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[PV Théoden]Odyssée en terre lointaine
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Capitaine Theoden
Messages : 337
Date d'inscription : 21/08/2014
Age : 26
Localisation : Les Terres d'Albion.
Favori d'Ariel
Capitaine Theoden
Ils avaient échangés des regards gênés, les soldats devant le grand palais d'Avalon.
Arrêter le Capitaine Telthis ? C'était inimaginable pour eux !
La mine du Commodore, cependant, n'avait rien d'une farce. Pour un peu, il fallut le faire répéter. Mais Hewlett prit les devant et répéta mot pour mot l'ordre de son supérieur.

"-Vous avez entendu le Commandant, saisissez-vous du Capitaine Telthis et mettez-le aux fers !"

Quatre fusiliers sortirent donc du lot pour s'emparer de l'Elfe qui se tenait devant eux, l'air à nouveau aussi neutre qu'à son habitude. Il ne faisait aucun doute pour eux que si il refusait de suivre, ils n'auraient pas la moindre chance de l'y contraindre.
Mais Telthis se plia aux requêtes de Théoden, qui avait très vraisemblablement besoin de faire une démonstration de force devant les Soeurs Supérieures. Peut-être l'avait-il comprit lui-même, lorsque les gardes lui passèrent d'épaisses chaînes aux poignets et aux pieds. Après tout, si le Commodore ne pouvait pas contrôler l'Elfe Blanc servant à bord de son équipage, peut-être auraient-elles pensé à l'enfermer dans leurs geôles ? Ou pire ! Après tout, ces gens là n'avaient l'air d'aimer les Elfes que morts.

Toujours était-il que Telthis fut ainsi emporté, dans un silence plus gênant que grave. Mais ce n'est que lorsque le régiment de fusiliers reçu l'ordre de prendre ses quartiers dans le niveau le plus bas de la cité qu'on finit par l'enfermer.
On lui trouva une maison somme toute plutôt digne, aux fenêtres barrées et à la toiture intacte. Une demeure face à la grande place au centre du premier étage d'Avalon.
Dans les faits, même arrêté, Telthis ne fut pas désarmé ni cagoulé. Comme l'exigeait le protocole dans ce genre de situations. Au lieu d'une seule chambre, on lui laissa un étage complet et la totalité de ses effets.
Non pas que Théoden cherchait à acheter sa coopération par des faveurs, mais il sembla que les gardes affectés à la surveillance de l'Elfe prirent sur eux de désobéir, quitte à risquer le fouet ou le peloton.
Dans sa maison, Telthis en trouva peu pour le garder. Deux devant la porte d'entrée, deux au bas de l'escalier menant à son étage, et un troisième faisant le tour des fenêtres de temps à autre. Cela étant, les portes étaient bel et bien solidement fermées, et on ne lui ôta jamais ses chaînes. Ni à son arrivée, ni lorsque Théoden vint le visiter, ni lorsque les premières expéditions partirent.

~o~

Né à Kelvin, fils d'un Officier Nordien, élevé sur les eaux de la façon la plus rigoureuse qui soit, Théoden avait une volonté formidable pour un homme de son âge. Une volonté qui, souvent, passait pour de l'entêtement voir de l'obstination. Mais qui bien des fois le sauva son équipage et lui. L'Odyssée était le parfait exemple de ce que pouvait sauver cette ténacité. De bout en bout, jusque là, Théoden avait su maintenir pour ses hommes et lui un cap fixe. De ce fait, ils firent plus de chemin dans ces terres désolées que quiconque auparavant. Et jamais ils ne se perdirent.
Il en fallait beaucoup pour le faire douter. Pour le forcer à se remettre en question.
Oh c'était arrivé, bien sûr ! Dans la Baie de Jade, à la mort de son mentor, dans une grotte, perdue sous la cité de Karak-Tur, lorsqu'un Basilisk manqua de le tuer, à sa rencontre avec la Reine Malene... et tant d'autres fois. Mais ce coup-ci, Théoden se trouvait devant une situation inédite. Après les révélations des Soeurs Supérieures, et celles de l'esprit d'Akel, il se demandait ce qu'était sa place dans cet échiquier géant. Ce pouvait-il que sa déesse, Ariel, celle qui l'avait sauvé de la mort et à qui il vouait sa vie depuis plus de quarante tours l'avait offert en tribus à cette ville maudite ?
Si c'était là sa tâche, ou son châtiment, il s'y plierait. Mais comment y croire ? L'avait-il jamais offusquée à ce point ?

C'est sur ses deux genoux que le Commodore chercha ces réponses. Depuis des heures maintenant, dès la tombée de la nuit, il se voua corps et âme à prier. Encore, et encore, dans l'espoir d'obtenir des réponses.
Dans une cave noire, éclairée par une seule lampe, il ne se permit pas même le confort d'un tapis pour prier.
Les rôtules à même la pierre, une poignée de coquillage pressées entre ses mains jointes, Théoden murmurait inlassablement la même supplique.

Océan, Océan, mon maître et mon tyran,

Accueille en cette oreille qu'est ce coquillage

Les mots qui te descendent sur la brise tendre.

Dis, mon grand

Si grand qu'il me semble sombrer dans ta barbe d'écume ;

Dis, mon grand si grand que me voici néant,

Vaine fourmi près d'un géant,

Dis, mon grand,

J'ose, moi le veilleur à la proue du vieux monde,

T'implorer pour ceux qui labourent ton onde.

C'était là un chant qu'on lui apprit dans les bas quartiers de Kelvin. Un de ceux que les vieilles prêtresses inculquaient aux marins, à la veille de leurs départs en mer.
Un air simple, pourtant lourd de sens. Pour un peu, l'esprit de Théoden revit le visage frippé de la prêtresse qui lui enseigna un beau jours. Un visage ridé, marqué par le temps. Il ne lui apparut qu'un instant, rapidement dissoud par une toute autre vision.
Lorsqu'il releva la tête, et que sa prière s'éteignit, emporté par les eaux, Théoden su qu'il avait été entendu. Avant même l'arrivée des sirènes, avant même que la lumière soit faite sur cet endroit curieux.
Il n'avait pas besoin de lumière, alors, pour deviner le sol sous-marin qui ondulait entre ses orteils. Ni pour distinguer la silhouette du navire, de son navire, brisé sous les ondées au loin.
Simplement vêtu d'une chemise, et d'un bas court, Théoden se leva sans tarder et abandonna aux courants ses coquillages. Il marcha vers son vaisseau, posé plus loin.
Passé le temps de prière, il trouva sa détermination dans un besoin farrouche d'obtenir des réponses. Pas seulement un début de réponse, ou une autre énigme.
Il avait besoin de savoir.
Rapidement, il se sentit observé. Par des yeux brillants, dans les noirceurs de l'océan. Il vit des tridents d'argents, scintillants entre les mains de sirènes.
Plusieurs nagèrent autours de lui, rejoignant une à une cette illusion qu'était la carcasse du Wicked Wench. Brecianne, la dernière, effleura Théoden avant de rejoindre ses soeurs.
Mais leurs silhouettes furent toutes rapidement effacées. Eclipsées par une autre bien plus belle. Bien plus majestueuse.
Une déesse de toute évidence, mais pas n'importe laquelle.

Théoden n'eut guère besoin de temps pour la reconnaître. Il s'arrêta un instant et baissa la tête, une main sur sa poitrine.

"-Ma reine !" lui lança-t-il, en levant les yeux.

"-Tu m'as appelé." lui répondit-elle sans tarder, l'échos de sa voix forçant ses sirènes au silence, et Théoden à la plus singulière soumission. "J'ai décidé de répondre."

Le Commodore, qui se tenait en contrebas ouvrit grand ses bras, si petit aux pieds de ce trône qu'elle s'était fait de son humble navire.

"-Cette cité, Avalon." murmura-t-il à l'océan, se remémorant leur dernière rencontre. La plus terrible, d'après la déception qu'il semblait avoir infligée à sa déesse. Il avait été stupide et ignorant, il espérait ne jamais se mettre dans cette situation à nouveau. "Est-ce pour cela que vous m'avez envoyé ici ? Ais-je finalement découvert le but de ma mission sacrée ?"

Il osa un pas en avant, ses yeux pleins d'espoirs levés vers Ariel. Si un oui lui échappait, il se serait trouvé libéré d'un fardeau écrasant de questionnements. Doté d'un cap nouveau, libre de repartir et de faire ce qu'il a toujours fait.
Mais un long silence lui répondit, un silence qui fit gonfler son coeur d'angoisse et manqua de le figer de nouveau.

"-C'est pour me demander cela que tu m'as appelé ?"

Elle n'avait l'air ni satisfaite, ni disposée à lui répondre. Il se sentit... outragé. Théoden sentit l'orgeuil monter en lui. Un orgueil qu'il ne s'était jamais permit auparavant devant sa déesse. Il serra les poings, agaçé par le ton d'Ariel. Il en avait assez de servir de jouet, de lutter sans raison contre quelque chose dont il ignorait tout.

"-Parfaitement, oui !" s'exclama-t-il avec une lueur folle dans le regard. Le genre de lueur qui mit les sirènes sur leurs gardes. "Parce que je ne peux plus avancer dans ces enfers sans savoir pourquoi j'y ai été envoyé." il plaqua un poing sur sa poitrine, s'époumonant presque "Parce que dans toute la faiblesse de mon humanité, j'aimerais savoir ce qui me pousse. J'aimerais savoir pourquoi je dois sans cesse me rabaisser devant ce foutu Elfe qui m'est indispensable et pourquoi je dois supplier pour de la nourriture !"

Cette fois-ci, il manqua d'exploser, pointant un point indistinct du doigt sur le côté. Il finit par serrer les dents, décidé à monter jusqu'à elle.

"-Si cette cité est le but que vous m'avez fixé, je crois qu'il est tout à fait temps de me le dire !"

Ou alors, après tout elle les avait déjà lâchées. Pourquoi continuer, si elle s'obstinait à taire le motif de son expédition maudite ? "Ou alors vous feriez mieux de lâchez vos sirènes sur moi."

Le point final de sa pénible tirade fut marqué par la chute brusque de sa rapière au sol. Il la jeta rageusement devant lui, signe qu'il ne se battrait plus et ne se défendrait pas.

Le sifflement qu'avait émit sa lame, en filant dans l'eau jusqu'à se planter dans le sable s'éteint sans tarder, sous le regard apparemment indifférent d'Ariel. Allait-elle partir, ou le tuer ?
Théoden fut sans réponse un instant, jusqu'à ce que la caresse douce des courants s'anime d'une vivacité nouvelle. L'eau, comme le membre unit d'une gigantesque créature se mit à l'entourer, peu à peu. Un siphon, qui allait l'emprisonner sur place et qui le força à lutter. Qui le poussa à continuer de marcher sans s'arrêter.
Ce fut bientôt tout le fond de l'océan qui fut prit dans cette tempête inédite, furieuse et pourtant parfaitement silencieuse.
Ariel ne bougea pas, son regard muet posé sur Théoden. Pourtant, les sirènes qui assuraient sa garde eurent un vif mouvement de recul, craignant apparemment ce qui devait être la colère de leur maîtresse.

"-Daignerez-vous me répondre, ou non ?" lança Théoden à travers la furie du courant, qui avait depuis longtemps arraché au sol sa lame, et l'avait fait disparaître au loin. Sa voix était chargée de reproches, bravant avec hardeur la mort qui se faisait pourtant de plus en plus présente.
Elle ne fit qu'éveiller encore d'avantage la fureur de la déesse. Sans ciller, elle le força à plier les genoux, un par un. Dans ce tambour déchaîné, un véritable maëlstrom géant, Théoden se sentit à nouveau écrasé. "Dis, mon grand. Si grand que me voici néant." ces mots n'avaient jamais eu tant de sens qu'en cet instant.
Pourtant, Théoden trouva la force de s'asseoir, ses genoux si fermement rivés dans le sable qu'ils y laissèrent une emprunte profonde. Il continua de darder Ariel d'un regard lourd de rancoeur et d'amour mêlé.

Les sirènes eurent vite disparut, lorsque la déesse sépara ses mains. Dans la violence de cette tempête, Théoden ne la vit pas s'approcher. Pas tout de suite.
Son pied léger se sépara du bastingage du Wench, et guida sa majestueuse descente vers le fond des océans.
Autours d'elle, les vagues faisaient flamboyer ses cheveux, sans jamais la menacer ou lui barrer le chemin. Elle descendit au niveau de Théoden comme un ange l'aurait fait du ciel. Un ange, ou Elis la faucheuse, prête à récupérer son tribus.
C'est ce caractère ambivalant qui fascinait Théoden, et qui une fois encore l'emplit d'admiration. Elle était la vie, et la mort à la fois. Une corde raide, au dessus du goufre de l'Odyssée. Il était le funambule, balloté par les vents.

Peut-être avait-elle conscience de cette aura mystérieuse qu'elle dégageait, peut-être pas. Peu lui importait. Elle s'avança sans se presser, laissant son favoris livré aux éléments.

"-Ne me parle plus jamais sur ce ton, mortel." gronda-t-elle, aussitôt qu'elle fut proche de Théoden. Elle fit alors quelque chose qu'il n'eut jamais pu espérer.
Dans un geste grâcieux, pourtant lourd de toute sa colère, elle posa sa main sur l'épaule de son favoris, le regardant droit dans les yeux. A ce moment, l'océan s'apaisa d'un seul coup, faisant retomber brusquement tout ce qui avait été arraché des profondeurs par la fureur d'Ariel. "Te donner simplement mes raisons alors que tu as toutes les cartes en mains pour les comprendre ? NON ! Mes favoris ne sont pas des imbéciles. Me suis-je bien faite comprendre ?"

Théoden, paralysé par le regard et le contact d'Ariel ne parvint qu'à baisser la tête, son coeur battant à tout rompre dans sa poitrine. Il avait vraisembablement comprit, mais était incapable de l'exprimer, désarmé par sa déesse.
Alors, elle le dépassa, commençant à s'éloigner dans son dos.

"-Je n'ai plus rien à te dire. Et ne me rappelle jamais pour des futilités pareilles."

Théoden resta figé là un moment, sans trop savoir ce qu'il venait de lui arriver. Il ne sentit pas l'eau qui l'entourait se retirer peu à peu, ni son navire s'effacer.
Son esprit retournait peu à peu à la réalité, comme à chaque fois.
Ou presque.
Car au moment où il s'affaissait, libéré de la pression du courant sur ses épaules, le Commodore n'avala ni du sable sous marin, ni de cette poussière dont était couvert le sol de la cave où il priait. Son visage heurta la surface tendre et tiède d'un tapis épais.
Sa main, lorsqu'elle se leva pour chercher appuie à côté de sa tête trouva sur sa route sa rapière, que ce nouveau rêve semblait lui avoir rendue. Dans l'air flottait une douce odeur de jasmin, de rose et d'encens. Théoden, que la pression de l'eau avait manqué de rendre sourd parvint à entendre de doux chants, et une musique délicate tout autours de lui.
L'un dans l'autre, il se trouva prit dans un véritable rêve, réconfortant après le traumatisme qu'il avait souffert auprès de sa reine.
Lorsqu'il releva la tête, le marin distingua les formes tout à fait harmonieuse d'une jeune femme. Allongée sur un divan des plus élégant. Il se trouvait dans un salon divin, de toute évidence. Orné comme aucun lieu qu'il ait eu la chance de visiter.
Et habité par... ce qui était à n'en pas douter la créature la plus belle qu'il n'ait jamais vue. A en juger par ses vêtements -ou du moins le peu qu'elle portait- et ce salon baigné d'une lumière chaleureuse. D'après les peintures aux murs, les tapisseries pendant du plafond autours d'elle, la musique paisible qui s'égrainait au loin, Théoden cru identifier Filyon, la déesse des arts.
Il la servait humblement depuis son enfance, par le biais de ses grossières esquisses, et avait toujours apprécié son clergé pour ce qu'ils préservaient à la surface du vieux monde. Mais jamais il n'aurait cru la rencontrer un jours !
Néanmoins, il se leva d'un bond, le coeur gonflé d'admiration. Il se sentit le besoin d'effacer sa fatigue et de faire preuve du plus d'élégance possible. Même avec une chemise trempée, et un short plein de sable.
Elle en sourit, semblant comprendre la manoeuvre de son invité. Un sourire furtif, et bien léger. Mais qui suffit amplement à faire fondre le coeur glacé du marin à qui il était destiné.
Si jamais il lui fut destiné !

Théoden osa s'avancer d'un pas timide, abandonnant vite l'idée d'observer le lieu autours de lui. Si il avait été un instant menacé en cet endroit, il ne le remarqua pas, tout absorbé par les yeux de la déesse qui le détaillait du regard.
Elle eut un ricanement taquin, figeant sur ses pieds le pauvre marin. Il exécuta une maladroite référence, sa rapière à la main.

"-Je...je reconnais à vos pouvoirs...ceux de la déesse Filyon. Maîtresse des arts et des plaisirs. Que me vaut l'honneur ?"

Elle se redressa sensiblement, froissant de sa peau claire les délicats draps de soie qui couvraient sa couche. Ce seul bruit fit sursauter Théoden, qui releva une tête rougissante vers elle. Avait-il été maladroit dans ses mots ?
Elle ne sembla pas effarrouchée. Filyon voulait simplement déposer sur une tablette de marbre et d'or sa coupe de vin, qu'elle sirotait avec douceur.

"-Le peuple que tu visites, mortel, il y a longtemps, fut l'un de mes plus précieux adorateurs, même s'ils ignoraient mon existence." commença-t-elle, alors que Théoden se redressait, captivé. "Ariel exagère toujours, et son caractère n'est pas facile. Elle n'admettra jamais t'avoir envoyé ici seule. Elle l'a fait sur l'insistence de plusieurs divinités, moi inclue."

Alors elle ne le châtiait véritablement pas ? Du moins... pas elle seule ? C'était un soulagement tout à fait relatif, compte tenu du fait que plusieurs dieux se dressaient derrière ce projet d'Odyssée. Un soulagement tout à fait relatif, parce qu'il aurait pu avoir offensé plusieurs dieux. Mais un soulagement, tout de même.

"-Je ne souhaite pas que les traces de ce peuple qui fut le miens disparaissent à jamais." reprit la déesse en se laissant de nouveau aller au fond de sa couche, sans pour autant abandonner une once de sa grâce. "Tu as prié pour savoir quelle était ta mission ici ? Tous les dieux concernés t'ont entendu, et voici celui que je te donne: Sauve l'héritage de ce peuple, sauve son souvenir. Telle est la mission que tu auras."

A peine ces mots prononcés, une main grâcile levée en la direction de Théoden, la déesse des arts commença à s'évanouir. Ce qui eut le chic d'affoler le Commodore, qui sursauta et s'approcha encore. Il ne s'imaginait pas vivre à nouveau sans une beauté aussi parfaite !

"-A..Attendez !" lança-t-il, alors que le plancher sous ses pieds disparaissait peu à peu, et se refroidissait au profit de la pierre et de la paille sèche. "Comment pourrais-je sauver ce peuple, si ils sont eux-même condamnés à flétrir sous le coup de la peste démoniaque ? I...Il y a tant de questions !"

Ce furent les murs, à leurs tours qui s'appauvrirent de tous leurs charmes. Les tapisseries s'envolèrent, les tableaux disparurent, ne laissant à nouveau que pierre et poutres. Filyon, la dernière allait disparaître, emportant avec elle sa lumière et sa beauté.

"-Vous reverrais-je, au moins ?"

Elle disparaîssait toujours, mais il entendit à nouveau un ricanement clair, léger comme le tintement d'une clochette.

"-Peut-être un jour, élu d'Ariel."

Alors Théoden s'apaisa, soulagé par cette éventualité. Il avait une chance de voir à nouveau cette lumière. La seule qui su un instant éclipser celle d'Ariel à ses yeux.


~o~


Le jour suivant, un soleil chaud se leva sur Avalon. Ses rayons lourds soulevèrent des nuages entiers de moucherons, qui se mirent à musarder dans tous les recoins de la cité. Pas un habitant ne fut épargné ! Pas même les fusiliers de l'Odyssée, qui commençaient leurs exercices quotidiens en uniforme complet.
Malgré les râleries, la sueur et la soif, tous furent contraints aux manoeuvres orchestrées par le Capitaine de Treville, sur la grande place du premier niveau.
Il en fut un, cependant, qui s'accomoda fort bien de sa redinguote, en cette chaude journée. Théoden avait choisit de se revêtir de ses atours les plus luxueux, après les évènements de la nuit passée.
Alors qu'il remontait la rue principale, à contre courant des fermiers, des gardes et des marins, les mots de Filyon lui tournaient en tête. "Elu d'Ariel"
Elu, il ne pouvait pas l'être. Ariel lui-même lui avait dit, des tours plus tôt.
Mais Filyon... elle était une déesse. Elle ne pouvait pas se tromper. Mais alors, comment ? Pas de doutes, il y avait encore beaucoup à apprendre de toute cette affaire. Mais la perspective d'avoir été nommé, enfin... rien qu'en y pensant, Théoden massa son épaule gauche de sa main, la poigne d'Ariel semblant y peser lourdement depuis la veille.
Une poigne, il en fallut une autre pour la tirer de ses pensées. C'était celle d'un garde Avalorrim. Lorsqu'il fut arrêté, Théoden releva la tête et détailla de haut en bas la jeune femme qui l'avait retenu.
L'accès aux niveaux supérieurs n'était pas encore ouvert.
Après un regard circulaire, Théoden vit non loin le Docteur Thackery qui attendait à l'abris d'un porche.
Tous deux se consultèrent du regard et convinrent qu'ils attendraient ensemble à l'ombre, échangeant avec entrain quelques mots en souvenir du temps où ils s'étaient rencontrés dans les salons Kelvinois. Une époque lointaine, pour ceux qui s'en souviennent, où la vie était aussi douce que le vin que l'on y buvait ou les femmes que l'on y séduisait ! A l'époque, tous deux étaient de jeunes étudiants prometteurs, jouissant d'un certain succès dans les dîner mondains. Une époque de rires et de légèreté.

Rien de bien semblable à cette aventure.

Finalement, les gardes qui empêchaient aux marins l'accès au second niveau s'écartèrent. Alors Théoden prit John par l'épaule et l'entraîna avec lui à travers les sentiers pavés de la cité blanche.
Le Docteur Thackery s'était munit pour le trajet d'une cariole branlante, et y avait jeté l'ensemble de son impressionnant laboratoire. Le tout brinquebalait avec grand bruit dans les artères d'Avalon, attirant les regards des plus curieux, et la méfiance des gardes. Mais Théoden était là, avec le médecin. Sommes toute les gardes ne savaient pas encore comment se comporter avec leur Hérault, comme ils n'osèrent pas s'approcher et arrêter son ami pour fouiller dans son attelage.

En un peu moins d'une heure d'une marche tranquille à travers les niveaux de la ville, le Commodore et son ami arrivèrent aux pieds du palais. C'était là qu'avait choisit de les attendre Soeur Viviane. Tous les trois se saluèrent poliments, avant de se diriger vers le grand hall. John confia à un garde sa charette et fila sur les talons de la Soeur Supérieure qui expliquait déjà à Théoden les modalités de la libération de Cassandra.
Elle lui révéla qu'une demeure lui avait été préparée par delà le palais, dans les résidences isolées sur les arrières de la citadelle. En outre, c'est le moment que choisit une certaine soeur nommée Naëlle pour apparaître. Elle se présenta comme étant la garde désignée pour veiller avec le Docteur Thackery sur l'élue divine.
Théoden comprit qu'elle devait être une des fines lames de la cité, compte tenu de la responsabilité qui lui incombait. Il ne pu s'empêcher de la détailler de haut en bas avec un certain dédain. Pas de doute, elle n'aurait pas la moindre chance, si Cassandra voulait s'en débarrasser !
Ils se séparèrent bien vite, cela dit. John et Théoden se firent leurs aurevoirs, comme il était difficile d'accéder la partie la plus reculée de la cité. Et que les premières expéditions partiraient avant qu'ils ne puissent se revoir.

Théoden remercia à son tour Soeur Viviane, lui demandant où il lui était possible de trouver Morgane. Il était visiblement pressé de s'entretenir avec elle.
En un rien de temps, la jeune femme le mena à une salle d'entraînement dans les ailes extérieures du palais. Et pour une salle d'entraînement, ce n'était pas rien ! Haute comme deux fois le grand hall du palais Ducal de Kelvin, toute de marbre blanc et noire, bordée de colonnes, il y avait là de quoi en souffler plus d'un.
Théoden trouva Morgane aux prises avec deux maîtres d'armes, dans une tenue bien plus pratique que sa longue robe habituelle.
Avant d'entrer et de s'annoncer, le Commodore prit le temps de l'observer à l'oeuvre un moment. Indispensable était cette précaution, ne serait-ce que pour ce qui devait fatalement arriver après la bataille.
Malheureusement, la silhouette éclatante de Théoden ne tarda pas à se faire remarquer. Et Morgane interrompit son exercice pour venir à sa rencontre.



