'un homme normalement constituée, ce rempart était couronné de créneaux à la forme inédite.
Comme des ailes, déployées vers le ciel. Une forme robuste, mais élégante. Qui ne ressemblait en outre ni à la facture habituelle des démons, ni à ce que Théoden avait vu lors de son rêve. D'un coup d'oeil, Cassandra remarqua une tourelle un peu plus loin. Elle était bien ronde, ancrée fermement dans le sol, et on pouvait même apercevoir la lumière d'une torche osciler dans ses entrailles, à travers une meurtrière étroite.

"-Cet endroit a l'air habité..." souffla Maxwell, qui fit tomber de son épaule le fusil qu'il portait en bandoulière, avant de l'armer.

Théoden ne pu qu'opiner du chef, devant ce spectacle surprenant. Des gens auraient pu survivre ici et bâtir tout cela ? Avant que l'espoir ne l'étreigne trop, Telthis examina plus avant le périmètre entourant ce mur et nota autre chose d'inhabituel.

Comme si, dans ce monde envahit par l'infection démoniaque ces murs avaient été posés là comme une anomalie. Un retour curieux des choses, considérant la situation.
Ces enceintes massives, parenthèse réellement naturelle, semblaient vues comme une cible par la terre elle même qui s'était dressée, durcie, et formait désormais autours de ces murs une barrière de pieux rougeâtres nauséabonds. Une barrière tournée vers l'intérieur.
Telthis réalisa alors qu'ils assistaient là à un véritable siège. Il fut sans doute surprit de voir que Théoden était cette fois le plus méfiant d'eux deux.

"-Ne nous approchons pas. Cela peut être un piège." il toisa l'Elfe "Je n'ai aucun souvenir de ce mur, dans ce que j'ai vu sur le champ de bataille."

Tous deux décidèrent se tenir un moment à l'écart, et entreprirent d'emmener leur troupe le long de ces murailles, afin d'en examiner le moindre aspect, et rechercher une éventuelle faille. Ou une porte.
Au bout d'une bonne journée de marche, il se trouva qu'une seule porte jalonnait ce périmètre large de plusieurs lieux. Il se trouvait plusieurs dizaines de tours, assez basses, mais épaisses. Et surtout, il y avait là de nombreuses patrouilles armées, allant et venant entre les tours à intervalles régulières.
Pour ce qu'il était possible d'en voir, il s'agissait d'humanoïdes tout à fait normaux, exempts de signes d'infestations, et dotés d'armures brillantes.

"-Attendons la nuit." conseilla Telthis.

Théoden acquiesça.

"-Après quoi, nous grimperons au sommet de ce mur.

Cinq furent désignés pour cette tâche. Telthis, naturellement, Théoden, mais aussi Maxwell et deux Teikokujin du nom de Johar et Lothrin. Une fois le noir tombé sur Albion, il fallut attendre. Attendre et compter, afin de déterminer de combien de temps la petite équipe disposerait entre deux patrouilles pour traverser la terre nue au pied du mur, l'escalader, enjamber les créneaux et récupérer les informations nécessaires. Au dessus de leur tête brillait une lune presque pleine, vibrante d'une lumière vive. Un jour d'argent s'était levé, faisant naître aux creux des murs des ombres noires, capable de dissimuler toute une armée.
Ce serait assez pour les trente hommes qui resteraient en arrière.
Lorsque la nuit fut assez avancée, l'ordre fut donné. Théoden le premier -comme à l'accoutûmé- les infiltrés s'élancèrent. Johar et Lothrin furent les porteurs de corde. Maxwell se chargerait du premier garde trop curieux qui tenterait de regarder par delà son parapet.
Traverser le no man's land au pied du rempart fut la partie aisée. Le mur étant long, les vigiles ne purent faire attention à ces petites silhouettes qui foulaient leur sol, soulevant à la lumière de la lune de léger nuages de poussière.
Tous furent si vifs que le pied du mur fut comme une mauvaise surprise. Leurs épaules rentrèrent dedans brusquement, dans un bruit assez feutré.
Théoden tira un miroir de sa poche, et le ficela au bout de sa rapière. A l'aide de cet outil curieux, il pu observer le parapet au dessus, malgré le léger porte-à-faux.
Il y eu une vive lueur orangée, glissant entre les créneaux, et le Commodore pu retenir ses archers le temps qu'elle passe.
Après un court instant, il leur donna le feu vert. Les deux Teikokujins bandèrent leurs arcs, encochant des flèches câblées et visèrent droit vers la lune au dessus de leurs têtes. Lorsqu'ils décochèrent, il y eut un claquement léger, jusqu'à ce que leurs projectiles viennent s'accrocher entre les créneaux.
Ils avaient juste assez de leur robuste corde pour grimper. Mais pas plus d'un à la fois !
Théoden tapota leurs épaules et rengaina sa rapière, avant de commencer à grimper, en même temps que Telthis.
L'escalade, avec un cordage aussi fin fut une véritable torture, malgré les gants. Malgré tout, en une poignée d'instants, les deux premiers furent en haut.
Telthis tira un coup sur sa corde, afin de signaler aux suivants de monter puis se saisit de son propre arc, jusque là resté passé en travers de son torse. Il s'apprêta à encocher une flèche quand Théoden posa une main sur son poignet, faisant non de la tête.
L'Elfe comprit l'intention du Commodore, et passa de nouveau son arc dans son dos. Il valait mieux éviter les victimes inutiles, si jamais il s'agissait bien des créatures que Théoden avait vu dans son rêve. Ne pas s'en faire des ennemis restait la meilleure option.
Une minute plus tard, tout le monde fut arrivé en haut du mur. A force de signes et de regards, Théoden sépara son petit groupe en trois. Maxwell eut la charge de protéger leurs cordages, quitte à user de son mousquet pour les prévenir. Johar et Lothrin partiraient sur la droite, et Théoden emmènerait Telthis sur la gauche, jusqu'à atteindre les tours bordant la section du mur sur laquelle ils avaient pris pieds.
Heureusement pour eux, la nuit avait apporté son lot d'avantages. Les ombres découpées des créneaux et des tours fourniraient de bonnes couvertures aux infiltrés. Malgré tout, Théoden préféra envelopper ses bottes dans du tissus, afin d'éviter que ses talons ne claquent sur la pierre.
A la grande surprise de tout le monde, son astuce s'avéra redoutablement efficace, et il fut immité sans attendre.
A gauche comme à droite, le problème des patrouilles allait devenir véritablement gênant. Au nombre de deux, par section de mur, chacune était composée de six hommes, d'après ce qui avait pu être observé, et elles allaient et venaient entre les tours à intervales régulières, se croisant au milieu de leur itinéraire. Afin d'éviter qu'une patrouille ne manque à l'appel, et que cette absence ne soit remarquée par l'autre, le choix avait été fait de grimper au milieu de la section du mur, afin de neutraliser -le cas échéant- les deux groupes.

Telthis, qui possédait les meilleurs yeux, insista pour devancer Théoden. Sage précaution, vu le noir qui les enveloppait. Ils avançaient tous deux à pas feutrés, dos aux créneaux. D'ailleurs ils avançaient bien ! Du moins... jusqu'à ce que Théoden ne glisse un oeil sur sa droite, vers l'intérieur des terres.
Il n'aurait pas été possible de la voir, sans cette lune si vive. Mais pourtant elle était là, siégeant comme sur son trône de roche. Il les compta, ils étaient bien sept. Elle était si haute, et large, que Théoden manqua de trébucher. Il s'arrêta.
Telthis aussi.

"-Qu'est-ce qui ne va pas ?" fit l'Elfe, en suivant le regard de Théoden.

Autant dire qu'il fut lui aussi contraint un instant au silence, devant ce spectacle.

"-A...Avalon..." murmura Théoden, qui avait véritablement les larmes aux yeux devant ce spectacle.

Bien qu'il soit assez difficile de distinguer tous les détails de la cité, d'aussi loin, il fallait véritablement avouer que l'ouvrage était monumental. Taillée à même la roche de la montagne, la cité resplendissait.
Un coup d'oeil aux alentours de la ville permit à Telthis de découvrir les impressionnantes installations qui permettaient aux habitants de se nourrir.
Et ils étaient nombreux, à en juger par l'ampleur que tout cela avait prit ! Des champs sur-élevés, sur des dizaines et des dizaines d'hectares. De quoi nourrir l'équivalent de tout Kelvin, aurait jugé Théoden !
Théoden qui était bien trop prit dans son admiration pour constater quoi que ce soit.
Elle était bien plus belle que dans son souvenir. D'ailleurs, il n'avait pas remarqué cette haute tour effilée à son sommet, lors de sa vision. Ni cette porte haute, d'ébène, qui lui servait d'entrer. Ni ses dizaines de tours nacrées, coiffées de trébuchets et d'étendards fiers. Rien de tout cela ne lui était apparut. En revanche, il était maintenant persuadé que rien de ce qui vivait ici n'était démoniaque. C'était une conviction profonde, une conviction...

"-A TERRE !" lui lança soudainement à mi voix Telthis en plaquant Théoden au sol.

Pour Johar et Lothrin, le voyage fut tout aussi tranquille. Il s'avéra que ces deux Teikokujins se montrèrent particulièrement efficace, lorsqu'ils croisèrent leur patrouille. Sans attendre, ils bondirent à plat ventre et se couvrirent de toiles épaisses laissées là, recouvrant des stocks de flèche. Personne ne les remarqua. Eux, en revanche, purent voir un détail surprenant.

"-Tous ces soldats..." murmura Johar.

"-Ce sont des femmes..." compléta Lothrin.

La patrouille les dépassa, martelant les dalles du sol de leurs talons en cadence. Lorsque les lueurs de leurs torches furent assez loin, les deux compères se redressèrent et reprirent leur route vers la tour qui les intéressaient.
A l'intérieur, en revanche, ils ne trouvèrent guère d'éléments intéressants. En revanche, Johar ne put résister à la tentation de s'emparer d'une tête de flèche argentée, posée au hasard sur un tonneau. Il était assurément admiratif. Comment ne pas l'être ? Tout était si beau...

Théoden fut vite de retour, lorsque son front heurta le sol. Il secoua la tête et lança un regard plus avant. Telthis les avait vus avant lui, mais maintenant ils étaient là. La patrouille s'avançait, brandissant des torches dansantes à côté de leurs visages. Malheur ! Les deux infiltrés n'eurent rien pour se couvrir.
Alors le Commodore tapota la cheville de Telthis devant son visage et lui fit signe de le suivre.
Il roula sur sa gauche, jusqu'à atteindre le bord des remparts. Là, il se laissa tomber dans le vide, ne se retenant que par une main. L'autre fouilla un miroir, qui lui permit d'observer sur le mur, depuis sa position des plus inconfortable.
Telthis , qui ne trouva pas de meilleure solution se jeta à son tours dans le vide. Tous deux attendirent comme ça le départ de la patrouille un long moment, avant que Théoden ne donne le signal de remonter.
La tour n'était heureusement guère plus loin. Mais leurs trouvailles guère meilleures. Il n'y avait pas grand chose à y trouver, en dehors de plus de gardes !
Alors Telthis pressa Théoden de sortir, mais le Commodore s'attarda sur une carte, étalée sur une table. Une carte du domaine de la cité d'Avalon, qu'il reproduisit en grande hâte dans son carnet, à demi couché sous la table.
Telthis dû pratiquement l'imiter, lorsque deux soldats firent irruption dans la pièce, discutant de leurs derniers combats dans une langue que Théoden reconnaissait fort bien.

Maxwell fut bien en peine de se cacher, lorsqu'il se trouva en vue des deux patrouilles. Il rampa comme il pu vers l'intérieur de l'enceinte et trouva un escalier. Il se laissa tomber sur les marches, une paire de mètres plus bas et serra les dents. Les deux troupes de vigiles se croisèrent juste au dessus de sa tête, et échangèrent quelques mots.
Une éternité de conversation, pour le mousquetaires. Jusqu'à ce que les groupes ne se reforment et repartent vers leurs tours respectives pour échanger avec ceux qui y étaient restés.

Finalement, après une dizaine de minutes de pénible exploration, les deux groupes se rejoignirent au point de rendez-vous. Maxwell s'extirpa de sa cache, la tempe crevée par le coin d'une marche. L'opération était un véritable succès !
Tant et si bien qu'à peine le temps de redescendre, Théoden avait prit sa décision.

Il en fit part à Telthis et Cassandra dès les premières lueurs du lendemain, alors que son groupe bivouaquait au couvert d'une colline non loin des murs.

"-Nous y allons." fait-il "J'ai toute confiance que cet endroit a été épargné par les démons."

Cassandra aurait bien fait part de son scepticisme, tout comme Telthis, mais Théoden leva une main autoritaire, qui leur coupa la parole.

"-Le premier qui proteste repart pour Heavens Bay."

Un détachement d'une dizaine d'hommes fut choisit pour repartir vers les navires, afin d'informer Treville et faire passer les cartes tracées par le Commodore, puis les vingts restant se mirent en marche vers la grande porte du mur.
Ils le firent calmement, sortant en rang des terres démoniaques alentours.
Au pied de la porte, Théoden s'avança, le coeur battant et martela un instant la porte de son poings.
Il prit une grande inspiration, fébrile et recula d'un pas en attendant de voir ce qu'il se passerait.

"-J'espère pour nous Commodore que vous ne vous trompez pas." lança Telthis.

Merci, Telthis, songea Théoden. Un soutiens sans faille, comme toujours...
Dim 8 Jan 2017 - 22:07
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Dargor
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Cassandra Renrin était inquiète. L’élue de Lothÿe se faisait du souci pour le commodore, qui dirigeait leur expédition. Après le champ de bataille qu’ils avaient traversé, il les avait entrainés vers l’intérieur des montagnes, à la recherche d’une cité qui s’y serait trouvée. Après avoir traversé une zone infectée par les démons au plus haut point, de sorte que la terre elle-même avait muté pour former une sorte de croute rocheuse rouge, dont sortaient des pointes qui, telles des pieux de guerres, se dressaient toutes comme pour prévenir l’assaut d’un ennemi, ils avaient effectivement trouvé un gigantesque mur d’enceinte blanc, sur lequel se tenaient des patrouilles.

[PV Théoden]Odyssée en terre lointaine 9u1t

A la faveur de la nuit, ils avaient pu entrer dans cette enceinte, et descendre dans les champs qui entouraient la ville. Mais le commodore marchait trop fièrement au goût de l’élue divine. Il se dirigeait vers cette cité comme s’il s’apprêtait à être reçu en ami. D’un regard, elle consulta le groupe qui marchait derrière eux. Certains membres semblaient partager sa nervosité. L’elfe Telthis, en particulier, avait son épée dégainée, et semblait se tenir prêt au combat. Elle préféra tout de suite parler de cette angoisse au commodore. Elle s’avança vers lui.

« Commodore, lui dit-elle, vous savez quelles sont les probabilités que cette cité soit en fait infectée de l’intérieur ?
-Souhaitez-vous faire marche arrière, Cassandra ? répondit-il. »

Cassandra ne partageait pas son assurance. Il était exact que la cité, construite à l’aide de pierres blanches, ne semblait pas infectée. Mais elle avait déjà entendu parler de démons qui étaient beaux au regard, et non hideux.

« Ces probabilités sont élevées, dit-elle. Très élevées. Je suppose qu’il nous faudra de toute façon explorer quelques cités, car il y en a forcément sur ce continent. Et je comprends que vous pensiez qu’elle puisse être pure, mais ne pourrait-on pas au moins redoubler de prudence ?
-Cette expédition sur le mur, répondit-il, faisant allusion à tous leurs efforts pour passer inaperçus, n’était pas pour le plaisir de faire des pirouettes. J’ai la conviction que cet endroit ne peut pas être infecté. Et vous savez quoi ? Je crois que, quand vous la verrez, vous partagerez mes croyances. »

Il croyait, il croyait… Peut-être devrait-elle demander à Djanela et Telthis de réunir tous les officiers et de leur parler une fois pour toutes de tout ce qu’ils savaient sur les démons. Elle consulta Telthis avant de répondre au commodore. Celui-ci lui répondit qu’il était nerveux, mais que cette cité pouvait très bien avoir été épargnée, car elle ne présentait aucune trace de corruption externe. Elle retourna voir le commodore.

« Je suis d’accord pour dire que les cultures, dit-elle, les patrouilles et les murs laissent penser à un peuple civilisé et non à des démons. Mais vous négligez un facteur que Telthis lui-même ignore, car il n’a pas pu vivre à l’époque où certaines personnes ont été exposées de façon continue avec les Abysses, ou à proximité de bêtes en venant. On l’a vu, dans l’histoire humaine. Certains villages ou petites villes qui vivaient proches d’une bête démoniaque voire d’une faille, sans le savoir, se sont peu à peu retrouvés infectés. Ils vivaient normalement, et étaient des gens bons. Mais au fond d’eux, leur âme était souillée, et au final, ils finirent tous par défendre leurs maîtres. Qui nous dit que ce ne sera pas le cas de cette ville ?
-Absolument rien, Cassandra, admit-il. Mais si cette ville est bien celle que j’ai vue, elle a bien trop à nous offrir pour ne pas prendre ce léger risque. »

Léger risque, léger, le terme était un peu fort à son goût. Mais il était pratiquement un élu divin, et avait été envoyé ici par sa déesse. S’il avait « vu » la ville, peut-être était-ce grâce à cette dernière. La ville se rapprochant de plus en plus, à mesure qu’ils avançaient, elle souhaita tout de même poursuivre son interrogatoire. L’esprit un peu apaisé certes, mais toujours aux aguets.

« Et qu’a-t-elle à nous offrir ? demanda-t-elle.
-Des vivres, des informations, répondit le commodore. Et c’est sans parler de l’endroit lui-même ! »

Cette phrase fit, par contre, sursauter l’élu. Le commodore était sous le charme de la ville apparemment. Et ça n’était pas forcément bon signe. Qu’on la traite de paranoïaque, mais les démons étaient décrits comme charmants par leurs serviteurs. Qu’y avait-il d’étonnant à ce qu’elle se méfie de ce qu’on trouvait charmant dans cette région ? Elle se plaça devant le commodore, le forçant à s’arrêter. Elle voulait être écoutée sérieusement cette fois.

« Cette cité a peut-être beaucoup à offrir, dit-elle, mais elle peut aussi tout nous prendre. Je parle au nom du groupe. Soyons prudents avant que… »

A cet instant, un vrombissement se fit entendre, puis un bruit d’impact retentit derrière elle. Elle se tourna aussitôt, et vit sur la route, à quelques pas de l’endroit où elle s’était tenue, une flèche à l’empennage noir plantée dans le sol.

« Avant que quelque chose de ce genre n’arrive, dit-elle. »

Tandis que le commodore la dépassait pour examiner la flèche, elle se prépara elle aussi à agir. S’il fallait déchainer une tornade de feu ici, elle le ferait sans hésitation. De douces flammèches orange, inoffensives en apparence, se mirent à danser entre ses doigts, tandis que les veines qui couraient sur son visage se mirent à briller comme des braises. Elle savait que n’importe qui connaissant un tant soit peu la magie du feu serait prévenu. Elle était calme en apparence, mais prête à déchainer son pouvoir. Si cela pouvait servir à quoi que ce soit…

« Bonjour à vous, braves gens ! dit alors le commodore, en levant les mains bien en évidence, vides de toutes armes.
-Les armes, répondit une voix de femme, glaciale et sèche, venant du champ de droite. Au sol. Dix mètres devant votre groupe, et tout de suite. »

Théoden obéit immédiatement, et malgré leurs réticences, le reste du groupe obéit à l’ordre, comme l’avait fait leur chef. Cassandra seule ne jeta rien, car elle n’avait rien à jeter à proprement parler. Et en voyant Telthis refuser de poser son épée, elle ne baissa pas l’intensité des flammes qui courraient en elle.