"-Dame Morgane, je crois qu'il est temps de parler de ces expéditions. Mes hommes ont d'ores et déjà formées des équipes, je viens m'enquérir des itinéraires éventuels dont vous disposez."

Morgane ôta ses gants de cuir, et s'empara d'une carafe emplie d'eau, posée sur le coin d'un pied de colonne, non loin de Théoden.

"-Il y en a justement une qui était prête à partir pour demain. J'ignorais que vos hommes seraient prêts si vite.

-A vrai dire, le partage des tâches est terminé." répond Théoden en se tournant vers elle, alors qu'elle buvait un peu d'eau claire "Nous sommes tous prêts à nous y consacrer, avec un peu d'aide de votre part."

Il examine la salle un instant du regard, assez curieux.

"-C'est précisément pour cela que je venais.

-De quoi s'agirait-il précisément ?" demande-t-elle en reposant son verre sur son plateau d'argent, dans un tintement métallique cristalin.

"-Une escorte, pour ceux qui iront chercher l'artillerie dont nous avons parlé. Des guides, pour ceux qui doivent partir en expédition. Des cadres, pour ceux qui souhaitent aider aux champs. Et si possible, un endroit pour nos exercices de manœuvre.

-Pour la cité, demandez à Viviane. Je devrais pouvoir organiser une expédition pour aider à aller chercher votre artillerie. Quant à vos guides, nos deux groupes partirons ensembles. Autre chose ?"

Théoden sourit un brin, faisant non de la tête.

"-Merci, non."

Il recule d'un pas et s'incline à demi.

"-Nous nous retrouverons à la porte, alors."

Après quoi il se retire, et laisse Morgane à ses affaires.

~o~

Sur le retour vers les quartiers de ses hommes, Théoden assista à un spectacle tout à fait particulier sur la place devant le palais.
Autours du grand arbre, les quatre gardes qui entouraient la fontaine sacrée quittaient leurs postes avec des pas mesurés. Avec eux se trouvaient ce qui ressemblait à une troupe d'écuyer, les déchargeant de leurs lourdes capes.
Ces quatre personnages, tout à fait fascinants stoppèrent nets le Commodore. Au vue de la tournure des choses, il semblaient qu'ils s'apprêtaient à s'entraîner à leurs tours, munis de ces grandes lances si éfilées.
Mais à peine le temps d'en décharger un de son casque, et de lui ôter son masque de toile, un écuyer se précipita vers Théoden et l'entraîna plus loin.

"-Vous ne pouvez pas rester là !"

Surprit, Théoden le regarda avec un air étonné.

"-Que se passe-t-il ?" lança-t-il au jeune homme, apercevant du coin de l'oeil une longue chevelure dorée, tombant sur les épaules d'une des garde.

"-Les Faëntirn vont s'entraîner. Vous ne pouvez les voir !"

Ils passèrent vite le mur épais qui menait à une des rampes descendant au niveau inférieur, et Théoden planta ses talons dans le sol pour arrêter l'écuyer.

"-Pourquoi ne puis-je y assister ?

-Ces dames sont les gardiennes de notre bien aimée fontaine. Elles doivent rester immaculées, et ne sauraient être exposées à des regards impures. Comme le votre, Messire Héraut.

-Mais, je suis votre Héraut, justement !

-N'avez-vous pas traversées les terres infestées, pour arriver ici ?"

Le temps d'hocher la tête, l'écuyer le poussait déjà de nouveau le long du chemin, avec une insistance désarmante.

"-Pas d'offense messire, mais ce sont les règles."

Théoden se trouva vite dos à une porte épaisse, claquant avec grand bruit. Stupéfait, il leva la tête vers la falaise qui soutenait la grande place du palais. En tendant l'oreille, on entendait déjà les tintements de lames, et des voix de femmes s'élever.
Elles ne se donnaient visiblement pas qu'à moitié !
Déçu, le Commodore décida donc de continuer sa descente vers le premier niveau. Si Naëlle avait été choisie pour surveiller Cassandra, se disait-il, si elle avait la force pour surveiller une mage, qu'en était-il des talents de ces femmes qui protégeaient le lieu le plus sacré de toute la Citadelle ?
Théoden sourit, en pensant à tout ce mystère qui flottait encore autours d'Avalon. Après tout, n'était-ce pas là la plus belle quête qu'il ait jamais eue à accomplir ?

~o~

Le soir vint rapidement, sur Avalon. Ce qui était assez curieux, considérant qu'ils devaient se trouver en pleine saison chaude. Mais la fraîcheur de la nuit fut bienvenue, surtout au premier niveau, où les toitures étaient les plus défoncées et où les hommes ne manquaient jamais d'exercice. Le départ du soleil sonna comme un vrai soulagement !
Ce soulagement était partagé par tous, et partout. Y comprit par les quelques gardes qui surveillaient la demeure où était retenu le Capitaine Telthis, depuis la veille.
Assis sur le péron, ou à l'intérieur, les fusiliers s'accordaient un moment de soulagement qui ne fut interrompu que par l'arrivée d'un visiteur.
Ils n'eurent d'autre choix que de le laisser passer, raides comme des bâtons et tremblotants.

La porte de la chambre de Telthis s'ouvrit peu après. On toqua, on déverrouilla le loquet, puis une paire de bottes noires s'avancèrent, soutenant quelqu'un d'apparemment assez remonté.

"-Telthis."

L'Elfe, qui méditait à même le plancher, malgré les épaisses chaînes qui liaient ses poignets et ses chevilles n'eut pas même à tourner la tête pour reconnaître son visiteur. "Commodore." fut sa seule réponse, neutre et détachée comme à son habitude.

"-Comment vont vos humeurs ?" lui lança donc Théoden en retour, après avoir refermée la porte.

"-Je me suis toujours bien porté." rétorqua Telthis.

"-Vraiment ?"

Théoden leva le canif de Telthis, celui qu'il avait abandonné dans la table de la salle de réunion des Soeurs Supérieures et le lança à l'Elfe.
La lame fila sans un bruit et se planta brusquement dans le plancher devant lui.

"-Ce que j'ai vu hier ne ressemblait en rien à l'Elfe que je connais."

Telthis grogna en examinant sa lame.

"-Alors vous ne m'avez jamais vu en colère."

Théoden croisa les bras, ses yeux posés avec sévérité sur Telthis. Son regard était si lourd qu'il devait lui peser.

"-Non, mais je vous ai toujours vu posé et réfléchit. Se peut-il que même avec vos siècles d'expériences vous soyez capable d'oublier le bon sens le plus commun ?" fusilla-t-il, avec une âpreté qu'il n'avait jamais exprimé à l'encontre de son compagnon Blanc.

"-Pas quand on me révèle que les miens, que mes amis, ont été dévorés, et que l'âme de l'une d'elle est détenue contre sa volonté depuis des millénaires." se défendit Telthis en tournant à demi la tête vers Théoden.

"-Je ne suis pas venu raisonner avec vous, Telthis. Que vous ayez vos émotions, ça se comprend. Mais que vous vous laissiez déborder, et vous mettiez à jouer avec la crédibilité de votre commandant, ça ne saurait être toléré."

Puis, remettant son tricorne.

"-Vous demeurerez ici jusqu'à nouvel ordre. Je ne prendrais pas le risque de devoir négocier votre libération si il vous arrivait de nouveau perdre la raison.

-Je peux m'engager à..."

Il fut coupé par le claquement soudain d'une porte. Théoden avait vraisemblablement choisit d'ignorer ce qu'il avait à dire, et de montrer qu'il commandait quoi qu'il pouvait advenir. Même si ça voulait dire tenir enfermé un Elfe qui pourrait aussi bien le tuer lui et s'évader sans lâcher la moindre goutte de sueur.

C'en était sans doute mieux ainsi. Telthis, ainsi enfermé, ne serait pas un risque pour les relations diplomatique qu'entretenait tant bien que mal Théoden avec les Soeurs Supérieures. En tout cas, si il s'évadait, ce serait contre les ordres donnés par le Commodore. Ainsi, Théoden espérait éviter d'éventuelles représailles si l'Elfe choisissait de faire cavalier seul et de dérober le sceptre d'Akel.
De toute façon, si cela devait arriver, il ne serait plus là pour le voir.
Car dès le lendemain, enfin, partirait la première expédition depuis la découverte d'Avalon. Et il allait la commander, avec Morgane.
Dim 26 Fév 2017 - 20:10
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Dargor
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Le Maitre de l'Intrigue
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Sœur Morgane observa la troupe qu’elle avait derrière elle. Tout avait été trop vite à son goût, mais elle dirigeait désormais une expédition comprenant plusieurs guerrières d’Avalon. A ses côtés pour l’aider dans cette direction se trouvait le Hérault Théoden et un groupe de ses marins. Au total, une vingtaine de personnes. Ce qui faisait beaucoup, comparé aux expéditions habituelles, mais c’est ce qui avait été décidé. Il fallait à présent révéler au Hérault Théoden ce qu’il allait advenir durant l’expédition. Lui expliquer qu’elles ne servaient pas qu’à trouver les Héraults, et c’est ce qu’elle fit.
En vérité, lorsque le continent avait été ravagé suite à l’arrivée, ou l’invasion, peu importait car le résultat était le même, des elfes, toutes les cités n’avaient pas été détruites. La plupart étaient même restées debout, et c’était toute une société au service des démons qui avait peu à peu peuplé l’ouest. Seule Avalon était à la fois restée debout et continuait à la lutter. Mais dans les faits, la plupart des soldats qu’ils affrontaient étaient des mortels, et pas nécessairement des démons.
Cet aspect-là des choses, elle le garda pour elle. Elle se méfiait encore un peu de ce Hérault nouveau venu et n’avait pas forcément envie de tout lui révéler. Tout s’enchainait trop bien à ses yeux. Trop de coïncidences, et elle n’aimait pas ça du tout. Elle avait confié ce sentiment à Sœur Viviane avant de partir. Sœur Viviane lui avait répondu qu’à ses yeux, le résultat était là encore le même. Peu importait qu’elle appréciât ou pas ce Hérault, le fait était qu’il remplissait ce rôle. Personne à Avalon n’avait le choix. Mais elle, Sœur Morgane, pensait que ce n’était pas pour autant qu’elle aurait en lui une confiance aveugle. C’est pourquoi elle fit le choix de ne lui dévoiler, sans mentir cependant, qu’une partie de la vérité. Elle attendit qu’Avalon soit hors de vue derrière eux pour lui adresser la parole.

« Hérault, dit-elle. Je dois vous parler de notre voyage, et de notre destination, je crois.
-Eh bien faites, Dame Morgane, faites, répondit-il. »

Il semblait accepter le fait qu’on ne lui ait pas encore tout dévoilé. Mais ça n’était pas étonnant. Après tout, lui-même devait se douter, à la réflexion, que de tels voyages ne se faisaient pas en errant au hasard.

« Nous allons, dit-elle, nous diriger vers Anat-Krynae, une cité corrompue par les démons, à l’ouest des montagnes où nous sommes.
-Très bien, répondit-il, qu’allons-nous y chercher ? »

Il était plutôt docile, comparé à d’habitude. Elle n’allait cependant pas s’en plaindre. Et puis si cela traduisait le fait qu’il soit à l’aise, elle appréciait cette docilité.

« Des informations, dit-elle. Nous ne faisons pas qu’attendre passivement que nos ennemis soient sous nos murs pour en apprendre sur eux. Ces expéditions n’ont pas pour seul but de trouver les Héraults, mais aussi de jouer les éclaireurs.
-Cela tombe sous le sens, acquiesça-t-il. A quoi devons-nous nous attendre ?
-La cité se trouve dans une plaine de roches, dit-elle. Il y a donc beaucoup de couverts contre des ennemis à pied. Par contre, si un démon volant nous y repère, c’est la fin. Une fois proches de cette dernière, il faudra être prudents. Les habitants de cette cité sont des sauvages, et célèbrent les démons dans une orgie de violence aveugle. Ils ne sont pas très malins, mais si l’un d’eux vient à nous remarquer, c’est toute la cité qui déboule dans les minutes qui suivent. »

Historiquement, Sœur Guenièvre l’avait en effet avertie que de nombreux groupes avaient été perdus lors de tentatives d’aller espionner cette forteresse. Mais cela, Morgane le savait déjà. Après tout elle était militaire, c’était son travail de savoir ce genre de choses.

« -A-t-on une idée du nombre qu’ils sont ? demanda Théoden.
-Cette cité est très peuplée, répondit Morgane. Cela permet à leur mode d’adoration des démons de survivre. Les écrits racontent qu’un jour, ils furent si nombreux lors d’un siège à Avalon qu’ils ont pu faire des cadavres de leurs camarades tombés une pente pour monter sur les murs.
-Je dois, dit-il, sa curiosité non rassasiée. De quelles armes disposent-ils ?
-Ils privilégient le corps à corps, répondit-elle. C’est un domaine dans lequel ils excellent. Partant de là, toute arme trouve grâce à leurs yeux.
-Hm, dit-il, songeur. Peut-être pourrions-nous tenter une opération de sabotage, tant que nous y sommes. S’ils sont si nombreux que cela, je suppose que le mieux à faire serait de diminuer leur force de frappe avant le moment fatidique. »

Une telle idée plaisait à Morgane, elle devait bien se l’avouer au moins à elle-même, mais elle était méfiante. Jamais rien de tel n’avait été essayé, et la férocité de ces brutes était légendaire. Si un tel plan venait à se retourner contre eux, alors ils mourraient tous, et la Cité perdrait du même coup l’un de ses Héraults. Sa venue était déjà risquée, alors autant éviter de décupler le danger.

« Le but n’est pas de mourir, dit-elle un peu sèchement. Le but est d’avoir une idée précise de leur nombre pour cette fois. Et de trouver un éventuel Hérault parmi les nôtres. Nous ferions surtout mieux d’éviter de prendre des risques inutiles.
-Nous verrons le moment venu, dit-il, insistant. Etudions leurs forces, et si une occasion se présente, prenons-la. »

Elle restait méfiante quant à cette idée, et sentit qu’il était peut-être nécessaire de lui rappeler qu’il ne pénétrait pas des terres paisibles.

« En outre, dit-il, nous serons déjà heureux si nous atteignons la ville. N’oubliez pas qu’ils ont des démons avec eux, aussi c’est une région dangereuse vers laquelle nous nous dirigeons.
-Je ne m’en fais pas, dit-il. Vous et moi sommes coutumiers de ces expéditions en territoire infecté.
-Ne vous y trompez pas, argua-t-elle. Aucune ne ressemble jamais à la précédente. Si ça se trouve, la cité vers laquelle nous nous dirigeons n’existe plus, ou alors a changé d’endroit.
-Ce serait fort surprenant, dit-il, levant un sourcil, mais dans ce cas nous resterons effectivement sur nos gardes. »

Elle préférait entendre ce discours. Mais s’il était surpris par cette éventualité, songea-t-elle, un demi-sourire cruel se peignant sur son visage, alors c’est qu’il ne connaissait pas tant ces terres qu’elle. Ce qui était normal après tout, s’il avait vécu dans un monde où les démons n’étaient même pas un concept connu par le commun des mortels. Cela mit fin à la conversation, puis tous se concentrèrent sur la longue route qui les attendaient. Plusieurs jours de marches pour sortir des montagnes, puis une grosse journée dans une forêt sinistre à traverser les amèneraient jusqu’à la plaine de roches dont elle avait parlé. Deux jours de marche seraient ensuite nécessaires pour sans doute apercevoir la cité qu’ils recherchaient. Et là, essayer de l’observer de loin, de voir jusqu’à quel point bourdonnait-elle d’activité. Combien de ces berserks auraient à affronter les guerrières d’Avalon cette fois ? Morgane espérait au fond, tout en sachant qu’elle allait être déçue, que pendant le dernier siècle, ils s’étaient tous entretués.
Mais cela était très peu probable.

---

Samada se trouvait devant une situation qui serait à n’en pas douter compliquée à décrire. Tandis que le capitaine Théoden et une troupe étaient partis vers l’ouest, lui avait été envoyé à l’est, récupérer les canons des navires, ainsi que tout ce que contenaient ces derniers qui pourrait être utile durant le siège à venir d’Avalon. Seulement, de navires, il n’y avait plus. Chose perturbante. Plus perturbant encore était le fait que les deux navires n’avaient pas été détruits ou juste sabordés. Ils avaient tout simplement disparu. Comme si quelqu’un les avait emmenés.

« Peut-être ne sommes-nous pas au bon endroit ? hasarda quelqu’un, dans la foule envoyée les récupérer. »

D’un regard vers Eve Brookse, qui était membre dirigeante de cette expédition, Samada comprit. Ils étaient au bon endroit. C’était tout de même incroyable. Deux navires de cette taille ne pouvaient pas simplement s’envoler… Il semblait hélas que c’était bien le cas ici. Envoyés, les navires de l’expédition, disparus. Envolés, les canons, les balistes, les armes et les munitions. Disparus avec eux. Des éclaireurs furent envoyés longer la côte, espérant qu’effectivement, on s’était trompés. Ils revinrent bredouilles. Un groupe fut laissé ici tandis que les autres retournaient à la cité, dans l’espoir d’un quelconque miracle. Le miracle n’arriva pas. Ils revinrent à Avalon, et y annoncèrent qu’il n’y avait non seulement aucun moyen de savoir où étaient partis les navires, mais aussi aucun moyen de savoir comment étaient-ils partis. Après tout, les démons, jusqu’à preuve du contraire, n’avaient pas besoin d’eux pour naviguer…
Mais plus grave encore, une telle nouvelle ne les condamnait-elle pas à rester ici ? Samada se prit à espérer que le Commodore revienne vite. Le moral des marins allaient être au plus bas dans les temps à venir.

---

Elle observait le groupe qui traversait la forêt. Les guerrières avaient tendues, et les hommes nerveux. Dans un sens, elle pouvait les comprendre. S’ils n’étaient pas habitués à cela… Ils se trouvaient dans une forêt à la végétation épaisse et touffue. Ce qui était normalement, pour ce qu’elle en savait, impossible, car le vent qui soufflait était si froid que le sol sous leurs pieds était gelé. Et pourtant, de temps à autre soufflaient des bourrasques chaudes, mais ces dernières étaient les plus inquiétantes. Car avec elles venaient des murmures, et des ombres dans les fourrés. Et une fois qu’ils apparaissaient, ils restaient longtemps. Régulièrement, la troupe fit des haltes, alors que des bruits de feuilles remuées se faisaient entendre.
Elle sourit. Qui pouvait s’étonner qu’il y ait des démons ou des bêtes démoniaques au royaume des démons et des bêtes démoniaques, à part des gens qui luttaient contre ? Pendant tout le temps qu’elle passa à les espionner, elle chercha à repérer son frère. Elle finit par le reconnaitre. En partie parce qu’il portait l’épée de leur père dans son dos. La dernière fois qu’elle l’avait vu après tout, c’était au loin, et dans la nuit. Mais maintenant qu’elle voyait distinctement ses traits, elle le trouvait plutôt bel homme. S’il était aussi intelligent et fier que ce que son regard laissait transparaitre, à n’en pas douter elle serait fière d’être sa petite sœur.
Henast Rinma, puisque tel était son nom, laissa le groupe s’avancer jusqu’à la lisière de la forêt, à l’entrée d’une plaine désolée, ou l’herbe rase ondulait sous des bourrasques de vent froids et chauds selon les moments. Les plus inquiétants demeurant les chauds. Henast savait d’où cette chaleur venait, mais elle n’en dirait rien. C’est à cette lisière que le groupe, heureux d’avoir pu échapper à l’ombre des arbres, choisit de s’établir. Et alors qu’une brume épaisse tomber, ils laissèrent une guerrière monter la garde, et tous sombrèrent dans le sommeil. Elle dut se fier à aux émanations de chaleur qui émergeaient de leurs corps pour les repérer, ses yeux d’humaine étant devenus trop peu efficaces.

« Es-tu prêt à passer à l’action ? demanda-t-elle dans sa tête.
-Je l’ai toujours été… dit une voix sinistre, gutturale et sifflante à la fois. Es-tu sûre de ce que tu fais ? N’est plus simple mortel que celui qui a rencontré une Mon’Kiev, alors deux…
-Je sais pertinemment ce que je fais, Dormeur, dit-elle. Fais ce que je t’ai dit. N’oublie pas que le prince t’a ordonné de m’obéir.
-Et toi, dit la voix, n’oublie pas qui tu es… Et quel est ton rang. »

A cet instant, une atroce douleur la saisit dans tout le corps. Elle dut se mordre la lèvre jusqu’au sang pour ne pas hurler et alerter le camp. Elle tomba à genoux et se couvrit la bouche de ses mains, mais parvint à garder le contrôle de ses pensées, assez pour ordonner au démon de cesser.

« La douleur que tu me fais ressentir, dit-elle. Ce n’est qu’une illusion et je le sais.
-A moi, dit la voix du démon, elle me parait bien réelle. Fais attention à ce que tu crois être dans ton esprit, mortelle… Ton esprit te trahit. »

La douleur se retira. Elle remarqua alors que son frère se levait, se dirigeait vers la forêt. Elle le laissa la dépasser sans la voir, puis se mit à le suivre. Quand il s’arrêta, lame au clair, elle choisit d’aller vers lui. Avant de se montrer, une bouffée d’angoisse la prit. Mais elle se raisonna. Elle serait capable de le maitriser par la force, s’il le fallait. En l’entendant arriver, il pointa sa lame vers elle. Elle leva les mains au ciel, souhaitant montrer par ce geste qu’elle ne comptait pas être agressive.

« Mon nom est Henast, dit-elle. »

Il se montra tout à fait méfiant, ce qui était tout à son honneur, et lui posa la pointe de sa lame sous la gorge.

« Que me veux-tu, Henast ?
-Rien de plus que de faire connaissance, dit-elle, un sourire se voulant apaisant sur le visage. Es-tu toujours aussi hostile aux femmes qui viennent à ta rencontre ?
-Uniquement à celles qui surgissent dans la brume, dans des terres ravagées par les démons, et qui me parlent des miens comme s’ils les connaissaient. D’où me connais-tu, Henast d’Albion ?
-Tu dois faire erreur, répondit-elle. C’est la première fois que nous nous rencontrons.
-Si tu aimerais éviter que ce soit la dernière, siffla-t-il, menaçant, dis-moi qui m’appelait dans la brume tout à l’heure ? Qui a su imiter la voix de Filyon ? Qui a même su que je l’avais rencontrée ? »

Il parlait sans doute de l’un des deux Mon’Kiev qu’il avait eu l’occasion de rencontrer. Si le démon avait utilisé cette technique pour l’attirer ici, alors mieux valait en accepter l’augure.

« Je ne prétends pas connaitre tout le monde en ces lieux, dit-elle. Mais tu as dû être attaqué par un démon, cela au moins, c’est vrai. »

Il baissa sensiblement son arme, la soulageant un peu, avant de la remonter sous son menton, la forçant à relever un brin le visage.

« Et qui me dit que tu n’en es pas un ?
-Tu le saurais, répondit-elle en haussant les épaules. »

Il plissa les yeux, et baissa finalement son arme, sans pour autant la lâcher. Visiblement, ses arguments se montraient convainquant, mais il restait méfiant. Discrètement, elle repassa en vision normale, préférant ses traits à ses émanations de chaleur. S’il fit attention au fait que ses pupilles fendues redevenaient rondes comme celles d’une humaine, il ne le montra pas.

« Très bien, dit-il, alors pourquoi faire ma connaissance ?
-C’est que j’étais curieuse de connaître mon demi-frère, répondit-elle, innocemment, et ayant envie d’établir tout de suite la vérité.
-Tu es une de ces bâtardes que Dani Rinma a pondu après avoir trahit mon père ? demanda-t-il, les sourcils froncés. »

Elle aurait probablement quelques rectifications à apporter à cette histoire, mais ce n’était ni l’heure, ni l’endroit. Elle préféra mettre les choses au clair concernant la famille elle-même.

« Je crois être la seule fille, dit-elle. J’ai un frère, cependant.
-Un garçon, une fille, dit-il en la détaillant de haut en bas. Tu ne lui ressembles pas.
-A notre père ? Je dois tenir de ma mère.
-Malheureusement pour toi, dit-il, menaçant, en portant la main à l’épée accrochée dans son dos. Sans doute est-ce pour cela que ton existence s’arrête ici, ce soir. »

Visiblement, il n’avait pas l’esprit de famille. Vu qu’il servait les Mon’Kiev, elle décida cependant d’accepter le fait qu’il l’identifie comme une menace. Mais tout de même, elle n’avait pas envie que le sang coule ce soir.

« Allons, dit-elle, n’en venons pas aux mains. Nos destins ne sont-ils pas supposés être liés ?
-Peut-être le sont-ils, dit-il, plus menaçant encore. Peut-être seras-tu appelée à diriger le siège d’Avalon, avec ta garce de mère et ton rebus de frangin. Ou peut-être devrais-je trancher de suite le lien qui nous rattache, et m’éviter une foule de complications à l’avenir ?
-Tu pourrais, dit-elle. Mais cela pourrait aussi être une erreur.
-Et pourquoi cela ?
-Qui t’a persuadé que je te veux du mal ? balança-t-elle du tac au tac. »

Après tout, c’était même l’inverse. Elle était honnête quand elle disait être ici uniquement pour faire sa connaissance. Après, viendrait la présentation de son monde, mais cela c’était autre chose. Après tout il était son frère. Sa famille.

« N’est-ce pas tout ce que veulent les créatures dans ton genre ? dit-il, ne partageant visiblement pas la même vision du lien qui les unissait.
-Tu réfléchis trop vite, répondit-elle. T’ai-je menacé ?
-Pas que je sache.
-Il me semble que depuis le début de cette conversation, c’est plutôt toi qui m’attaque, dit-elle.
-Feras-tu l’indignée, ou la surprise ? Vas-tu nier que je n’ai pas mes raisons ? répondit-il, levant la lame de leur père, tapotant son épaule avec. Ton sang n’a pas encore coulé que je sache. Je me trouve plutôt clément.
-C’est vrai, accepta-t-elle de dire. Mais je doute que notre père approuve que tu utilises sa lame pour faire couler le sang de sa sœur. »

Il accepta de ranger ladite lame, mais garda sa propre rapière à la main. Toutefois, il semblait encore être en colère contre elle.

« Ne t’avise pas de parler en son nom, siffla-t-il. Tu ne devrais même pas exister ! Pourquoi te tuer serait une erreur ? Choisis bien tes mots.
-Parce que je ne te veux aucun mal, dit-elle.
-Est-ce que ce sera toujours le cas, lorsque je menacerai ton frère, ta mère, et tous les tiens avec ces mêmes lames que je tiens là ? »

Pour le coup, elle dut mentir un peu. Mais ce n’était qu’un semi-mensonge. La part de vrai était que ce n’était probablement qu’une étape dans le destin de l’univers. La part de faux était qu’elle ne souhaitait pas la voir arriver si tôt.

« Mon frère est une brute épaisse, mentit-elle donc. Ce n’est pas de sa faute, il est né fou et l’a toujours été. Quant à ma mère, elle joue avec des forces qui vont au-delà de sa compréhension. Peut-être que pour eux deux, une telle menace serait en fait une délivrance. Mais toi, tu as l’air de comprendre ce qui t’entoure. Tu es ma seule famille après tout.
-N’as-tu donc aucun désir de consumer ce monde qui est le miens ? demanda-t-il en plissant les yeux.
-Pas spécialement, répondit-elle en haussant les épaules. »

Ce monde qui était le sien, comme il le disait si bien, elle en faisait partie, et souhaitait juste qu’il retourne à la chair dont il était né.

« Que veux-tu donc ? demanda-t-il, posant la pointe de son arme dans le sol gelé, et s’appuyant dessus comme sur une canne. Qu’attends-tu de cette vie ?
-Pour l’instant, dit-elle, un repas chaud, et un bon feu. Il fait froid ans cette forêt, et je n’ai rien mangé depuis des heures.
-Je ne peux t’emmener auprès des miens, dit-il, étonné. Ils te tueraient, aussi sûrement que je le ferais si tu n’avais pas piqué ma curiosité, ou si je n’étais pas fou. »

Il se mit à fouiller dans une poche de sa veste, et en tira une flasque, qu’il lui tendit. Le remerciant, elle y but un peu, puis la lui rendit.

« Je n’ai croisé personne dans cette forêt, mentit-elle.
Tu venais pourtant de l’endroit où nous campions, dit-il en rangeant sa flasque.
-Je t’assure n’avoir croisé personne.
-C’est impossible, dit-il en jetant un œil derrière elle, vers leur campement. »

Il rangea son arme et se dirigea vers ledit camp d’un pas décidé. Il était vide quand il arriva à la lisière de la forêt. Derrière lui, Hernast sourit. Le démon avait bien fait son travail. Il n’y avait pas de traces de combat, mais tout indiquait un camp qui avait été levé à la hâte : Feu piétiné, quelques objets lourds et peu utiles laissés derrière…

« Je ne comprends pas, dit-il, en commençant à suivre au sol les traces des siens, méfiant. Si c’est un piège… Par les dieux, curiosité ou pas, tu le paieras.
-Ce n’est pas un piège, mentit-elle à nouveau, mais je sais que tu auras du mal à me croire. »

Tandis qu’il continuait à suivre les traces, elle s’affaira à rallumer le feu. S’il y avait un point sur lequel elle n’avait pas menti, c’était quand elle affirmait avoir fin. Ce faisant, elle se dit d’ailleurs que le piège n’était pas vraiment un mensonge. Après tout, elle n’avait pas pour intention de lui nuire. Pouvait-on dès lors considérer qu’il y avait réellement piège ? Et si le démon avait tenu ses engagements, il n’y avait pas eu de mort dans le groupe. Après tout il y avait un second Hérault, et la tradition exigeait qu’il ne soit pas perdu aussi stupidement.

« Que fais-tu ? dit brusquement son frère.
-Je te l’ai dit, dit-elle, j’ai envie d’un repas chaud.
-Nous reverrons-nous avant la fin ? demanda-t-il tout en la regardant se mettre à manger.
-Tu penses être capable de les retrouver ?
-Dans ces terres, seul et sans carte ? Seul un fou espèrerait y parvenir… »

En disant cela, il souriait à demi. Puis il la regarda dans les yeux.

« Peut-être que deux fous auront davantage de chances ?
-L’estomac plein alors, l’avertit-elle. »

Il revint vers elle, et la laissa terminer son repas, assis de l’autre côté du foyer. Il avait avec lui ce que ses parents lui avaient décrit comme un mousquet.

« Pas faim ? demanda-t-elle.
-Je ferais mieux d’économiser mes vivres, dit-il, perplexe. Il se peut que je n’en ai pas assez pour retrouver mes compagnons, qui sont visiblement partis avec mes affaires…
-Cette viande vient de mes vivres à moi, dit-elle. Donc n’hésite pas si tu veux.
-Mange tant que tu as faim, déclina-t-il. Je vais bien. »

Un silence s’installa, qui dura jusqu’à ce que l’aube commence à dissiper la brume, et qu’un vent chaud se mette à souffler depuis l’ouest, amenant son lot de murmures et d’ombres. Mais il semblait s’y être habitué.

« As-tu connu notre père ? demanda-t-il soudain.
-Un peu, dit-elle. Sa relation avec ma mère a commencé à se dégrader après ma naissance. Donc je ne l’ai que très peu connu. »

En réalité, si elle avait bien compris les divagations de sa mère et les dires de son père, sa naissance avait été le point culminant de leur relation. Mais elle n’en savait pas vraiment plus.

« Comment… demanda-t-il en trifouillant les braises du feu, hésitant. Comment était-il ?
-Il m’a laissé l’image, dit-elle, d’un homme déterminé, et fier.
-C’est ce que son journal laissait comprendre, oui, dit-il en soupirant. Certainement pas un homme qui méritait la mort qu’il a eue.
-N’en parlons pas, dit-elle. Ce qui est arrivé est arrivé. Tu étais en guerre avec ce pourquoi il luttait, c’était comme ça. Mais puisque c’est en leurs noms que tu l’as tué, quels dieux pries-tu ? »

Elle avait dû se retenir de les appeler les Mon’Kiev, ce qui était le véritable nom de ce peuple, ainsi que ses maîtres lui avaient enseigné, mais elle n’avait pas encore envie de dévoiler tout ce qu’elle savait sur la nature du monde à son frère. Mieux valait d’abord l’habituer à côtoyer les serviteurs des démons.

« Ariel, dit-il, Fily… Tu connais mes dieux ?
-Pas vraiment, dit-elle, mais je sais que tu les pries. Ma mère m’a parlé d’eux. Et notre père aussi.
-Ta mère doit savoir ce qui l’attend, dit-il d’un ton sévère. Elle a trahi sa propre déesse, ma déesse. Et maintenant, Ariel elle-même cherche à faire tomber son courroux sur elle. A travers ces mains qui sont les miennes, et la puissance incroyable dont elle dispose. Je ne sais même pas pourquoi je t’en parle, ajouta-t-il dans un petit rire. Tu dois bien te moquer d’eux. »

Pas exactement. En vérité, elle riait du fait qu’on puisse adorer les Mon’Kiev, mais pas des Mon’Kiev eux-mêmes, dont elle avait entendu parler de la puissance.

« Je ne prie pas, à titre personnel, dit-elle. Après tout, j’ai grandi parmi les adorateurs des démons.
-N’es-tu pas supposé en être toi-même une ? demanda-t-il. Fille d’une prêtresse souillée et d’un homme aveuglé par l’amour ?
-Tu as bien raison, dit-elle. Et si c’est vrai que si je devais vénérer quelqu’un, ce seraient les démons. Et donc ?
-Et donc tu ne les vénères pas ?
-Ça dépend lesquels, dit-elle en haussant à nouveau les épaules. »

En fait, elle n’en vénérait même aucun. Elle les servait, ce qui était tout à fait différent. Les démons se moquaient bien des prières. Ils aimaient simplement le mérite de leurs serviteurs. Si un serviteur était décevant, il était négligé, et son âme dévorée à sa mort. Ceux qui étaient méritants obtenaient bien plus. La transformation en démon. Récompense ultime. Rêve de sa mère, rêve de son père, rêve de son frère, rêve de tous ceux et celles qu’elle connaissait, et aussi le siens.

« Cette discussion ne doit pas leur plaire, dit-il en cillant.
-Les démons se fichent bien de ce que leurs serviteurs pensent d’eux, dit-elle. Mais dis-moi, maintenant que ton groupe a disparu, qu’est-ce tu vas faire ?
-Les retrouver. Et s’ils sont perdus pour de bon, retrouver le chemin jusqu’à Avalon. Et toi, que feras-tu, maintenant que tu connais ton demi-frère aîné ?
-Je me rendais, dit-elle, à Anat-Krynae, où je dois voir des connaissances. Vu que c’est la ville la plus proche, je suppose que ton groupe s’y dirigeait. Souhaites-tu faire une partie du chemin avec moi ? »

Il jeta un coup d’œil aux traces. Ces dernières partaient bien vers la ville. Visiblement, même dans la fuite, les siens n’avaient pas négligé leur mission.

« Aussi longtemps que ces traces iront vers cette cité, dit-il, nous voyagerons ensembles. Pour peu que tu n’aies pas d’accès de fanatisme pour tes maîtres et que ton arme reste où elle est.
-De toute façon, dit-elle, philosophe, je ne sais pas m’en servir. »

Sa véritable puissance résidait ailleurs. Elle avait hâte de pouvoir la montrer à son frère. Hâte de voir s’il pouvait réveiller la sienne. Son petit frère, l’autre fils de Dani Rinma, avait hérité de la rage inhérente à cette puissance, mais n’avait jamais su la contrôler. Son demi-frère y arriverait-il ? Pour le découvrir, il fallait d’abord s’en faire un ami précieux. Et pour ça, elle avait l’intention de l’emmener jusqu’à la ville, et non pas jusqu’à ce que les traces quittent le sentier de ladite ville…
Mar 28 Fév 2017 - 0:01
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Capitaine Theoden
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Cette brume là, Théoden devait bien le reconnaître, elle n'avait rien de rassurant. Mais cette nuit là, à l'orée de ce bois, il l'avait entendue. Elle. Filyon.
Ca avait alors été plus fort que lui. Si Elle l'appelait, il n'était pas envisageable de rester muet et de l'ignorer.
Alors il avait empaqueté à la va-vite un minimum de ses effets et était partit.
Non sans prévenir le Mousquetaire Tobias qui veillait sur le camps avec une guerrière Avalorrim. C'était peu, puisqu'il ne voulait pas donner l'impression de s'enfuir, mais c'était assez pour manger en cas d'égarement.
Ce bois là, les marins l'avaient vite surnommé aussi. Le Bosquet Tordu. Et à juste titre ! Théoden manqua plus d'une fois de se rompre une cheville contre une racine déterrée, ou au fond d'un creux invisible dans le noir. Voir était devenu pratiquement impossible, pour celui qui s'aventurait dans les allées noueuses de cette forêt. La nuit était noire, mais le brouillard lui enveloppait tout le reste. Et masquait ce qui grouillait dans l'ombre. Ce que la paranoïa désignait à Théoden comme des hordes de petits lutins maléfiques, prêts à lui bondir dessus.
Les voix arrivaient par vagues. Portées par le vent. Elles finirent par couvrir les appels de Filyon, ce qui ne manqua pas d'affoler Théoden et de le pousser au bout de ses nerfs déjà amoindris.
Tant et si bien que, lorsque la voix de la déesse eut disparut, il se sentit l'envie de balayer toute cette brume de sa longue rapière, dans l'espoir d'écharper ces milliers de créatures qui devaient lui avoir volé la compagnie de la ravissante Filyon.
Fort heureusement, il su se contenir et épargner ses forces. Du moins... jusqu'à l'arrivée inattendue d'une personne qu'il ne s'attendait pas à croiser en ces contrées si étranges.

~o~

Un jours nouveau se levait sur Avalon. Et comme tous les matins, les marins de l'Odyssée s'éveillaient au son des cors et des ordres. Certes, le sommeil était plus léger et plus confortable depuis leur arrivée, mais le Capitaine de Treville ne relâcha pas pour autant la discipline qui se devait de régner parmi l'équipage.
Alors comme tous les matins, chacun se leva et se prépara pour ses tâches de la journée. Que ce soit aux champs, sur les murs, à la manoeuvre, ou à l'approvisionnement des troupes.
Lorsque les portes du Second Niveau s'ouvrirent, une trentaine d'hommes attendaient déjà avec les deux chevaux dont disposait l'équipage et une charrette. Ceux-là, accompagnés par des fusiliers avaient la tâche difficile de l'approvisionnement.
Alors comme à chaque fois, ils menèrent leur attelage jusqu'aux gardes mangers. Non sans veiller à ne pas se mêler à la population suspicieuse d'Avalon.
Si le fait de porter des sacs et paniers de provision n'était en soit guère compliquée pour les hommes de l'Odyssée, la faim était elle devenu un véritable soucis. De fait, des lunes entières de privations en tout genre avaient mit à cranc ces marins qui, depuis leur arrivée en ville convoitaient avec une avarice redoutable les vivres abondants dont étaient gorgés les gardes manger.
Ce jour là, la faim et l'envie fut telle que les 25 hommes qui chargeaient le chariot décidèrent tout bonnement de s'emparer des réserves de vivres à l'Ouest du Second Niveau.
Sans tarder, ils tirèrent de leurs chemises, de leurs vestes ou de leurs bottes de courtes lames ou se saisirent de gourdins. Les premiers à tomber furent les deux gardes Avalorrims aux portes de l'entrepôts, pris par la surprise et le nombre.
Ensuite, ce furent les fusiliers de Théoden qui, malgré une tentative de riposte peu fructueuse finirent bien vite par se trouver assommés, quand ce n'était pas pire et dépossédés de leurs armes.
Avant même que d'autres puissent réagir, la vingtaine de mutins restant avaient refermées les portes de l'entrepôt derrière eux, emportant à l'intérieur quelques familles de locaux qui s'étaient trouvés pris dans l'escarmouche ! Ils menaçaient de mettre le feu à toute la réserve, si jamais on ne leur accordait pas d'avantage de vivres.
Tout naturellement, le Capitaine de Treville fut prévenu de cette mutinerie soudaine et assembla une troupe de ses soldats pour contenir la révolte aux abords de la réserve. En une heure, toutes les rues menant à l'entrepôt furent bloquées par des soldats en uniforme blanc, afin d'éviter que des civils supplémentaires ne soient victimes des tirs des rebelles, qui abattaient tout ce qui passait à la portée de leurs mousquets depuis des fenêtres.
Et à chaque instant, le nombre de victime grandissait.

~o~

Un visage pareil, Théoden n'en avait que rarement vu dans sa vie. Une peau si claire, des yeux si profonds. Cette femme là, qui s'avançait hors de la brume aurait tout eu d'un ange, si elle n'avait pas été le produit des plus ignobles ténèbres de ces terres.
Car de cela, le Commodore n'avait aucun doute. Voilà pourquoi il ne tarda pas à lever son arme contre cette jeune femme qui l'aborda. Mais elle ne sembla pas effrayée. Tout au plus, surprise. Et sa démarche chaloupée céda sa place à la plus grande prudence.
En un tours de poignet, Théoden la contraint à l'immobilité. Il l'observa, elle en fit de même. Et leurs yeux se croisèrent une première fois à cet instant.
Elle était curieusement vêtue en ces terres. Une tunique longue, ouverte sur les bras et son ventre. Couverte ici et là de pièces d'une armure élégante. Probablement peu fonctionnelle, cela dit. Mais il y avait là assez pour suggérer au Commodore que cette jeune femme n'était pas une simple villageoise égarée.
Un piège, sans doute. Elle était armée.
Au fil de cette conversation tendue qui s'engagea entre eux, Théoden vint à apprendre son nom. Henast. Et surtout, surtout. Il apprit qu'elle était une des filles de Dani Rinma, la prêtresse maudite qui avait ouvert son père à la perversion des démons.
Une engeance qu'il avait promit d'éradiquer autrefois, alors qu'il récupérait dans les cendres du bûcher de son ancêtre la lame usée qui pendait dans son dos.
Mais elle parvint à retenir l'aversion de Théoden.
Pour une raison qui l'étonnait lui-même, elle s'était rendue maîtresse de l'échange, et l'avait poussé à ranger ses armes.
A son propos, Théoden ne su trop quoi penser. Henast était par définition tout ce qu'il s'était engagé à détruire, pratiquement deux tours plus tôt en découvrant l'infection qui régnait en Albion. Et pourtant, elle piquait sa curiosité.
Henast prétendit n'avoir aucune intention de lui nuire. A lui comme au monde qu'il protégeait. Ce qui était étrange en soi, d'ailleurs. Mais plus étrange encore, il eu envie de la croire.
Et cette envie, c'était ce qui le poussa le lendemain à prendre la route à ses côtés.
Bien sûr, ça n'aurait pas été possible si ses compagnons de voyage n'avaient pas fuit. Et pourtant les voilà, une fois le soleil levé à marcher à travers les landes maudites d'Albion côtes à côtes.
Théoden ne quitta pourtant pas ses armes un seul instant, alors qu'ils conversaient. Elle était apparemment désireuse de faire connaissance avec son frère qui lui venait de par delà les océans. Henast su parfaitement faire passer son envie d'apprendre à son compagnon, et tous deux ne tardèrent pas à disserter sur l'ordre du monde et, bien sûr, la rivalité perpétuelle qu'entretenaient les démons et les dieux.
Un constat terrible tomba sur leurs épaules, alors que les mots étaient prononcés, et que les regards étaient échangés. Aussi savants et puissants qu'ils étaient tous les deux, ils n'étaient jamais que des pièces sur un échiquier géant.
Non pas qu'ils l'ignoraient auparavant ! Mais le fait de l'apprendre, que ce soit du côté des servants des démons ou de celui des dieux eu l'effet inattendu de les rapprocher.
C'était un point commun parfait. Le premier vrai qu'ils partageaient ! Ce qui encouragea Théoden à baisser un instant sa garde et à s'engager -à nouveau- sur le sujet pénible de leur père.

Elle était jeune, lorsque leur père, Nathan James, perdit l'esprit à cause de sa malédiction. Henast n'avait donc guère plus de souvenirs que son aîné. Et pourtant, tous deux parvinrent à échanger un sourire léger. Un sourire qui ne fut effacé que par une découverte stupéfiante. Glaçante.

Au sommet d'une falaise, le duo tomba sur un charnier monumental, s'étendant sur des lieux et des lieux. Là, à même le sol, pourrissaient les dépouilles de milliers de milliers de soldats en armures, visiblements victimes d'une bataille sanguinaire.
Henast n'eut guère l'air surprise de trouver ça sur leur chemin. Elle connaissait donc apparemment très bien la région.
Théoden pour sa part s'aventura dans ces champs avec une mine pleine d'interrogations. Une bataille, ici ? A l'examen des corps, dont une bonne moitié était couvert de signes d'infection, Théoden fit la découverte de marques intéressantes sur les cuirasses des guerriers qui avaient affrontés les démons.
Frappé dans le métal de leurs armures, aussi bien que brodé sur les étendards en lambeaux qui claquaient mollement dans le vent, le Commodore vit l'arbre blanc d'Avalon.

"-Une armée Avalorrim, ici ? Ils sont bien loin de leurs cité." lança-t-il en déchargeant un corps d'un canon d'avant bras en assez bon état.

Henast ne s'attarda pas autant que lui, malheureusement et le dépassa sans grande cérémonie.

"-Ils ont tenté leur chance." cru-t-il l'entendre dire.

Elle enjamba un corps humain et poursuivit sa route, repoussant d'une main lasse un étendard planté en biais dans le sol.

Théoden vit les couleurs d'Avalon s'abattre brusquement dans la poussière et poussa un soupire léger en se relevant.

"-Nous approchons alors, n'est-ce pas ?"

Il fut répondu par un silence pénible et décida donc d'emboîter le pas de sa demi-soeur.
Traverser ce plateau lui fit le même effet que celui d'un cimetière à ciel ouvert. Et bien qu'il ne connaissait pas les hommes et les femmes qui avaient combattu là, il ne pu s'empêcher de ressentir de la peine pour eux. Tout en cheminant, son esprit se plut à imaginer les rangs serrés de ces Avalorrims, avançant dans la plus blanche des lumières vers les hordes de démons qui devaient hanter les bourgs de la cité voisine.
Sans doute Henast ne partageait-elle pas sa vision idéale de la chose. Mais au moins avait-il pu trouver ces corps, afin de voir ce que cela lui ferait d'échouer dans sa tâche.
Il savait maintenant à quoi ressemblerait son échec. Et il était hors de question que cela se reproduise !

~o~

C'est en gravissant une colline, non loin du champ de Bataille que Théoden l'aperçu. L'objectif de leur voyage. Anat-Krynae. Seulement, une fois sur ces hauteurs, Henast pu constater que les traces des compagnons de son demi frère bifurquaient.
D'ailleurs, il lui suivit sans une once d'hésitation.

"-La cité n'est pas par là." fait-elle donc remarquer à Théoden qui, se retournant vers elle s'arrêta sur place.

"-Les traces de mes compagnons, si."

Henast croisa alors les bras, ses yeux baissés sur lui. Elle indiqua Anat-Krynae à Théoden, d'un coup de menton et lui rappela qu'il était venu découvrir la cité, en vue de la prochaine guerre. Mais Théoden ne l'entendait apparemment pas de cette oreille, plaidant qu'il ne pourrait rapporter ses découvertes à Avalon sans ses compagnons disparus.

"-Si tu veux parler de la ville, il est plus sûr d'aller s'y promener que de l'espionner. Les gens d'ici n'aiment pas trop ceux d'Avalon, tu peux t'en douter.

-Me penses tu incapable de discrétion à ce point ?"

Théoden jeta un oeil vers Anat-Krynae, comme pour se confirmer ce qu'il savait déjà. Il ne passerait pas aisément inaperçu dans cette forteresse ravagée par l'infection.

"-Je ne te connais pas assez pour le dire. Mais que comptes-tu apprendre au fait en te contentant de rester au loin ?"

Elle marquait visiblement un point. Théoden ne pu qu'aller en son sens.
Elle enchaîna.

"-Tu ne m'as pas parlé des raisons qui te poussent à venir ici.

-En effet."

Théoden se fendit d'un sourire.

"-N'est-ce pas évident, avec la guerre qui approche ?

-Ah oui, le siège d'Avalon. Tu viens ici pour te renseigner sur les ennemis de la cité blanche, n'est-ce pas ?"