« Montrez-moi votre visage, femme, dit Telthis, en garde, et peut-être accepterai-je de vous de donner mon épée.
-Capitaine, dit Théoden en le fusillant du regard, il n’est guère temps de jouer à ça. »

Un nouveau vrombissement. Les flammèches qui courraient entre les mains de Cassandra eurent juste le temps de se transformer en véritables flammes qui entouraient désormais ses poings, mais elle n’eut pas à les utiliser. Telthis venait, de sa lame, de frapper une flèche qui volait vers lui.

« Je ne donne pas mes armes en territoire hostile, répondit-t-il au commodore.
-Dites à votre ami de jeter son arme, reprit la femme des champs. A moins qu’il ne puisse intercepter les flèches qui menacent tout votre groupe.
-Commodore, murmura Cassandra à Théoden. Un mot de vous, et ces champs prennent feu. C’est vous qui décidez.
-Capitaine, lâchez votre arme ! dit Théoden en s’adressant à Telthis. Ou le prochain coup viendra de moi.
-C’est uniquement parce vous êtes tous sous la menace que je la rengaine, dit finalement Telthis en joignant l’acte à la parole. Je la laisse au fourreau, mais je ne la donnerai pas. »

La tension redescendit légèrement. Juste très légèrement. Le temps que le duel de regards mauvais qui opposaient le capitaine Telthis au commodore Théoden soit interrompu par les guerriers des champs. Des murmures se firent en effet entendre, ainsi que de l’agitation, dans les fourrés alentour. C’est une silhouette en armure qui vint ramasser les armes qu’ils avaient laissées au sol devant eux. La femme reprit alors.

« Puisque l’un de vous garde son arme, nous ne baisserons pas nos arcs. »

Puis elle ajouta quelque chose à voix basse. Pas suffisamment pour échapper à l’ouïe de Cassandra cependant. Elle eut juste le temps de distinguer les mots « neutraliser » et « magicienne » avant de sentir une explosion de douleur dans sa hanche. Elle eut juste le temps de pousser un petit glapissement de douleur avant que le monde ne se mette à tourner et qu’elle ne sente sa tête heurter brutalement le sol. Elle n’arrivait plus à bouger, et les ténèbres commençaient à tomber sur elle.

« Pas besoin de la laisser ici, entendit-elle le commodore dire au loin. Laissez-moi envoyer des hommes la ramener à notre campement. Et la soigner. »

Des mains qui la saisissaient. Quelque chose qui était extrait de sa hanche, puis autre chose pressée contre elle.

« Non, dit une voix de femme. Et vous allez… puissions voir vos visages.
-Eh bien… M’incline… Termes. »

Alors les ténèbres l’enveloppèrent tout à fait, et elle n’entendit ni ne sentit plus rien.

---

De longues heures s’étaient écoulées depuis l’altercation. Telthis et les autres s’étaient assis au sol, se relayant auprès de Cassandra pour s’assurer qu’elle ne se vide pas de son sang, après avoir reçu un poignard jeté dans le flanc. La lame devait être empoisonnée, car elle avait aussitôt perdu conscience. Et n’eurent été les flèches jetées quand l’un d’eux faisait mine de s’éloigner du groupe, tous auraient pu croire que leurs mystérieux assaillants étaient partis. La nuit passa ainsi. Dans l’attente de leur sort. Telthis était prend à vendre chèrement sa vie, s’il devait le faire. Mais il n’en dit rien au commodore Théoden, dont il estimait l’opiniâtreté responsable de leur situation. Il savait que s’il lui en parlait, ils allaient inévitablement se disputer au sujet du fait que cette cité soit infectée ou non. Il ne savait pas encore que l’avenir allait révéler qu’avoir cette conversation maintenant, à portée d’oreille des guerriers, aurait pu, à défaut d’arranger ses relations avec le commodore, régler bien des soucis qui allaient arriver.

Spoiler:

Puis le soleil se leva. Dès qu’il fut possible d’y voir clair, ils distinguèrent plus nettement les silhouettes en armures, dans les champs alentours, qui se relevèrent d’ailleurs, et leur firent signes de se remettre en marches. Apparemment, toutes étaient des humaines, et des femmes. La façon dont elles gardaient arcs et flèches à la main tout en les surveillant laissait supposer une bonne éducation militaire. Elles firent signes aux marins de ramasser Cassandra, encore inconsciente, puis la route vers la cité reprit, dans un silence de mort cette fois.
Avant qu’ils n’arrivent devant les massives portes de la cité, une guerrière se détacha du groupe et se rendit au pas de course vers ces dernières. Elle fit des signes en direction du poste de garde qui se trouvait au-dessus, et avant que le groupe ne soit arrivé, les portes étaient ouvertes, et l’intérieur de la cité se dévoilait à eux. Le même silence de mort régnait dans ces maisons blanches aux volets et portes fermées qu’ils découvrirent. Dans les rues, il n’y avait pas âme qui vive. Les seuls bruits qui venaient rompre ce silence presque sacré étaient les bruits de leurs propres pas. Des gémissements étouffés le rompirent également. Cassandra semblait se réveiller. Avant que ce ne soit totalement le cas, une guerrière vint, poignard à la main, et lui entailla le bras, la renvoyant dans l’inconscience dont elle sortait à peine.
Telthis aurait pu la tuer aisément dans la manœuvre, mais il choisit de ne rien en faire. Tout cela allait les mener quelque part, et il attendait désormais de voir où avant d’agir.

« Ce n’est pas la peine, dit le commodore, bougon, parlant du rendormissement forcé de Cassandra. Lothÿe n’appréciera certainement pas que l’on traite son élue ainsi. »

Il n’eut pas de réponse, et l’ascension continua. Durant cette dernière, Telthis nota que la ville, si elle avait été construite pour être une belle cité, plutôt tranquille, avait subi des modifications purement militaires. Il avait de nombreuses cours devant les maisons. Mais aucune n’était ouverte. Toutes étaient couvertes par un toit fait de plaques de cuivre assemblées, qui avec le temps, avaient rouillé et pris la couleur bleutée du vert-de-gris. Une telle disharmonie avec l’esthétique et le style de la pierre blanche démontrait qu’il s’agissait d’un ajout purement pratique. De même, les fenêtres et les portes les plus grandes semblaient avoir partiellement avoir été murées. Elles étaient désormais étroites. L’une d’elle avait gardé ses volets ouverts, ce qui permis à Telthis de noter qu’elle avait soigneusement été grillagée. Les espaces entre les barreaux étant juste assez grands pour permettre à un humain de passer le bras pour fermer le volet. Il supposa que toutes les fenêtres de la ville étaient protégées de la même façon.
La porte de la ville, de même que celles de toutes les maisons, avaient été renforcée de lames de fer entrecroisées. Dès qu’ils traversaient un espace ouvert, au centre de ce dernier se trouvaient de petits bâtiments à un étage, avec une porte sur les quatre murs. Un refuge en cas d’attaque ? Telthis en douta jusqu’à ce qu’il remarque des saillies dans les murs de tous les bâtiments, parfois creusées au marteau et au burin. Ces saillies étaient assez grandes pour qu’un adulte s’y glisse. Il comprit alors l’utilité de tout cela. La cité se tenait prête en permanence à subir un siège. Et dans une terre peuplée de démons, le danger pouvait tout à fait venir des airs, d’où ces refuges fréquents pour que les passants dans la rue puissent se mettre à l’abri le plus vite possible. Cela concordait avec ce qu’ils avaient vu dans les champs. Au final, la seule chose que les habitants de la ville n’avaient pas pensé à faire semblait être de rétrécir ces rues fort larges. Il mit du temps à en comprendre la raison. Et elle l’impressionna.
La ville entière avait été taillée dans un seul rocher. Il dût s’avouer ébahi, car cela avait dû représenter un travail immense. Sa nature d’elfe, qui aimait les travaux longs, était satisfaite par le résultat obtenu. Même si les ajouts militaires défiguraient l’œuvre d’ensemble, c’était quelque chose qu’il approuvait. En fait, il aimait bien cette ville. Mais se méfiait encore des habitantes qu’ils avaient pour l’instant croisées, et qui semblaient être seules. Il corrigea cette analyse aussitôt qu’ils arrivèrent environ à la moitié du deuxième niveau. Il commença à entendre des rumeurs de conversations dans les maisons fermées, et vit à travers des volets des regards leur être jetés. Si le premier niveau lui avait paru si désert, c’était parce que personne n’y vivait, tout simplement. De même pour une grande moitié du second. Mais le silence, s’il avait été allégé, les accompagna jusqu’en haut de la ville.
Là se trouvait une grande esplanade laissée à l’air libre, qui courrait sur toute la largeur du roc qui séparait la cité en deux, pris ici en son sommet. Avant qu’ils n’aient eu le temps d’admirer un tant soit peu la vue qu’il y avait d’ici, ils furent entrainés vers un palais qui devait être taillée dans la montagne contre laquelle était sise la ville. Ce fut une déception et en même temps un soulagement pour Telthis. La porte de ce palais, monumentale, avait dû être belle à une époque. Elle ne l’était plus. Il comprenait pourquoi. Si les habitants de cette cité cherchaient à se défendre contre les démons volants, ils devaient savoir que certains d’entre eux étaient gigantesques et pouvaient tout à fait se poser ici et entrer par la grande porte du palais. Voilà pourquoi celle-là aussi avait été renforcée et en partie murée, et les fenêtres soigneusement barricadées. La façade de ce palais avait ainsi été défigurée pour le rendre défendable.

A tout le moins, cela suggérait qu’à une époque, la cité avait résisté aux démons. Rien ne prouvait pour l’instant qu’elle n’avait pas chuté entre-temps. C’est pourquoi il resta méfiant quand ils furent entrainés dans les profondeurs de ce palais, vers ce qui ressemblait à une prison. Là, ils furent séparés de Cassandra Renrin, qui fut emmenée vers un destin que nul ne connaissait. Puis la capitaine de cette garde s’adressa à eux.

« Déshabillez-vous, ordonna-t-elle.
-Je vous demande pardon ? demanda Théoden, les poings serrés, cette fois.
-A poil, insista la capitaine de la garde.
-Je crois que nous avons fait preuve de suffisamment de bonne volonté, répondit Théoden. Les vêtements sont si dangereux que ça par ici ? En tout cas, la dignité n’a jamais mis la moindre cité en danger.
-Nous pouvons aussi vous forcer, répondit la capitaine en pointant vers Théoden son épée.
-Très bien, concéda celui-ci, dans un soupir. »

Le groupe commença à s’exécuter. Mais peu après que Telthis ait retiré la capuche qui lui entourait les oreilles, des murmures se firent entendre parmi les guerrières, puis la conclusion.

« Celui-là, dit la capitaine. C’est un elfe !
-C’est mon second avant tout, répondit Théoden. »

Mais hélas, la capitaine ne l’entendait plus de cette oreille, comme put le constater Telthis, qui s’était raidi et se montrait prêt à se défendre.

« Ton arme l’elfe ! cria-t-elle. IMMEDIATEMENT !
-Du calme pour l’amour du ciel ! s’écria Théoden. Il n’est pas sage de chercher la querelle maintenant !
-Mon épée m’a été donnée pour défendre ma vie et celle de ma reine, dit Telthis. Il m’est interdit de la remettre sous la contrainte.
-Si vous n’êtes pas un elfe, répondit la capitaine, et si vous n’êtes pas un serviteur des démons, nous nous excuserons. Mais il est hors de question que nous prenions le risque de laisser un elfe armé circuler dans cette cité.
-Si jamais il tire sa lame, tenta le capitaine, il sait ce qu’il risque. Et pas que venant de cette cité. Elle ne serait pas heureuse que vous nous ayez tous fait tuer par fierté n’est-ce pas ? »

Non, elle n’en serait pas heureuse. Et il était vrai que toutes les guerrières qui les entouraient avaient elles-mêmes tiré leurs lames. Il pourrait en tuer un grand nombre, mais beaucoup de ses compagnons mourraient avant qu’il n’ait le temps de toutes les envoyer dans l’autre monde. Alors, finalement, il posa sa lame au sol, dans son fourreau, devant les guerrières.

« Si lorsque je reviens ici, prévint-il alors qu’on le couvrait de chaines, ma lame a bougé ne serait-ce qu’un doigt, le sang coulera à flots. »

Puis il fut emmené par la même porte que celle par laquelle Cassandra Renrin avait été emmenée. Pendant qu’il avançait, même s’il ne regarda pas derrière lui, et avant même qu’il n’ait quitté la pièce, il ne fut pas dupe. Sa lame avait déjà été ramassée. Quant au commodore Théoden, il demanda à la capitaine si elle était satisfaite. Avant que la porte ne se referme derrière lui, Telthis put entendre que tous seraient gardés emprisonnés le temps que ces femmes trouvent des réponses à leurs questions. Ce qui pouvait prendre du temps.
Il fut enfermé dans une pièce sans fenêtre ni éclairage. Petite et sombre. Lorsque la porte de sa cellule se referma, seuls ses yeux d’elfes lui permirent de voir dans le noir. Il les ferma néanmoins, et laissa aller à ses autres sens. Une respiration calme lui parvenait de l’autre côté de cette porte. La respiration d’une femme qui dormait. Il était vrai qu’il avait vu Cassandra Renrin enfermée dans une cage avant d’être envoyé dans sa cellule. En fait, le couloir qu’il avait traversé n’était qu’une succession de cages formées par des barreaux, sans murs. Juste du métal, et le sol. Et au fond, la porte de sa propre cellule. Et Cassandra Renrin, qui avait été fouillée dans son sommeil comme les hommes de Théoden, était étendue sur le sol de l’une d’entre elles. Pour l’instant, à en juger par le rythme tranquille de sa respiration, elle dormait encore. Mais Telthis avait en fait un peu peur pour elle. Sa blessure n’avait pas encore jamais été soignée convenablement.

---

Sœur Morgane, Sœur Viviane et Sœur Guenièvre attendaient l’homme dans la salle du conseil. Elles étaient toutes trois assises en bout de table, discutant de ce qu’elles devaient faire. Cet homme pouvait-il être un Hérault ? Telle était leur question. Et elles devaient y répondre.
L’homme fut finalement amené par la capitaine de la garde. Assis, et malgré ses chaines, il n’avait pas l’air inquiet. Il les regarda tour à tour, sans détour, puis prit la parole.

« Mesdames.
-De quelle cité viens-tu ? demanda calmement Sœur Vivivane.
-Kelvin, répondit-il clairement, sans hésiter. »

Sœur Guenièvre, la plus érudite du trio, chercha dans ses mémoires. Jamais elle n’avait entendu parler de cette cité. Elle en fit part à Sœur Viviane.

« Je n’ai jamais entendu parler d’une cité portant ce nom, dit Sœur Viviane.
-Elle a été fondée très récemment, sur un continent loin du vôtre. Rien à voir avec votre forteresse. »

Sœur Guenièvre sortit sa plume, et se mit à prendre en note tout ce qui se disait. Sœur Viviane mènerait cet interrogatoire. Et s’il y avait besoin d’utiliser la force, Sœur Morgane était là pour ça.

« Et pourtant tu es ici, dit Sœur Viviane. Qui t’envoie ?
-Ariel, la déesse des Océans.
-Pourquoi es-tu ici ?
-Elle me l’a demandé, sans vraiment me dire pourquoi. Je sais seulement que j’ai dû arrêter quelques projets de colonisation de mon continent, par vos charmants voisins démoniaques. »

Il avait donc conscience de l’existence des démons et affirmait les avoir affrontés, nota Guenièvre. Sœur Viviane était donc en position de poser la question. Après les avoir consultées toutes deux d’un hochement de tête, ce qui valait pour la Sœur aveuglée un regard, elle posa la question sans détours.

« Quel rôle tiens-tu ?
-Je suis le Commandant de mon expédition. Et le favori de ma déesse.
-Quels sont les pouvoirs de ce démon ?
-Un démon ? demanda l’homme en fronçant les sourcils. Ce n’en est guère un ! Un prêtre vous l’expliquerait mieux que moi, mais elle est leur exact opposé !
-En quoi ? demanda Sœur Viviane.
-N’avez-vous jamais entendu parler des dieux ici ? »

Sœur Guenièvre se souvenait que les elfes, dans les légendes, affirmaient qu’il y avait des êtres nommés « dieux » qui existaient. Mais c’était forcément mauvais. Après tout les elfes avaient amené les démons avec eux.

« C’est nous qui posons les questions, dit Sœur Viviane sans consulter Sœur Guenièvre. Pourquoi avoir infiltré notre cité ?
-Pour m’assurer qu’elle n’avait pas été prise par les démons. Avez-vous eu à déplorer la moindre perte ? nous aurions pu vous nuire.
-Tu comptais le faire de toute façon, l’accusa Sœur Viviane. Tu le sais fort bien.
-A vrai dire non. J’ai désespérément besoin d’aide. »

Sœur Guenièvre nota que l’homme ne semblait pas répondre aux accusations directes de Sœur Viviane. Sans doute ne comprenait-il pas qu’elle cherchait à savoir s’il était bien un Hérault démoniaque.

« Une aide que tu n’auras pas, dit-elle. En des temps proches du prochain affrontement, une expédition pénètre dans notre enceinte, expédition incluant un elfe et une magicienne ? Je ne crois pas à ce genre de coïncidences.
-Les dieux nous réservent de drôles de choses. Mais je n’aurais pas fait entrer un elfe dans votre cité, sachant ce que vos ancêtres ont fait à ses cousins.
-De vieilles légendes, intervint Sœur Guenièvre. Nos ancêtres n’ont fait que se de défendre contre l’invasion hostile des elfes, de leurs mages et de leurs alliés démoniaques.
-Vos ancêtres ont dévoré des elfes morts, répondit l’homme. Je ne veux pas ça pour celui à qui je dois la vie.
-Un bon elfe et un elfe mort, dit Sœur Morgane. Ou réduit en esclavage, le cas échéant. Nous statuerons du sort de celui-ci plus tard.
-Puisque tu es le chef de cette expédition, dit Sœur Viviane, c’est à toi de de tout expliquer. La capitaine de la garde nous a fait état du fait que ta magicienne servait un démon des flammes nommé Lothÿe. Dis en plus.
-Lothÿe est le dieu du soleil, et des flammes, dit l’homme. Je vous conseille de cesser d’insulter nos dieux si vous ne voulez pas de problèmes. Je sais que votre position est compliquée, mais il ne sert à rien de nous insulter continuellement comme vous le faites.
-Qu’est-ce qu’un dieu ? demanda Sœur Guenièvre, tentant une autre approche. Pourquoi le protéger ainsi ?
-Les dieux sont ce qui nous a protégé du fléau qui vous assiège. Ils ne sont certes pas tous bons, pas toujours équitables, mais ils ont quelque chose en commun, et c’est le fait que les démons sont leurs ennemis. Et qu’ils les haïssent.
-Tu affirmes servir les ennemis des démons, donc, dit Sœur Morgane. Et pourtant, te voilà qui entre comme si tu avais quelque chose à nous cacher, avec qui plus est une magicienne et un elfe.
-J’entre ici avec méfiance, dit l’homme, parce que je ne sais rien de ces terres, et des gens qui y habitent. Que j’ai perdu un tiers de mes équipages et que j’aimerais éviter que le reste ne tombe dans une cité infectée. Nous aurions pu tuer lors de notre exploration. Mais nous ne l’avons pas fait, car nous avons besoin de votre aide.
-Nous tournerons en rond aussi longtemps qu’il le faudra si tu le souhaites, dit Sœur Viviane, alors réponds franchement, étranger. Quel Hérault es-tu ?
-Quel Hérault suis-je ? Je vous l’ai dit.
-Précisément pas.
-Essayez-vous de me faire avouer que j’œuvre pour les démons ?
-Je l’affirme, assuma Sœur Viviane.
-Comment voulez-vous que je vous prouve que je n’œuvre pour aucun de ces monstres ? je me plierai au moindre de vos tests avec plaisir. Mais il est évident que rien de ce qui compose mon monde ne vous parle. »

Devant le côté stérile de cette discussion, les trois Sœurs se regardèrent à nouveau et communiquèrent. Il était évident que cet homme cachait son jeu, ou ignorait l’existence des Héraults, alors qu’il était sans doute l’un d’eux. Ça ne coutait rien de lui expliquer le concept, sans doute une nouvelle fois, mais peut-être une première.