Elle avait juste. Encore une fois. Mais après tout, n'était-ce pas une manoeuvre des plus attendue, à l'approche de la grande guerre ?

"-Frapper le premier, ce ne serait pas trop mal non plus." ajouta cependant Théoden.

"-Je vois. Tu penses que nous sommes des monstres parce que nous servons les démons, c'est cela ?"

Théoden eut bien du mal à se retenir de lui avouer que oui. Les compagnons d'Henast n'avaient guère eue de pitié pour son équipage. Alors non, il ne comptait pas faire de quartier ou de détail. Et puis, que dirait sa déesse, si il en faisait ?

"-Il faut dire que les serviteurs des démons que j'ai pu rencontrer, jusqu'à toi, ont toujours essayé de me tuer, mon équipage ou moi." justifia-t-il cependant
"Et j'ai vu ce que leur influence a fait à notre père.

"-Est-ce que cela fait de leurs serviteurs des personnes mauvaises par essence ?

-Que veux-tu me dire, Henast ?" soupira le Commodore, abruptement.

"-Viens avec moi dans cette ville. Tu veux lutter dans une guerre entre plusieurs cités en ne connaissant qu'un seul des bélligérants. Laisse-moi te présenter l'autre.

-Si je dois diriger les défenses de leurs ennemis, j'entrerais dans cette cité avec la certitude de m'y faire étriper.

-Ils ne savent même pas qui tu es, et je ne compte pas te dénoncer."

Cela restait encore à prouver pour Théoden, toujours sur ses réserves.

"-Pourquoi chercher à m'éclairer de la sorte ? Je suis ton demi frère, oui, mais tu ne me connaissais pas avant aujourd'hui.

-Si j'ai bien compris ce que mes maîtres m'ont dit à ton sujet, tu es le cinquième Hérault d'Avalon, celui qui comprend la nature de son combat. Comment peux-tu la comprendre si tu ne connais pas tes adversaires ?

-Tu marques un point. Mais peut être avais-je l'intention de pénétrer cette cité avant de te rencontrer ?"

Il sourit, impressionné par la logique de sa demie soeur. C'en était presque admirable, si elle ne savait pas tout cela grâce aux enseignements des démons.

"-Je sais, dans tous les cas j'explorerais cette ville. La différence, c'est que ce ne sera pas guidé par une servante avérée de mes ennemis.

-Je ne compte pas te piéger."

Théoden jeta un coup d'oeil vers la cité, perplexe. Il croisa les bras.

"-Combien de temps resterions-nous là dedans ?

-Autant que tu le souhaiterais."

Théoden hocha la tête. En un instant, il jeta sur ses épaules sa longue cape bleutée et vint se placer derrière elle. Sans une hésitation, il plaça dans le creux du dos de la jeune femme son mousquet, à travers les plis de sa cape.

"-Mais si c'est une entourloupe, je m'assurerais qu'on passe l'éternité à venir ensemble. Que ce soit dans l'enfer de tes maîtres, ou celui de mes dieux.

-C'est un marché équilibré." fit-elle, guère émotive devant cette menace.

~o~

Anat-Krynae. C'était là une cité bien curieuse. En tout cas, c'est ce que songea Théoden en posant les pieds entre ses murs sanglants. a vrai dire, il n'aurait pas été possible de faire plus aux antipodes d'Avalon !
Des banlieues, à perte de vue, édifiées dans de la roche brune, salie par le sang et la pourriture de l'infection. Des habitants transformés par des siècles de domination démoniaque, hurlant et festoyant sauvagement dans tous les coins.
Et un air vicié, aussi épais qu'un mauvais sirop. Une pestilence terrible flottait dans ces rue. Une pestilence telle, que les bas quartiers de Kelvin faisaient figure de parfumerie à ciel ouvert à côté !
Ce fut en tout cas la vision de Théoden qui, malgré sa longue cape et sa capuche prit le plus grand des soins à garder sous la main son mousquet.
Celui là même qu'il braquait dans le bas du dos de sa guide, Henast. Même si elle s'en semblait s'en accommoder plutôt bien ! Sans doute trop bien pour quelqu'un qui pourrait se trouver percée de part en part par une décharge de fonte bénie de plusieurs dizaines de grammes.
Si elle avait moyen de survivre à ça, songea encore Théoden, alors il avait bien fait de prévoir un plan B en cas de trahison. Une mèche fine, glissée dans sa musette lui assurerait un joli feu d'artifice ! Ce qui assurément tuerait ce que sa balle ne saurait faucher.
Quand à sa propre vie... Eh bien pour quelqu'un qui aurait dû mourir bien des tours plus tôt au fond d'une arène, la peur de la mort devient tout à fait relative. Pour peu que Théoden l'ait un jour connu.
Un hurlement le tira de ses songes. Loin après les premières bâtisses d'Anat-Krynae, Henast mena son demi frère aux abords d'une modeste auberge. Ou quelque chose qui y ressemblait, à la vue de l'affluence particulière et de la consommation sans limite d'un breuvage couleur rouille.
Ce hurlement, ce fut celui d'une certain "Borg". Un homme, ou plutôt une créature, haute comme un cheval dressé sur ses pattes arrières et épais comme pas deux qui buvait là avec d'autres monstres.
Au moment où Théoden tourna la tête, il le vit couvert du contenu de son godet, et armé d'une masse à pique terrifiante.
Le coupable, c'était un autre type. Un certain "Kergoh". Lui était sensiblement plus petit. Pratiquement humain ! Si on oubliait cette mâchoire dentée qui claquait au sommet de son crâne.
Théoden suivit l'altercation des deux soiffards avec un intérêt certain, entraînant Henast sous le couvert d'un proche pour se donner le temps d'étudier le phénomène.
Comme il l'avait prévu, les quelques paroles gutturales qu'échangèrent ces deux là furent vite ponctuées de coups et de heurts.
Mais là où Théoden attendait l'intervention de la garde, ou une baston générale, tous firent place et encerclèrent les deux combattants.
Théoden jeta un coup d'oeil surprit à Henast, qui ne lui répondit qu'avec un demi sourire et lui refit tourner le visage avec son index.
Alors il observa. Il vit des coups, échangés dans une effervescence générale par Borg et Kergoh. Et le sol en tremblait presque, tant ces deux colosses se donnaient ! Borg fit sauter de sa massue quelques poutrelles, soutenant une étale dans la rue. La malheureuse s'effondra comme un fétus de paille, dans la clameur générale.
Après une lutte aussi brève que violente, dominée en grande partie par le colosse à la masse, Kergoh se trouva acculé contre un mur, et Borg se saisit de sa tête dans une de ses mains épaisses .Théoden peina à distinguer la suite, depuis son abris. Mais il ne tarda pas à apercevoir la tête dentée de Kergoh rouler sur le pavé suintant, dans une gerbe de sang noir des plus répugnante.

De nouveau sur leur chemin, Henast pu trouver son demi frère songeur. Ils avaient assisté à ce qui aurait été un meurtre sur le Vieux Continent sans que quiconque n'intervienne ! Pas de gardes, pas de milice... Et même la foule autours les encourageait. Il comprenait maintenant pourquoi Morgane lui avait confié son espoir de les voir s'auto détruire avant la guerre comme cela.
La violence avait une part plus grande encore à Anat-Krynae que dans n'importe quelle cité de son monde !

"-Je ne vois là qu'une société sauvage, teintée par l'influence des démons. Jusque là ? Parfaitement ce à quoi je m'attendais." répondit Théoden, quelques minutes après lorsqu'Henast lui demanda ce qu'il pensait de sa société.

Il la laissa avancer d'un pas et abaissa son arme.

"-Mais as-tu remarqué qu'ils vivaient en toute amitié ? Il y a dans cette ville quantité de maçons, de boulangers... Certes leurs coutumes peuvent paraitre sauvages si on n'y est pas habitués... Certaines cités les considèrent même comme des arriérés, sur ce continent.

-Arriérés, peut-être pas. Ils sont en tout cas bien plus proche d'êtres humains que ce que j'ai affronté jusque là."

Il regarde autours d'eux.

"-Maintenant que nous sommes ici, j'imagine que nous devrions boire. Autrement nous risquons d'être repérés.

-Tu prendras le risque de boire un produit proposé par des gens sous l'influence des démons ?

-Si je devais être infecté par l'influence des démons, j'imagine que ce serait arrivé depuis longtemps ici."

Fit remarque Théoden à sa demi soeur, en croisant les bras.

"-Et si une mâchoire dentée devait prendre la place de mon bras droit, eh bien au moins je saurais que je pourrais emménager ici sans risquer l'inquisition des Chasseresses du Vieux Continent.

-L'inquisition ?"

Ah, oui, elle ne connaissait pas ça...

Théoden prend donc la jeune femme par l'épaule pour l'emmener vers ce qu'il identifiait comme un autre bar. Il souriait à demi, en jetant des coups d'oeil alentours, tandis que s'ouvraient devant eux les portes de l'établissement.
L'intérieur était aussi désagréable que l'extérieur, aux yeux de Théoden. Si cet endroit eu pu être attrayant un jour, alors cette époque était depuis longtemps révolue ! Néanmoins, le Commodore parvint à trouver deux chaises, et une table, à peu près convenable et loin des fuites de sang purulant qui gouttaient du plafond ici et là.
En s'asseyant, face à sa demi soeur, Théoden finit par lui répondre.

"-Ah oui, tes maîtres ne t'ont sans doute pas parlé de ça. Sur le Continent d'où je viens, les gens qui habitent ici seraient traqués, et envoyés sur des bûchers.

-Je suppose que c'est la guerre." fit-elle, fidèle à son habituelle quiétude.

"-Une guerre que tes maîtres n'arrivent pas encore à porter sur nos rivages."

Peu après, un serveur aux allures de pantin cauchemardesque apporta à Henast et Théoden une paire de godets biscornus. Le Commodore en examina le contenu, une fois l'homme partit et haussa un sourcil.

"-Pour quelqu'un qui s'en connaît en alcool, ici, c'est de la piquette ou un bon produit ? J'ai du mal à me décider personnellement." lança-t-il avec un sourire amusé.

"-C'est de la piquette. Nous ne sommes pas chez les brasseurs ici."

Théoden leva derechef son verre, dans un geste solennel, ses yeux gris figés dans ceux d'Henast. Une chandelle, dansant entre eux faisait rire ses prunelles, qu'il faisait sautiller entre les deux pupilles de sa jeune soeur. Rien de mieux, pour sonder l'âme de quelqu'un.

"-Eh bien j'imagine que je visite cette cité comme un parfait touriste, alors." finit-il par lancer avec un air parfaitement ironique.

~o~

Avalon, par une belle nuit d'un printemps démoniaque. Au septième niveau de la citadelle, rien ne troublait la quiétude du palais, et du quartier alentours. D'ailleurs, en dehors des gardes, tout le monde dormait, ou veillait silencieusement.
C'était précisément le cas du Docteur Thackery qui, dans sa chambre, avait aménagé un véritable laboratoire.
Tous ses meubles avaient été empilés dans un coin, ne laissant disponibles que les tables, les commodes, les géridons et les tablettes. Là dessus, le médecin avait étalé tout le contenu de sa cariole. Alors depuis plusieurs jours maintenant, des dizaines de fioles s'étaient mit à bouillir dans tous les coins de la pièce, entre des tubes et des carnets.
Dans ce capharnaum fumant et bouillonnant évoluait le frêle Docteur Thackery, vêtu de son habituelle blouse. Tout à ses expériences, il semblait tituber, depuis quelques temps sans se détourner de son travail.
Et puis soudain, alors qu'il était penché sur un pupitre, en train de consigner ses dernières observations sur une solution résolument novatrice, un cris retentit.
Le sien. Ce n'était pas un cris, en fait. Plus un gémissement, pénible et cinglant. Mais impossible à contenir. John se retint à son pupitre, courbé en deux, puis tomba à la renverse, emportant avec lui l'intégralité de son travail. Il perdit là connaissance, dans un grand fracas.

~o~

Quelques verres plus tard, Théoden se pencha en avant, vers sa demi soeur. Nullement ivre, et pourtant irrésistiblement attiré par les mystères qui se dissimulaient derrière la mine innocente d'Henast, il ne pu retenir une question.

"-Je me souviens de chacun des serviteurs des démons qu'il m'ait été donné d'abattre, depuis que je foule ces terres. Et je ne crois pas en avoir un jours vu un qui ait su s'en tirer sans se couvrir de pustules ou d'une excroissance difforme. Même notre père n'avait plus grand chose de l'homme qu'il avait été. Alors dis-moi... comment se fait-il que tu t'en tires aussi bien ?"

Il plongea ses yeux dans son verre, qu'il vida d'une traite.

"-Tu n'as pas vu mes mutations." répondit-elle sans détours. "Elles sont plus discrètes, mais elles sont là. La chair appartient aux démons après tout, libre à eux d'en disposer.

-J'ai vus tes yeux. Pour le reste, tu m'as l'air tout ce qu'il y a de plus commune, pour les standards de mon peuple. Une belle jeune femme, même, si il en est ici.

-Merci pour le compliment. Toutefois, il n'y a pas que mes yeux, mais les autres sont intérieures. Enfin... As-tu vu ce que tu souhaitais voir ici, où allons-nous devoir retourner nous promener dans la ville ?"

-Cette muraille de crânes, elle doit abriter quelque chose n'est-ce pas ?" hasarda Théoden, en repensant au monticule énorme d'ossements, qui formait une enceinte en plein coeur de la cité. "J'aimerais voir ça."

Il flatta un instant sa moustache, songeur quand à ces mutations "intérieures". Elle devait donc disposer de capacités surprenantes. Ce qui expliquerait pourquoi elle se promenait seule sans être la moins du monde inquiétée.

"-Eh bien, ils ne cachent que les maîtres. Au-delà de ces murs, marchent les démons qui se trouvent dans cette ville. Et le sang y coule beaucoup plus régulièrement qu'à l'extérieur.

-C'est donc là que je dois me rendre, si je souhaite accomplir la suite de ma mission.

-Je ne garantis pas que les démons ne t'attaqueront pas. Et s'ils t'attaquent, le reste de la ville t'attaque également.

-Autant ne pas se faire voir, alors." il sourit, avec un ricanement.

"-Il n'y a pas beaucoup de cachettes. Et tous les démons ne se fient pas qu'à leur vue.

-Très bien, dans ce cas nous allons faire le tours de ce mur. Puis je m'en irais."

Bien sûr, il ne serait pas le Commodore Théoden, si il comptait respecter son voeux...
Sam 6 Mai 2017 - 23:10
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Dargor
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Le Maitre de l'Intrigue
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Dehors, la lune s’était levée sur cette cité que Cassandra aurait souhaité quitter depuis longtemps. Mais le choix n’était apparemment pas le siens, et elle respectait trop le capitaine Théoden pour tenter de s’évader. Elle aurait aisément pu, mais elle avait bien compris qu’elle était la garante de la bonne entente entre les deux communautés. Un rôle qui ne lui plaisait pas, mais elle ferait avec. Même si cela impliquait de devoir passer ses journées enfermée dans une maison avec pour seule compagnie une guerrière aussi aimable et bavarde qu’un gibet, le fait qu’elle ne soit pas bavarde étant d’ailleurs plutôt une qualité puisque cela évitait à Cassandra d’être confrontée à ladite amabilité, et le docteur Thackery, qui s’il était bien plus sympathique que Sœur Naëlle, n’en était pas pour autant une compagnie des plus agréables. S’il avait été affecté ici pour prendre soin d’elle, dans les faits, elle avait plutôt l’impression qu’il avait saisi l’opportunité de se retrouver dans le seul endroit calme de la cité qui, si elle avait bien compris les rumeurs qui courraient dans la rue sous sa fenêtre, se préparait à un siège d’une violence rare, contre des armées démoniaques. Non, vraiment, elle n’aimait rien de tout cela. Et le cri de douleur de Thackery ne fut pas pour la rassurer, quand il advint justement au beau milieu de la nuit, alors qu’elle cherchait le sommeil.
Aussitôt, elle bondit de sa couche et se précipita vers la pièce où il avait installé son laboratoire. Il était là, allongé devant son établi, évanoui. Elle observa ledit établi. Pourtant il ne semblait pas dans un chaos particulier. Comme si quelqu’un avait frappé le docteur, mais sans laisser la moindre trace. Sœur Naëlle ? Elle se tourna en direction de la sœur, qui, imperturbable, observait d’un œil inquisiteur la scène. Les deux femmes se rergardèrent quelques instants, puis Cassandra se pencha sur le docteur, et interpellant Naëlle, l’appela à l’aide.

« Viens donc m’aider à le soulever et à l’amener dans un endroit plus confortable, au lieu de me regarder comme ça ! »

Elle lui avait parlé, sous le coup de l’inquiétude pour le docteur, mais aussi de l’énervement et de la peur liés à son enfermement, de façon très agressive, ce dont la Sœur d’Avalon prit clairement note. Du ton agressif de sa demande en tout cas. Avait-elle noté les raisons ? Cela, Cassandra n’en avait aucune idée, mais elle l’espérait, caressant la vaine illusion selon laquelle cela la rendrait plus sympathique.
Toujours est-il que ce fut la première fois -la dernière ? Elle ne savait pas si elle espérait cela ou non- qu’elles effectuèrent une tâche ensembles, même si celle-ci fut simple. Aussitôt le docteur allongé sur un lit, Sœur Naëlle se retira. Cassandra ne se fit pas d’illusion, elle allait faire un rapport à d’autres femmes d’Avalon qui lui était supérieures, et demain, elle aurait des ennuis. Mais pour l’instant, elle en avait d’autres. Elle fit brièvement appel au pouvoir qui était le sien, en tant qu’élue, pour chercher à guérir le docteur du mal qui le rongeait, quoi que ce fut. Mais, à sa grande surprise, elle ne sentit rien. Tout au plus quelques petites blessures sur les bras, trop nombreuses, petites et régulières pour avoir été infligées par hasard. Sans y penser, elle acheva de les refermer, se promettant de l’interroger à ce sujet.
Puis elle partit s’asseoir dans une chaise, dans un coin de la pièce, et attendit patiemment qu’il revienne à lui. Vu qu’il avait l’air de bien se porter, elle ne doutait pas que cela arriverait bientôt, et cela ne manqua pas, bien que Sœur Naëlle ait eu le temps de revenir les surveiller, le dos au mur. Visiblement, elle était tendue par ces évènements, et de fait, sa lame était à moitié tirée. Elle était crispée. Heureusement, elle ne fut pas agressive quand le docteur s’éveilla, ce qui permit à Cassandra d’espérer une conversation calme.

« Qu’est-ce que… demanda-t-il en se réveillant. Qu’est-ce qui vient de se passer ? Ca… Cassandra ? Où sommes-nous ?
-Nous sommes dans la chambre que vous occupez, dit-elle, s’affairant à le calmer et à l’empêcher de se relever. Vous avez crié de douleur et vous vous êtes évanoui devant votre établi de travail. »

Visiblement, si elle parvenait à l’empêcher de se relever assez facilement, le calmer serait une autre paire de manches. Il pensait déjà à son travail.

« Depuis… Depuis combien de temps suis-je ici ? Avez-vous touché à mes expériences ?
-Je n’ai touché à rien, dit-elle en le maintenant aimablement et fermement à la fois, alors qu’il essayait à nouveau de se relever. Et vous êtes ici depuis quelques heures, à présent. L’aube va bientôt se lever.
-Mais… dit-il, en s’affolant un peu. Mes échantillons, mes essais ! Tout va être gâché ! Il faut que je fasse quelque chose ! »

Ce faisant, sous le coup de l’angoisse pour ses expériences, il tenta de se relever de façon plus insistante, mais elle se montra plus obstinée que lui.

« Ce que vous devez faire pour l’instant, c’est prendre du repos. Et essayer de m’expliquer ce qu’il s’est passé. Sous mon toit, pour autant que je puisse appeler ainsi cette prison, on ne hurle pas de douleur sans raison, s’il vous plait.
-Vous voulez m’aider, Cassandra, demanda-t-il, grimaçant.
-Bien sûr que oui, répondit-elle. Mais avant, vous devez me répondre. Que vous est-il arrivé ? Et quelles étaient ces étranges cicatrices sur vos bras ?
-Le feu, dit-il en déglutissant… Tout va être perdu. Il faut les éteindre, ils sont tout ce qu’il me reste. »

Cassandra était un peu fatiguée de son obsession pour ces travaux. Qu’est-ce qu’il faisait de si important par Lothÿe ? Peut-être serait-il rassuré si elle lui disait que tout était éteint, elle ne voulait pas risquer une explosion.

« C’est peut-être la seule chose que j’ai faite, répondit-elle. Je ne suis pas sotte à ce point tout de même. Maintenant à vous de me répondre. Et vous ne vous lèverez pas sans l’avoir fait.
-Je, eh bien, dit-il en regardant ses bras. Ce sont les marques de mes seringues. Savez-vous comment l’on procède pour tester de nouveaux médicaments ? »

Un étrange sentiment de crainte naquit dans l’esprit de Cassandra. Qu’il aime sa science, elle comprenait, mais il n’avait pas fait ça quand même ? Il fallait qu’en soit sûre.

« Ne me dites pas que vous avez fabriqué un nouveau produit que vous avez testé sur vous-même !
-Eh bien, dit-il en se raclant la gorge et en détournant le regard. L’essai sur être humain est généralement la dernière étape lors des tests, et… Jamais je n’ai aimé faire subir cela à d’autres. Mes erreurs, s’il y en a, je dois les affronter moi-même. Seulement, vous voyez le nombre de marques ? »

Elle ne le voyait que trop bien, et fit signe que oui. Elle aurait aimé lui objecter qu’il y en avait une dans cette maison qui aurait très bien pu servir de sujet de test, mais dût se retenir. Elle savait au fond qu’il était courageux d’assumer ce choix.

« Il s’agit… De la onzième version du médicament sur lequel je travaille, dit-il en riant nerveusement. Le quatrième traitement que je teste… Je crois que je n’en supporterai pas plus.
-Vous ne devriez déjà pas être en vie si vous continuez à vous empoisonner comme ça, dit-elle. J’apprécie votre abnégation à la tâche, mais nous avons besoin de vous s’il y a des blessés.
-Ces pauvres gars doivent déjà nous défendre des démons, dit-il en faisant non de la tête. Dois-je en plus leur faire subir les affres de la médecine ? Il n’y a pas d’autre solution. »

Elle en voyait une, elle, et cette solution ne plairait certainement pas au docteur, mais il était hors de question de le laisser mourir ainsi à petit feu.

« Moi j’en vois une autre, dit-elle. Plus de tests mettant votre vie en danger. Tout simplement.
-Je crains que ce ne soit compliqué, dit-il en tendant sa main vers elle. Mais je promets d’essayer.
-Je préfère cela, dit-elle. Maintenant rendormez-vous. Nous allons avoir de la visite dans la matinée, les Sœurs voulant à n’en pas douter savoir ce qu’il s’est passé, et j’aimerais que vous soyez reposé pour ça. »

En ce qui la concernait, aussi longtemps que ce n’était pas Sœur Morgane, elle était prête à répondre à toutes leurs questions pourvu qu’elles laissent le docteur en paix, mais elle doutait que cela arrive… Elles n’aimaient pas l’étranger.

« Vous auriez de l’avenir dans la médecine, murmura-t-il, souriant, en se rallongeant et en fermant les yeux. »

Elle sourit à son tour, doutant de cette affirmation, puis se retourna. Sœur Naëlle avait rengainé sa lame, et les regardait de son air habituellement sévère. Sans rien lui dire, Cassandra passa devant elle, puis partit terminer la nuit que le docteur avait interrompu, bien décidée à elle aussi se reposer avant l’arrivée des autres Sœurs, et se demandant s’il arrivait à Naëlle de dormir, pour sa part.

---

Des cris et la rumeur d’un combat venaient d’en bas de la cité. Sœur Viviane, qui avait appris à compenser sa cécité par d’autres sens plus développés, put les entendre avant même qu’une guerrière ne vienne la prévenir. Une émeute avait éclaté près de l’entrepôt de vivres. Des marins étrangers s’étaient enfermés dedans, avec des revendications pas nécessairement très claires, et avaient abattu quiconque prétendait en approcher. Se levant et remettant les affaires plus courantes de la cité à plus tard, elle demanda à ce qu’une troupe l’accompagne jusque là-bas. Aussitôt qu’un groupe des meilleures guerrières de la cité fut constitué, afin de protéger celle qui était considérée comme la plus sage des Sœur Supérieures, elle descendit d’un pas décidé. Il n’y avait pas besoin de la guider dans ces rues. Elle avait tellement pris l’habitude de s’y déplacer qu’elle savait s’y diriger aussi bien que du temps où elle y voyait. Avant ce démon.
Mais ce n’était pas l’heure de penser à cela. A mesure qu’elles approchaient de l’entrepôt, son escorte se fit plus nerveuse, et se mit cette fois à la guider pour l’aider à raser les murs, afin d’éviter un tir perdu. C’est ainsi qu’elles arrivèrent, en pleine rumeur d’échange de tirs d’armes à poudre des marins, auprès de celui qui lui fut présenté comme étant un officier haut gradé du nom de Treville, arrivé là avant elle.

« Qu’est-ce qui se passe ici ? demanda-t-elle, baissée pour éviter les tirs.
-Il semble qu’une troupe de marins mutins se soient emparés de cette réserve de nourriture, après avoir éliminé leur escorte de fusiliers et pris un nombre indéterminé d’otages. Mes hommes tentent de reprendre l’endroit, mais ils menacent de l’incendier et d’exécuter leurs otages. Ils sont en outre lourdement armés. »

Des dizaines de pensées se mirent à circuler dans l’esprit de Sœur Viviane à mesure qu’il parlait. La façon dont il allait falloir réagir, s’il faudrait ou non se montrer plus ferme encore avec les étrangers, s’il faudrait le cas échéant attendre leur commodore pour en parler, mais aussi et surtout comment reprendre cet entrepôt qui contenait des vivres nécessaires à la survie de la cité pendant la bataille qui s’annonçait.

« Et pour quelle raison ont-ils agi ainsi ? demanda-t-elle, soucieuse d’en savoir plus.
-Il semble que les privations et l’ennui les aient poussés à cela. Mais ça m’est égal, maintenant. Ils savent ce qui les attend si je les attrape. Mais bien sûr, encore faut-il y parvenir… »

Elle était bien d’accord, et comptait faire cela aussi vite que possible, car il n’était pas question de les laisser s’en sortir ainsi. Pas alors qu’ils occupaient un bâtiment aussi important.

« Peut-il y avoir la moindre chance d’obtenir un cessez-le-feu ?
-Je l’ignore, madame, dit-il, interrompu par un coup de feu. Je vous suggérerais bien de tenter votre chance, mais il y a fort à craindre que vous finissiez comme mon précédent émissaire. Ils réclament plus de nourriture, et moins d’entraînement. Pour l’excès d’exercices, c’est peut-être de ma faute, mais pour le reste on ne peut décemment rien accepter de leur offrir. Il faut écraser cette rébellion sans tarder ! Ou alors elle recommencera.
-Je sais figurez-vous, l’interrompit-elle, agacée. Mais si je ne m’abuse, un assaut frontal se terminerait dans un bain de sang que nous devons absolument éviter.
-Vous n’avez pas tort, madame, répondit-il. »

Un hurlement déchirant, celui d’un homme abattu, se fit entendre. Mais rien ne pouvait les perturber dans leur conversation.

« N’y a-t-il pas une porte dérobée ? demanda-t-il.
-Pas que je sache, répondit-elle. C’est le genre de détails sur l’architecture de la cité que Sœur Guenièvre pourrait bien connaitre, mais rien n’est moins sûr.
-Alors je crains que nous ne soyons coincés ici jusqu’à ce que ces bougres soient à court de munitions. En attendant, il faut boucler le quartier.
-Je vous laisse cette tâche, dit-elle. Vous connaissez bien mieux ces étranges armes que nous, aussi êtes-vous le plus à même de les combattre. Prenez autant de guerrières que nécessaire. Je m’en vais interroger Sœur Guenièvre, de toute façon nous n’avons pas d’autre choix, comme vous l’avez soulevé.
-Vous me trouverez ici si jamais vous avez quelque chose, acquieça-t-il. »

En silence, Sœur Viviane remonta la cité, seule cette fois. Ces étrangers étaient bien agités. Non pas qu’ils interrompissent une tranquille routine. Mais ils l’inquiétaient plus qu’ils ne la rassuraient. Un seul Hérault avait été trouvé, et voici qu’une une matinée, elle apprenait que celui qui surveillait la magicienne avait agi étrangement durant la nuit, et voici qu’un autre groupe avait décidé de déclarer la guerre à l’ensemble de la communauté.
Elle avait géré le premier problème en ajoutant une Faëntirn, habituellement dévolue à la garde de la fontaine, à la surveillance de cette magicienne. Elle ignorait ce qui s’était passé durant la nuit, et à ce qu’on lui avait dit, la magicienne se voulait rassurante. C’était le vieil homme qui avait été malade, avait-elle dit. Chose que Sœur Naëlle n’avait ni pu infirmer, ni pu confirmer. En attendant, la surveillance était donc renforcée.
En revanche, le deuxième problème était plus important. Il était très peu probable qu’il y ait dans cet entrepôt une autre entrée. Par acquis de conscience, elle avait effectivement vérifier auprès de Sœur Guenièvre, qui connaissant les livres, connaissait l’architecture de la ville… Mais elle était fermement convaincue de l’inutilité de cette démarche. Et cela était particulièrement dangereux.

---

Son frère souhaitait tout de même faire le tour de la forteresse. Cela, elle pouvait l’accepter. Et de toute façon elle n’avait pas le choix, car sinon, il voudrait y entrer. Même si elle le soupçonnait, alors qu’il la suivait, de ne pas avoir changé d’avis. Mais elle nota tout de même qu’il ne la menaçait plus de son arme.
Ils s’approchèrent de la muraille, qui était exactement telle qu’elle avait toujours été. Elégante et raffinée dans l’ode à la violence et au carnage qu’elle était. Les crânes qui la composaient étaient encastrés sur des pierres de roche rouge et maintenus par des morceaux de fer noircis. Un sang séché se trouvait sur bon nombre d’entre eux et maculais le pied de la muraille, ayant tourné à l’écarlate toute cette partie-là des rues de la ville. Une sensation de sérénité et de calme envahit Henast à cet instant, comme à chaque fois qu’elle approchait d’un tel lieu de pouvoir. Ici, elle se sentait en communion avec ses maîtres. Pas autant que si elle avait pu entrer, cependant, mais elle sut qu’elle allait entrer à l’instant où son frère lui demanda quelle était l’épaisseur de la muraille. Elle répondit qu’elle ne savait pas.
Il lui demanda alors si elle était jamais entrée. Elle répondit que si, il y avait bien une porte. Par principe, elle essaya de le dissuader de faire ce qu’ils allaient à n’en pas douter tous deux faire dans peu de temps. Sa raison lui dictait qu’elle aurait dû le retenir physiquement et non seulement par la parole, joindre les actes aux mots, mais au fond d’elle, l’attirance de la communion était trop puissante. Ses paroles n’avaient pas la conviction qu’elle aurait voulue. Et, tandis qu’ils parlaient ainsi, une porte en fer noir rouillé surgit devant eux.
Avant de la faire ouvrir d’une pensée, elle se concentra. C’était ici un lieu de pouvoir, un lieu où l’influence de ses maîtres était la plus grande. Mais aussi un lieu où elle serait reconnue. Ses pupilles fendues se rétrécirent. Concentration. Son frère ne devait pas remarquer qu’elle était célèbre. Elle espéra que personne ne vienne les déranger.

« Fais-toi discret là-dedans, lui dit-elle en entrant, est-ce clair ?
-C’est entendu, dit-il. »

Ils pénétrèrent alors la cité intérieure. Il n’y avait ici pas de bâtiments à proprement parler, mais plus des petits pavillons, faits avec les mêmes pierres, bouts de ferraille et os que pour la muraille. Dans cette enceinte se trouvaient des humains, qui jouaient aux cartes ou aux dés, riaient, s’entrainaient au combat ou buvaient ensembles. Ils avaient l’apparence d’une communauté soudée et martiale, mais pas la sauvagerie d’en dehors.
Ce n’était qu’une apparence, cela, Henast le savait. Car ces hommes et ces femmes étaient les élus des puissances du Sang, qui dominaient la cité. Ils vivaient à l’origine en dehors de ces murs, mais leur dévotion et leur puissance au combat avait attiré sur eux l’œil des démons, et ils s’étaient assez illustrés pour un jour espérer devenir à leur tour des démons. Des démons de pure rage et de pure soif de sang. De fait, les mutations qu’ils présentaient n’étaient pas hideuses ou grotesques comme ce qui se faisait à l’extérieur de ces murs. Elles avaient bien plus de sens. Ils s’étaient illustrés en faisant couler le sang. Alors mis à part une corne par-ci, ou un troisième œil par-là, globalement, c’était avant tout une impression de puissance qui se dégageait d’eux. Impression renforcée par leurs lourdes armes d’hast en fer noir, et les armures épaisses qui se trouvaient sur des mannequins, ou que certains portaient.
De temps en temps, ils croisaient des démons dans ces lieux. Ceux-là étaient des cousins des épéistes infernaux qui constituaient le gros des armées démoniaques. Mais là où les épéistes infernaux n’étaient que des esprits des enfers ayant saisi une arme, ces démons-ci étaient de véritables guerriers. Plus grands, plus forts et plus rapides que les épéistes infernaux. Ils portaient des armures d’où s’échappaient les gémissements de dizaines d’âmes.
Tous, mortels comme démons, jetaient des regards appuyés vers Henast. Elle espéra secrètement que Théoden ne le remarque pas. S’il le fit, il n’en dit rien. En revanche, il leur rendait ce regard.

« Je sais à quoi tu penses, dit-elle. Renonce.
-Je veux savoir de quoi ils sont capables, dit-il, rien de plus.
-Ils sont capables de te tuer, répondit-elle, le plus calmement du monde. »

Ce faisant, ils se dirigeaient vers un immense bâtiment au centre de la ville. Ce dernier, à mesure qu’ils en approchaient, précisait ses contours : Il s’agissait d’une tour ronde, autour de laquelle grimpait un fin escalier sans rembarde, s’enroulant autour de l’édifice pour grimper jusqu’à son sommet. Alors qu’ils en approchaient, un groupe de démons se mit en tête de les suivre. De trop près à son goût. Elle leur jeta un regard sévère. Avec un sourire amusé sur le visage, ils reculèrent, continuant à observer leur duo.

« Ils ont l’air de bien aimer ce qu’ils voient, dit Théoden.
-Je confirme, dit-elle. Ils aiment ce qu’ils voient, trop à mon goût. Suis-moi. Le plus vite nous sortons d’ici, le mieux ce sera. »

En vérité, c’était le genre d’endroit dont elle aurait aimé ne jamais sortir. Mais elle savait aussi que c’était un endroit particulièrement dangereux. Les démons n’appréciaient pas les serviteurs qui se contentaient de couler des jours paisibles dans les enceintes consacrées. Enfin ces démons là en tout cas. Ceux que servaient sa mère, à l’inverse… Elle chassa cette pensée en arrivant au pied de la tour. Elle était construite en pierre sombre, dans les saillies desquelles coulait un sang qui descendait peu à peu vers le sol, où il formait une douve sombre, enjambée par un petit pont, sur lequel se trouvait sans doute le plus impressionnant des guerriers bénis par les démons en cette enceinte. Mais aussitôt qu’il la vit approcher, il mit sur le poing sur le cœur, baissa la tête, et s’écarta de son passage.
Ils commencèrent alors leur ascension, Théoden devant, curieux de savoir ce qu’ils allaient trouver là-haut.

« Un monolythe, dit-elle.
-Quel genre ? demanda-t-il.
-A quoi cela ressemble-t-il, sur le continent d’où tu viens ?
-A une sorte de pierre, taillée en longue et pointant droit vers le ciel.
-Alors ça y ressemble.
-Celui-ci est particulier ? demanda-t-il.
-Pas plus que les autres qu’il y a en ces terres.
-C’est-à-dire ? demanda-t-il en interrompant son ascension, et en se retournant vers elle pour la regarder. Cette forteresse a-t-elle de l’importance ?
-Eh bien, dit-elle, il y a régulièrement des monolythes semblables en ces terres. Ce sont des lieux de pouvoir.
-J’ai donc tout intérêt à détruire celui-là, dit-il, en reprenant sa marche vers le sommet. J’ai des explosifs sur moi, ou de l’eau bénite. »

Elle ignorait ce qu’était l’eau bénite, mais la simple évocation de ce terme causa en elle un frisson d’horreur. Elle n’avait pas vraiment besoin de savoir par qui cette eau avait été bénite pour deviner qu’elle l’était par le pouvoir de quelque chose qui la dépassait. A mesure que l’ascension continuait, et que tous deux luttaient contre le vertige, et aussi contre l’escalier qui se faisait plus fin à mesure qu’ils approchaient du sommet, les contraignant à s’adosser au mur pour progresser, elle se mit à espérer que le monolythe survivrait à cette eau bénite. Puis elle fut rassurée en le voyant émerger au sommet de la tour. La puissance qui s’en dégageait ne laissait que peu de place à ses doutes.
Le monolythe de chair, régulièrement soulevé par le cœur qui battait, se dressait de toute sa hauteur devant eux.

« On a clairement pas le même genre de monolythe, dit Théoden en se mettant à l’ouvrage. »

Alors qu’il préparait ses armes, Henast se rendit compte d’une chose. Il n’était pas impressionné par tout cela. Elle se mit à demander s’il s’agissait là de son destin. Si rien ne pouvait être fait pour lui montrer la vraie nature des démons que ses « dieux » lui avaient appris à haïr. Puis elle se dit que peut-être n’avait-il pas été impressionné par la cité du sang. Après tout, parmi les adorateurs des démons, ils étaient rares à comme elle admirer tous les démons sans exception.
Toutefois, lorsqu’il tira sa lame, elle se crispa, méfiante, prête à partir au moindre problème. Et évidemment, cela survint lorsqu’il la planta dans l’endroit où le cœur battait. A cet instant, un cri suraigu retentir, tandis que le monolythe sembla s’effondrer sur lui-même, dans un amas de chair, et qu’il disparu dans un trou laissé à son emplacement au sommet de la tour. Théoden alluma la longue mèche qu’il avait tissée et jeta sa deuxième amre dans le trou, puis il se tourna vers elle, pour lui faire signe de filer.
Mais à cet instant, d’immenses tentacules sortirent du sommet de la tour, et comme des lames, et tranchants de la même façon, ils cherchèrent à le frapper. Ils touchèrent même à plusieurs reprises, mais Théoden sembla y résister. Mais il comprit qu’il allait finir par être submergés, aussi se mirent-ils tous deux à fuir. Elle le précédait, mais n’était pas effrayée. Elle savait que la bête qui sommeillait ici ne lui ferait aucun mal. Enfin en théorie. Voilà pourquoi elle accélérait tout de même le mouvement quand elle vit son frère chuter, de l’escalier, et commencer une descente bien plus rapide qu’elle, mais avec une issue bien moins agréable à n’en pas douter.

« Pas le choix, songea-t-elle en réalisant qu’elle n’avait plus qu’une seule chose à faire si elle voulait le sauver. »

Elle sauta à sa suite.

---

Lorsque les tentacules sortirent du sommet de la tour, Sœur Morgane fit signe au groupe de reculer. Tous étaient nerveux depuis la disparition de Théoden, mais elle avait insisté, après l’attaque d’un démon qu’ils avaient préféré fuir, pour continuer la marche. S’il les revoyait, alors il les rejoindrait. En admettant qu’il soit en vie. Ils avaient été observer la cité, et avaient pu constater que les guerriers qui la peuplaient étaient, vus de loin, des brutes épaisses, mais qui savaient se battre, à défaut d’être réellement intelligents. Au centre de la ville, une muraille. Derrière la muraille, personne ne savait ce qu’il y avait, et personne dans le groupe ne voulait pénétrer cette ville pour aller voir. Mais on apercevait la silhouette d’une tour.
Pendant qu’ils étaient occupés à essayer d’estimer, au regard de la taille de la ville, le nombre de berserks qui pouvaient vivre dedans, de monstrueux tentacules étaient sortis de son sommet, et s’y étaient agités. Voyant-là l’œuvre d’un démon particulièrement puissant, Sœur Morgane ordonna la fuite du groupe. Mais alors qu’ils courraient pour se remettre à l’abri du bois tordu, ils purent apercevoir une colonne qui sortait de la ville, courant dans la même direction qu’eux. Ils auraient pu fuir, mais ils étaient repérés. L’affrontement était inévitable. Heureusement, le gros de la colonne les ignora. Le gros. Ils étaient des guerriers mutés de façon grotesque en fureur.

« Il semblerait, dit-elle en tirant sa lame, que nous allons affronter nos ennemis plus tôt que prévus. Faites preuve de courage, défenseurs d’Avalon ! »

Alors que ces mots franchissaient sa bouche, des cris de guerre retentirent, puis la mêlée commença. Le choc des épées, les hurlements des blessés, les cris de guerre, les appels à l’aide… C’était un combat primaire et sauvage, n’obéissant à aucune règle, aucun code d’honneur, si ce n’était celui-ci : Survivre ! A n’importe quel prix. Dans le lointain, la colonne s’éloignait, mais nul ici ne s’en souciait. Sœur Morgane la première. A mesure que le combat continuait, elle sentit une colère sourde grandir en elle. Elle tenta de la faire taire, car elle savait qu’au combat, la colère était mauvaise conseillère, mais elle ne put résister bien longtemps.
Une immense vague de rage pure finit par la submerger quand un ennemi parvint à la désarmer. Quoi ? Elle devrait mourir ici ? Comme ça ? Loin d’Avalon ? Elle poussa un cri de guerre quand il se pencha pour l’achever, et le saisit à la gorge à pleine dents. Mordant aussi fort que possible, elle lui arracha ce qui lui sembla être un grand morceau de chair, et le recracha. Puis elle reprit son épée. La rage, il n’y avait plus que ça. Elle ne voyait plus qu’un monde rouge autour d’elle. Tuer, tuer, tuer. C’était désormais tout ce qu’elle faisait, sans se poser de questions. Des mains la saisirent aux épaules, et elle tenta de frapper leur propriétaire, mais elle fut secouée, et elle sentit des gifles. A mesure que cela continuait, sans qu’on ne la frappe mortellement, elle reprit ses esprits.
Le combat était fini. Plusieurs de ses Sœurs et des hommes de Théoden luttaient pour la maintenir en place. D’autres jonchaient le sol aux côtés des berserks. Au loin, elle avisa la colonne qui s’éloignait toujours plus. Sa tête commença à lui faire mal, et le monde autour d’elle à tourner. Elle se sentit tomber, puis sombrer dans les ténèbres avant de sentir le moindre choc contre le sol.

---

Lorsqu’il se réveilla, dans la forêt, Henast surveillait la colonne qui les avait suivis. Ne parvenant plus à trouver ce qui avait déclenché leur fureur, les guerriers étaient rentrés dans leur ville. Pour l’instant, en tout cas, songea-t-elle en souriant. Mais qu’importait ! Son frère se réveillait. Il gémit tout d’abord, puis se redressa d’un bond, surprit.

« Que s’est-t-il passé ? lui demanda-t-il.
-Tu es tombé, j’ai réussi à te rattraper avant que tu ne tombes. Un tentacule derrière nous t’a atteint, tu vas avoir une belle trace à l’arrière du crâne. »

Ils convinrent par la suite qu’ils lui en donnaient une belle. La suite de la conversation tourna autour du monolythe, et de sa potentielle destruction. Henast savait qu’il n’en était rien, la bête qui dormait là était trop puissante pour des attaques aussi faible. Elle se contenta de lui dire qu’il bougeait encore quand ils avaient quitté la ville.

« Ca aurait pu finir moins bien que ça, dit-il, philosophe, après avoir pesté contre son échec. J’aurais dû perdre mon bras. Cette tentacule avait de quoi trancher un cheval en deux.
-Exact, répondit-elle. J’avoue être la première surprise. Et ça m’étonnerait que le monolythe ait fait preuve de sympathie avec toi, après ce que tu lui as fait.
-Tu n’as pas tort, dit-il. Il va me falloir un médecin, ou un prêtre, des fois que cette plaie ne s’infecte. Que feras-tu maintenant ?
-Je ne sais pas, répondit-elle. »

En fait, avoua-t-elle, elle avait bien envie de le suivre. Il était réticent à cette idée, aussi convinrent-ils d’un accord selon lequel elle resterait hors des limites de la ville, afin de ne pas être remarquée. Cela leur convenait à tous deux, alors…

---

La nuit était tombée, première après les émeutes. D’après ce que Djanela avait compris, Sœur Guenièvre épluchait en cet instant même tous les registres de la ville pour trouver une autre entrée à cet entrepôt, où les combats s’étaient calmés, et un calme méfiant s’était installé des deux côtés. Chacun savait que tout pouvait reprendre à n’importe quel instant, avec un geste malheureux. Comme elle, si elle passait dans cette rue. Voici pourquoi elle l’évitait.
Elle menait en effet de son côté un autre genre d’enquête. Elle avait besoin de savoir. Elle avait remarqué que bien des personnes dans cette ville portaient la trace de mutilations énormes, comme s’ils avaient amputé des choses en trop. Des mutations. C’était sa théorie après qu’elle ait vu quelques-uns des enfants qui jouaient dans ces rues ou accompagnaient leurs parents aux champs. Cette cité était une cité de mutants. Et peut-être la nourriture qu’ils mangeaient depuis leur arrivée ici elle-même était infectée.
Elle devait en avoir le cœur net. Etaient-ils chez des alliés ou des ennemis ? Elle rejoignit le rocher qui se trouvait au centre de la ville, et commença à l’escalader. Le meilleur moyen de savoir ce qui se tramait vraiment ici était de pénétrer dans l’enceinte du palais, au sommet. Puisqu’elle ne pouvait passer par la rue, il n’y avait plus qu’un seul chemin possible. Cette ascension s’annonçait longue et compliquée, et il y aurait sans doute des gardes en haut. Mais elle devait le faire. Et se montrer assez discrète et maligne pour ne pas être repérée.

Le lendemain, elle manqua à l’appel.
Mar 9 Mai 2017 - 23:51
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Capitaine Theoden
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Il commençait à planer une puanteur nauséabonde sur Avalon. Au second jour du siège d'une des plus grosse réserve de vivre de la cité, ni accord ni trève n'avait été conclu entre les mutins et l'autorité de la ville que représentait apparemment Treville. Quoi que bien encadré d'une troupe de guerrières aux armes plus ornées que les autres.
Des officiers, sans doute ?
Seulement voilà, cette puanteur, c'était l'effet du soleil sur les corps pourrissant des quelques fusiliers tombés depuis le début de la mutinerie. Alors qu'un sang toujours plus épais s'écoulait de leurs corps, trempant au passage les dépouilles des civils abattus à leurs côtés, la situation était devenue préoccupante. Niveau sanitaire, parce qu'ils attiraient des moustiques porteurs de maladie et qu'ils risquaient de contaminer les eaux stockées par dessous les allées pavées de la cité, à travers lesquelles le sang commençait à filtrer, mais également niveau moral.
Des murmures commençaient à parcourir les allées d'Avalon. Des voix faibles et fuyantes, que le vent suffisait à disperser, mais qui soufflaient aux oreilles des Avalorrims des murmures de mauvaise fortune, et de désespoir. Pour les marins de l'Odyssée, cette affaire faisait de plus en plus craindre un abandon complet des dieux. En outre, tous ceux qui avaient voulu évacuer ces corps de la place de la réserve avaient finit par se faire abattre également, empêchant tout enterrement, et toute cérémonie funèbre digne de ce nom.
Au terme de ces deux jours, le Capitaine de Treville était d'une humeur visiblement massacrante. Les mutins refusaient tous ses émissaires à la porte de leur forteresse improvisées. Abattant ceux qui semblaient insister un peu trop par les fenêtres quadrillées.
Depuis un promontoire voisin, faisant face à la dite place, Treville faisait donc les cents pas. Entouré de ses sergents, et de guerrières Avalorrims, réfléchissait à la meilleure façon de déloger ces vils criminels.