« Cinq Héraults, dit Sœur Guenièvre. Le premier représente la fureur, la rage, mais aussi la ténacité et la bravoure. Le deuxième représente le changement, le hasard, mais aussi l’immutabilité et le calcul. Le troisième représente le désespoir, la corruption, mais aussi le destin et la communion. Le quatrième, les plaisirs et la séduction, mais aussi la souffrance et la décadence. Le cinquième, enfin, mène les quatre autres, et a un accès privilégié à la compréhension de la nature de ce combat. Tous les cent cycles de saisons, ces cinq Héraults émergent chez les démons, et cinq Héraults émergent dans notre cité pour les affronter, chacun avec leurs armées. Les champs que vous avez traversés sont le champ de bataille depuis que les démons ont envahi notre continent, selon les règles qui furent fixées à l’époque. Nous sommes désormais très proches du prochain cycle, et nous n’avons pas encore réussi à identifier le moindre Hérault. Et tu arrives avec un elfe et une magicienne. Et tu veux nous faire croire que tu n’es pas un Hérault ? Ou que tu n’en connais pas ?
-Combien de temps avant ce prochain combat ? demanda l’homme, apparemment perplexe.
-Réponds à sa question, dit Sœur Vivivane.
-Je ne sais rien de ce que vous racontez, dit-il. Si c’est un tour du destin, alors je ne découvre mon rôle que maintenant. Mais jamais je n’ai servi les démons.
-Pourtant, tu affirmes venir d’au-delà des mers, dit Sœur Viviane. Et tu viens ici. Si cela est vrai, tu comprendras pourquoi mes deux Sœurs et moi-même avons du mal à croire au hasard.
-C’est compréhensible, et pourtant…
-Peut-être que si tu parvenais à nous prouver que tes « dieux » ne sont pas des démons… le coupa Sœur Morgane.
-Cette magicienne que vous avez emmené saurait vous expliquer tout cela mieux que moi, dit-il, car je ne suis pas un homme de religion. »

Les trois Sœurs n’eurent pas besoin de se consulter longtemps, avant que Sœur Morgane ne se lève, pour aller exécuter sa tâche. Elles prévinrent tout de même l’homme que de l’attitude de la magicienne dépendrait sa vie, ainsi que celle de tous ceux qui étaient venus avec lui.

« Je vous en prie, dit-il, traitez-la bien.
-Pas plus brutalement que sa condition de magicienne ne l’exige, dit Sœur Morgane, sur le pas de la porte.
-C’est-à-dire ? demanda l’homme en se tournant vers elle.
-C’est-à-dire que si elle refuse de coopérer, nous n’hésiterons pas à lui faire du mal, jusqu’à ce qu’elle parle. »

Dans un soupir, l’homme retira la dague qu’il portait à la main droite, et autant que ses chaines lui permettaient de le faire, la lui lança.

« Confiez-lui cela, dit-il. Elle sait que je ne m’en sépare que lorsque j’ai confiance. Cela pourrait faciliter les choses. »

Sœur Morgane attrapa le bijou, le considéra, puis quitta la pièce.

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D’abord, le sens de l’ouïe lui revint. Elle entendait qu’on lui criait de se réveiller. Puis ce fut le toucher qui lui revint, et elle sentit l’eau glacée sur son corps. Elle se réveilla lentement, la drogue qui l’avait endormie n’aidant pas. Mais à tout le moins, elle était assez dissipée pour qu’elle reprenne conscience. Elle examina, à moitié réveillée, la pièce dans laquelle elle se trouvait. C’était à n’en pas douter une prison, éclairée seulement par une torche dans le couloir. Des barreaux fermaient sa cellule, et un mur se trouvait dans son dos, contre lequel était négligemment jetés ses vêtements. Prenant conscience qu’elle était nue devant des étrangères, elle eut le réflexe de se couvrir de ses mains.

« Il fallait bien vérifier que tu ne portais pas de mutations, dit une guerrière en haussant les épaules. »

A côté d’elle se trouvait une femme en robe bleue, aux longs cheveux bruns recouverts d’un châle blanc et très fin.

« Qu’est-ce qu’un dieu ? lui demanda la femme.
-Un dieu… C’est.. Les dieux sont les créatures de l’univers, commença Cassandra, surprise par la question. »

La femme en bleu fit un geste de la main, et intervinrent alors deux guerrières restées dans le couloir. Elles saisirent Cassandra par les épaules, et la forcèrent à s’allonger sur un banc en bois qui se trouvait dans la pièce. Encore trop faible pour invoquer des flammes et leur résister, l’élue se laissa faire.

« Voici ce à quoi nous allons jouer, magicienne, dit la femme en bleue. Ton engeance est l’ennemie de ma cité. Et pourtant tu as peut-être accompagné un homme supposé la protéger. Ou la détruire. De ta parole dépend notre interprétation de la situation. De la façon dont tu vas définir le concept de dieu dépendra la situation. Mais je n’ai absolument pas confiance en toi. Alors je vais faire usage de moyens qui, je le crois, permettent de parler. »

Cassandra mit quelques instants à réaliser que la femme tenait de grosses aiguilles dans les mains. Et qu’elle approchait les outils des siennes.

« S’il vous plait, dit-elle, il n’y a pas besoin de faire…
-Il y en a besoin, répondit la femme en bleu, parce que comme je te l’ai dit, je ne te crois pas. La peur de la douleur se lit sur ton visage, c’est une bonne chose. Mais si je m’en contentais, tu pourrais croire que je ne mettrai pas ma menace à exécution. Aussi, je veux être claire. »

Et elle saisit la main de Cassandra, et enfonça brusquement l’une des aiguilles sous l’ongle de son majeur. L’élue hurla, et son sang coula, tachant la robe de sa tortionnaire. La porte qui se trouvait au bout du couloir se mit à raisonner de coups rageurs, comme si quelqu’un essayait de l’enfoncer.

« Inutile de t’acharner, lança une guerrière ! Cette porte est trop solide pour toi l’elfe ! »

La tortionnaire s’arrêta toutefois à une aiguille. Elle regarda Cassandra dans les yeux, et cette dernière ne lut aucune compassion dans le visage de son interlocutrice, mais en même temps aucune satisfaction.

« Je ne ressens pas de plaisir à faire ça, dit la femme. Mais c’est mon devoir. Maintenant que nous sommes au clair sur ce que je peux te faire, réponds-moi. Que sont les dieux ? »

Cassandra sentait monter en elle un besoin irrépressible de consumer l’entièreté de la pièce dans les flammes. Elle avait envie de faire brûler cette horrible femme, et toutes celles qui l’aidaient dans sa tâche, d’aller libérer Telthis, et avec lui d’aller chercher le reste du groupe, s’ils étaient encore en vie. Elle n’en fit rien. Elle n’était pas sûre de ne pas mourir la première si cela arrivait. Seul Lothÿe et les dragons pouvaient brûler si puissamment et si vite quelqu’un qu’il mourrait instantanément. Et de dragons, elle n’avait pas. Alors, elle appela Lothÿe à l’aide.

« Lothÿe ! dit la femme en bleu. C’est un dieu c’est ça ? Qu’est-il ?
-C’est le dieu du feu, hoqueta Cassandra. Le dieu du feu et du soleil. Et il nous voit à travers chaque flamme qui brûle dans le monde.
-Tu n’as pas répondu à ma question, dit la dame. »

Une deuxième aiguille fut enfoncée sous la peau de l’élue.

« J’ignore ce que sont les dieux ! hurla-t-elle. Ce sont des êtres tout puissants, qui ont créé le monde, et notre nature de mortels nous empêche simplement de concevoir la nature profonde de ces êtres !
-Cela pourrait bien être la définition de certains démons, partie création du monde non comprise, répondit la femme. Sers-tu les démons ? »

Alors qu’elle enfonçait une troisième aiguille, Cassandra craqua. Elle voulait que la douleur cesse. Toute sa magie, elle la fit passer dans la guérison de ses plaies. Cela eut pour effet de faire hésiter son bourreau.

« Intéressant, dit la femme en bleu. Tu maitrises cette magie ? Elle vient pourtant des démons, elle aussi.
-Elle vient des dieux, hoqueta Cassandra.
-Tu as fait une grosse bêtise, servante des dieux, dit la femme. Tu as ressoudé tes chairs autour des aiguilles que j’ai enfoncé sous ta peau. L’extraction risque d’être encore plus douloureuse pour toi. »

Cassandra gémit à cette seule pensée.

« Toutefois, dit la femme, nous utilisons également cette magie. Je reconnais là la magie qui nous permet d’enchanter nos armes pour combattre les démons. Les dieux seraient donc des démons repentis ?
-Je… On peut dire ça, mentit Cassandra, qui ne souhaitait plus contredire son interlocutrice.
-Alors il y a un moyen de savoir très vite si tu sers les démons ou les démons repentis, dit la femme. »

Elle envoya l’une des guerrières chercher de « l’eau de la fontaine ». Cette eau, lui expliqua-t-elle, la réduirait en cendre si elle servait les démons. Si les dieux étaient des démons repentis, alors cette eau guérirait ses plaies. Une fois encore. Mais cela ne retirerait pas pour autant les aiguilles.

« Souhaites-tu que je le fasse maintenant ? railla la tortionnaire.
-NON ! hurla Cassandra. »

L’élue avait conscience qu’il faudrait le faire un jour, mais là, en cet instant, elle souhaitait juste repousser ce jour le plus longtemps possible. Puis la guerrière revint, quelques minutes plus tard, avec une coupe remplie d’une eau claire et limpide.

« Bois, ordonna son bourreau. »

Cassandra n’avait rien mangé ni bu depuis longtemps, et son corps le rappela à cet instant. Elle but à grandes gorgées. Rien ne se passa. Elle ne fut pas réduite en cendres. En revanche, elle sentit le pouvoir couler en elle comme jamais auparavant. Le même pouvoir que Lothÿe lui avait donné. Elle fut tentée de brûler cette horrible femme sur place, mais n’en fit rien. Si qui que ce soit s’en sortait, après tout, le reste de l’expédition était compromis. Elle ne pouvait pas se permettre d’improviser une évasion bâclée.

« C’est bien, j’ai mes réponses, dit la femme. Tu ne souhaites toujours pas que je retire…
-Non, dit Cassandra. Non.
-Très bien. Mais tu sais, cela devra être fait un jour. Et je ne te fais toujours pas confiance. Rendormez-la, vous autres. »

A nouveau, l’élue sentit un couteau lui entailler l’épaule. Mais cette douleur semblait ne rien être à présent. Elle se laissa sombrer dans un sommeil plein de rêves. Ses mains la faisaient terriblement souffrir. Jamais elle n’avait subi la torture, jamais. Elle ne voulait plus jamais revivre cela. Et pourtant, quand elle regardait les trois aiguilles qui dépassaient de ses doigts, elle savait qu’il faudrait les retirer. Lothÿe arriva à ce moment dans son rêve. Sans mot dire, il la souleva de son puissant bras droit. Il avait pris une taille gigantesque, pour pouvoir la porter d’un seul bras, comme si elle était un nourrisson. De l’autre main, il retira les trois aiguilles. Elle ne sentit rien, mais fut heureuse de les voir fondre dans les doigts du dieu des flammes. Puis il l’enveloppa dans la manche de son manteau. A cet instant, elle se réveilla.
Elle était toujours allongée sur son banc, mais n’était plus déshabillée. Les gardes de la cellule n’étant pas là, elle se glissa et récupéra ses robes. Hors de question de leur expliquer ce qui venait de se passer. Elle fit disparaitre ses vêtements sous le manteau de Lothÿe, dans lequel elle se roula. Une douce chaleur s’en dégageait. Lui avait-il vraiment fait ce cadeau ? A ce moment, l’élue se rendormit, naturellement cette fois.

---

« J’ai obtenu des réponses, dit Sœur Morgane, en rendant sa bague à l’homme.
-Elle a résisté alors ? demanda-t-il en regardant le sang qui maculait sa robe, l’air surpris.
-Un peu, répondit Sœur Morgane sans se rasseoir. »

Sœur Guenièvre estima que les chances que la bague n’ait jamais été montrée à la magicienne étaient grandes, mais elle n’avait pas à juger Sœur Morgane. Cette dernière avait agi de la façon qu’elle pensait la plus pertinente pour le bien de la cité, à n’en pas douter. Ensembles, elles passèrent dans une pièce mitoyenne, où elles purent discuter à voix haute de ce que Sœur Morgane avait découvert. Puis elles revinrent, et reprirent leurs places.

« Pourquoi votre déesse vous a-t-elle envoyé ici ? demanda Sœur Viviane, passant au vouvoiement.
-Elle ne me l’a toujours pas dit, je le crains, répondit-il.
-Pourquoi ne l’aurait-elle pas fait ?
-Peut-être ne me fait-elle pas assez confiance. Peut-être ne suis-je pas digne de savoir.
-Elle doit avoir une personnalité mystérieuse pour vous confier une mission sans même vous dire ce dont il retourne.
-C’est une partie de sa personne qu’il me faut accepter. Mais je l’aime, malgré tout. Je lui dois ma vie. »

Sœur Guenièvre nota. Les démons repentis que les étrangers appelaient les dieux pratiquaient la servitude et la dette.

« Et donc, elle vous a envoyé ici sans raison à l’aune d’un nouveau cycle. Elle a forcément un plan. Et si ce que vous avez dit est vrai, elle et ennemie des démons.
-Dois-je déduire que je suis supposé être un de ces Héraults dont vous parlez ?
-C’est une possibilité ; Et votre rôle reste encore à déterminer dans cette histoire. Mais comme vous le savez, nous ne croyons pas au hasard. »

Comme convenu par les trois sœurs quand elles avaient discuté en privé, c’est à cet instant que les chaines de l’homme, qui se présenta comme le Commodore Théoden à cette occasion, lui furent retirées.

« Vous avez dit que vous aviez besoin d’aide, dit Sœur Morgane. Nous la donnerons. Mais en contrepartie, votre présence ici sera exigée lorsque viendra l’heure du combat.
-Soyez-en remerciées, dit le Commodore Théoden en se massant les poignets et en se redressant pour s’étirer, visiblement soulagé. Qu’adviendra-t-il de mes compagnons prisonniers ?
-Nous n’avons pas encore tout à fait confiance, dit Dame Guenièvre. Disons que nous prendrons votre magicienne, qui est celle que nous croyons le miens, comme caution de votre bonne conduite. Quant à l’elfe, vous serez aimable d’emmener cette engeance pourrie hors de notre cité. Et vous ne devriez pas faire confiance à cette race. Ils n’amènent que le malheur.
-Je ne peux guère vous contredire sur certains points, dit-il. Mais soit j’emmènerai mon compagnon loin d’ici. Quant à la magicienne, soignez-la bien, c’est ma seule condition pour accepter que vous la gardiez en otage. »

Il s’approcha de la fenêtre de la salle, à au rebord de laquelle il s’appuya, observant la ville à travers les barreaux.

« Aurai-je le droit d’arpenter votre ville ?
-N’y voyez pas d’inconvénient, dit Sœur Viviane, mais nous ne voudrions pas que vous dérangiez la population dans sa vie quotidienne. Eux pour le coup se méfient encore complètement de vous. Vous aurez le droit de rester au sommet de la ville, mais si vous descendez, ce sera pour la quitter.
-C’est parfait, dit-il. Nous verrons pour cette aide lorsque Telthis sera reparti.
-Que comptez-vous demander ? demanda Sœur Viviane.
-De la nourriture, répondit Théoden. Une attaque surprise de démons volants cracheurs de bile a réduit la plus grosse part de nos vivres à néant. Nous mourrons de faim à vrai dire.
-Nous économisions en vue du siège à venir, dit Sœur Morgane, je suppose que nous avons de quoi partager.
-Je ferai mon possible pour m’assurer que vous ne pâtirez pas trop de notre accord, dit-il en retour.
-Vous n’avez pas vraiment le choix, dit Sœur Guenièvre. Si vous êtes un Hérault, vous serez contraint de gagner ou de mourir. Reste à savoir si vous en êtes un, ou si un membre de votre expédition en est un, et si oui lequel. Quelqu’un est capable de dire cela de façon certaine. Mais vous devez savoir avant que allions la consulter que si elle vous identifie comme Hérault, vous serez contraint de combattre contre tous les maléfices dont peut disposer une armée entière de démons. »

Elles le firent venir par la suite dans les murs blancs du palais, de plus en plus profondément dans la roche, arrivant finalement à une salle où aucune lumière ne pouvait pénétrer. Seules les flammes de lanternes éclairaient la salle, où se trouvaient entreposés des artefacts en tout genre. Les Sœurs d’Avalon remarquèrent bien que le commodore était distrait par tout ceci. Elles le contraignirent à avancer, ignorant ses multiples questions. Tout ce qu’il avait besoin de savoir, lui dirent-elles, était que c’était ici qu’elles gardaient leurs plus précieux secrets, et que si la cité devait tomber aux mains des démons, cette salle serait la dernière à être défendue.
Sœur Viviane, à cet instant, ouvrit un coffre où se trouvait un sceptre en jade. Au bout du sceptre, une main d’or qui tenait un rubis. Elle le prit et le leva devant elle.

« Un sceptre ? demanda Théoden, surprit.
-Une prison serait plus exact, répondit Sœur Viviane. AKEL ! »

A ces mots, un être blaffard émergea du rubis, être blanc dans une explosion de couleurs. L’être était une femme elfique aux yeux vides. Elle les considéra tous.

[PV Théoden]Odyssée en terre lointaine Odck

« Ce… Ce visage… dit Théoden, pétrifié. Vous êtes … Akel ?
-C’est en effet moi, dit la femme, d’une voix étonnement faible. Que me veux-tu, humain ?
-Ces dames, avec moi, dit-il, prétendent que je suis supposé être un Hérault. Est-ce dont vrai ? Devrais défendre cette cité contre les hordes démoniaques ?
-Oui, dit Akel sans détour. Tu es le cinquième. Puisque tu as compris la raison de ton combat, où sont tes quatre alliés, Hérault ?
-Je suppose qu’ils sont membres de mon équipage, dit-il en déglutissant. Ils ne se sont pas encore révélés, je le crains.
-Trouve-les vite, Hérault, dit Akel, car le temps presse. Les démons ont déjà trouvé leurs cinq, et ceux-là sont conscients de leur tâche, prêts à se battre, et connaissent vos cinq visages. »

A cet instant, Akel fut aspirée dans le sceptre par Sœur Viviane, qui reprit la parole après avoir rangé l’objet dans son coffre.