Une scène tout à fait anodine lui donna l'idée qui lui manquait. En voyant en contrebas une troupe de Nordien aborder une patrouille de guerrières, il se détourna de ses recherches acharnées pour les observer d'un oeil intéressé.
Cela n'était pas la première fois que ces épais guerriers du nord s'intéressaient à ces femmes en armures rutilantes. Par petits groupes, il leur arrivait de les aborder, armes sur l'épaule. Au début, il ne s'agissait que de contacts timides. Mais cette fois, il arriva quelque chose de surprenant.
Un Nordien, Tordalf devait être son nom, tendit son marteau de guerre à une guerrière qui, tout à fait perplexe s'en saisit avec des yeux ronds. Pas un mot ne fut échangé. Mais lorsqu'elle accepta ce présent du Nordien, la guerrière déclencha quelques rires biens gras, mais heureux. Alors d'autres hommes du nords s'approchèrent et offrirent aux guerrières tantôt une cape, tantôt un bouclier, tantôt un casque.
Et comme ces femmes les acceptaient sans condition, il fut entendu parmi les Nordiens que le troc était possible avec les habitants d'Avalon. Et après que le dit Tordalf eut déchargé la Guerrière qui avait reçu son marteau du bouclier qu'elle portait en bandoulière, les autres membres de sa troupe s'empressèrent de se saisir d'un petit quelque chose que ces femmes semblaient bien vouloir leur laisser.
Treville avait assisté à toute la scène avec un regard mi-amusé, mi-intéressé.
Il finit par attraper le mousquet d'un de ses gardes et lancer un signe à Tordalf qui leva la tête après un sursaut.
A peine son regard tourné vers Telthis, une détonation se faisait entendre. Et le bouclier Avalorrim qu'il tenait bondit de ses mains, une bosse creusée dans son acier polit. Tordalf, stupéfait, s'en était sortit indemne. Et Treville accepta là ce qui serait la base de sa nouvelle stratégie.


~o~


Henast n'avait pas été aussi enchantée que son demi frère, lorsqu'ils finirent par rattraper la troupe de Théoden.
Cela n'avait guère été complexe, curieusement. Malgré l'inutilité cruelle de son compas enchanté, le Commodore compta sur la piste des barbares qui avaient quitté Anat-Krynae après leur assaut surprise. Il s'avéra qu'en remontant leur piste, à travers des plaines désertes et un charnier morbide, son intuition fut la bonne.
Les bottes enfoncée à moitié dans les entrailles purulante de guerriers démoniaques, Théoden se tourna vers Henast, qui elle ne semblait guère s'enfoncer dans ces tripes sanglantes. Il lui montra au loin la dizaine de silhouette qui se dressait au delà de la fosse où ils pataugeaient et sourit.

"-Je crois qu'on les tient." il rit "Et qu'ils s'en sont drôlement bien sortit contre ces serviteurs démoniaques !"

Henast ne releva même pas s'esquivant comme convenu aussitôt que le risque d'être repérée devenait trop grand.
Ce fut vraisemblablement trop tard, puisque Dame Morgane n'en manqua une miette.
Théoden, qui n'ignorait pourtant pas ce risque choisit d'en faire fi et s'approcha avec un sourire tout naturel, une fois sortit du charnier.

"-Dame Morgane ! Vous pensiez vous débarrassez aussi aisément de moi ?"

Lança-t-il avec humour. Morgane, qui fut étonnement réceptive lui répondit sur le même ton qu'elle l'aurait sans doute préféré, avant de lui demander plus sérieusement où il avait disparu tout ce temps. Théoden pointa la silhouette noire d'Anat-Krynae au loin, sans un mot. Et Morgane s'en étonna. "Là-dedans ?" s'interrogea-t-elle.
Théoden prétexta qu'il avait finit par mener seul sa mission de reconnaissance à bien. Et qu'il avait été aussi loin que possible. Morgane entendit par là précisément ce que Théoden voulait signifier. Le sommet de la grande tour centrale.
Elle ne sembla pas remettre ça en cause. Sans était-ce le fait qu'il avait déclenché l'attaque terrible, qui avait faillit coûter leurs vies à tous ses compagnons.
Mais Morgane s'était brusquement fermée. Elle était méfiante.

"-Et c'est là que vous avez trouvé votre nouvel ami ? Celui qu'on a vu partir vite fait quand vous avez été en vue."

Théoden joignit ses mains dans son dos, feignant l'ignorance. Mais il s'y appliquait vraiment peu. Convaincre ne l'intéressait pas, il allait juste faire comprendre à Morgane qu'il n'était pas nécessaire de s'attarder sur ce sujet là.

"-Du monde, j'en ai vu. Mais personne qui n'ait réussit à me suivre jusque là je regrette.

-Je crois que nous l'avons tous vu. Qui était-ce ?" persista néanmoins Morgane.

Mais Théoden ne se laissa pas désarmer. Il se tourna vers les quelques uns de ses hommes qui tenaient encore debout et leur lança un regard sévère, articulant lentement "Il n'y avait personne, n'est-ce pas messieurs ?".
Naturellement, de par son grade et ses talents, aucun fusilier n'osa contredire Théoden. Ce qui était tant mieux pour lui, malgré que cette manoeuvre n'ait rien de convainquante. Et pour cause ! Morgane n'eut qu'à l'imiter pour le bloquer à nouveau dos au mur.

"-Nous pouvons jouer à ce petit jeu stupide pendant longtemps, Hérault, vous connaissez aussi bien que moi la vérité, alors pourquoi la cacher ?"

Théoden finit par lever les mains en signe de reddition, s'approchant doucement de Morgane. Il la prend par les épaules et l'emmène plus loin, une moue gênée. Elle le suit sans discuter, sans doute surprise par ce changement de ton soudain.

"-Très bien... peut-être que je ne devrais pas vous le dire, mais bon puisque je n'ai pas le choix..."

Elle l'écoutait, avec une attention certaine, tandis qu'il l'emmenait à l'écart du groupe. Sans se douter qu'Henast écoutait depuis le lointain leur conversation, avec intérêt.

"-Après mon assaut sur la forteresse au centre de la cité, je me suis retrouvé désorienté et une de ces énormes tentacules que vous voyez là haut m'a frappé. La chute depuis le sommet de l'édifice m'aurait tué, si je n'avais pas été sauvé par ma déesse. C'est elle qui m'a mit sur votre chemin et m'a permit d'éviter la vague de barbares qui vous a assaillit." lâcha Théoden, d'une traite, comme si il eût s'agit d'un secret inavouable.

"-Elle peut faire ça ?"

Elle mordait à l'hameçon, Théoden fut soulagé sans en montrer quoi que ce soit. Et Henast sourit depuis sa cachette, amusée.

"-Elle m'a bien ressuscité une fois, Dame Morgane. Ce n'est pas sans raison que des hommes comme moi vouent leurs vies à les servir. Ariel n'est pas l'élue de nos cœurs parce qu'elle est la plus gentille ou la plus compatissante avec nous. Mais parce qu'elle agit, lorsque les siens sont en danger.

-Pourrait-elle agir de la même façon quand nous sommes assiégés par des hordes démoniaques ? Ce serait bien pratique.

-Malheureusement, les démons qui assiègent ces terres semblent porter trop préjudice à ses pouvoirs. Je ne saurais être plus précis sur la question, mais c'est sans doute la seule raison pour laquelle elle a recours à mes hommes et moi pour accomplir cette Odyssée, plutôt que de la faire par elle même."

Dame Morgane grimaça, baissant les bras. Elle retourna d'elle même vers le groupe, suivie de près par Théoden. Il fut convenu sans plus de cérémonie qu'il était temps de rentrer à Avalon, même si la Soeur Supérieure avait l'aire convaincue de l'inutilité de leur expedition. Aucun Hérault ne leur avait été apparemment révélé.
Elle était curieusement une des seules à y croire. Et le charnier qu'ils laissaient derrière eux en était bien la preuve ! Théoden enquêterait à ce sujet dès leur retour. Mais comme la marche serait longue, il tint à rassurer Morgane.
Il lui raconta, non sans fierté et bombance, comment il avait pu se glisser à l'intérieur des faubourgs de la cité, et comment sa déesse l'avait guidé jusqu'au sommet de cette tour, le coeur véritable du pouvoir des démons dans cette région.
La consolation fut maigre pour Morgane qui ne su voir l'intérêt d'une telle aventure. Et lâcha même au tout enthousiaste Théoden que si il avait réveillé de nouveaux monstres, il serait seul pour les affronter.

"-Les monstres, Dame Morgane, c'est ma spécialité." conclu Théoden avant de doubler son pas. Il prit la tête autant par impatience d'être arrivé que pour couper court à cet échange stérile. Quelque part, il espérait n'avoir à voyager qu'avec Henast. Henast qui, au moins, savait nourrir un échange d'autre chose que de raisonnements plats et bassement pragmatiques.


~o~

"-Bien, serrez les rangs !"

Le Capitaine de Treville était nerveux. La nuit se couchait sur Avalon, et son plan avait dû mobiliser beaucoup de ressources. Beaucoup de patience aussi.
Mais le voilà, des heures plus tard, fièrement dressé au devant de ce qui s'annonçait comme étant le plan infaillible pour libérer la réserve.
Devant lui se tenait un assemblage hétéroclite de guerrières Avalorrim, et de fusiliers en armes. Rangée en ordre de bataille derrière les lourds boucliers des femmes de la cité, une troupe forte de vingt soldats s'apprêtait à traverser la place de la réserve, sous le feu nourrit des mutins pour les déloger de leur fortin improvisé.

Alors que l'assaut décisif allait se lancer, le Capitaine Eve Brookes était penché sur des cartes du premier niveau de la ville, tracée par des marins sur ses ordres. Elle, elle était juchée sur les remparts extérieurs, à essayer d'organiser un tant soit peu les défenses qui allaient, fatalement, devoir un jour essuyer un assaut démoniaque sans pareil.
Enfin c'était là ce que lui avait raconté Théoden. Et comme Treville avait passé le plus clair de son temps à s'occuper des vivres et des travaux dans les champs, au dehors, il lui incombait de s'occuper des réserves de poudre, d'armes et des points d'accès sur les murs, pour ceux de ses hommes qui allaient devoir y grimper pour défendre la ville.
La tâche n'était pas maigre, d'autant qu'ils attendaient d'un jour à l'autre le retour de l'expédition organisée par le Samurai Samada jusqu'à la plage où ils avaient laissés les navires. Ils attendaient à ce jour plus d'une centaine de pièces d'artillerie, ainsi que tout l'équipement nécessaire pour l'entretiens de chaque canon, et chaque baliste. Sans parler des munitions. En cela, Eve recontra plus de problèmes qu'elle ne l'espérait. Car il faudrait oeuvrer à ouvrir ça et là les crénelages des murs pour faire passer dans les interstices les canons et les ballistes qui devraient défendre le mur. Sans parler d'aménager sur des tours des pas de tirs assez spatieux, et veiller à l'installation du tout sans risquer de perdre la moindre arme.
Eve fut coupé dans ses réflexions par l'arrivée au loin d'une cohorte nombreuse, et désorganisée. Un éclaireur lui rapporta, depuis le pied du mur qu'il s'agissait justement de Samada, qui rentrait à la tête de son expédition. Mais que pire encore... il rentrait bredouille.
Des explications, le Samuraï en donna. Et elles n'étaient pas bonnes. Terribles.

"-Ils ont disparus. Nos deux navires. Envolés." lui expliqua-t-il une fois qu'ils se furent retrouvés dans la grande cour du premier niveau.

En effet, autours d'eux, les marins de l'Odyssée faisaient piètre mine. Ils étaient donc condamnés à rester ici quoi qu'il advienne, et à ne jamais retrouver leurs foyers. Le moral tomba net chez les Odysséens qui, sans céder à une panique mutine, s'enfermèrent dans leurs maisons et se murèrent dans un silence de plomb.
Eve demanda à Samada un compte rendu précis de leur voyage et s'en retourna à sa tâche, après avoir demandé aux sergents de la garde d'organiser plus de patrouille, afin de prévenir d'éventuels débordements, ou au contraire, d'éventuels "abandons".

A ce niveau là, le terme d'abandon n'avait plus rien de ce qu'il devait représenter. Eve l'employa pour suggérer qu'une vague certaine de suicides risquait d'ébranler la troupe des Odysséens. Et il fallait veiller à ce que le moral déjà vacillant des marins ne chute pas au delà du niveau qu'il avait déjà atteint. Johei et ses camarades prêtresses auraient fort à faire dans les jours à venir !

~o~

Le crépitement des balles n'avait jamais effrayé les fusiliers du Wicked Wench. D'ailleurs, ils ne s'en cachaient plus, c'était une mélodie que l'Odyssée leur avait apprit à apprécier.
Mais ce jour là, à Avalon, ils devaient faire face aux tirs de leurs propres mousquets pour la première fois. Bien en ligne, une dizaine d'entre eux affrontait depuis quelques instants une pluie de tirs discontinue. Protégés derrière des guerrières au bouclier déterminées, ils attendaient la moindre opportunité pour tapoter l'épaule de la femme devant eux. Ce signe simple avait pour effet d'abaisser le bouclier derrière lequel ils se protégeaient, leurs permettant de se relever, et d'ouvrir à leur tour le feu avec des mousquets sur-puissants.
Pour l'occasion, Telthis avait choisit de les équiper de vieux modèles de leurs fusils à silex. Il s'agissait de lourdes versions à mèches, conçues en Oro pour tirer à travers des abris de bois. Pratiquement des espingoles, pour tout dire ! Et quel bouquant ils faisaient, ces fusils. La force de la détonation forçait les soldats à poser le canon de leur mousquet sur une fourche, qu'ils devaient planter entre deux pavés. Autrement -et c'était arrivé une paire de fois- ils se trouvaient projetés en arrière, et leurs tirs ne fauchaient rien d'autre qu'une tuile ou un bout de cyprès.
Mais l'un dans l'autre, cette formation surprenante faisait ses preuves. A en juger par les hurlements provenant de l'intérieur de la réserve, la petite phalange improvisée par Treville avait déjà coûté la vie à quelques mutins. Et les tirs adverses perdaient déjà en force. Donc il ne tarda pas à ordonner que des hommes se précipitent sur la porte, couverts par des boucliers, afin d'enfoncer l'entrée.

"-Mettez fin à cette stupide boucherie !" leur lança Treville, levant un poing enragé vers ses hommes en contrebas.

Que ça soit l'envie d'en finir, ou la peur de subir eux même la colère de leur Capitaine, les hommes de l'Odyssée parvinrent sans tarder à leurs fin. A grand coup de haches sur les battants de la porte, ils finirent par ouvrir une brèche dans la réserve et s'y engouffrer.
Après ça, les combats ne furent plus qu'une formalité. Et avant la nuit, une demie douzaine d'hommes en sangs se trouvaient sur les rôtules devant la réserve. Fers aux poings, et mousquets sous le nez.
Les pertes civiles à l'intérieur avaient été nulles. Treville expliqua ça par la rapidité de leur assaut. Pas même une demie heure, montre en main !
Chacun des citoyens Avalorrim regagna son foyer sans heurts, et le Capitaine chargea son Ordonnance d'aller remettre une missive au palais des Soeurs Supérieures, les informants en ces mots de la fin des combats.

Mes soeurs,

C'est avec soulagement que je vous annonce la libération de la réserve Ouest du Second niveau. Les citoyens de votre cité qui y étaient retenus ont été libérés sans plus de victime. Je vous annonce la perte regrettable de deux de vos Portes-Boucliers, et de Six de mes fusiliers. Les blessés seront traités à notre campement par nos médecins.
Les mutins survivants seront détenus en attendant le retour de notre Commandant.
En attendant décision contraire de votre part, nous tiendrons l'entrée de la réserve sous bonne garde afin de prévenir toute récidive.

-Le Capitaine de Treville.


Avalon dormirait sans aucun doute sur ses deux oreilles cette nuit là.

~o~

La ville dormit si bien, qu'ils furent peu à voir rentrer l'expédition de Dame Morgane. En dehors des gardes sur les murs et dans les rues, il n'y eu ni ovation, ni acclamations.
Alors qu'ils traversaient le premier niveau, les fusiliers se séparèrent de leurs compagnons guerrières et rentrèrent dans leur demeure, en quête de repos.
La plupart ne seraient découvert tout habillés dans leurs couches que le lendemains, par leurs colocataires stupéfaits.
Théoden pour sa part, se sépara de Dame Morgane et des siennes qu'à l'approche de la grande porte du second niveau. Il les salua sans cérémonie et s'engouffra dans ce qu'il avait choisit comme étant sa demeure. Provisoire.
Sa toilette, il la fit sans vraiment s'y attarder, préoccupé par l'installation d'Henast dans les collines au delà du grand mur entourant les champs. Il ne savait guère quoi en penser. Que ce soit de sa demie soeur en elle même, ou de ce qu'il faisait en sa compagnie. Après tout, et l'épée de son défunt père posée sur la chaise à côté de lui lui rappelait sans cesse, il aurait dû l'empaler sur place sans hésitation !
Et pourtant, elle était parvenu à le convaincre. Elle s'était admirablement sauvée la vie. Tout en le sauvant lui dans le même temps. C'était clairement un produit de l'ingénuosité familiale, songea Théoden avant de se fendre d'un demi sourire. Elle tenait de leur père, pas de doute.
Mais pour l'heure, il avait mieux à penser. Une fois rhabillé, et proprement, il sortit de nouveau. La nuit était fraîche, une bruine particulièrement fine tombait des cieux, rendant le pavé glissant, et les façades luisantes. Ca l'amusa, comme il voyait danser sur les murs de la rue le reflet de sa lanterne, qui dansait à droite à gauche avec tranquilité.
Au bout de sa rue, il se trouva rendu au centre du premier niveau. C'était là, dans une de ces larges demeures qu'il avait laissé Telthis, plusieurs semaines plus tôt.
Devant, les gardes le saluèrent dignement, malgré leurs capes lourdes de pluie, et la fatigue du soir.

"-Bonsoir messieurs." fit le Commodore en passant la porte d'entrée, qu'un garde lui ouvrit.

Dans l'entrée, il abandonna sa lanterne et retrouva le chemin vers la chambre-cellule de l'Elfe, quelque part à l'étage. C'est sans s'attarder que Théoden toqua à la porte de Telthis, bien décidé à se confronter à lui. Sans détours ni pirouettes.

"-Telthis." lâcha-t-il une fois entré.

"-Commodore."

L'Elfe sortait visiblement d'une longue méditation, et se releva à l'arrivée de Théoden, qui resta planté bras croisés à l'entrée de sa chambre, la lumière dans son dos effaçant jusqu'à la moindre expression de son visage.

"-Comment vous portez-vous ?" continua Théoden, neutre.

"-A merveille, même si l'inaction me pèse.

-Avez-vous réfléchit ?"

C'était un dialogue, du tac au tac. Pas de blanc ni de répis. Il était évident que Théoden, si il devait relâcher Telthis, ne l'aurait pas pardonné de sitôt.

"-Oui.

-Saurez-vous vous tenir, comme on l'attendrait de la part de quelqu'un de votre stature ? Ou devrais-je vous laisser enfermé ici ?

-Il y a l'âme d'une elfe tenue captive, ce que je ne peux pardonner, mais il y en a une autre qui est peut-être encore une vie. Pour celle-là, je saurai me tenir. Mais quand tout ça sera fini, il faudra que l'on parle d'Akel.

-Fort bien."

Théoden lui lança la clé des fers qui lui pendaient toujours aux poignets, laquelle rebondit sur le parquet devant Telthis. Il releva les yeux juste à temps pour le voir remettre son tricorne, ce qui ajouta à sa silhouette quelque chose de surnaturel.

"-Vous voilà libre d'aller et venir au premier niveau de la cité."

Telthis se déchargea de ses chaînes sans attendre, ne relevant la tête que pour remercier Théoden. Mais ses mots ne furent entendus par personne. Devant lui, Théoden avait disparu de nouveau, la porte de sa chambre battant grande ouverte. On entendait à peine le claquement de ses talons sur la pierre froide du sol.
Pas de pardon, en effet.

~o~

"-Dame Morgane ? Un visiteur pour vous." fit une voix posée, derrière la soeur supérieure.

C'était dans la salle de réunion du Grand Palais que Dame Morgane avait passé le plus clair de son temps depuis le retour de son expédition, trois jours plus tôt.
Entre les rapports d'éclaireurs, rapportant de l'activité dans les régions autours de la forteresse, cette histoire de mutinerie venant des marins, et les affaires courantes, elle n'avait que peu de temps pour elle même. Ou sa famille.
Le visiteur en question, c'était le Commodore Théoden. Tout en armes, comme toujours, mais l'air clairement plus frais que pendant leur expédition, le commandant de l'Odyssée entra dans la salle comme une tornade. Ce qui fit reculer de stupeur les quelques pages qui entouraient Morgane.
Elle les congédia sans attendre, aussitôt que Théoden se fut exclamé qu'ils devaient se rendre auprès d'Akel sans tarder.

"-C'est prévu en fin de journée" lui répondit posément la Soeur Supérieure, sans ciller "Nous n'avons pas fini de faire le bilan de tout ce qui a été vu là-bas."

Théoden se montra insistant, faisant le tour de la page pour fermer l'ouvrage que parcourait Dame Morgane.

"-Ca ne saurait attendre, j'ai découvert le second Hérault.

-Rien que ça." fit Morgane en tournant la tête vers lui, un sourcil haussé.

"-Rien que ça, oui." répéta Théoden, qui avait déjà refait le tour de la table pour ouvrir la porte, sa longue cape bleu semblant peiner à le suivre. Morgane se redressa tout juste, essayant de comprendre.

"-Et qu'est-ce qui vous fait dire ç...

"-Mon petit doigt de Hérault." le coupa Théoden "Alors, allons nous nous attarder d'avantage ?

-Est-ce urgent ?

-A moins que vous ne preferiez laisser planer sur la cité le vague sentiment que la guerre approche sans que nous soyons capable de découvrir d'autres Heraults. Ou à moins que vous ne préfériez pas réclamer votre nouveau titre.

-La cité s'attend de toute façon à une annonce ce soir, s'il y a ..." elle tiqua, s'approchant à son tour de Théoden avec une incompréhension nette dans le regard. "Vous pensez que ce serait moi ? Eh bien c'est le plus beau compliment que vous m'ayez jamais fait."

Théoden la prit par l'épaule, impatient de confirmer sa découverte. Celle qui avait occupée ses trois jours, et était le fruit de longues heures d'interrogations auprès des survivants de leur expédition.

"-J'en suis persuadé, même."

Il ouvre finalement lui même la porte de la salle du conseil.

"-Je n'ai donc plus le choix." finit par soupirer Morgane, quoi qu'avec un demi sourire. "Eh bien allons-y."

Par galanterie, autant que pour se donner le temps de récupérer son port alletier habituel, en vue de traverser le palais avec dignité, Théoden laissa Morgane passer en première, et lui emboita sans attendre le pas. La salle derrière eux resterait ouverte, soudainement abandonnée.

"-Il semble que l'un de vos vœux les plus chers s'apprête à se réaliser, Dame Morgane." glissa d'ailleurs le Commodore, alors qu'ils se pressaient dans les couloirs, vers la chapelle sacrée abritant le sceptre d'Akel.

"-Etre une Hérault serait un grand honneur, en effet. Et je pourrai vous parler d'égale à égal, ça changera."

Théoden pouffa, un quelque chose d'orgueilleux en lui lui suggérant qu'elle ne serait jamais son égale. Après tout, n'était-il pas le grand Commodore Théoden, qui avait sauvé la moitié du vieux monde de la destruction, redécouvert pas moins de deux civilisations passées à l'état de légende ou totalement oubliées, et qui avait été choisit comme arme sacrée par les dieux pour repousser la menace démoniaque ? Sans parler des faits divers, comme le fait d'avoir triomphé d'un Kraken, incendié le palais du dirigeant le plus dangereux du vieux monde, combattu avec les plus grands héros, commandé le navire de la déesse des océans... un sacré Curiculum Vitae !
Mais il n'était pas nécessaire de s'étendre là dessus en présence de Soeur Morgane.
Elle n'avait pas besoin de le savoir, et il pouvait aussi bien la laisser s'imaginer ce qu'elle voulait. Plutôt que de se moquer, il se fendit d'un demi sourire.

"-Je ne crois pas que vous vous soyez jamais gênée Dame Morgane."

Il lui jette un regard lourd de sens.

"-Mais ne croyez pas que cela changera quoi que ce soit."

Morgane eut un rire léger, clair. Théoden en fut assez surprit, comme elle devait irradier de fierté et de bonheur. Son rire était franc.
C'était sans doute ce que ça faisait, d'être désigné pour prendre part à quelque chose de plus grand. Il avait dû oublier lui même ce que c'était, que cette saveur si particulière, à force d'être utilisé par les dieux.
Mais elle ne savait pas encore ce que ça apportait, comme fardeaux. Et quelle serait sa peine lorsque son devoir allait commencer à l'accabler.

"-J'en ai bien peur."

Théoden garda le silence, soudainement soucieux.
Ils arrivèrent sans tarder sous les voutes marbrées qui protégeaient les reliques d'Avalon. Là, à la lumière d'une torche, Morgane l'emmena dans l'antichambre la plus sûre de la forteresse. A nouveau, Théoden entendit les mots, et l'invocation d'Akel fut accomplie.