« Si nous n’avons pas trouvé les quatre autres dans notre cité, ils doivent être dans votre expédition, dit-elle. Des noms vous viennent-ils à l’esprit ?
-Oui, répondit Théoden en croisant les bras. Et je vous soupçonne de détenir un de vos quatre Héraults.
-Lequel de vos hommes est-ce ? demanda Sœur Morgane, qui mit instantanément la main au trousseau de clés qu’elle portait dans une poche intérieure.
-Je pensais à l’élue divine, dit-il. »

Soulagée, Sœur Morgane retira la main de ses clés, et écarta cette pensée d’un geste du bras. Sœur Guenièvre approuvait ce rejet, après tout…

« Une magicienne ne saurait être un Hérault, expliqua-t-elle. En outre, elle reste notre otage jusqu’à nouvel ordre. Je vous recommande de chercher ailleurs.
-J’aurai besoin de correspondre avec mes équipages, dit-il en emboitant le pas à Sœur Viviane, qui estimant qu’ils n’avaient plus rien à faire ici, retournait vers la salle du conseil. Peut-être voudriez-vous visiter notre campement ? »

La question fut laissée en suspens jusqu’à la salle du conseil. Les trois sœurs délibérèrent dans le couloir du bien fondé de cette proposition. Puis un choix fut fait. L’une des trois était non seulement guerrière de formation, mais n’étant pas aveugle, elle saurait s’échapper si le besoin s’en faisait ressentir. Donc cela ne pouvait être ni Guenièvre, qui n’aurait même pas su par quel bout tenir une épée, ni Viviane, qui ne pouvait se déplacer avec aise que dans ce palais dont elle connaissait les moindres recoins.

« Je m’y rendrai personnellement, dit Morgane. Il va sans dire que si je n’en revenais pas, mes sœurs sauront en faire subir les conséquences à votre magicienne.
-Mes hommes sont trop faibles pour véritablement menacer qui que ce soit, je le crains, répondit Théoden. Mais qu’adviendra-t-il de mes hommes lorsque le temps de la guerre sera venu ?
-Eh bien je suppose que ce sera à vous d’en décider, dit Sœur Viviane en se rasseyant. Dès lors que les cinq Héraults sont ici…
-Ils se feront hacher menu au dehors ! N’y a-t-il pas un abris quelque part ?
-Si vous prévoyez de les abriter chez nous, dit Sœur Guenièvre, vous scellez le fait qu’ils prendront part au combat le moment venu.
-Cela me semble un marché convenable, dit Théoden.
-Vous serez donc logés au premier étage de la cité, dit Sœur Viviane. Il est désert depuis longtemps à présent. Mais votre magicienne restera dans nos geôles.
-Pourrai-je la voir au moins ? demanda Théoden.
-Vous aurez le droit de passer la voir avant de récupérer vos hommes, répondit Sœur Viviane.
-Je vous en remercie, dit Théoden. »

Sœur Guenièvre consulta sa prise de notes. Elle aurait beaucoup de choses à mettre au clair ce soir, car des évènements inhabituels s’étaient produits aujourd’hui.
Mer 11 Jan 2017 - 23:12
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Capitaine Theoden
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Ces derniers évènements laissèrent Théoden plein de questionnements. Ce qui en soit n'était pas inhabituel, depuis qu'il avait navigué jusque dans les eaux d'Albion. Mais cette fois-ci, au sortir de son échange avec la prêtresse Akel, prisonnière de cette cité aux allures de paradis fortifié, un goût amer de désillusion commençait à emplir la bouche du Commodore.
Et si ces gens avaient trop longtemps été influencés par les démons ? Et si ils avaient eux même cessé d'être un bon peuple, capable de grandeur et de bons sentiments ? Si cela était le cas, il ne voudrait assurément pas aider à leurs défenses. Et pourtant, cette ville...
Alors qu'il songeait, Théoden s'était mit à marcher au hasard. Au sortir du palais, son regard avait été accroché par cet arbre mort, au bois blanc comme la pierre et aux racines arquées, enveloppant une source d'eau claire comme l'argent. Ce n'était pas qu'un spectacle curieux ! Mais un véritable phénomène, qui attira Théoden encore et encore, jusqu'à ce qu'il se heurte au plastron d'un garde.
Ils, ou plutôt elles étaient quatre. Dressée autours de la fontaine pour en protéger l'accès. Il ne pouvait pas y avoir meilleure garde pour ce trésor si particulier, imaginait Théoden, tant leurs longues capes noires et leurs casques ailées leur donnait un air imposant. Impérial. Presque divin.
Celle à laquelle il s'était heurté le fit d'ailleurs reculer d'une poigne ferme, sans pour autant lui dire le moindre mot. Le regard qu'elle lui lança en revanche suffit à lui faire comprendre qu'il était illusoire d'espérer passer sans devoir l'affronter.
La lance qu'elle maniait de son autre main acheva de le convaincre de la réelle puissance qu'elle pourrait déployer en cas de besoin.
Il hocha donc la tête et recula encore d'un pas, avec un sourire gêné. Autant ne pas chercher querelle inutilement.
Alors Théoden reprit son tours, jusqu'au bout de cette longue corniche qui s'étendait droit devant les portes du palais vers l'horizon. C'était à n'en pas douter un observatoire prodigieux, pour ceux qui vivaient là !
A une telle hauteur, même l'épais parapet qui bardait le pourtour du chemin ne sembla pas rassurer le Commodore.

"-Quelle drôle d'architecture..." murmura-t-il

Alors qu'il s'aventurait toujours plus avant, vers le bout de cette lame de pierre qui scindait la cité en deux, Théoden jeta un coup d'oeil en arrière. Des gardes arrivaient, avec leur Capitaine en tête. Il lui faudrait attendre une autre occasion, pour terminer sa promenade.
Théoden fit donc demi tours et rejoignit les femmes qui approchaient, les bras chargées de ses effets, qu'il fut heureux de retrouver.
Sous leurs regards méfiants, qu'il soupçonnait plus qu'il ne voyait, le Commodore remit son baudrier, y passa sa rapière et sa paire de mousquet. Sa main gauche et ses instruments de navigation. Et la précieuse lame de son père, qu'il portait dans son dos depuis le jours où il avait prêté le serment de le venger.
Il le savait, ces femmes là n'étaient pas heureuses de le voir récupérer ses armes. Au coeur de leur précieuse forteresse. Elles ne pourraient pas avoir plus raison de se méfier, tant ce qui arrivait aller contrarier toutes leurs certitudes...

~o~

Avant de repartir pour Heavens Bay, Théoden obtint de passer la nuit qui arrivait dans le palais. C'était une précaution qui fut jugée louable par les Soeurs dirigeant Avalon. Alors après une courte nuit dans une chambre modeste, sous la surveillance d'une paire de gardes, le Commodore put finalement accéder aux geôles où il devait retrouver Cassandra.

Il fut surprit de voir toutes les mesures qui avaient été mises en place afin de s'assurer qu'elle ne s'échapperait pas. Pourquoi tant de précautions vis-à-vis d'une seule magicienne ? Puisqu'ils ne croyaient en rien aux dieux, ils ne devaient rien soupçonner des pouvoirs de l'élue de Lothÿe !

Dans ces longs couloirs gelés, le cellule de Cassandra faisait figure de toute petite boite. La porte, il aurait pu passer devant sans même la remarquer. Alors quand un garde retint sa marche, d'une main sur l'épaule, il ne pu s'empêcher de tressaillir.
On lui ouvrit, et une femme lui prêta une torche, afin qu'il puisse y voir dans la cellule.
On la retenait dans le noir...
Théoden s'arma de son courage et passa le pas de la porte. Non sans devoir baisser la tête. Il avait vu le sang, sur la robe de Soeur Morgane, et espérait retrouver son amie en bonne santé. Malgré tout. Il trouva l'élue blottie dans un coin de sa cellule, dans une cape bien curieuse qu'elle n'avait pas à l'arrivée.
Par mesure de précautions, devant ce qu'il pré-sentait comme un miracle divin, Théoden préféra taire ce détail, et marcha jusqu'à elle. Il plia le genoux, la torche à bout de bras pour l'éclairer. Après un examen sommaire -comme il ne distinguait que son visage- Théoden s'enquérit de sa santé.

"-Cassandra, est-ce que tout va bien ?"

Il se mordit la lèvre, rien qu'en songeant à la stupidité de sa question. Il avait vu le sang...

"-Non. Quand partons-nous de cet endroit ?

-Je crains que la situation ne soit trop compliquée pour que nous puissions partir. Celles qui dirigent cette cité... elles ont accepté de nous offrir nos provisions. En échange d'aide lors de prochains combats. Et...En attendant elles veulent vous garder comme précaution, s'assurer que nous ne les trahiront pas."

Il soupire, navré par ce qu'il était contraint d'annoncer. Il ne s'imaginait véritablement pas qu'elle craquerait.

"-Je suis désolé de vous avoir fourré dans ce mauvais pétrin."

A ces mots, l'élue écarquilla les yeux et eut un sursaut de panique. Elle lui lança un regard qui le laissa figé sur place, horrifié.

"-Commodore, non ! S'il vous plait ne me laissez pas ici !"

Théoden posa une main sur l'épaule de l'élue. Non seulement pour éviter qu'elle ne s'agite trop et alerte les gardes, mais aussi parce qu'un geste de tendresse, même aussi maladroit et timidite ne pourrait que la rassurer. Du moins, il le pensait.

"-Je n'abandonne pas l'idée de vous sortir d'ici. Ce ne sont certainement pas des adieux ! Et tant que vous serez là, nous resterons aussi."

Elle se mit à trembler, pauvre bout de femme à court de courage et de force. Que lui avaient-elles fait ?

"-Commodore... Ces femmes me haïssent pour ce que je suis, une magicienne. Je ... Je ne peux pas rester ici capitaine. Je croyais que j'étais brave, mais je reste une demoiselle au final. Je ne peux pas faire ça. Pas après ce qu'elles m'ont fait. Je veux quitter cet endroit."

L'éclat de grosses larmes se mirent à scintiller dans les yeux de Cassandra. C'en était si choquant à voir, pour Théoden qu'une vague de dégoût le prit à la gorge.
Cassandra avait toujours été un véritable phare pour l'Odyssée, depuis le début. Jamais résiliée, toujours assurée. Elle avait toujours combattu et vécu avec la même hardeur, malgré les démons et leurs pestes.
Alors la voir ainsi abattue... Théoden mit un instant de côté la colère irrationnelle qui se mettait à bouillonner en lui. Il ôta ses gants, abandonnant sur le sol sa torche et prit le visage de la jeune femme dans ses mains. Elle avait clairement besoin qu'on lui rappelle qui elle était.

"-Souviens-toi du dragon, Cassandra." commença Théoden, abandonnant vouvoiement et convenances. Il lui parla comme un ami proche. Celui qu'il aurait peut-être toujours dû être. "Souviens-toi de Demon Cove. Souviens-toi du serpent de mer qui a faillit te happer, de la faille que nous avons comblée, de ces centaines de démons que nous avons renvoyés dans les Abysses. Souviens-toi combien tu étais forte, et pleine d'ardeur. Je ne peux pas croire que cette Cassandra là se soit éteinte face à trois mégères dans leur tour de cuivre. Je ne t'ai jamais abandonnée, et je ne compte pas commencer aujourd'hui."

Elle sembla s'accrocher au regard clair de Théoden. Toujours tranchant et vif dans l'obscurité.

"-Mais je n'ai jamais connu une telle souffrance. Cette femme, cette brune avec une robe bleue... Le plus tranquillement du monde, elle m'a fait souffrir capitaine. Je n'ai jamais été torturée. Je ne veux plus jamais l'être. Je veux partir d'ici. Lothÿe m'a aidé à passer cette épreuve, mais il n'interviendra pas dans le processus. Uniquement pour soigner mes blessures après. Mais je ne veux pas qu'il ait seulement à les soigner capitaine. Je ne veux plus jamais subir cela, par pitié.

-Que t'a fait cette femme, Cassandra ?"

Il jeta un coup d'œil par dessus son épaule et s'approcha un peu plus, baissant d'un ton.

"-A-t-elle vraiment osé ? Même avec ce que je lui ai donné pour te mettre en confiance ?"

Cassandra resta interdite un instant, se remémorant les souvenirs difficile de la torture. Elle n'en sembla pourtant pas plus hésitante, ce qui était bon signe.

"-Que lui avez-vous donné ?"

Théoden laissa sa main droite quitter la joue de Cassandra. Il lui montra la bague à son annulaire, scintillante. Toujours cette lueur bleutée, océane.
Un ouvrage splendide, toujours source d'apaisement pour Théoden. Elle avait certainement dû le voir parler à cette bague, depuis le temps. Comme si il s'agissait de Belaner même, celui qui l'avait enchantée.
Cassandra fit lentement non de la tête, lâchant dans un souffle qu'il n'a jamais été question de cette bague. Que Morgane lui aurait glissées sous les ongles des aiguilles de métal. Un frisson glacial fit sursauter Théoden, à cette pensée. Il trouva les mains de Cassandra et les examina, affligé. Il s'excusa, maintes fois, coupable de l'avoir jetée dans ce cachot. D'avoir manqué de clairvoyance.
Après tout, il aurait dû se douter que cette société recluse finirait par développer cette méfiance maladive envers les mages. C'était eux, après tout, qui leur ont apprit l'usage de la magie. Cette magie qui leur a permit d'entrer en contact avec les démons, et de précipiter tout leur monde dans le chaos.
Théoden garda les yeux baissés, longuement. Un silence pesant se fit, seulement interrompu lorsqu'il porta à nouveau son regard sur Cassandra.

"-Il viendra un jour où cette femme regrettera ce qu'elle a fait. Peu importe si ça doit être maintenant, ou dans six lunes. Non seulement elle ne te touchera plus jamais, mais elle aura de quoi se maudire chaque jour d'avoir osé torturer ainsi mon amie la plus chère.

-La vengeance ne sert à rien. Le mal qui est fait est fait. Mais on peut encore l'empêcher de se répéter. S'il vous plait, quoi que vous ayez à faire, faites-le vite... Je veux partir d'ici."

Théoden fut soulagé de la voir retrouver un brin de sa détermination. Peut-être allait-elle pouvoir tenir un peu, malgré ces geôles glaciales et le noir. Alors il referma autours d'elle sa cape et se leva. Il lui promit de faire aussi vite que possible et ramassa sa torche, pour sortir. Avant le pas de la porte, il lui jette un regard compatissant.

"-Je prierais Ariel pour toi. Et je reviendrais vite te voir."

~o~

Il en fallut des efforts à Théoden, pour qu'il parvienne à contrôler cette vague terrible de rage qui le prit au sortir de la cellule de Cassandra. La tête basse, noyée dans l'ombre de son chapeau, il serra les mâchoires jusqu'à ce que les gardes du palais le laissèrent aller seul.
En des occasions de plus en plus courante, il arrivait au Commodore qu'il lui soit tout à fait impossible de contrôler ses pulsions. L'Odyssée ne sembla pas arranger cette tendance, le rendant occasionnelement imprévisible pour tout le monde. Lui-même inclu.
Cette fois, il était déterminé à laisser éclater son ire. Alors il tira de sa poche son compas. Il le savait à nouveau fonctionnel, dans cette enclave libérée de l'influence des démons. Puis ses pas le portèrent peu à peu vers le niveau inférieur. Rapides, mais lourds. Ses talons, en claquant dans les rues eurent un échos sourd, qui tantôt effraya les habitants, tantôt les figèrent dans leur quotidien.
Les rues furent rapidement vidées lorsque le Hérault s'y pressa. Personne n'avait confiance en cet homme. A juste titre. Car Théoden ne comptait pas se sortir de la cité, retrouver Telthis et ses hommes à la grande porte.
Ca non.
Il avait deux mots à dire à cette Morgane. Soeur supérieure ou non, il n'allait prendre aucun gant.
Son compas guida Théoden jusqu'à une porte. Elle donnait sur la rue, semblable à beaucoup d'autres. Mais elle ne résisterait assurément pas, si il décidait de l'enfoncer.
En bas des marches du péron, le Hérault s'arrêta, soufflant comme un buffle. Les enjeux étaient très grand aujourd'hui. Mais à chaque fois qu'il songeait à Cassandra, et à ces larmes qu'il a aperçues dans la cellule, Théoden sentait son coeur se gonfler de colère. A chaque instant qu'il passa, planté devant la demeure de Morgane, à hésiter, sa rage enflait, avec sa détermination. Encore, encore et encore. Jusqu'à ce que d'un geste vif, il tire de son fourreau sa rapière.
Ce curieux manège attira l'attention d'un peloton de gardes passant non loin.
Une dizaine de femmes en armures, que le sifflement de la lame du Commodore fit tressaillir. Elles n'osaient pas véritablement intervenir, sans doute effrayées par celui qui avait été annoncé la veille comme le Hérault qui allait sauver leur cité.
Mais elles approchèrent, avec méfiance, et se déployèrent autours de Théoden, l'isolant du reste de la rue.
Mais la situation ne fit que rire le Commodore, qui leur jeta un coup d'oeil.
Il leva sa lame, lentement et les menaça une à une, dans un geste circulaire lent.
Pour un peu, ce simple mouvement les aurait fait détaler ! Mais elles étaient déterminées à savoir ce qu'attendait là leur Hérault.
Théoden leur répondit de façon si énigmatique et menaçantes qu'elles finirent par se résigner, et partir. Sans pour autant le quitter du regard.

Malgré l'ire et le désir aveuglant de revanche, Théoden ne peut s'empêcher de penser qu'il n'est plus temps d'hésiter et de réfléchir. Que le meilleur moyen d'aller asseoir ses conditions, est d'aller trouver Morgane jusqu'au coeur de son foyer.
Alors il enfonce prestement la porte. Sans finesse, ni patience. D'un bon coup de botte à la façon Kelvinoise. Après quoi il entre, rugissant le nom de Morgane avec une voix rauque. Derrière lui, la porte se referme, après avoir heurté le mur soutenant ses gonds. On ne finit plus que par entendre un léger rire dérangé.
Jusqu'à en tout cas que Morgane ne surgisse d'une pièce adjacente, prenant un soin très particulier de refermer la porte derrière elle.
Qu'y cachait-elle donc ?

"-Etes-vous fou d'hurler ainsi ? Si vous souhaitiez effrayer mes enfants, c'est réussi."

Ses enfants, alors...

"-Ah !" fait-il avec un entrain malsain en la voyant enfin arriver. "Nous avons à nous dire, vous et moi."

Naturellement, il aurait pu rester là, exposer ses griefs dans cette entrée et régler son compte à cette femme sur l'instant. Mais elle était trop confiante. Trop sûr d'elle, ici, au coeur de sa forteresse.
Théoden fit donc un premier pas vers elle, puis un second. Et lorsqu'elle fut assez proche, il lui glissa sa lame sous la gorge, la forçant à reculer jusqu'à ce qu'elle heurte la porte derrière elle.

"-Derrière cette porte" articula-t-elle, en essayant de ne pas s'empaler sur la lame du Commodore "il y a mes enfants, Hérault, et je n'ai pas envie que vous les dérangiez plus que vous ne l'avez déjà fait.

-Si je n'étais pas là, vos enfants ne seraient pas dérangés, mais condamnés."

Ce faisant, il tendit sa main gauche et ouvrit la porte d'un coup sec, avant de la pousser vivement à l'intérieur. Il y eut des cris affolés, des tignasses folles courant dans tous les sens.
Les enfants de Morgane furent attrapés par ce qui devait être une nourrisse et emmenés au fond de la pièce.

"-Et je pourrais leur faire bien plus de mal que ces démons que vous affrontez."

Morgane sembla se raidir en entendant cela. Théoden avait beau pénétrer jusque chez elle, elle avait gardé des précautions en cas d'attaque. En l'occurrence, elle se rua sur une lame posée au hasard sur une table du salon.

"-Du mal ?

-La souffrance est votre métier, n'est-ce pas ? Cela ne doit pas être si dérangeant !"

Il la vit faire, et un grand sourire fendit son visage. Un duel serait très intéressant pour jauger celle qui prétendait commander l'armée d'Avalon.
Mais ce ne serait pas le moins du monde un défis sérieux, et encore moins un moyen efficace de faire libérer Cassandra.

"-Je ne ferais pas ça à votre place."

Alors Théoden se saisit de son mousquet à sa ceinture et le pointa sur l'une des petites têtes en retrait, armant dans la foulée le chien.

"-Je suis venu négocier. Mais pas le genre de négociations que je m'attends à voir échouer.

-Quelle est cette chose que vous pointez sur mes enfants ?"

Théoden rit de nouveau, avant de retrouver son sérieux. La crainte qu'il suscitait chez Morgane lui procurait un certain plaisir, presque obsène. Parfaitement malsain.

"-Posez donc ce couteau à beurre, avant que je ne perde tout à fait patience." prévint-il.

Morgane finit par obtempérer, lâchant son arme, qui tomba lourdement au sol. Cependant, elle se plaça entre Théoden et ses cibles.

"-Très bien !"

Théoden releva son arme, désarmant le chien et la rangea à sa place, préférant menacer directement Morgane de sa rapière.

"-Maintenant, vous allez libérer mon amie. Il est hors de question que je sauve une cité qui enferme pour des raisons absurdes des innocents."

Morgane tenta bien de le faire reculer, de l'emmener à nouveau dans l'entrée. Mais Théoden ne cilla pas, laissant la pression exercée par sa lame sur la gorge de la Soeur Supérieur augmenter, jusqu'à ce qu'elle renonce. Elle lui rappela leur accord, passé plus tôt. Le Commodore en rit. Il n'était plus question d'accepter cela.

"-Je peux comprendre les précautions. Mais la torture gratuite ? Hm... C'est mal de jouer au jeu des démons. Alors mes prix augmentent, si vous voulez votre salvation.

-Je n'ai fait que mon devoir.

-Et je ne fais que le miens. Vous acceptez, alors ?"

Autant dire que la réponse ne fut pas plus positive qu'auparavant. Morgane seule n'en avait pas le pouvoir. Ni l'envie. Alors Théoden opta pour son plan de secours, bien plus coûteux et audacieux. Risqué en tout point, mais incontournable.
Il devrait libérer Cassandra par ses propres moyens.
Alors le Hérault finit par reculer, lentement.

"-Je vais m'en aller, moi et tout mon équipage. Nous allons emporter ainsi vos seules chances de vous défendre lors de la prochaine grande bataille à venir. Amusant, non ? Et comme ça vous aurez le privilège d'expliquer pourquoi vos cinq héraults s'en sont allés avant la bataille.

-Vous n'en ferez rien. Et vous savez pourquoi ? Parce que vous l'avez vous-même dit. Vous mourrez de faim. Que vous ayez dû quémander la liberté de votre amie contre de la nourriture prouve que vous êtes dos au mur.

-Peut-être que je suis assez fou pour tenter ma chance sur un coup de dé ?"

De nouveau, un rire. Un hoquetement à demi cinglé.

"-Peut-être même que je suis prêt à sacrifier les deux tiers de mes hommes, juste pour être certain d'en sauver !

-Si vous êtes assez idiot pour faire cela, grand bien vous en fasse. Avalon n'a pas besoin de ce genre de Hérault pour le mener au combat, nous pouvons très bien le faire seuls. Après tout ce ne sont que des règles."

C'était inattendu, il était vrai. Mais Théoden ne se laissa pas désarmer. Il préféra jouer l'indifférence, haussant les épaules avant de rengainer son arme.

"-C'est votre dernier mot ?"

Elle acquiesça, ce qui n'était pas pour arranger Théoden. Mais il n'insista pas plus, reculant jusqu'à atteindre la porte.

"-Condamnez égoïstement toute votre ville si vous le voulez."

A ces mots, il s'en alla. Elle tenta bien de l'interpeller depuis le pas de sa porte, jusque dans la rue. Mais il l'ignora totalement, descendant tranquillement le chemin supposé le mener à la grande porte.

~o~

Heavens Bay avait grandement changé depuis le départ de l'expédition de Théoden. En dix jours, le campement hasardeux organisé sur les galais s'était étendu jusqu'à recouvrir une bonne moitié de la longue plage de galet qui composait la côte.
Sous la garde minutieuse et attentive du Capitaine de Treville, le millier de marins survivants composant l'Odyssée avaient pu trouver un repos certes relatif, mais grandement mérité.
Alors, lorsque Théoden mena ses hommes lors de la descente des falaises sur la plage, il n'était pas surprenant de croiser des sentinelles aller et venir entre le camp et les hauteurs où l'on installait des signaux d'alarme.
De même, les mâts de rechange avaient été carrément plantés dans le sol autours des tentes, afin d'installer des récupérateurs d'eau de pluie, mais aussi des tireurs.

"-Je crois qu'il me faut m'excuser." commença Théoden, se tournant vers Telthis après une semaine de marche dans un silence complet.

"-Et pourquoi donc ?" s'étonna l'Elfe en pressant assez le pas pour rejoindre le Commodore en tête de peloton, alors qu'ils arrivaient sur les galets.

"-Parce que nous allons devoir y retourner.

-Il manque Cassandra. Je suis passé devant sa cellule en sortant. Elle n'était pas sortie."

Telthis devinait sans doute les intentions de Théoden. Rien de bien surprenant, pour celui qui aurait pu être le commandant de l'Odyssée, et qui subissait en première ligne les facéties du Commodore.

"-Comme cette garce de Morgane a été sourde face à mes suppliques, nous allons devoir libérer notre amie nous même. Je doute que nous ayons nos chances au dehors sans elle."

Il jeta un coup d'oeil à Telthis.

"-Mais cette fois, si nous entrons dans cette ville, nous ne serons pas aussi stupides que la première fois.

-Il n'y a que les imbéciles qui n'apprennent pas de leurs erreurs.

-Assurément."

Ils sont interrompus par l'intervention d'un sergent, accourant à l'approche du petit groupe. Théoden, au même titre que tous les autres était apparemment attendu avec impatience par les Officiers restés.
Le Commodore fit signe aux autres de continuer, le temps que le messager délivre ce qu'il avait à dire. Une affaire gravissime, à en juger par la mine que fit Théoden en l'apprenant ! Mais il se garda bien de répondre aux mots qui lui avait été soufflés, préférant garder cette conversation sous silence.
Lorsque le Sergent fut repartit, Théoden rattrapa les siens, non loin des premières tentes.

"-Je pense que la nuit sera à nouveau notre meilleure amie." reprit-il, l'air de rien "Qu'en dites-vous ? Vous avez peut-être plus d'expérience que moi dans le sauvetage de demoiselles.

-Je pense surtout qu'il faut nous reposer ici et prendre notre temps pour planifier ce sauvetage. On n'improvisera pas ça.

-Le temps nous manque. Nous ne devons pas tarder, je crains pour la sécurité de Cassandra, maintenant que nous ne sommes plus là pour nous assurer qu'elle ne subit pas les pires abus.

-Nous devons prendre ce risque."

Théoden se mordit la lèvre, peiné face au constat que Telthis avait raison. Repartir de suite c'était la certitude de manquer de préparation.
Avalon ne saurait être inflitrée deux fois sans un plan digne de ce nom ! Même si l'opération était mené par le meilleur des Elfes Blanc et celui qui a pu infiltrer le Palais Royal d'Oro.

"-Très bien, je me range derrière votre avis." fit le Commodore, préférant l'apaisement. "Nous emmènerons qui vous voudrez pour cette mission."

Il s'interrompt un instant, saisit par un souvenir dont il devait à tout prix faire part à Telthis. Théoden l'emmena donc plus loin, à l'écart des autres.

"-Il se pourrait bien que ce soit une double mission de sauvetage.

-Double ?

-Lorsque nous discutions, avec les sœurs supérieures, elles m'ont emmené devant un bien curieux artéfact. Un sceptre, contenant l'esprit d'un Elfe Blanc que j'ai très clairement reconnu comme l'un des compagnons de Sildael la Radieuse. Akel.


-Akel ? La prêtresse ?"

Telthis semblait interdit. Comment ne pas l'être ? Cette prêtresse était supposée morte depuis sans doute plusieurs siècles !

"-C'est elle qui m'a identifié comme un de leur Hérault, supposé participer aux défenses de la cité lors d'un prochain affrontement."

Il acquiesce.

"-La prêtresse, oui. Son esprit semblait faible, mais pourtant bel et bien là. J'ai pu converser quelques instants avec."

Si il ne connaissait pas Telthis, et n'avait pas toute confiance en sa loyauté légendaire, Théoden aurait eu peur de l'expression de l'Elfe à ce moment là. Il fulminait, visiblement outragé par la nouvelle. Peut-être l'avait-il connue, avant leur exil ?

"-Quels genre de monstres peuvent retenir l'âme d'une prêtresse prisonière ?

-Je pense que vous comprenez pourquoi, désormais, cette mission a un intérêt double.
Il faut que vous compreniez que ces gens sont persuadés que les votre, en arrivant sur leurs terres sont les responsables de l'effondrement de leur société, et des guerres qui l'ont déchirées. Deux clans, clamant posséder la vérité. L'un prétendant que les Elfes dirigés par Sildael sont les représentant de la plus parfaite beauté. L'un prétendant qu'il ne s'agit là que d'absurdités. Nous constatons seulement maintenant les effets des siècles qui ont passés sur ces civilisations ravagées.

-Vous allez me raconter tout cela. Dans le détail. Une fois que nous aurons un plan pour libérer Cassandra.

-Cela va de soi."

~o~

"-Capitaine Rossi ?

-Commodore. Heureux de vous revoir."

Une lumière, douce et vive emplit l'espace. Celui d'une petite remise, dans le ventre du Wench. Henrique Rossi y avait été enfermé, avec ce qui était apparemment le stock de couverture.
Il n'avait pas fallut une heure avant que Théoden entende parler du curieux cas du Capitaine Oréen, refusant soudainement de s'alimenter. Alors après tout juste ce qu'il faut de temps pour régler les affaires urgentes et de passer des vêtements propres, Théoden s'est empressé d'aller le trouver là où Treville l'a fait enfermé. Inquiet, visiblement.

"-On m'a confié que vous avez refusé de vous alimenter, il est normal que je vienne voir de quoi il en retourne."

Théoden vint s'asseoir à côté d'Henrique, accrochant au mur sa lanterne afin d'éviter d'incendier l'endroit. Il lui sourit, bienheureusement. Retrouver les affaires courantes de son bord lui firent l'effet d'un soulagement complet.
Il retrouvait enfin les commandes de sa vie, en un sens.

"-Alors, que vous arrive-t-il ?

-J'ai pas complètement arrêté, j'ai juste fortement diminué. Mon but n'était pas de crever de faim, mais de donner le gros de mes rations à Fiora.

-C'est un beau geste de votre part. Mais guère sage, vu les temps qui courent. Nous avons besoin de vous en forme pour les prochaines attaques."

Théoden le vit compter sur ses doigts et comprit avant même que l'Oréen n'ouvre la bouche.

"-C'est-à-dire qu'elle a besoin de manger plus. Et ça ne va pas aller en s'améliorant.

-Elle en est à combien de mois ?" fit Théoden, en posant sa tête contre le mur derrière lui.

"-C'est encore le début. Elle doit en être au troisième. J'en parlais pas avant parce que ça aurait porté malheur, mais là je crois que c'est bon.

-Je crois qu'il n'est pas avisé de ma part de vous faire la morale." soupira Théoden
"Vous devez déjà vous douter de tout ce que votre épouse risque à accoucher ici. Sans parler du bébé, et in fine de vous même.

-Je le sais bien. Mais il est là maintenant.

-C'est une bien mauvaise passe dans laquelle vous venez de mettre votre famille, Capitaine Rossi."

Il se relèva, avec un sourire aussi compatissant que possible. Malgré la dureté de ses paroles.

"-J'espère que vous saurez affronter les conséquences de cette folle stupidité qui vous a pris tous les deux.

-Allez-vous me reprocher d'aimer ma femme ?

-Oh certainement pas !" rit le Commodore "Je vous reproche de le faire au mauvais moment.Puisse les dieux aient pitiés de vos âmes.

-Je l'espère aussi. Quand est-ce que j'aurai le droit de sortir ?"

Théoden ouvrait déjà la porte, voyant le problème résolu. Il était inutile de le garder enfermé ici.

"-Je crois qu'il n'est pas utile de vous retenir plus longtemps. Allez la retrouver.

-Je vous remercie commodore."

Théoden le laisse aller avec un léger sourire désabusé, lançant tout de même un "Je me réjouis pour vous Henrique !" alors qu'il s'éloignait dans une coursive.
Mais il n'y eut guère de temps pour les réjouissances. Henrique retrouvait à peine Fiora qu'un garde accourait vers le Commodore, avec la nouvelle urgente qu'une femme avait été arrêtée aux abords du camp, désarmée et seule.

"-'Soeur Morgane' dites-vous ? Amenez-la."

Et en effet, il s'agissait bien de la même Soeur Morgane que celle menacée par Théoden une semaine plus tôt dans son salon. A la différence qu'elle portait une robe blanche, avait abandonnée ses armes en route et avait vus ses poings liés par de lourds fers. Deux gardes lui firent monter la passerelle jusqu'au bord du Wench où l'attendait Théoden.

"-Que voulez-vous ?" lâcha-t-il abruptement, alors même qu'on l'arrêtait, sans douceur.

"-Soeur Viviane et Soeur Guenièvre pensent qu'il nous faut nous montrer moins intransigeantes à votre égard. Selon Soeur Guenièvre, si vous venez vraiment d'au-delà des mers, alors vous êtes arrivés en des lieux qui obéissent à des règles qui vous sont inconnues, et nous ne pouvons donc pas vous reprocher leur non-respect. Nous avons donc pris la décision de m'envoyer ici seule me constituer prisonnière. Ainsi, les deux camps en auront une.

-Et que voulez-vous que je fasse d'une prisonnière, alors que je prépare ma flotte pour le départ ?"

Il croisa les bras.

"-Je reconnais l'intention louable, mais c'est la mauvaise personne que vous envoyez pour me retenir.

-Je suis bien d'accord avec vous sur ce point, mais elles ont estimé que me confier moi, que vous semblez détester particulièrement pour le traitement infligé à votre magicienne, serait une prisonnière de plus grande valeur que n'importe qui d'autre, et donc que j'aurais plus de chances de vous empêcher de repartir."

Théoden eut un rire cynique, tant la logique des Soeurs d'Avalon lui paraissait à côté de la plaque. Parfaitement stupide.

"-Voyez-vous cela ! La différence, c'est que je n'ai pas l'intention de vous rendre les sévices que vous avez fait subir à mon amie. Vous m'êtes... parfaitement inutile ici."

Il siffle un coup, et un geôlier arriva avec des clés. Le marin ôta ses menottes à Morgane et se retira sans attendre, alors que Théoden attrapait la jeune femme par l'échine, pour la ramener jusqu'à la terre ferme.

"-Mes termes restent inchangés, je vous laisse les porter jusqu'à vos Sœurs. Dans deux semaines, jour pour jour, nous serons tous repartis.

-Loin de moi l'intention de faire du chantage, Hérault, mais vous laisseriez votre amie magicienne derrière vous ? Après tous les efforts que vous mettez en place pour la faire libérer ? Je ne suis pas aussi intelligente que Soeur Guenièvre, ou sage que Soeur Viviane, mais je ne suis pas une sotte pour autant.

-Elle est mon amie, certes. Mais froidement réfléchit, ce n'est qu'une vie. J'en ai plus d'un millier ici à sauver ! Vous croyez que je vais toutes les risquer dans cette guerre sans la moindre assurance que nous ne serons pas massacrés à notre tour par les votre après ? Le départ est encore la meilleure solution, en l'état. Cassandra comprendrait."

Une fois sur les galets, Morgane finit par trouver ce qui pourrait être un véritable début de solution. Elle proposa à Théoden de permettre à Cassandra d'aller et venir dans la ville. Sa cage serait plus grande, faute de disparaître.
Le Hérault avisa la solution en flattant sa moustache. Il ne fit que demander à la faire surveiller par quelqu'un appartenant à l'Odyssée. A vrai dire, c'était bien plus pour éviter des malheurs à Cassandra, dans les rues, plutôt que pour assurer la sécurité de la cité. Théoden fit signe aux gardes de rester près de Morgane, après un regard pour Telthis. La crainte, après les récentes révélations concernant la détention d'Akel était évidente dans le regard de Théoden.
Mais l'Elfe ne sut résister à la tentation. L'ire que lui procurait ces nouvelles lui permirent de se débarrasser sans mal de Tobias et Brujon, qui avaient pour tâche d'assister l'Elfe dans ce qu'il faisait.
Les deux gardes protégeant Morgane n'eurent pas plus d'efficacité. Telthis les balaya d'un revers de la main, comme si il n'eût s'agit de rien et attrapa la Soeur Supérieure d'un tours de poignet. Elle faisait si chétive, comparée à la montagne de muscles enragée qui la menaçait... et en effet, Telthis n'eu aucun mal à la soulever, d'une seule main. Il comptait très visiblement la tuer !

"-Telthis !"

L'Elfe aurait pu parvenir à ses fins, si Théoden ne s'était pas jeté sur lui et l'avait plaqué au sol brusquement. Telthis, même hors de lui fut bien obligé de lâcher sa victime, et roula au sol.
Morgane était vite devenue aussi livide que sa robe. Prostrée sur un sol de galets noirs, elle crachait ses poumons et peinait à reprendre son souffle.

"-Laissez-moi lui infliger ce qu'elle mérite Commodore. J'étais dans la cellule voisine de Cassandra, je pourrais au moins la faire souffrir comme elle a fait souffrir notre élue.

-Il y a un temps pour tout, Telthis."

Théoden jeta un coup d'oeil à Morgane, que le Docteur Thackery vint spontanément aider, comme il officiait non loin. Le médecin la releva avec un sourire concerné et examina la tempe ouverte de la pauvre femme.

"-Et vous serez le premier à venger les votre, MAIS, pas avant que nous n'ayons fait sortir Cassandra, et que notre accord avec Avalon ne soit soldé."

Il s'approcha, lui murmurant loin des oreilles distraites de Morgane.

"-J'ai juré à Cassandra que nous leur ferons payer. Et je suis ravit de voir que vous êtes d'accord. Mais avant, vous devez savoir tout ce que je sais sur ces gens.

-Vous me direz tout cela le plus tôt possible, j'espère." grommela l'Elfe.

"-Aussitôt que nous serons en route." promit-il en posant une main sur l'épaule de Telthis "Et ça, ça ne pourra arriver que si je suis sûr que vous n'allez vous étriper aussitôt que j'aurais le dos tourné. Vous pouvez me faire cette faveur ?

-Je peux."

Puis il s'éloigna, afin sans doute d'échapper à cette colère déraisonnable qui lui avait fait perdre son calme inébranlable.

~o~

Les préparatifs du départ furent bien moins longs que ce qu'estimait Théoden. Sans doute la perspective de s'éloigner de l'océan motivait-il les équipages !
Le Blacksmith et le Wicked Wench furent amenés jusque sur la côte, arrimés solidement au rivage. On les vida de leurs vivres, mais aussi de leurs bien les plus important. Armes et provisions en tête. Thackery fit emmener tout son laboratoire, au grand damn des officiers. Mais avec la guerre qui arrivait, c'était là sans aucun doute le plus sage à prévoir.
Théoden vida son bureau de ses bien, les fourrant dans des coffres solides.
Puis vint le moment de la grande marche. En une colonne aussi serrée que possible, le millier de marins de l'Odyssée se mit en marche vers Avalon.
Des chevaux, il n'y en avait pratiquement plus. A peine une paire, qui furent empruntés par Théoden et Telthis afin de diriger le groupe.
Avant l'arrivée à Avalon, Théoden arrêta le groupe. Il valait mieux prévenir, plutôt que guérir. Alors on banda les yeux de Morgane, et on la tint à l'écart du groupe un bon moment.
Selon les ordres du Commodore, toutes les prêtresses, et les quelques mages Teikokujins que comptait l'Odyssée durent se changer et se faire passer pour d'ordinaires marins. Il s'agissait de leur éviter le sort de Cassandra. Théoden y tint tant qu'il passa même s'assurer personnelement que chacun avait obéit, resserrant lui même les lacets de leurs capes.