"-Vous êtes désormais deux." confirma l'esprit de l'Elfe, après les avoir examinés. Sans même qu'on lui pose la moindre question. "C'est une bonne chose. Mais le temps presse, et il en manque trois encore."

Akel redisparut sur ces mots, sans demander son reste.
Lorsque Morgane eut reposé le sceptre sur son piédestal, elle se retourna vers le Commodore qui affichait un air tout à fait satisfait, son tricorne sous le bras.

"-J'en étais sûr." s'exclama-t-il, comme un enfant ravit d'avoir élucidé une énigme.

Il sourit et se racle la gorge, reprenant par la même son sérieux.

"-Il semble que vous soyez le Hérault de la rage et de la fureur.

-Je crois deviner ce qui vous fait dire ça."

Théoden prit sa main et la serra fermement, avant de se couvrir de nouveau la tête.

"-Je vous laisse tirer les honneurs de votre nouveau titre, Hérault. Je suis appelé par des affaires urgentes parmi les miens."

Il fait volte face sans tarder et s'en retourne sans demander son reste. Laissant là une Morgane stupéfaite, une main dans le vide.

~o~

Théoden avait raison de se presser, car il avait fait mander pour midi tous les membres de son expédition encore en vie, avec l'espoir de mettre au clair la raison de leur présence ici, et régler une bonne fois pour toute cette histoire de mutins.

Devant le millier d'âmes que comptait encore son Odyssée, Théoden avait fait le choix d'apparaître seul, sans Telthis, sans Treville, sans Eve. Ne manquait à l'appel que Cassandra, retenue au sommet de la ville, et le Docteur Thackery dont l'état ne s'améliorait pas.
Le Commodore se tenait debout sur une estrade montée à la va-vite, avec des planches récupérées ça et là, et des tonneaux de vivres. On avait pendu à une façade derrière lui un étendard volé au sommet du mât du Wench, histoire d'officialiser la chose.
Il n'y eut pas non plus de tambours, de trompettes ou de flûtes. C'est donc dans un silence parfait que Théoden s'exprima.

"-Vous êtes beaucoup à vous demander ce que nous sommes venu faire ici." il jeta un coup d'oeil derrière lui, aux six mutins qui avaient la corde au cou, en attendant d'être pendus. "Et je peux le comprendre."

Alors il posa sur ses hanches ses poings serrés et prit le temps de regarder son assemblée, croisant les regards pleins de doutes de nombres de ses hommes.

"-Mais laissez moi vous rappeler une chose, messieurs et mesdames. Nous sommes ici par la volonté de nos dieux. Par la volonté d'Ariel, que nous vénérons tous. Par la volonté de Naraën, qui nous a amené nos précieux alliés Teikokujins et Elfes Blancs. Par la volonté de Filyon, qui a façonné cette civilisation et ses peuples.
Nous tous, nous obéissons à quelque chose de plus grand que nous. Et nous servons plus que nos pays et nos intérêts. Nous servons notre monde, nos dieux, notre nature, notre race ! Que celui qui n'a pas perdu un proche depuis le début de ce voyage soit le premier à me traiter d'illuminé. Tous ici, vous savez quelles horreurs sont ceux qui nous menacent depuis maintenant plus de deux tours et demi ! Vous savez de quoi ils sont capables. Vous savez ce qu'ils nous feraient, si ils nous tenaient à leur merci."

Théoden finit par soupirer, et le silence revint. Jusqu'à ce qu'il tire d'un geste brusque sa rapière.

"-Nous étions une race puissante autrefois. Et vous savez ce qui nous rendait fort ? Les "Je peux". Car oui, nous pouvions. Nous osions. Comme nos ancêtres doivent rire de nous, à nous chamailler et à pleurnicher face à ces démons ! Mais, eux, eux ils leurs faisaient face. Parce qu'ils le pouvaient ! Puis les "Je ne peux pas" les ont détruits. Et nous voilà maintenant."

Il se tourna vers les détenus derrière lui, un instant.

"-Et VOUS voilà maintenant. Vos compagnons, là devant, ils sauront survivre à cet enfer. Mais pour vous, il est trop tard."

On le vit faire un pas vers la foule, soupesant sa rapière au creux de sa paume. Soudainement, il fit volte face, sa lame s'envola, portée par sa main et faucha les gorges des six condamnés, qui déversèrent sur le plancher de l'estrade un flot de sang crépitant. Théoden lui même en fut couvert, son visage se maculant de rouge.
Lorsque la foule vit de nouveau son regard luir, il leur faisait face avec un air hargneux, déterminé. Il pointa sa rapière sanglante vers le ciel et s'écria.

"-Moi je vous sauverais. Moi je vous sauverais ! Et maintenant, vous savez pourquoi. Parce que je le peux !"

Un instant, le temps fut figé et la foule resta en suspens, des yeux hagards allant et venant entre Théoden, sa rapière, et les corps des six détenus qui se tortillaient et menaçaient de s'effondrer à tout moment, retenus par les simples cordes de leurs potences.
Le discours de Théoden finit, il n'y eut pas d'acclamation, pas de foule en furie ou de heurts. A vrai dire, le Commodore ne fut longtemps répondu que par un silence lourd. Il haletait, épuisé. Mais quand son bras retomba, après quelques instants, il fut relayé par milles lames qui se levèrent de concert, droit vers le ciel et vers lui.

~o~

La vie reprit vite son cours à Avalon. Passée la petite démonstration de force de Théoden, et sa propension nouvelle à la violence et aux solutions instantannées, tout le monde retrouva le sens de son devoir. Le Commodore eu beau disparaître dans ses quartiers, renonçant à donner des ordres pour laisser la vie s'auto gérer quelques temps, personne ne sembla s'en plaindre.
Enfin... les premiers temps. Mais une lune plus tard, Théoden ne reparaissait toujours pas. L'inquiétude était de mise. Mais personne ne pouvait pénétrer sa demeure, verrouillée de partout.
Les Dieux seuls savaient ce qu'il se tramait à l'intérieur...
Lun 12 Juin 2017 - 19:39
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Dargor
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Dargor
Il pleuvait ce soir-là. L’expédition de Théoden et des Avalorims était de retour depuis quelques jours à présent, et après qu’ait été dévoilé nom du nouveau Hérault de la Cité, tout semblait être redevenu normal. Sauf pour Djanela, qui après plusieurs allées et venues dans Avalon, à des moments et des endroits où elle n’aurait pas dû aller, cherchait à tout prix à obtenir une audience auprès du Commodore. Mais sa porte demeurait obstinément close, et aucune voix n’en sortait. Elle insista à plusieurs reprises, jusqu’à apprendre que cela faisait plusieurs jours que Théoden n’avait répondu à personne. Aussi prit-elle la décision d’aller parler aux capitaines Treville et Brookes. La discussion fut brève, alors qu’elle portait sur un sujet des plus sérieux selon elle.
Durant ses errances plus ou moins nocturnes, elle avait pu constater que les Avalorims adultes avaient tendance à arborer d’étranges cicatrices. Comme s’ils avaient été tous mutilés. En observant la population, elle avait pu remarquer que les enfants portaient la marque des démons. La mutation. Qui disparaissait systématiquement chez les adultes. Comme s’ils avaient eux-mêmes choisi de retirer par la force leurs propres impuretés.
Elle en parla à Treville et Brookes. Mais si Eve eu la réaction choquée qu’elle attendait, Treville fut beaucoup plus calme. Il s’avérait qu’en fait, Théoden avait déàj été mis au fait de cette chose, et avait mis Treville au courant. Pas de quoi s’inquiéter, donc, apparemment, puisque les Avalorims retiraient leur mutation afin de mieux les rejeter. Djanela comprit qu’elle ne pourrait pas lui faire entendre raison sur la nature réelle des mutations. En tant que chasseresse de démons de Ram, elle croyait que les mutations du corps étaient à l’image de celles de l’esprit. Et ce qu’elle croyait également, c’était qu’on ne pouvait pas ôter aussi aisément celle de l’esprit que l’on n’ôtait celles du corps.
Elle ne leur dit rien de tout cela. Treville avait semble-t-il pris sa décision quant à cette information, et vu qu’elle l’avait donnée en transgressant toutes les règles de sécurité de l’Odyssée, il était vrai qu’il valait mieux pour elle qu’elle se fasse toute petite. Elle s’éloigna, et sous la pluie, se mit à réfléchir aux conséquences de sa pensée. Pourquoi les démons avaient-ils réussi à infecter la cité, et pourtant, s’obstinaient-ils à ne pas faire des Avalorims leurs esclaves ? Cela n’avait aucun sens. Cela n’aurait cependant pas été la première fois que les démons agissaient selon une logique que les mortels ne parvenaient pas à comprendre. Peut-être, comme souvent avec ces bêtes, était-ce encore un de leurs jeux. Mais dans ce cas, pourquoi les dieux auraient-ils envoyé l’ordre au Commodore de se rendre ici ? Si cette cité n’était que le jouet des démons, alors il n’y avait rien à y sauver. Il y avait certes l’histoire de l’elfe Sildael la Radieuse, mais elle ne croyait personnellement pas que cette seule elfe justifie que tout le groupe soit bloqué dans la Cité. Cette dernière devait contenir un autre secret…

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Une lune s’était écoulée depuis que Sœur Morgane avait appris sa nouvelle fonction, mais Guenièvre s’apercevait bien qu’il y aurait des problèmes à venir. Sa sœur s’impatientait beaucoup trop quant à la prochaine expédition, qui devrait être menée avec le Hérault Théoden. Hors, il se trouvait que ledit Hérault n’avait pas reparu depuis leur arrivée dans la cité, pour le déplaisir de bien des personnes, y compris la magicienne et l’homme à moitié fou que Sœur Naëlle devait surveiller. C’est d’ailleurs en revenant de cette geôle qu’elle avait appris la nouvelle.
Elle était allée s’assurer que tout allait bien sous ce toit qui servait de prison. Depuis le rapport de Sœur Naëlle faisant état d’un incident avec l’homme, Sœur Guenièvre rendait de fréquentes visites à la gardienne, s’assurant que tout allait bien. Elle ne voulait pas qu’il fasse quelque chose d’irréparable avec ce qu’il appelait ses expériences. Et venait donc recevoir des nouvelles autant de ses activités à lui que de celles de la captive, qui pour sa part trouvait le temps long. Elle ne passait plus son temps à demander quand pourrait-elle enfin partir, semblant s’être fait à l’idée d’être détenue pendant toute une vie, mais elle s’était emmurée dans le silence, et affichait désormais un visage bien plus fermé. Elle supportait en somme très mal la captivité, mais ne semblait pas planifier d’évasion.
C’était une bonne chose, songeait Guenièvre, même si elle compatissait un peu à son sort, quand une mauvaise nouvelle lui fut transmise. Le Hérault Théoden avait disparu, et il semblait avoir emporté avec lui une partie de ses affaires. Parti. Tout simplement.

« N’en dis rien à tes otages. Pour eux, le Hérault Théoden se porte comme un charme et est occupé, d’accord ? dit-elle à Sœur Naëlle, dès qu’elle apprit. »

L’intéressée fit signe qu’elle avait compris, laissant Sœur Guenièvre se diriger vers le palais, où elle fut immédiatement dirigée vers le bureau de Sœur Viviane. Avec cette dernière se trouvait déjà Sœur Morgane, furieuse, qui grommelait.

« Bienvenue, dit Sœur Viviane en l’entendant entrer. J’ai fait convoquer l’un des seconds du Hérault, il aura à répondre de l’attitude de son maître. Je veux que nous soyons toutes les trois là pour cela.
-Et moi je dis qu’on devrait les chasser de la Cité, dit Sœur Morgane.
-Sœur Morgane, compléta Viviane, pense que les étrangers sont sous l’influence des démons. »

Sœur Guenièvre prit le temps de réfléchir à ces accusations. Pourtant l’un d’eux était un Hérault ! Et même celui qui comprenait la véritable nature de son combat, il ne devrait pas céder à leur influence ! Le scénario inverse serait une véritable catastrophe.

« Je doute qu’il le soit, dit-elle. Depuis que les démons ont proposé ce traité au Seigneur Natai, ils ont eu des dizaines d’occasions de le trahir ainsi. Pourquoi le feraient-ils maintenant ?
-Parce que nous avons nous-mêmes trahi ce serment en acceptant des étrangers, grommela Morgane. Akel a modifié les règles en le nommant, elle n’aurait pas dû. Et maintenant nous en sommes là. »

Sa théorie se tenait. Mais Guenièvre était étonnée qu’elle parle de règles. Il s’agissait des termes d’un marché après tout. Mais un marché qui semblait effectivement changer avec l’arrivée des étrangers… La discussion fut interrompue par l’arrivée de Treville, qui devait représenter l’équipage desdits étrangers.
Hélas, la conversation fut hostile et tourna très vite court. Sœur Morgane ne put se retenir d’accuser directement le Hérault Théoden de connivence avec les démons, poussant le Major Treville à menacer de quitter la salle, ce que Sœur Morgane lui accorda bien volontiers, arguant qu’il ferait tout aussi bien de quitter la ville, pour ce qui la concernait. Il fallut, pour les empêcher d’en venir aux mains, l’intervention de Sœur Viviane, qui confina les deux parties à des rôles stricts. Les étrangers ne pourraient plus monter plus haut que le premier niveau, et personne ne viendrait les y déranger. Cette solution, qui était un compromis en satisfaisant somme toute pas grand monde, fut acceptée en l’absence d’une meilleure, ou d’un apaisement illusoire.
Sœur Morgane quitta la salle immédiatement après lui, allant doubler la garde des remparts qui séparaient le premier du deuxième niveau. Il y avait désormais selon des ennemis à l’extérieur et à l’intérieur de la cité. Il fallut que Sœur Viviane lui fasse d’ailleurs promettre de ne pas immédiatement aller tuer les deux otages pour être certaine qu’elle ne le fasse pas.

« Elle ne l’aurait pas fait, argua Guenièvre, quand elle fut partie.
-Je préfère être sûre de mon coup, dit Sœur Viviane. Sœur Morgane, tu l’as sans doute remarqué, n’aime pas ces étrangers. Et ses accusations sont graves, mais se basent sur des soupçons fondés. Des elfes, des mages, et maintenant lui qui disparait ? Tu devras admettre qu’elle a raison de se méfier. Mais pour autant, maintenant que les étrangers sont dans Avalon, nous allons devoir composer avec. Et faire comme s’ils étaient nos alliés, et non nos ennemis. Car si les démons arrivent, je ne donne pas plus de quelques heures avant que les portes du premier et du deuxième niveau ne s’ouvrent. Tu sais comment ils sont. Qu’ils repèrent le moindre élément permettant de semer le chaos parmi leurs adversaires sans avoir à intervenir eux-mêmes, et ils l’utiliseront. C’est ainsi que les elfes nous ont trahi selon les légendes, tu le sais toi-même. Qu’il y a-t-il donc d’étonnant à ce que les démons fassent de même ?
-A suivre cette logique, dit Guenièvre, nous devrions plus probablement chasser les étrangers de cette cité, au lieu de chercher à jouer l’apaisement.
-Le Major Treville a été clair quant au fait qu’ils ne partiront pas, dit Sœur Viviane. Je pense que nous avons les moyens de les chasser, mais cela demanderait une bataille sanglante. Aussi proches de la prochaine vague démoniaque, c’est un risque que nous ne pouvons pas nous permettre de prendre. Et s’il faut les affronter, je préfère les affronter alors qu’eux doivent venir à notre rencontre, sur nos murs, plutôt que l’inverse.
-Nous devons donc partir du principe qu’ils sont nos ennemis ?
-Tu n’as pas renoncé à l’armée pour rien toi, sans vouloir te faire insulte, ma Sœur. Nous devons nous méfier d’eux, mais ça en veut pas dire qu’il faille chercher la réconciliation. C’est là que tu interviendras. Morgane ? Ils ne voudront certainement pas lui parler. Moi je dois diriger la ville. Il ne reste plus que toi. Tu iras les voir dans quelques jours, le temps que tout cela refroidisse un peu. Tu leur parleras en ton nom, et non en celui de la ville, car tu n’arriveras pas à pousser Morgane à revoir ses opinions. Et parce que de nombreuses guerrières pensent ici la même chose qu’elle. Nous allons devoir affronter les démons avec deux camps alliés dont la défiance mutuelle est indescriptible… Tu dois essayer de limiter les dégâts. Car sinon, les démons manipuleront l’esprit de tous ceux qui sont présents ici, et ils n’auront qu’à nous regarder nous entretuer sans même avoir besoin d’intervenir. Nos espoirs reposent donc sur toi.
-Et le Hérault ?
-S’il est corrompu par les démons, alors il nous faudra l’affronter. S’il ne l’est pas, alors espérons qu’il sache ce qu’il fait. »

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Parti. Il était le plus sérieusement du monde parti. Depuis près d’une lune, apparemment. Telthis se moquait bien de savoir où était-il parti ou pourquoi. Tout ce qu’il savait, c’était que le Commodore Théoden était dans ces terres dans un danger encore pire que la mort, et que lui, Telthis, avait juré à Malene de veiller sur cet humain comme il l’aurait fait sur elle. Dès lors, aussitôt qu’il apprit la nouvelle, Telthis avait été seller l’unique cheval restant de l’Odyssée. Pas le temps pour la réflexion. Après tout, si Malene s’était retrouvée seule en une terre polluée par les démons, il aurait immédiatement été sans prendre le temps de dormir ou de réfléchir à sa recherche. En vertu de son serment, il lui incombait donc de s’exécuter de la même façon. Par pure politesse plus que par devoir, il alla prévenir la capitaine Eve Brookes de sa décision. Il s’agissait pour lui de la prévenir qu’il partait, et non de lui laisser le moindre choix. Heureusement, elle ne tenta pas de le retenir. Non pas qu’il aurait hésité, mais il aurait perdu du temps à lui expliquer sa décision n’était pas négociable.
Il y en avait cependant qui n’avaient pas compris cela, c’était les trois fusiliers qui se faisaient appeler les trois mousquetaires. Tobias, Maxwell et Brujon. A leur décharge, ils n’avaient pas pour projet de le retenir, mais de partir avec lui. Sachant qu’ils étaient à pied, cela voulait dire le ralentir, ce qui n’était pas envisageable. Il rejeta leurs demandes en bloc, et dût aller jusqu’à ordonner, en tant que capitaine, à Tobias de s’écarter de son chemin pour être sûr qu’il le fasse. Puis il se mit en route. Il n’avait pas un seul instant à perdre. Aussitôt que les portes de la cité s’ouvrirent, il lança son cheval au galop. Théoden était parti depuis bientôt une lune. Il serait particulièrement compliqué de trouver des traces de son passage, cela allait le ralentir de façon plus que contrariante. Mais il n’avait pas le choix. Il avait fait une promesse après tout.

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Une Lune plus tôt
Henast guettait encore la venue de son frère depuis la cité. Elle avait été satisfaite de la façon dont il avait tenté de nier sa présence après qu’ils aient retrouvé son groupe. Et elle se réservait le fait d’être sa déesse dans un coin, pour le taquiner si l’occasion se présentait un jour. Mais quelle ne fut pas sa surprise de le voir venir sur le dos d’un étrange animal, bien seul, et semblait-il équipé pour un long voyage, bien plus tôt que prévu.

« Je te manque déjà ? demanda-t-elle en se plaçant devant lui.
-Ce n’est pas le moment, Henast, grommella-t-il. J’en ai assez de gérer une garderie géante, alors je fais ce que je dois faire, seul. »

Une garderie géante, le terme était intéressant. Elle savait que les Avalorims n’étaient pas des gens réputés pour être très amicaux, mais elle savait aussi que c’était parce qu’ils étaient des ennemis…

« Et que dois-tu faire ? demanda-t-elle.
-La volonté des dieux, dit-il en la regardant. Le nom de Sildael la Radieuse te dit-il quelque chose ? »

Oui.

« Pourquoi cette question ? répondit-elle.
-Tu ne me réponds pas. Ça te dit quelque chose ou non ?
-Pas vraiment, mentit-elle, justement.
-Je dois la retrouver, dit-il. Elle est arrivée ici il y a de nombreux siècles, au moment où tes maîtres ont commencé à annexer ce continent. Elle est à priori toujours en vie, quelque part. »

Qu’elle soit toujours en vie, Henast pouvait le confirmer. Elle pouvait même dire où se trouvait cette elfe. Mais il était peut-être trop tôt à son goût pour que son demi-frère se rende là-bas. Il y avait encore tant de choses à lui montrer avant cette étape…

« Ça fait tout un continent à chercher, dit-elle, tentant vainement de l’en dissuader.
-C’est précisément pour ça que j’ai emmené ce bon vieux Bill, dit-il en flattant le cou de son animal. Tu as quelques idées d’endroits où commencer ?
-Tu sais où elle a disparu ?
-La dernière fois que je l’ai vue, dit-il, elle se rendait à Avalon. Rien depuis lors, et je sais qu’elle n’y est pas. »

Il sortit un compas. Elle savait ce dont il s’agissait car ayant pu le voir quand elle était enfant chez leur père. Il l’examina quelques instants, puis lui montra une direction que l’appareil semblait indiquer.

« Qu’y a-t-il dans cette direction ?
-Des cités mortelles, répondit-elle. C’est là que vit le gros de la population.
-Il va falloir que nous allions enquêter par-là alors, dit-il en lui tendant la main pour l’aider à grimper sur on animal. Si tu veux me guider, je n’y vois pas d’inconvénient. »

Avec maladresse, elle s’exécuta.

« Comment se tient-on là-dessus, demanda-t-elle, mal à l’aise.
-Tu n’as qu’à te mettre comme moi, répondit-il. Ou si ta condition féminine te gêne trop, tu n’as qu’à t’asseoir en biais, les deux jambes sur le même flanc. Pour le reste, il faudra t’accrocher à moi. »

Puis ils se mirent en route, vers l’intérieur des terres. Elle réfléchissait. Si les dieux avaient demandé à aller récupérer Sildael la Radieuse, c’était peut-être qu’ils en avaient assez que les maîtres jouent avec Avalon. Peut-être les choses allaient-elles s’accélérer.

« Et donc, demanda-t-elle, pourquoi les dieux veulent-ils cette Sildael ?
-Elle leur est précieuse, répondit-il, pour une raison ou une autre. Aux dieux comme à la reine blanche que je sers. »

Il lui jeta un coup d’œil.

« Tu sais ce que c’est qu’un dragon n’est-ce pas ? »

Elle acquiesça. Elle savait fort bien ce dont il s’agissait.

« Une de ces bêtes, que tes maîtres ont perverti, nous a attaqué en arrivant ici. Sildael est supposée être accompagnée d’un dragon. Et comme je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse du même, je préfère m’assurer qu’il ne se trouve pas dans le mauvais camp, lorsque l’heure sera venue de livrer bataille. »

En effet, il ne s’agissait pas du même, elle en savait quelque chose. Toutefois, elle était curieuse de savoir comment le savait-il.

« Pourquoi ne pas en être convaincu ? demande-t-elle.
-Je suis censé être le Hérault qui comprend des choses, non ? Alors je devrais me fier à mes intuitions. »

Elle faillit lui répliquer que selon la légende, les Héraults comprenaient la nature du combat qu’ils livraient, ce qui ne semblait pas être son cas, mais l’heure des explications viendraient une autre fois. Après tout, cette expédition promettait d’être des plus intéressantes. Peut-être pourrait-elle lui montrer ce que les démons apportaient de bon. Elle décida de le conforter dans son opinion et de le laisser mener l’expédition.

« C’est une façon de voir les choses, dit-elle. Mais quel est le rapport entre le dragon et Sildael ?
-Ils sont arrivés ensembles, et elle doit donc savoir ce qui lui est arrivé. Mais je ne sais pas où sont l’une ou l’autre. Ce serait trop facile.
-Et que veulent tes dieux à Sildael ? insista-t-elle.
-Ils me disent peu de choses, les dieux, répondit-il. Et si je m’avise de leur poser trop de questions… »

Il écarta sa veste. Une immense trace de morsure s’y trouvait, témoin de brutalités évidentes. On aurait cru qu’il avait eu affaire à un fauve.

« C’est très aimable de leur part, dit-elle.
-Je ne sers peut-être pas la plus agréable des déesses, mais elle m’a sauvé plus d’une fois, dit-il en riant. »

Dans l’absolu, elle n’était pas choquée par cet état de fait. Les démons étaient généreux avec leurs serviteurs qui rencontraient le succès, et sévères avec ceux qui échouaient.