"-N'oubliez pas." confia-t-il à Johei "Ces gens là vous considèrent comme des monstres. Je vous en prie, ne vous faites pas voir, ne leur faites pas confiance. Nous avons trop besoin de vous."

Lorsque le peloton repartit, il ne fallut pas longtemps avant que le grand mur entourant les champs d'Avalon ne soit en vue. Et avec lui, tout le lot de soucis qu'il était à y craindre...

~o~

Avalon ne fut jamais plus silencieuse que le jour où arriva l'Odyssée au pied de son grand mur. Des gardes, il y en avait partout. Sur les murs, dans les tours, de part et d'autre de la rue. Mais malgré tout cela, il était évident que la population ne se sentait plus guère en sécurité dans ses murs.
Lorsque la grande porte s'ouvrit, Théoden fut le premier à s'y engouffrer, avec Telthis. Tous deux montaient les chevaux survivants de l'expédition, à la tête d'une centaine de fusiliers en rangs serrés, marchant en cadence. Derrière les fusiliers venaient les dizaines de soldats Nordiens, qui avaient mainte fois prouvée l'efficacité redoutable de leurs longs espadons et haches de guerre. Eux aussi marchaient avec une rigueur militaire, leurs armure faisant passer celles des Avalorrims pour des ouvrages d'amateurs.
Il y eut les Teikokujins, et finalement plusieurs centaines de marins. Tous ceux là avaient reçu l'entraînement militaire minimum requis pour manoeuvrer.
Leur défilé glaça le sang des habitants d'Avalon. Tant et si bien que des enfants se mirent à pleurer. Mais il n'était pas question pour l'Odyssée de se relâcher. Jusqu'à ordre contraire, la forteresse était toujours le domaine de l'ennemi !
Les rangs serrés de soldats passèrent rapidement les premiers niveaux, sans faiblir leur pas. Les murs de la ville en tremblaient presque. Certains soldats, en revanche, affichaient des mines si apeurées que Théoden ne pu cacher un sourire fier et provocateur. Cette marche avait l'effet d'une ascension vers le pouvoir.

Au septième niveau, la garde était si renforcée que les rangs serrés suivant Théoden et Telthis eurent pratiquement à jouer des coudes pour s'imposer sur le pavé.
Autant dire qu'on leur céda la place rapidement.
Des uniformes blancs inondèrent rapidement l'esplanade au pied du palais d'Avalon.
Selon les ordres du Commodore, il fut décidé que les baïonettes seraient accrochées aux canons des fusils. Fusils eux même chargés, en cas de besoin.
Il n'était pas question de baisser la garde. Surtout maintenant que des cordons de gardes encerclaient les pelotons d'Odysséens, rangés derrière le Commodore et ses Capitaines.
C'est ainsi que Théoden voulait entamer ces nouvelles discussions. Avec cette tension, ce rapport de force. Tant et si bien qu'il ne descendit pas de cheval, lorsque les Soeurs Guenièvres et Viviane se présentèrent, en haut des marches du palais. Il se contenta de les toiser, en silence, attendant qu'elles ne réagissent.
Et peu importe ce qu'elles feraient, il serait prêt à répondre. Même si cela impliquait un usage abusif de la poudre, du sabre et de la cruauté...
Sam 21 Jan 2017 - 22:02
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Dargor
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De là où elle était, elle pouvait entendre le bruit des bottes. Puissantes, nombreuses, qui claquaient en cadence sur la pierre de la rue. Elle pouvait également entendre la rumeur des conversations, des conversations d’un très grand nombre de personnes qui s’immobilisèrent devant le palais. Sœur Viviane n’avait pas besoin d’aller à la fenêtre pour savoir qu’il y avait une foule qui s’amassait au sommet du rocher. L’ouïe qu’elle avait développé pour compenser sa cécité suffisait à lui indiquer cela. Aussi ne fut-elle pas surprise un seul instant quand Sœur Guenièvre arriva dans son bureau. Quand elle lui demanda l’origine de ce vacarme, Sœur Guenièvre lui répondit que le Hérault Théoden était de retour, et qu’il avait cette fois emmené l’intégralité de ses hommes avec lui. Tous semblaient attendre sur le rocher, et cela gênait d’ailleurs au plus haut point les gardes de la fontaine, qui n’aimaient pas avoir cette foule autour d’elles.

« Allons donc voir de quoi il retourne, répondit Guenièvre en se mettant en route. »

Elle n’avait pas besoin de voir pour se repérer dans ce palais dont elle avait arpenté les couloirs toute sa vie durant. Aussi, Sœur Guenièvre dût presser le pas pour la suivre dans le hall d’entrée, qui avait jadis, dans un temps oublié, servi de salle du trône au dirigeant d’Avalon. Aujourd’hui, elle était vide. Et l’écho de leurs pas se faisaient entendre tandis qu’elles se dirigeaient vers la sortie. Qu’elles franchirent. Après avoir reçu de la part de sa sœur l’information qu’il lui fallait sur la localisation du Hérault, Sœur Viviane se mit en route pour aller le trouver, laissant Sœur Guenièvre, comme à son habitude, prête à prendre des notes sur ce qui allait arriver. Elle sentit rapidement la main de Sœur Morgane effleurer la sienne, et lui fit un signe de tête pour qu’elle rentre dans l’enceinte du palais et aille retirer sa tenue de voyage pour une tenue plus digne de sa fonction. Puis elle alla se planter vers l’endroit qu’elle estimait être devant le Hérault, et pris la parole, après l’avoir salué.

« Hérault, dit-elle. C’est un plaisir de vous revoir ici. Je vois, j’entends que vous avez emmené vos hommes. N’hésitez pas à leur faire signe de se détendre, des quartiers ont d’ores et déjà été prévus pour eux.
-Il n’y aura pas de détente, ici, tant que je n’aurai pas obtenu ce que votre Sœur Morgane m’a promis, répondit le Hérault après un petit temps de silence. »

Sœur Morgane avait donc dû faire des concessions. Cela n’était pas très étonnant. Sœur Viviane savait que sa mission ne se réglerait pas avec un simple bon regard, ni avec de bonnes paroles. Il semblait que le Hérault avait quitté Avalon blessé, et toute blessure demandait réparation.

« Et qu’a-t-elle promis ? demanda-t-elle. J’avoue ne lui avoir donné pour instruction que de vous convaincre de revenir.
-Que vous laissiez aller et venir librement au sein de la cité la magicienne que vous détenez dans vos geôles.
-C’est donc ce qu’elle a promis ? La libérer purement et simplement ? Je ne l’imaginais pas aussi extrême, répondit Viviane, franchement étonnée, et un peu agacée par cet engagement.
-C’est la moindre des choses, dit le Hérault. »

Ça n’était non seulement pas la moindre des choses, mais Sœur Viviane était au fond strictement opposée à la libération d’une magicienne. Sœur Morgane avait le sang chaud, et avait tendance à ne jamais faire dans la nuance. Mais il y avait des limites.

« Elle n’avait pas le pouvoir de prendre une décision aussi grave que de laisser une magicienne libre seule, répondit-elle donc. Puis-je vous inviter à venir en discuter dans des conditions plus confortables ?
-N’êtes-vous pas à l’aise Sœur Viviane ? répondit le Hérault, après un long silence. Je crois que mon amie Cassandra l’est encore moins en ce moment même. Et votre confort est bien moins mon souci que le sien.
-A vrai dire, répondit Viviane, le confort d’une magicienne est le cadet de mes soucis. Je parle plutôt de la foule qui piétine sur place et qui se trouve ici.
-Une foule qui ne se dispersera pas, répondit-il, tant que je n’aurais pas eu satisfaction. »

Elle s’apprêtait à répondre que l’on se trouvait alors dans une grande impasse, puisque satisfaction il n’obtiendrait pas s’il souhaitait la libération d’une magicienne. Il était hors de question de laisser quelque chose d’aussi horrible et dangereux qu’une magicienne aller et venir librement dans Avalon. Mais à l’instant où elle s’apprêtait à lui répondre, elle l’entendit descendre de cheval, et répondre qu’ils allaient venir. Lui et un autre, donc, à n’en pas douter. Elle se mit en route vers le haut des marches du palais, quand la voix de Sœur Guenièvre retentit.

« Pas lui, dit-elle.
-Il est mon second, répondit, derrière Sœur Viviane, le Hérault. Elfe ou non, il m’accompagne.
-Il est un elfe avant tout, dit Sœur Guenièvre.
-Si c’est un conflit que nous devons éviter, dit le Hérault, il serait temps de faire preuve de diplomatie. A moins que vous ne vouliez vraiment négocier sur le parvis de ce palais ?
-En matière de diplomatie, intervint Sœur Viviane, les elfes ne comptent pas. Vous l’apprendrez un jour à vos dépens, comme le firent nos ancêtres.
-J’ai vue l’histoire de vos ancêtres, Sœur Viviane. Elle n’est en rien semblable à ce que vous pensez. Alors soit vous vous rappelez que vous négociez avec, et me laissez entrer avec mon second, soit nous restons ici pour un bout de temps. »

Sœur Viviane s’apprêtait à demander que l’on amène de quoi s’asseoit avec confort sur les marches du palais quand une nouvelle voix, qu’elle devina être celle de l’elfe, intervint, froid et hostile.

« Et si je promettais de ne pas parler ? dit-il. Je n’ai rien à dire à ces femmes, de toute façon.
-Faites-le si vous le voulez, dit le Hérault. Mais je n’en démordrai pas. Ces négociations ne se feront pas sans vous.
-Soit, dit l’elfe. Sœur Viviane ! J’accepte de me taire et de ne pas prendre part à la conversation si vous m’acceptez ! »

Sœur Viviane s’accorda quelques instants de réflexion. Qu’avait-elle à redouter après tout, d’un elfe seul qui promettait de ne pas tenter de répandre ses mensonges ? Sa magie maléfique, à n’en pas douter. Mais il pourrait tout aussi bien l’utiliser en extérieur.

« Qu’il en soit ainsi, dit-elle. Venez, tous les deux. »

Ils la suivirent dans les couloirs du palais, alors qu’elle se rendait dans la pièce où elle avait déjà eu, avec ses deux Sœurs, une conversation avec le Hérault il y avait quelques jours de cela. A présent, une conversation d’une toute autre importance allait avoir lieu. La tradition d’avoir Cinq Héraults remontait au temps de l’invasion des elfes et des démons. Le fait de chaque fois les trouver tous les cinq était la seule garantie qu’elles avaient que les démons respecteraient le pacte et ne prendraient pas la Cité d’assaut n’importe quand. Ça, c’était du moins ce qu’affirmaient les légendes. Mais ces légendes se vérifiaient tous les cent cycles de saisons après tout. En fait le problème était que personne ne savait vraiment pourquoi les démons n’attaquaient pas plus souvent. Les légendes disaient sans doute vrai, mais pourquoi un tel pacte ? Ces questions ressortaient maintenant qu’ils avaient en fait de Hérault un personnage bien singulier, qui pactisait avec les elfes et les mages. Elle s’assit en face de lui.

« Comme je le disais donc, dit-elle sans préambule, Sœur Morgane ici présente n’avait certainement pas le droit de prendre seule une décision telle que la libération pure et simple d’une magicienne.
-Et pourtant elle l’a fait, dit le Hérault. Alors je suis venu m’assurer qu’elle respecte la parole qui m’a été donnée. Et si jamais elle a outrepassé ses droits, il vous faudra régler cela entre vous. Ce ne sont pas mes affaires, tant que mon amie est libérée.
-Ce sont les affaires de tout le monde, répondit Viviane, et il n’est pas question d’appliquer une décision qui a été prise dans la panique. Nous l’avions envoyée vous convaincre de revenir ici, pas vous mentir.
- Puis-je ? intervint Sœur Morgane. »

Sœur Viviane estimait qu’elle avait déjà fait assez de dégâts avec sa vision tranchée à l’extrême des choses. Mais néanmoins, d’un signe de tête, elle l’invita à réparer elle-même ce qu’elle avait abimé.

« Je n’ai à aucun moment promis de la libérer, dit-elle. J’ai proposé qu’elle soit autorisée à se promener dans la ville, sous surveillance d’un garde du commodore, et d’une guerrière de notre cité. Il n’a jamais été question de la libérer. »

Cela changeait déjà beaucoup de choses aux oreilles de Sœur Viviane. La magicienne serait relativement libre, oui, mais si jamais elle réservait l’un de ses tours à Avalon, elle savait que n’importe quelle guerrière n’aurait aucun scrupule à l’abattre, sans prévenir qui que ce soit. Cette solution lui allait, en fait. Mais pas au Hérault, apparemment.

« Vos termes, dit-il en effet, sont strictement ceux que j’ai énoncé sur le parvis. Quant à ce garde dont vous parlez, provenant de notre cité, il n’en a jamais été question.
-Cela coule pourtant de source, dit Sœur Morgane. Elle a le droit d’être à l’air libre selon cet accord, mais elle n’en reste pas moins une magicienne.
-Pourtant sur le parvis, intervint Sœur Morgane, faisant part de son soulagement, vous m’avez affirmé qu’il s’agissait d’une libération. Ce qui n’est manifestement pas le cas.
-Continuez à jouer avec les mots, mesdames, dit le Hérault, et ces négociations seront les plus courtes que cette cité n’ait jamais connues. Vous et moi sommes très loin d’être les alliés dont vous avez besoin pour votre prochaine guerre. »

Sœur Viviane eut furieusement envie de lui rappeler qu’après tout, lui avait besoin de nourrir ses hommes qui mourraient de faim, mais elle se retint. Ce n’était pas le moment de faire du chantage, estimait-elle. En revanche, elle n’aimait pas l’idée que cette magicienne puisse rejoindre les siens, et y disparaitre.

« Je ne joue pas sur les mots, Hérault. Il y a une grande marge entre une libération totale et une surveillance. Une surveillance peut être acceptée. J’ajouterai cependant une condition selon laquelle elle n’aura pas le droit de se rendre dans les quartiers où votre troupe et vous-mêmes allez être logés.
-Libération n’est pas « libération totale », Sœur Viviane, répondit-il. Je n’aime pas votre façon de me parler. Et je refuse cette nouvelle condition.
-Cette nouvelle condition n’est pas négociable, répondit Sœur Viviane. Quelle serait l’utilité de cette mesure autrement ?
-Cette femme a besoin du réconfort des siens. Pas d’être tenue loin de tous. On m’a promis qu’elle puisse aller et venir dans la cité, alors qu’il en soit ainsi. Je ne tolèrerai pas d’avantage de conditions.
-Et elle pourra le faire, répondit Sœur Viviane, dans la limite des quartiers où vous ne la trouverez pas.
-Je crois que je n’ai rien de plus à faire ici, répondit le Hérault. »

Sœur Viviane entendit le bruit d’une chaise qui se reculait. Visiblement, il se préparait effectivement à partir. A vrai dire, elle acceptait ce départ. Il ne semblait pas disposé à accepter les conditions qu’elle posait, et elle ne comptait pas revenir dessus. Elle refusait l’idée qu’une magicienne aille et vienne libre dans cette cité. Mais heureusement, il n’eut pas à partir, car à cet instant, le Hérault découvrit ce qu’on gagnait à avoir des elfes pour amis.

« Vous avez d’autres sujets à aborder, dit-il.
-D’autres sujets ? répondit le Hérault. Vous voyez bien qu’il est inutile de discuter avec ces femmes.
-Acceptez ce qu’elles vous proposent pour Cassandra, dit l’elfe. Je veux parler d’Akel.
-Quoi que vous dise votre elfe, dit Sœur Viviane, choisissez vite. Je rappelle que la condition pour laquelle il était ici était son silence.
-Soit, répondit le Héraut. Faites-en sortes que mon amie puisse aller et venir selon les termes que vous avez donnés.
-Ce sera fait dès demain, répondit Sœur Viviane. Cela étant dit, peut-être pourrons-nous envoyer vos hommes prendre leurs quartiers. Y’a-t-il autre chose que vous souhaitiez évoquer ?
-Vous avez entendu Telthis, répondit-il. Il s’agit d’Akel, la prêtresse elfe que vous détenez. »

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« Ça, c’est pour moi, dit le plus calmement du monde Sœur Guenièvre, en entendant le Hérault évoquer le sort d’Akel. »

Qu’il se soucie du sort de sa magicienne, elle pouvait le comprendre. Mais il faudrait lui faire comprendre qu’il était gravement manipulé par son elfe, s’il se souciait tant que cela du sort d’un esprit. Elle souhaita toutefois entendre sa demande.

« Je ne crois pas que quelque chose comme cela soit tolérable. »

Pour le coup, la demande était étonnante. Choquante même dans un sens. Qu’est-ce qui était intolérable ? Tout était parfaitement normal à ses yeux dans cette situation.

« Je ne vois même pas ce que vous voulez dire, dit-elle.
-Détenir ainsi l’esprit d’une prêtresse, répondit le Hérault. Ce n’est là un sort enviable pour personne. Je demande sa libération. »

Des protestations se firent entendre de la bouche de Sœur Morgane et de Sœur Viviane, mais Guenièvre les fit taire. Après tout, il avait déjà été convenu que le Hérault ne connaissant pas l’histoire de la cité, pouvait réagir étrangement.

« Même si nous avions ce pouvoir, dit-elle, pédagogue, nous ne le ferions pas. D’après les légendes, c’est elle qui a souhaité ce sort, afin d’aider notre cité en repentance des crimes de sa race. »

L’elfe à côté du Hérault s’agita un peu, et après avoir reçu une main fraternelle sur l’épaule, se leva et partit faire les cent pas dans la pièce.

« Je pense que nous devrions lui demander, dit-il. Et faire selon souhait.
-Je sais pas, hésita Sœur Guenièvre. Le sceptre n’a probablement pas un pouvoir infini. La déranger pour cela n’est peut-être pas prudent.
-Ca me parait inévitable, répondit le Hérault. Et vous l’avez dit vous-mêmes, il est arrivé que vous envoyiez par le passé des gens se battre sans savoir s’ils étaient véritablement des Héraults. Auquel cas le sceptre ne nous est pas indispensable. »

Nerveuse, Sœur Guenièvre dut bien admettre que son point de vue se tenait. Mais elle se demandait bien pourquoi doutait-il des légendes. C’était simple. Akel avait vu l’horreur des crimes qu’avaient commis les siens et pour se repentir avait choisi de protéger durant toute sa mort Avalon.

« Je suppose que vous avez raison, dit-elle néanmoins, rendue nerveuse par cette conversation. Mais de toute façon, sachez que nous n’avons aucune idée de la façon de la libérer, même si elle le souhaite. Donc la question n’a pas lieu d’être.
-Peut-être que vous ne l’avez pas, dit le Hérault. Mais je suis sûr qu’un moyen existe. Auquel cas je vous déchargerai avec plaisir de cette responsabilité.
-Nous remettrons donc cette question à la découverte de ce moyen ! lança-t-elle, soulagée. Avons-nous un accord ?
-Nous avons un accord, en effet, répondit le Hérault. Mais un jour, nous devrons parler du passé de votre cité. Il m’apparait clairement que vous le connaissez moins bien que vous le pensez.
-Et comment l’auriez-vous appris, si vous venez d’ailleurs ? dit Sœur Guenièvre, ne souhaitant pas remettre cette conversation à plus tard.
-Je suis un Hérault, non ? dit-il. Ça ne peut pas être un hasard, si ces souvenirs me sont apparus pendant mon voyage dans ces territoires maudits. »

Sœur Guenièvre se remémora sur ces paroles toutes les légendes qui parlaient des Héraults. Il était vrai que certains d’entre eux, au cours de l’histoire, avaient apparemment développé quelques singularités.

« Cela peut être une explication, répondit-elle. Il parait que le Hérault qui comprend la nature de son combat avait une capacité à deviner des choses particulières. Si les légendes disent vrai, oui ça n’est sans doute pas un hasard. Mais je curieuse de connaitre les points sur lesquels nous… »

Elle ne put pas terminer sa phrase. Le bras de l’elfe jaillit soudain, et à sa main, une dague que nul n’avait remarqué. Il avait dû la cacher sur lui. Il la planta dans la table, au milieu d’eux.

« Et si nous parlions sérieusement à partir de maintenant ? demanda-t-il d’un ton sec.
-Telthis ! cria le Hérault, se levant d’un bond, contrarié. Avez-vous perdu l’esprit ? Rangez-moi votre couteau et sortez d’ici ! Pardonnez mon second, mesdames, il ne sait visiblement plus ce qu’est la correction. »

Il se leva alors, attrapa le couteau, et se mit à tirer l’elfe en arrière, pour le faire sortir de la pièce, mais celui-ci résista. Guenièvre, intérieurement, blâmait le Hérault pour cela. Allez donc faire confiance à un elfe ! Elles l’avaient prévenu toutefois. Qu’il était manipulé. Elle lui jeta un regard entendu. Mais à cet instant, Telthis reprit la parole.

« Il y a des moyens pour libérer Akel, siffla-t-il, et je n’accepterai pas qu’on la garde plus longtemps en prison. Je l’ai connue, et je sais qu’elle n’aurait jamais accepté une chose pareille.
-Vous l’avez connue, dit le Hérault, et je suis navré de voir ce qu’il est advenu de votre amie. Mais nous avons déjà conclu le meilleur des accords. Elles ont accepté d’aller consulter Akel pour savoir ce qu’elle désire. Si vous avez raison, nous pourrons la libérer, autrement, ce sera son choix. Suis-je bien clair ? »

L’elfe échappa à son étreinte et frappa la table de ses poings. Toute la fureur dont un être était capable se lisait dans ses yeux, tandis qu’il foudroyait les trois Sœurs supérieures d’Avalon de ce regard.

« Qu’on fait les fondateurs de cette cité au groupe de Sildael la Radieuse ? demanda-t-il.
-Nous n’avons fait que nous défendre contre les vôtres, récita Guenièvre, sous le coup de l’angoisse.
-Qu’avez-vous fait de ceux que vous n’avez pas dévorés ? voulut savoir le Hérault. Qu’avez-vous fait de Sildael ? »

Dévorés ? Qu’est-ce que le Hérault voulait-il dire par ce terme ? Leurs ancêtres étaient, selon la légende, mi-hommes mi-animaux, mais certainement pas des sauvages ! Pas comme les elfes. Elle ne fut pas la seule à remarquer le terme employé était étrange.

« Dévorés ? demanda l’elfe d’un ton froid.
-Ne soyez pas stupides, dit-elle, voulant le calmer. Nous nous défendions, et jamais nos ancêtres ne furent aussi barbares. »

Des regards furent échangés. Le Hérault vers son elfe, elle vers Morgane, qui avait été chercher une épée rouillée depuis longtemps qui décorait un mur de cette pièce. Viviane, elle, écoutait la conversation, ses yeux blancs ne fixant rien de particulier.

« Sœur Guenièvre, dit le Hérault, j’ai vu l’histoire de ces terres. Du moins une partie. De l’arrivée de Sildael la Radieuse à son départ pour votre cité, avec l’intention claire et nette d’apaiser la guerre civile qui avait éclaté.
-Vous mentez ! dit Sœur Guenièvre, révoltée. Lorsque les elfes sont arrivés sur nos terres, ils ont amené avec eux leur magie maléfique et les démons qu’ils servaient, et ils… »

Elle n’allait jamais terminer cette phrase. A l’instant même où l’allusion au fait que les elfes servaient les démons franchit sa bouche, l’elfe bondit par-dessus la table, et les renversa, elle est sa chaise, en arrière. Sonnée par la chute, elle eut à peine le temps de reprendre ses esprits qu’elle put sentir le pied dudit elfe qui se trouvait sur son cou, menaçant de le broyer. Sœur Morgane dégaina sa lame et s’élança, mais elle ne fut pas aussi rapide que le Hérault.

« Accusez encore une fois Sildael la Radieuse de connivence avec les démons, dit l’elfe, et je vous fait ravaler vos paroles.
-Pour l’amour du ciel Telthis, vous dépassez les bornes ! aboya la voix du Hérault. Sortez immédiatement d’ici.
-Avec plaisir, dit l’elfe, la relâchant. Je crois que je préfère la compagnie des démons à celle de ces femmes. Eux au moins je sais que je peux les envoyer aux enfers sans craindre de représailles. »

Il sortit sur ces mots mauvais, et la tension redescendit. Tous prirent le temps de se rasseoir, tandis que Guenièvre se massait le cou, trop heureuse d’être en vie. Sœur Morgane suggéra qu’il soit surveillé, autrement il pourrait faire un carnage, mais le Hérault affirma qu’il le ferait enchainer et placer sous bonne garde. Il les remercia au passage de ne pas l’enfermer de nouveau, car il l’aurait, selon lui, mérité.

« Nous vous laissons ce soin, dit Sœur Morgane, et cela, dans sa bouche, était un gage de confiance. Devons-nous installer vos hommes dans leurs quartiers donc ?
-Je crois qu’il n’est plus nécessaire de maintenir une si grande tension, dit le Hérault. Nous les prendrons pacifiquement.
-Ne voyez pas d’inconvénient, ajouta Sœur Morgane, au fait que nous gardions la porte qui sépare nos quartiers cependant. Je crois que certains de vos hommes et certaines de nos guerrières vont être nerveux, au début.
-Cela ne pose aucun souci, dit le Hérault. Après tout, vous nous avez laissez garder nos armes. Vous voudrez certainement savoir ce que j’ai vu du passé de ces terres. Si je suis bien le Hérault qu’Akel a reconnu en moi, alors il faut croire les visions que j’ai eues.
-Nous parlerons de ces légendes, dit Sœur Guenièvre, la voix un peu abimée, une fois que la situation sera calmée. Cela vous convient-il ?
-Très bien, dit le Hérault. »

La conversation prit fin sur ces mots, et il sortit. Sœur Morgane lui emboita le pas, dans le but de lui montrer le lieu où il pourrait se reposer, de même que ses troupes. Guenièvre continuait à se masser le cou sur lequel l’elfe avait marché. Sœur Viviane la regarda et lui fit part de sa méfiance quant à cet elfe. Elle acquiesça de la tête. Sœur Viviane se leva et partit vaquer à d’autres occupations, recommandant à Guenièvre d’aller se reposer après de telles émotions. Après tout, bientôt, elle n’aurait plus beaucoup d’occasions pour le faire.

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Djanela était nerveuse. Elle n’aimait pas cette cité, Avalon. Pas du tout. Une cité au beau milieu des terres démoniaques ne pouvait pas être bonne. Même si elle s’affichait comme ennemie des démons. Il y avait forcément quelque chose qui clochait. Quelque chose qui n’allait pas, et elle se faisait un devoir de trouver quoi dès que possible. Et apparemment elle n’était pas la seule à être rendue nerveuse par cette cité, puisque l’elfe Telthis avait été mis aux fers dès que les quartiers furent pris. Elle ignorait ce qui s’était passé là-haut, mais certainement, ça n’avait pas dû être joli à voir ou à entendre.
Mais pour l’heure, elle était trop occupée par la gestion de l’installation. Il leur avait été donnée la partie abandonnée la cité. Le rez-de-chaussée, comme elle se plaisait à l’appeler. Le gros de ces maisons étaient encore meublées, même s’il était clair qu’une grande partie desdits meubles avaient été emmenés. Il semblerait d’ailleurs que quelques maisons aient servies de carrières de pierre. Mais il y avait de quoi accueillir tout le monde. Certains marins purent même découvrir les joies de la maison à plusieurs pièces pour eux seuls, mais beaucoup choisirent de loger en groupe.
Ces choix furent conditionnés par les instructions du Commodore Théoden, qui fit installer ses marins dans les demeures les plus proches de la grande porte, afin de les éloigner des ailes du premier niveau, où se trouvaient les portes gardées par les Avalorrims, puisque tel était le nom que portaient les habitants de cette ville. Une fois tout le monde installé, le commodore réunit une assemblée dans une maison à l’écart de la grande rue. Elle fut surprise d’être ainsi convoquée aux côtés d’officiers tels que Treville, Hewlett, Brookes, Samada, Henrique Rossi ou le Docteur Thackery. Henrique semblait d’ailleurs aussi surpris qu’elle.

« Bien ! dit Théoden avant de leur laisser le temps de se poser des questions. Je suis heureux que l’installation de nos hommes ait commencé, grâce à vous tous et à vos sous-officiers. Je vous en remercie. Pour ceux qui se demandent ce que nous faisons ici, je rappelle qu’il s’agit là d’un dessein divin, dont nous ne saisissons pas encore tous les aspects. Ce qui est certain, ce que notre destin va se jouer ici, aux côtés des habitants de cette cité. Tâchons de nous montrer le plus courtois et pacifiques possibles. En attendant les combats, seuls mon régiment de fusiliers -sous le commandement du Major Hewlett et les Teikokujins accompagnant Samada seront autorisés à porter les armes.
« Les Avalorrims gardent les portes menant au second niveau. Afin d’éviter toutes tensions, nous en garderons l’accès aussi. Que personne ne s’en approche à moins d’un pâté de maison.
« La grande place au centre de ce niveau nous servira pour l’entrainement quotidien. Le Capitaine de Treville veillera à son organsition. Le Capitaine Brookes se chargera de l’intendance. Pas d’alcool en libre circulation. Et le rationnement continue, jusqu’à ce que j’ai pu établir un approvisionnement viable auprès des Sœurs Supérieures.
« Le Capitaine Rossi se chargera de placer des gardes sur le mur d’enceinte, afin de guetter l’extérieur de la Cité.
« Des questions ?
-Y’aura-t-il des conditions de passages pour les patrouilles que les Avalorrims enverront dehors ou pour les fermiers qui vont aller et venir ? demanda Eve Brooks.
-Nous leur laissons le passage libre le long des avenues principales, répondit Théoden. Nos gardes seront avant tout là pour empêcher nos marins de s’en prendre à eux. La faim va très vite devenir notre principal problème.
-N’ont-ils pas promis de nous ravitailler ? demanda Samada, étonné.
-C’est exact, maître Samada, répondit Théoden. Je monterai au septième niveau organiser ces ravitaillements dès demain à l’aube. »

Les instructions étant à priori simples, il n’y avait pas plus de questions. Djanela en avait bien une, mais elle se retint de demander ce qu’elle faisait ici au commodore. Il allait forcément lui en parler.

« Très bien, vous pouvez disposer, dit-il. En dehors de vous deux, Djanela et John. »

Ainsi fut fait. Tandis que tous sortaient, réfléchissant à n’en pas douter à la façon dont ils allaient s’acquitter de leur tâche, Djanela se tourna vers le commodore, se demandant bien ce qu’il pouvait lui vouloir, et si cela impliquait le docteur Thackery.

« Commodore ? demanda-t-elle.
-J’ai des tâches particulières à vous confier, dit-il. John, je crois savoir que tu te portais volontaire pour veiller sur Cassandra. Dès demain, tu m’accompagneras au Septième niveau afin que tu puisses la rejoindre. Tu pourras emmener une partie de tes travaux, je suppose. »

Le docteur acquiesça et se retira après ces propos, apparemment satisfait. Ne restait qu’elle. Elle supposa qu’il s’agissait d’une mission d’espionnage, puisque c’était après tout son travail. Surveiller les Avalorrims qui circuleraient peut-être ? Elle découvrit vite qu’il n’en était rien.

« Dites-moi Djanela, commença Théoden, vous êtes plutôt douée pour les missions discrètes n’est-ce pas ?
-C’est mon travail, avait-elle répondu en haussant les épaules, confortée dans sa pensée qui s’apprêtait à être renversée.
-Très bien, dit le Commodore. Vous devez savoir une chose. La magie, sous toutes ses formes, est très mal vue ici. Voilà pourquoi nos prêtresses sont dissimulées parmi le reste de l’équipage. Et pourquoi Johei n’est pas présente aujourd’hui. J’aimerais que vous restiez auprès d’elle, dans ses tournées parmi les hommes d’équipage. Elle aura sans doute besoin de conseils avisés afin de ne pas se faire prendre. Et je préfère vous savoir avec elle, le cas échéant, si on essayait de nous l’enlever.
-Protéger une magicienne, répondit-elle, cela va me changer de leur traque. Même si j’apprécie la prise de position des indigènes, je remplirai cette mission. Ce sera tout ?
-Oui, répondit le Commodore. Venez me rapporter quoi que ce soit d’inhabituel. L’influence des démons diminue grandement en ces terres, mais je crois que la prudence reste de mise.
-Honnêtement, commodore, même si Avalon semble être un bon refuge, je pense que cette cité n’est pas aussi blanche que sa pierre. »

Le commodore était d’accord avec elle sur ce point. Il e manifesta, puis lui donna l’autorisation de se retirer. Djanela n’avait pas plus de questions. Il était bon qu’elle ait pu lui faire part de ses doutes, tout comme il était bon qu’il n’ait pas eu besoin d’elle pour exprimer les mêmes. Son seul regret était que la protection de Johei allait lui rendre difficile la traque d’éventuels adorateurs des démons parmi les marins. Mais elle ne pouvait pas tout faire à la fois. Et si la cité s’apprêtait réellement à subir un siège, alors à n’en pas douter, les marins qui avaient trahi se révéleraient bien vite d’eux-mêmes.

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Le soleil s’était levé depuis peu. Mais les trois sœurs supérieures étaient déjà levées, car elles avaient à faire. Sœur Morgane, notamment, devait aller trouver le Hérault Théoden pour l’entretenir de sujets importants. Elle n’eut pour ce faire pas à descendre jusqu’au premier niveau, car il était monté avec un homme étrange, qui tirait toute une charrette derrière lui, rempli de matériel qu’elle ne connaissait pas.

« Ah, dit-elle en les voyant. Bonjour. Vous tombez bien, j’avais à vous parler. Suivez-moi. Et vous, vous pouvez laisser cela dehors, s’il vous plait. »

L’homme laissa ses affaires, et lui et le Hérault se mirent à la suivre, vers la salle qui deux fois déjà avait servi à des entrevues. Tout en marchant vers cette dernièr, Sœur Morgane prit la parole.

« Votre magicienne sera libérée durant la journée, dit-elle, et Sœur Viviane est en train d’organiser les vivres que nous vous donnerons. Quant à Sœur Guenièvre, elle est partie enseigner à l’école. Avez-vous d’autres raisons de monter ?
-Le docteur Thackery ici présent s’est porté volontaire, dit-il, pour accompagner Cassandra le temps de notre séjour ici. Il a apporté son matériel de recherche.
-INDISPENSABLER pour mes travaux ! ajouta le docteur en question. Je me demande où nous pourrons nous installer. La science est un domaine qui ne saurait souffrir d’être mis de côté. Même le temps de quelques lunes !
-Il est très enthousiaste, traduisit le Hérault, mais certainement pas dangereux. Il est médecin. Pour le reste, j’aimerais parler de l’organisation de l’approvisionnement que vous nous fournirez.
-C’est à Sœur Viviane, dit Morgane, que vous devrez vous adresser pour cela. Nous irons la trouver après. Pour l’heure, Docteur, voici Sœur Naëlle. »

Dans la salle les attendait en effet une guerrière d’Avalon. Morgane l’avait choisie elle pour la rapidité de ses réflexes. Elle espérait que si la magicienne démarrait quoi que ce soit, alors Naëlle, plus rapide de toutes ses guerrières, aurait le temps de la tuer avant que quelque chose ne se passe.

« Elle vous mènera à la prison, où vous retrouverez votre magicienne, dit Sœur Morgane. C’est vous qui la surveillerez. Une fois arrivés, vous devriez sortir. Une résidence a été prévue pour vous au sommet de la ville.
-Formidable ! dit le docteur en s’élançant vers Sœur Naëlle. »

Il la salua, elle lui rendit son salut. Puis sans mot dire, la guerrière se mit en route vers les geôles, sa mission déjà en tête. Le docteur la suivit, et tous deux laissèrent Sœur Morgane et le Hérault seuls. C’est alors que Sœur Morgane le conduisit vers Sœur Viviane, qui dans une petite salle était conseillée par les intendants de la ville, qui avaient étalé devant ses yeux, même si elle ne pouvait les lire, des inventaires. Tous discutaient de la façon dont le stock serait géré. Lorsque le Hérault posa la question de la façon dont elles seraient distribuées, un accord fut vite trouvé.
C’était au troisième niveau de la cité que les gens venaient se servir selon leurs besoins, tout abus étant bien sûr puni. Sœur Viviane, depuis le début, pensait simplement donner aux hommes du Hérault l’accès à cet endroit. En dehors de la nuit, après tout, les portes étaient ouvertes, bien que gardées. Afin d’éviter une ruée sauvage vers les vivres, il fut en outre décidé que des gardes et des officiers seraient envoyés chercher pour l’ensemble du groupe les vivres nécessaires.
La question de la distraction des soldats fut également abordée. Le Hérault convint qu’il était preneur de toute proposition, dans la mesure où la plupart de ses hommes seraient inactifs. Il fut décidé que ceux d’entre eux qui le souhaiteraient pourraient travailler aux champs avec la population. Et ceux qui savaient se battre pourraient être appelés par Sœur Morgane. Pour cela, le Hérault se tourna vers elle, tandis qu’elle quittait la pièce. Elle l’amena sur le rocher, devant le palais.

« Savez-vous comment nous procédons habituellement pour remarquer les Héraults ? demanda-t-elle.
-Pas vraiment, non, répondit l’intéressé.
-Nous avons pour habitude d’envoyer des expéditions au loin durant plusieurs jours. C’est habituellement durant ces dernières que les Héraults se dévoilent, alors que la pression et le danger sont importants pour eux. Je souhaite donc y envoyer vos hommes, ainsi que certaines de mes guerrières qui n’y ont pas encore été.
-Très bien, répondit-il. »

Elle lui fit part de son étonnement. Il n’avait pas de questions ? Pour une fois, cela changeait la donne. Mais il lui répondit qu’il devrait participer, à des fins personnelles, à certaines de ces expéditions. Ce à quoi elle ne voyait pas de raison de s’opposer. Après tout elle ferait de même, et il fallait bien des officiers pour encadrer lesdites expéditions.
Elle lui fit ensuite remarquer qu’il faudrait en outre discuter de la défense de la cité, et de la façon dont ses hommes changeaient la donne. Le premier mur, bien que long, semblait défendable grâce au nombre de leurs troupes. Le Hérault lui parla en outre d’une arme à bord de ses vaisseaux, une pièce d’artillerie qui une fois installée sur les murs procurerait un avantage considérable sur les démons. il s’agissait de balistes apparemment suffisamment puissantes pour créer des ravages, sans parler de la cadence de tir deux fois supérieures à des pièces d’artillerie classique.
Sœur Morgane dut convenir que récupérer ces balistes serait plus qu’intéressant. Toutefois, une certaine gêne grandissait en elle. Cela dût se voir, car il lui demanda ce qu’elle cachait. Elle lui dit alors ce qu’elle pensait.

« Je me méfie de votre aide, Hérault. Nous pensions être la seule cité encore non soumise aux démons, et voilà que vous arrivez, venant d’ailleurs, au service de « dieux » qui vous auraient envoyé ici, avec précisément des armes en nombre et en puissances suffisantes pour nous assurer une victoire facile. Plus le fait que vous ayez menacé la vie de mes enfants, qui ajoute la haine à mon sentiment de méfiance.
-J’ai fait ce que j’avais à faire, dit-il en jetant un œil au palais derrière eux. Je me fiche pas mal de ce que vous éprouvez à mon égard. Vous n’êtes pas la première, et ne serez certainement pas la dernière. Mais de là d’où je viens, la femme que vous teniez enfermée m’a sauvé la vie, et c’est une dette que je me dois de solder. Quant à savoir d’où je viens, je proposerai sans doute à ceux qui le veulent de quitter votre cité condamnée pour rejoindre le Vieux Continent. Là où le petit peuple sait à peine comment se prononce le mot démon. »

Elle n’aimait pas cette proposition. La faire tuerait Avalon à coup sûr. Et puis quoi ? Suivre un homme qui s’alliait aux elfes et servait d’autres démons serait une bonne chose ? Elle en doutait. En ricanant, elle lui fit part de ce sentiment. Ce à quoi il répondit que s’il y avait des vies à sauver, il tenterait sa chance. Considérant qu’ils étaient en danger, il l’accusa même de vouloir empêcher ses compatriotes de survivre, ce qui contribua à l’énervement de la Sœur.

« Cette cité doit être préservée à tout prix, dit-elle. Elle semble encore être la seule au monde à refuser l’influence des démons. Vous semblez avoir cédé à certains d’entre eux, volontairement ou non. Après tout même en ignorant la magicienne, vous avez un elfe pour allié.
-Il y a un pays, répondit-il en croisant les bras, au nord du Vieux Monde, où les gens ne croient pas en mes dieux. Peut-être y trouverez-vous le havre de paix que vous recherchez. En attendant que la mort ne vous prenne et que vous rencontriez ceux qui dirigent le monde. »

De cette tirade, elle retint surtout qu’il existait une deuxième cité encore insoumise. Cela l’intéressait au plus haut point. Mais son intérêt baissa quand elle apprit qu’ils étaient alliés à des elfes, eux aussi, même si différents de ceux qu’elle connaissait. Après tout, dit-elle, les elfes étaient des êtres pervers et dangereux. Le Héraut, qui n’aimait pas ce ton, lui fit comme à son habitude savoir que quand il raconterait ce qui s’était vraiment passé, elle reverrait son jugement sur les elfes et les dieux.
Cela l’énerva au plus haut point. Elle en avait plus qu’assez qu’il repousse toujours cette échéance. Quand je dirai ça vous saurez que j’ai raison ! Elle aurait souhaité qu’il le dise tout de suite, que Guenièvre puisse lui expliquer pourquoi avait-il tort, pourquoi se trompait-il quand il faisait confiance aux elfes. Mais Guenièvre n’était pas là. Elle fit savoir au Hérault qu’elle allait la chercher. Cette fois, il n’était pas question de laisser cette affaire en suspens. Il allait s’expliquer ici, au bout du rocher, et la vérité triompherait.

Peu après, tous trois se trouvèrent au bout du rocher, où Guenièvre, prêt à prendre des notes, comme à son habitude, s’assit tranquillement, sans crainte du vide.

« Racontez-moi tout ça, dit-elle.
-Ce que j’ai vu, dit-il, m’a été rapporté par les fragments d’une rapière, imprégnée d’une magie que je n’ai pas su identifier. Ils racontent l’histoire de vos terres. Enfin de vos ancêtres jusqu’à l’arrivée de Sildael la Radieuse et de son équipage, jusqu’au commencement de la guerre, qui détruisit une cité à des lieux à l’est d’ici et sans doute bien d’autres choses. »

Il sortit effectivement deux fragments. Les deux sœurs se regardèrent, car elles les reconnurent instantanément. Elle ressemblait à s’y méprendre à celle qui était représentée à la ceinture du légendaire Seigneur Natai, sur une tapisserie se trouvant dans le palais. Le Hérault confirma qu’il s’agissait de la sienne, mais qu’il n’avait pas pu trouver le troisième morceau. D’après les légendes que rapporta Sœur Guenièvre, un Hérault de la première génération l’avait prise avant de quitter Avalon. Théoden ne savait rien de cela, mais il savait que le fragment qu’il avait trouvé l’avait été sur un corps, figé dans un marais au sud.

« Il semblerait que nous connaissions son destin, dit Sœur Morgane. Et la garde ?
-Prise dans les ruines de cette cité loitaine. Autrefois ennemie d’Avalon, apparemment. Je n’en sais que peu de plus à son sujet.
-Nous-mêmes ne savons pas grand-chose sur ce qu’était le continent avant l’invasion des elfes, dit Sœur Guenièvre. Notre civilisation a disparu des suites de cette guerre, et elle a dû être rebâtie en partie ici. Toutes les autres cités sont tombées aux mains des démons, les unes après les autres.
-D’invasion, il n’y en a pas eu, dit le Hérault. Permettez-moi de vous raconter ce que j’ai appris.
-Faites donc, dit Sœur Guenièvre. »

Le Hérault prit une inspiration. Il allait selon toute évidence se lancer dans une longue histoire. Une histoire que n’interrompraient pas les deux Sœurs supérieures.

« Ce que vous pensez être une invasion Elfe n'était en réalité qu'un débarquement impromptu d'une expédition de recherche. Celle dirigée par Sildael la Radieuse, la cousine de la Reine Malene que je sers actuellement.
A cette époque, les Elfes Blancs fuyaient leurs terres après une guerre fratricide contre leurs frères, Noirs. Il était question de découvrir de nouvelles terres, dans l'espoir de s'y établir.
La découverte de la civilisation de vos ancêtres fut un hasard parfait. Parfait, pas vraiment puisque sans le savoir, les Elfes Blancs qui débarquèrent aux abords de la Cité de l'Est avaient malgré eux rompu un équilibre maladroit.
Sur vos terres vivaient des créatures mi-Hommes, mi-bêtes. Vous connaissez déjà le Seigneur Natai, le dirigeant de votre belle cité d'Avalon. J'ai pu rencontrer Messire Perce-Cuir, l'homme-ours qui dirigeait la ville qui allait devenir vos ennemis.
Ces hommes animaux vouaient un véritable culte à la beauté. Ce qui explique probablement le caractère grandiose de votre cité, lorsque l'on ne s'y attend pas. La recherche du beau était au cœur de tous les débats, de toutes les passions, de toutes les recherches. Alors quand arrivèrent les Elfes, des discussions eurent lieu. Les Elfes Blancs éblouissaient tellement vos ancêtres, que tous ont commencé à douter de leur propre beauté.
Alors les discussions commencèrent à créer des clivages. Il y en avait comme ceux vivant à l'Est qui pensaient que les Elfes étaient en tout point plus beau que les Hommes Animaux. Et qu'il fallait à tout prix leur ressembler. Messire Perce-Cuir les commandait. Et il y eut le Seigneur Natai, qui commandait leur opposé. Ceux qui étaient convaincus que les Elfes étaient une race inférieure, et qu'il faudrait les traiter comme tel.
Des simples clivages, une véritable guerre naquit, dans laquelle n'eurent qu'une petite part. Ils cherchaient à ramener la paix, dirigeant à droite comme à gauche des missions diplomatiques. Mais le mal était déjà fait, malheureusement. Il arriva alors que la mission menée par Anaël, le frère de Sildael la Radieuse soit attaqué à Avalon. Aux pieds de vos murs. Les lynx, menés par Natai leur ont donné la chasse. Anaël et les siens furent tués un à un, puis dévorés selon une tradition ancienne appelée "Carnage". L'événement fut un tel choc que Messire Perce-Cuir hurla à la guerre totale. Sildael l'accompagna à Avalon, avec l'espoir d'empêcher le pire. Malheureusement, il y avait des hommes bêtes dans le camp de l'est qui avaient appris auprès des Elfes la magie. Juste assez pour l'utiliser, pas assez pour en respecter toutes les précautions. Ils invoquèrent des démons, sans savoir ce qu'ils risquaient et passèrent un accord avec eux. Ils espéraient avoir la beauté des Elfes, en échange de l'ouverture d'une faille dans ces terres. Le sort de votre continent fut scellé ce jour là, apparemment. »

Un long moment de silence accueillit cette déclaration. Et tandis que le Hérault buvait un peu, à l’aide d’une flasque, pour retrouver sa voix, les deux Sœurs se contemplèrent. Sœur Morgane attendit que Sœur Guenièvre lui dise qu’il s’agissait de mensonges. Cela ne pouvait être que cela, après tout. Comment pouvait-il en être autrement ? Elle refusait de croire à cette histoire. Mais Sœur Guenièvre ne vint pas la contredire, hélas.

« J’ai du mal à y croire, se contenta-t-elle de dire.
-Si je suis bien votre Hérault, répondit l’intéressé, ces visions ne peuvent pas être un hasard, ni un mensonge. Le fait est que ce sont elles qui m’ont guidé jusqu’à votre cité. Nous n’en avions jamais parlé auparavant, pourtant vous connaissez le Seigneur Natai.
-Donc c’est tout de même la faute des elfes, n’est-ce pas ? demanda Sœur Morgane, qui refusait toujours de croire à une telle histoire, et au fond, cherchait à se raccrocher à la moindre branche.
-Leur seule faute, répondit hélas le Hérault, fut de découvrir le royaume de vos ancêtres. Chacun de leurs actes a par la suite été tourné vers le rétablissement de l’harmonie. »

Morgane sentit la main de Guenièvre, qui s’était relevée, se poser doucement sur son épaule, pour la soutenir. Sa Sœur sentait son trouble. Mais était-elle elle-même tout à fait calme ? Morgane en doutait, à voir son visage choqué.

« Ça ne change rien à la suite, dit Guenièvre. Rien du tout.
-La suite ? Rien du tout ? dit le Hérault. Vous devez plaisanter.
-Si, répondit la Sœur. Les démons sont là quelle que soit la version de l’histoire.
-La différence, insista-t-il, c’est la part de responsabilité que vous pouvez imputer aux elfes. Et ce n’est pas un petit détail, compte tenu du fait que si je suis venu ici, c’était avant tout pour retrouver la piste de Sildael la Radieuse.
-Elle sera morte depuis le temps, dit Sœur Morgane en haussant les épaules. Parce que des générations par centaines ont eu le temps de vivre et parce que nous sommes peut-être la seule cité du continent qui ne soit pas tombée aux mains des démons. »

En fait, c’était son espoir. Elle refusait l’idée de devoir confronter cette elfe et de se faire confirmer la version des faits du Hérault. Peut-être cette Sildael mentirait-elle aussi, si elle existait vraiment, mais au fond, Sœur Morgane était effrayée par la perspective que cette version des faits soit la véritable. Elle préférait sensiblement pouvoir accuser les elfes pour l’invasion démoniaque. Toutefois, le Hérault vint la contredire à nouveau, arguant qu’elles ne savaient apparemment plus grand-chose des terres qui entouraient leur ville. Cela énerva la Sœur, qui après tout dirigeait les guerrières.

« Ces expéditions qui ont pour but de trouver les Héraults, dit-elle, pensez-vous qu’elles partent pique-niquer dans la nature ?
-Je pense que ce n’est pas suffisant, dit-il. Il est évident que vous avez perdu beaucoup de savoir depuis cette époque.
-Qu’en savez-vous ? demanda Sœur Guenièvre, qui tiqua et s’avança vers lui.
-Vous ne m’avez pas donné de raison de penser le contraire, répondit-il. »

Sœur Guenièvre parut très affectée par cette remarque blessante, et c’est criant de plus en plus fort, hurlant presque à la fin, qu’elle vida un sac au visage du Hérault. Sœur Morgane ne chercha pas à l’interrompre du discours, parce que cela aiderait peut-être.

« Ça c’est fort ! cria Guenièvre. Vous avez vu que nous avons sans doute tort concernant ce qui s'est passé il y a bien longtemps, et vous pensez que nous reculons ? Mais savez-vous seulement ce que subit notre cité depuis ce temps ? Mais n'importe qui reculerait à notre place Hérault !
« Vous savez qui a posé ces règles stupides de Héraults ? Vous l'a-t-on dit ? Ce sont les démons eux-mêmes ! Les légendes en parlent ! De comment le Seigneur Natai s'est sacrifié pour obtenir ce simple sursis ! Depuis les démons et la corruption qu'ils entrainent assiègent la ville et la pénètrent régulièrement, et nous ne les battons que parce que eux le veulent bien ! Alors que sommes-nous supposés faire ? Dans quelle direction progresser quand nous sommes depuis tout ce temps une cité à l'agonie ? Allez, dites-le moi. Et là tranquillement, vous nous demandez de ne pas porter rancœur à ceux qui ont perturbé l'équilibre dans lequel vivaient nos ancêtres, et de...
-Excusez pour son emportement Hérault, dit Sœur Morgane en la faisant taire à cet instant. Mais acceptez que ces nouveautés soient difficiles à accepter pour certaines d’entre nous. »

Il resta de marbre, les bras croisés. Visiblement, la compréhension et l’empathie n’étaient pas des points forts de cet homme qui prétendait amener le progrès. Même si cela impliquait de s’allier avec des magiciennes. Après tout si les elfes n’étaient peut-être pas maléfiques, que dire des mages ?

« Vous avez une chance de quitter cette cité, comme je le disais à Sœur Morgane. Pour le reste, je n’ai pas de commentaires à faire qui ne risquent pas de nuire à notre bonne entente, et peut-être devrais-je vous laisser digérer tout cela.
- Nous ne pouvons pas quitter la ville, dit Sœur Guenièvre, se reprenant. Nous apporterions le même mal que celui que les elfes nous ont apporté. Montre-lui Morgane.
-Pourquoi moi ? demanda l’intéressée, réalisant ce dont Guenièvre voulait parler.
-Parce que chez toi c’est encore plus visible que chez moi, dit Sœur Guenièvre. »

En acceptant l’augure, Morgane se retourna, de manière à ce que le Hérault voie son dos. Elle dégrafa alors sa robe, dévoilant ses omoplates mutilées. Deux disques de chair rouge complets les recouvraient, deux immenses cicatrices.

« Vous ne savez pas ce que c’est, n’est-ce pas Hérault ? demanda Sœur Guenièvre. Il s’agit de la seule trace restante de la mutation que Morgane avait à la naissance. Depuis quelques générations, nous naissons tous avec des mutations dans cette cité. Et nous devons, quand vient la récolte, jeter de plus en plus de nourriture polluée. Tout comme nous abandonnons, par l'amputation, nos mutations à l'âge adulte. Nous les retirons. Ouvrez les yeux quand vous descendrez en ville. Vous verrez un nombre élevé de mutilés, ou à tout le moins de cicatrices. Et si vous voyez des enfants, faites attention à ce qu'ils ont de bizarre. Au fond, nous ne pourrons pas quitter cette ville, parce que la corruption de la région nous a déjà gagnées. Les démons nous ont liés à eux
-Peut-être qu’un… Exorcisme sauverait votre population, suggéra-t-il en flattant sa moustache, après avoir aidé Morgane à se rhabiller. Savez-vous ce dont il s’agit ? Non ? Il s’agit d’une cérémonie, pratiquée par un genre tout particulier de mage que nous appelons prêtres. Cassandra saurait vous l'expliquer mieux que moi, de par son statut d'élu divin, mais les prêtres ont accès à un éventail de pouvoirs que nous qualifions de cléricaux. Ils puisent dans l'énergie que leur accordent les dieux pour guérir des blessures, comme vous l'avez peut-être vu Sœur Morgane avec Cassandra ou pour purifier quelqu'un, ou quelque chose de l'influence des démons.
-Nous avons ça, plus ou moins, dit Sœur Morgane. Comment pensez-vous que nous luttions contre les démons depuis tout ce temps ? Les lames ordinaires ne peuvent pas les tuer après tout.
-C’est juste, dit-il. Peut-être que mes prêtresses pourraient procéder à l’expérience. Exorciser une femme, sur le point d’accoucher. Nous verrions peut-être naître un enfant sans déformation.
-Cela pourrait être une idée, dit Guenièvre. Mais je doute que ça marche. Ceux d’entre nous qui ont essayé l’exorcisme l’ont payé de leur vie. Quand nous disons qu'Akel s'est repentie et a accepté de racheter les crimes des siens... Ou quoi qu'il se soit réellement passé à l'époque d'ailleurs, il faut nous croire. C'est grâce à ses pouvoirs que nous tenons depuis tout ce temps. Grâce à la fontaine qu'elle a fait jaillir dans les racines de l'arbre que vous voyez là-bas. Nous ignorons ce qu'elle vaut, mais les lames que nous y trempons deviennent aptes à tuer ces bêtes. Et si un démon ou une personne mutée y boit, il en mourra. Voilà pourquoi elle est si bien gardée. Nous pouvons y tremper nos armes, mais pas y boire. Et cela fait bien longtemps. »

Cela conclut la conversation, car tous trois avaient eu, par celle-là, matière à réfléchir. Tous se rappelèrent qu’ils avaient des tâches et les prirent pour prétexte afin de s’éloigner. Mais Sœur Morgane savait qu’elle n’aurait pas le cœur de se concentrer sur lesdites tâches, pas plus que Sœur Guenièvre. Au fond, après une telle discussion, qui voudrait seulement faire comme si rien n’était arrivé ? En rentrant dans le palais, dans le hall, elle leva les yeux.
Il n’avait jamais bougé d’ici. Même lorsque, selon les légendes, un démon ailé avait atterri sur le rocher et défoncé la porte, le trône du Seigneur Natai avait été réparé et remis en haut de ses marches, au fond du hall, comme un symbole. Le symbole de celui qui avait lutté contre les elfes et leur invasion hostile. Ou qui avait été choqué par leur existence au point de déclencher la guerre, selon les versions. Qu’est-ce qui était la vérité ? Qu’est-ce qui était un mensonge ? Elle leva les yeux vers le trône désespérément vide. Aucune réponse ne lui serait apportée à n’en pas douter. Alors elle s’en éloigna. Dans un couloir, elle alla trouver la tapisserie. Le lynx qui y figurait avait fière allure. Etait-il un monstre sanguinaire ou un héros qui s’était défendu contre une invasion ? Le doute avait fait son nid dans l’esprit de la Sœur. Sur la tapisserie se trouvaient derrière le lynx ses sept filles. Les sept premières Sœurs d’Avalon. C’étaient elles qui avaient écrit l’histoire telle qu’elle était connue aujourd’hui. En contemplant leurs visages de tissu, Sœur Morgane comprit qu’elle ne voulait pas croire la version du Hérault, fût-elle la vraie. Car si elle la croyait, jamais elle ne défendrait aussi efficacement Avalon, en sachant que cette dernière aurait pu être l’une des causes de sa propre agonie.

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La nuit était tombée, mais Il veillait. Que les mortels ne croient pas qu’être à Avalon leur permettait d’échapper à son regard. La fontaine de l’elfe n’était pas assez puissante pour contenir Ses pouvoirs. Ainsi, ils avaient trouvé leur premier Hérault ? Grand bien leur en fasse, Il avait trouvé Ses cinq Héraults. Et Il avait hâte que la confrontation vienne…
Mer 25 Jan 2017 - 23:53
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