« Et que te donne-t-elle en échange ?
-Une seconde vie, pour traverser cet enfer. Et la chance de guider cette troupe à travers le domaine de tes maîtres.
-Sachant que tu es envoyé chez ses ennemis, dit-elle, ce n’est pas une récompense. »

En fait de récompense, elle aurait plutôt appelée cela « faire son devoir ». La récompense éventuelle viendrait après. Mais pour l’instant, il n’y avait rien eu. Il en convint cependant, il faisait son devoir. Mais il détourna la conversation.

« Que t’apportent tes maîtres ? demanda-t-il.
-A terme ? La promesse d’être l’un des leurs.
-Alors c’est ça ton aspiration dans la vie ? Rejoindre tes seigneurs, dans leur palais de souffrance et de perversion ? »

Dans leur palais plein de bonheur et de vérité, s’il fallait le lui demander. Mais au-delà de ça, c’était le rejoindre en tant que leur égale. La déesse de Théoden lui offrait-elle de devenir son égale s’il lui apportait satisfaction ?

« Rejoindre leur palais, oui, en devenant l’une des leurs, dit-elle, en insistant grandement sur ce dernier point. Mais la route est longue.
-Et c’est censé t’apporter quoi ça ? insista-t-il. »

Elle lui expliqua qu’être leur égal, c’était tout simplement devenir un démon. Il répliqua, amer, qu’il s’agissait d’imiter sa mère, et de détruire d’autres vies comme elle l’avait fait. Elle soupira. Elle lui avait pourtant déjà dit que sa mère ne comprenait rien au combat qu’elle menait elle-même. Ce qui était, songea-t-elle sans rien lui en dire, la raison pour laquelle elle ferait à son avis partie de ceux qui chuteraient sur cette route pour ne jamais s’en relever. N’étaient transformés en démons que ceux qui se fondaient parfaitement dans la vérité apportée par lesdits démons, l’acceptant et en faisant une part totale de leur personnalité, ou ceux qui étaient capables de comprendre cette vérité et d’entrer en communion avec elle. Sa mère, pour l’instant, n’était ni dans un cas, ni dans l’autre. Son esprit était trop pollué par les émotions bien trop mortelles qu’elle ressentait pour se fondre dans la vérité des démons, vérité qui lui échappait totalement.

« Ils m’apporteront, dit-elle, la puissance d’améliorer le monde. Ma mère n’a pas compris cela.
-D’améliorer le monde, dit-il, ironique. Et dis-moi, que comptes-tu changer à notre monde ? Il me semble que tes maîtres ont déjà la mainmise sur la moitié de Ryscior. Et tu ne sais rien de tout ce qu’il y a autour de leur domaine.
-Je n’en sais pas tout, non, confirma-t-il. Mais je comprends certaines choses.
-Ah ? demanda-t-il. Impressionnera-moi, je te prie. »

Elle aurait pu lui dire tout ce qu’elle savait sur les démons, mais lui-même ne savait rien d’eux. Mieux valait qu’il observe ce qu’ils étaient par lui-même durant leur voyage jusqu’à Sildael, et ensuite, elle pourrait tout lui raconter sur ce qu’étaient réellement les démons.

« Nous avons le temps avant de trouver Sildael, dit-elle. Je t’impressionnerai durant le voyage, car cet apprentissage sera long. »

Il soupira, et laissa passer un long silence. Il lui avoua qu’elle aurait pu être tellement plus, si elle n’avait pas gâché son potentiel. Heureusement, elle était meilleure que le rejeton infâme des immondices de sa mère, autrement, il l’aurait tuée dès le début. Elle lui avoua qu’elle se serait défendue. Puis la conversation se détendit, et le voyage put commencer pour de bon. Lui en quête de satisfaire ses dieux, elle en quête de montrer à son frère ce qu’elle estimait être la vérité concernant la nature profonde du monde et des démons.

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Aujourd’hui
« Vous les avez laissé partir ? »

La voix d’Akel résonna dans toute la salle des trésors, et puissance sembla ébranler la cité elle-même. La colère du spectre était évidente. Sœur Guenièvre n’avait jamais entendu dire qu’elle pouvait se mettre en colère. Enfin, il fallait bien sûr admettre que la situation était inédite. Jamais le spectre n’avait été réveillé pour ce genre de raisons. Après plusieurs jours de négociations, elle avait finalement réussi à revoir les dirigeants des étrangers, Treville et Brookes, dans un contexte le plus apaisé possible. Ils lui avaient appris, durant la conversation, que l’elfe Telthis été parti à la recherche du Hérault.

« Nous espérons à n’en pas douter que son retour amènera Sœur Morgane à s’excuser pour ses accusations injustifiées, n’avait pas manqué de préciser Treville. »

Toutefois, la cité étant en état de siège, il n’y avait plus de vrai moyen de savoir qui seraient les autres Héraults. Eve Brookes s’en était inquiétée, demandant à Guenièvre si elle savait ce dont il allait à présent retourner. Cette dernière n’ayant pas de réponse, elle avait proposé d’aller interroger la personne de la cité qui, à n’en pas douter, savait le plus de choses sur les Héraults. Bien qu’Akel n’ait jamais répondu à d’autres questions que de savoir qui étaient-ils, peut-être pourrait-elle les éclairer sur ce point ? C’était un vain espoir.
Mais un espoir qui s’était réalisé. Et qui avait plongé le spectre dans une colère noire. Jamais Sœur Guenièvre n’avait entendu dire que ce dernier pouvait faire état d’émotions. Akel ne s’était pas tout de suite énervée. Elle avait demandé, calmement, plus de détails sur l’arrivée de ce Hérault à Avalon, son départ… Elle avait souri à l’évocation de la présence dans la cité de l’elfe Telthis. Lorsque le départ de Théoden avait été évoqué, le spectre avait sû rester calme. Mais lorsque celui de Telthis, élancé à sa recherche, avait été amené dans la conversation, elle avait éclaté de la colère que Treville et Sœur Guenièvre devaient à présent affronter.

« Mais nous ignorions que…
-SILENCE ! tonna Akel, faisant cette fois pour de bon trembler la roche dans laquelle était taillée la salle. Savez-vous seulement, dans votre inconsciente, pourquoi les Héraults existent ?
-Ils existent parce que le Seigneur Natai a su convaincre les démons de ne pas…
-Le Seigneur Natai était un incapable, qui n’a rien pu faire face aux démons, ricana Akel. Laissez-moi vous raconter la fin de l’histoire, car il semble que vous deviez l’entendre… »

Lorsque Sildael la Radieuse et l’ours Perce-Cuir étaient arrivés à Avalon, l’invasion des démons avait commencé, sans qu’ils n’en sachent rien. Malgré l’insistance de Sildael pour calmer les hostilités, la bataille vit rage dans le val qui abritait la cité des lynx. Mais c’est durant cette bataille que la magie démoniaque se déchaina. Loin à l’ouest, les premiers démons qui avaient envahi le continent en avaient invoqué d’autres, toujours plus puissants, et finalement, un prince démon primordial était sorti de la faille. Ricanant du sort des hommes animaux, il leur avait donné ce qu’ils souhaitaient. La peau immaculée des elfes. Mais pour rire de leur sort, il ne fit d’eux que des humains, afin que jamais ils ne soient aussi beaux que les elfes.
Le prince démon était une créature incroyablement puissante. Les démons étaient hiérarchisés selon leur puissance. Les plus faibles des diablotins, inoffensifs pour les mortels, n’étaient même pas dignes de servir d’esclaves aux autres démons. Ils étaient le premier échelon de cette hiérarchie monstrueuse, au sommet de laquelle trônent encore aujourd’hui le Roi et la Reine Démons, qui avaient la puissance des dieux. Juste en-dessous d’eux se trouvaient cinq démons, les cinq princes. Le Roi et la Reine n’avaient jamais mis les pieds sur le plan réel de Ryscior, pas même à l’époque de la chute des Anciens. A cette époque, c’étaient les princes qui avait foulé le sol de Ryscior et déclenché la chute de la puissante civilisation de tous les temps.
Inutile de dire que quand IL avait été invoqué, rien sur le continent ne put résister à sa puissance. Natai et Perce-Cuir, devenus humains avec leurs peuples, durent cesser les hostilités pour s’opposer ensembles à ce nouveau danger plus grand encore que les querelles nées après l’arrivée des elfes. Mais il n’y avait déjà plus rien à sauver, à part Avalon, que les sorts des mages et prêtres elfes accompagnant Sildael avaient contribués à protéger. Puis un jour, Sildael avait compris qu’il ne lui restait plus qu’une solution. Aller essayer de L’affronter avec ce qui lui restait de guerrier elfique. Sur le dos du dragon, les elfes, laissant Akel derrière pour qu’elle protège Avalon, étaient partis à l’ouest et n’étaient jamais revenus. Mais SON influence avait continué à grandir, signe évident de la défaite de la Radieuse. Le Seigneur Natai, n’écoutant alors que son instinct de gouverneur, et non les recommandations d’Akel, avait décidé d’aller négocier avec LUI.
Il ne revint jamais non plus. Mais SON émissaire, un démon choisi parmi d’autres, vint trouver Avalon, et leur annoncer les conditions du jeu qui allait dès maintenant commencer. IL trouvait amusante la résistance de la cité, aussi dictat-IL les conditions, apparemment écrites avec l’accord du Seigneur Natai, de la survie d’Avalon. Le jeu des Héraults commença alors. Pouvoir fut pris dans la ville par les sept filles de Natai, qui y instaurèrent le matriarcat qui encore dirigeait Avalon aujourd’hui. N’ayant toujours pas pardonné aux elfes ce qu’ils avaient amené avec eux, la magie et leur beauté, les habitants d’Avalon se tournèrent alors contre Akel. Cette dernière étant une prêtresse, elle avait le pouvoir de repousser les démons, et c’est ce qui lui valut d’être épargnée. Ayant fait à Sildael la Radieuse le serment de protéger la cité, elle accepta, lorsque le poids des âges se fit sentir sur ses épaules, que son esprit soit emprisonné dans le sceptre pour que, même dans la mort, elle puisse continuer à protéger la ville. Son ultime bénédiction donnée de son vivant fut la fontaine qui coulait depuis entre les racines de l’arbre blanc de la cité. Bénie, cette eau aurait le pouvoir de guérir les blessures et de repousser les démons. Aussi longtemps qu’elle resterait pure, Avalon survivrait.
Puis les siècles passèrent. La rapière du Seigneur Natai fut ramenée en morceaux, à mesure que le temps s’écoulait, à Avalon. Elle avait été brisée dans un combat quelconque, et ce furent des réfugiés, qui refusaient de servir les démons, qui l’amenèrent à Avalon petit à petit, à mesure que les vagues venaient se regrouper dans ce qui semblait la seule cité capable de leur résister. Puis un jour, plus de vagues. Portant les fragments de lame comme des talismans, plusieurs Héraults décidèrent d’aller voir s’il y avait d’autres cités résistances en ces lieux. Ils ne revinrent pas non plus, et la lame fut perdue jusqu’à ce que les étrangers ne la ramènent.


« Mais entre-temps, continua Sildael, j’ai pu sentir la corruption grandir dans Avalon. Vous naissez mutés, ne mens pas, Sœur Guenièvre, tu sais que je dis la vérité. Vous les retirez comme rite de passage à l’âge adulte, mais vos enfants naissent avec trois yeux au lieu de deux. Gratte donc la roche blanche sur laquelle tu évolues ! Elle est creuse. En ses profondeurs se trouve une gangrène noire et poisseuse, qui un jour remontera à la surface. Votre cité pourrit de l’intérieur, et votre peuple également. Les démons utilisent le système des Héraults car cela leur permet de ralentir volontairement leur progression, afin de ne pas devenir, pour l’instant, une menace pour la nature même de Ryscior dans son entier. Mais au fond, ils agissent et attendent leur heure. Un jour viendra où ils cesseront de jouer. Pourquoi crois-tu que les dieux aient envoyé un de leurs élus, en aient fait un Hérault, et aient envoyé celui qui est peut-être le meilleur guerrier de la race elfique toute entière ici ? Pour s’assurer que ce jeu ne prenne pas fin en ce siècle. Pour faire un état des lieux. Voilà la raison de leur présence ici. Et vous, vous laissez ces deux éléments clés de la survie d’Avalon, qui est la porte gardant l’accès au reste du monde, s’enfuir ?
« N’ai-je jamais pareils imbéciles ? Et vous l’humain ! Treville ! Cessez de ne pas vous sentir concerné par les reproches que je fais à Sœur Guenièvre ! Vous êtes tout aussi fautif, car vous avez laissé votre Commodore s’enfuir sans rien faire pour aller à sa recherche ! Combien de temps vous fallait-il pour réaliser que son isolement n’était pas normal ? Un tour ? Dix peut-être ? »

Akel laissa échapper un rire mauvais. Elle riait de son propre sort, pas besoin d’être une érudite pour le savoir, mais aussi de celui de la cité.

« Nous sommes tous des imbéciles, dit-elle. Moi, vous Sœur Guenièvre, vous Treville, mais aussi Morgane, Viviane, Brookes, et tous ceux qui ont la charge de cette cité. Nous avons tous été de parfaits imbéciles. Bien sûr que les démons voulaient que Théoden se retrouve à errer parmi eux ! Et nous avons tous fait des erreurs par-ci, par-là. Etre trop secrète ! Refuser de croire à la réalité ! Refuser de remettre en cause la parole de son mentor, de son commodore ! Se méfier à tout prix des étrangers ! Être aveugle autant parce qu’on ne peut que parce qu’on ne veut pas voir !
« Voici ma dernière prédiction, dit-elle. C’est le dernier siège d’Avalon. Il n’y aura plus de Héraults. Débrouillez-vous donc avec votre Hérault de la colère, qu’elle vous mène au combat ! Vous êtes tous piégés ici de toute façon, car les démons commencent déjà à encercler le val. Les troupes arriveront bientôt, et vous serez enfermés. Et qui viendra vous sauver ? Personne. Seules Sildael ou Malene pourraient intervenir à présent. Mais l’une est disparue, l’autre se tient, merci aux dieux, bien trop loin de ces évènements. Quant à moi, je ne suis après tout qu’un fantôme ! J’aimerais tirer ma révérence, mais je suis condamnée à assister au reste, ici, avec vous ! »

Dans un ultime éclat de rire, elle sembla s’évaporer dans un nuage de fumée, aveuglant les deux mortels qui faisaient face au fantôme. Puis la lumière revint, et d’Akel, il n’y avait plus. La main tremblante, Sœur Guenièvre s’approcha du sceptre qui servait à l’invoquer. Elle tenta de l’appeler une nouvelle fois, mais Akel ne sortir point de sa prison.

« Elle... Refuse de répondre, dit-elle, incrédule. »

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Ils avaient chevauché à travers monts et vaux pendant une lune entière, progressant sur la vieille route des démons, comme l’appelaient les habitants du continent. Elle devait son nom au fait que plus on allait vers l’ouest sur cette route, plus les chances de croiser un démon étaient importantes, et plus la corruption grandissaient. La nature ici n’était pas seulement morte, elle était une victime de la corruption qui galopait à travers le continent. Des arbres impossibles issus de mondes de cauchemars se dressaient le long de la route. Jour et nuit n’avaient ici plus de sens, avec des jours qui duraient beaucoup trop longtemps et des nuits qui duraient plusieurs jours, tandis que le soleil se couchait parfois à l’est, se levait à l’ouest, ou encore qu’il se couchait et se levait en même temps, donnant l’impression d’être double. Les animaux, de même, étaient désormais difformes. Ils survivaient dans cette nature encore en vie, mais eux-mêmes subissait la corruption de la région. Si Théoden y voyait une œuvre de destruction pure de ce qui rendait le monde bien, Henast, elle, sans le dire, y voyait quelque chose de plus beau que tout. Elle aimait ces monts et ces vallées.
Puis un jour, ils arrivèrent au Val des Monstres. C’était un petit endroit boisé, la canopée végétale semblait d’ailleurs, comme le fit remarquer Théoden, de loin, tout à fait intacte ! Mais ce val, l’avertit, Henast, était habituellement évité. Ses maîtres avaient créé des endroits très dangereux, dont celui-ci. En effet, c’était là que leurs créatures défiant l’ordre naturel des choses venaient se reproduire, dans ce havre de corruption pure, qui était, selon la légende, un avant-goût des jardins que l’on pouvait trouver dans les palais les plus luxueux des enfers.

« Pourquoi m’aides-tu, déjà ? demanda Théoden.
-Pour trouver Sildael, répondit Henast, ne comprenant pas la question. Mais si elle est ici, elle est morte. »

Souriant, Théoden lança alors sa monture vers la forêt, arguant qu’il n’avait pas de raison de la croire à part sa bonne foi.

« Je crains que tu n’aies pas compris ce que je t’ai dit, dit Henast. Ce n’est ici pas le domaine des hommes, mais celui des monstres. Le mieux à faire est de se faire discret, et de le traverser le plus vite possible avant que nous soyons repérés. Nous serons dans leur nid.
-Je regrette de ne pas avoir d’eau bénite sur moi, dit-il.
-Et même si tu en avais, répondit-elle, que ferais-tu ? Infester le val entier ? Sois réaliste.
-Le fait de ne pas pouvoir nuire ne devrait pas m’empêcher de faire le mal, hm ? Je tiens ça de tes maîtres. Belle rhétorique non ?
-La question, dit-elle, est plutôt de savoir en combien de morceaux veux-tu que nous soyons quand nous trouverons Sildael. »

Mais malgré sa remarque, il entra dans la forêt. L’air y était moite et immobile, et ils ne parvenaient pas à se parler, car le son, même à très courte distance, ne portait pas. L’air était trop lourd pour cela. Les broussailles bougeaient très puissamment autour d’eux, mais aucun bruit n’en venait. Les arbres justement, mélanges de végétaux et de chairs, était les plus corrompus qu’Henast et Théoden aient jamais pu imaginer. Ils bougeaient, et changeaient régulièrement de formes. Bien vite, ils laissèrent place à des bêtes qui les entouraient.
Nerveuse, Henast fut tenter de faire appel aux pouvoirs que ses maîtres lui avaient donné. Elle le fit quand une sorte de gigantesque ours rouge grand comme une maison et doté de cornes d’émail poli dans lesquelles se reflétaient les flammes de ses yeux se dirigea vers eux. Il l’aperçut. Elle le regarda, et il recula. Elle sourit. Elle n’avait eu à faire appel qu’aux prémices de ses pouvoirs, mais d’instinct, les monstres semblaient comprendre qu’elle était bien plus dangereuse qu’elle en avait l’air et reculaient. Elle rangea bien vite les mutations qu’elle avait fait ressortir. Elle ne voulait pas que, si son frère se retourne maintenant, il voie les cornes qui étaient sorties au-dessus de ses yeux désormais totalement reptiliens et plus du tout humain. Ils redevinrent donc normaux, et les cornes rentrèrent sous sa peau.

« Ils n’ont pas l’air d’avoir envie de nous, ceux-là, dit Théoden en observant les monstres mutés qui s’écartaient sur leur passage. »

Il y en avait à présent de toutes sortes. Certains avaient des dizaines de pâtes, certains étaient la fusion d’animaux et d’éléments, il y en avait des grands pustuleux, des petits à la peau immaculée, des à l’allure féroces, des moins…

« Ils se méfient de nous, je crois, dit Henast.
-Ca nous arrange, dit Théoden. »

Ils continuèrent ainsi leur traversée, puis finirent de traverser le val. Arrivés à la lisière de la forêt, ils purent apercevoir une cité au loin, dotée d’un obélisque semblable à celui d’Anat-Krynae. La cité elle-même, de loin, présentait la même architecture, même si elle ne semblait pas bâtie avec des os, elle.

« Bien, allons-y, dit Théoden, calme, comme à son habitude.
-Prépare-toi dans ce cas, dit Henast. C’est ici que vit ma mère. »
Mer 14 Juin 2017 - 18:06
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Capitaine Theoden
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Il n'avait pas fallut longtemps aux Odysséens pour prendre les armes, lorsque revint Treville de la réunion à laquelle il avait participé avec les Soeurs Supérieures de la cité. Le Capitaine, de fait, n'avait rien caché à ses compagnons des dires de Guenièvre, Viviane, et surtout de Morgane.
L'affront avait été trop dur à supporter, pour la majorité des fiers marins. Des dispositions furent rapidement prises. Tellement vite que ce furent Maxwell, Brujon et surtout l'enragé Tobias qui mirent dehors les guerrières qui surveillaient les portes d'accès au second niveau.
Bien sûr, ni Brookes ni Treville n'allaient cautionner les moindres échanges de tirs, mais le troisième des mousquetaires était depuis la perte de sa promise le plus sujet à des crises de rage. En pratique, il fut le seul à s'en prendre ouvertement aux Avalorrims, et se montra si violent avec une sentinelle que celle-ci sombra dans l'inconscience, après avoir reçu un coup de la garde de sa rapière, en plein visage.
Malgré tout, les portes furent closes. Cette fois, elles furent également barricadées depuis le premier niveau. Ce qui marqua l'isolement complet du premier niveau, mais également sa volonté de se défendre en cas de besoin.

La Capitaine Brookes, véritablement la moins mesurée des deux officiers restant pour diriger l'Odyssée n'avait pas attendu longtemps pour placer des tireurs dans les tours et sur les toits. Lorsqu'elle avait vu apparaître sur les remparts du second niveau des archers par dizaine, son sang n'avait fait qu'un tour.
Les quelques espingoles qui avaient été emmenées depuis les navires sur la côte furent démontées des murs extérieurs, afin de rejoindre un système de barricade qui permettrait de défendre au mieux les mille Odysséens toujours vivant dans la cité.
En guise d'ultime signe de défiance, vis-à-vis du Conseil des Soeurs Supérieures, les étendards d'Avalon, qui claquaient au vent sur le grand mur d'enceinte furent rapidement jetées à bas. Hors de la ville.
Quand à ceux qui subsistaient dans les champs, fermiers ou soldats des postes avancés, ils se trouvèrent vite coincés hors des murs de leur propre cité.
Car les fusiliers avaient prit le contrôle de la grande porte, mettant dehors les hommes qui travaillaient à les actionner, et la verrouillèrent bel et bien.

Ainsi commença cette longue lune, qui n'allait être marquée que par des incidents à droite comme à gauche, faisant ressembler ce qui avait été autrefois des alliés à des ennemis de toujours.
L'infirmerie, les Odysséens ne la virent jamais aussi remplie. Car à mesure que le temps passait, de plus en plus de guetteurs y furent acheminés, un membre transpercé par une flèche, un oeil crevé, un crâne ouvert par une pierre. Oh bien sûr, les fusiliers eux-même n'étaient pas innocents. Leurs mousquets avaient renvoyé à l'hôpital nombre d'archères Avalorrims. Malgré les ordres de maintenir l'ordre, et de ne surtout pas ouvrir le feu. Mais la tension était trop grande, pour ces hommes désespérés qui se savaient coincés là.
Les prêtresses oeuvraient jours et nuit pour éviter les morts. Jusque là avec succès ! Mais comme le temps passait, les risques de perdre quelqu'un grandissaient, et tout le monde saurait alors que rien ne saurait retenir la guerre.

La situation était donc l'un dans l'autre dramatique, quelques jours après la dernière réunion du Conseil, à laquelle Treville avait été convié. La faim était redevenu le spectre qui suivait chaque Odysséen, depuis que les ravitaillements avaient été coupés avec le second niveau. Quoi de plus normal, vu le contexte. Les marins savaient logique de ne pas nourrir ceux qui s'apprêtaient à devenir vos ennemis. Treville fut le premier à constater ce raisonnement dans les rangs.
Si le Conseil ne nourrissait plus les défenseurs du premier niveau, alors cela signifiait que cette vilaine garce de Morgane avait eu gain de cause : elle venait pour se charger d'eux.
Voilà pourquoi, lorsqu'on l'y invita, il ne refusa pas de monter jusqu'au palais du dernier niveau. Et ce, malgré les suppliques de ses subordonnés. Mais Brookes avait comprit, et lui offrit une belle poignée de main en guise de potentiels adieux.
Une haie d'honneur allait l'attendre dehors, alors qu'il remontait vers la porte ouest, ce qui fit sourire Treville. Il avait l'impression d'assister à ses propres obsèques, avec leurs lots de regards compatissants, venant des prêtresses, de jeunes marins en larmes, et d'hommes -l'un dans l'autre- honorés d'avoir servit avec lui.

~o~



C'est aux abords de cette curieuse ville que Théoden décida enfin d'arrêter Bill. Tirant sur les rênes de son destrier, le Commodore observa avec une attention redoublée la bourgade démoniaque qui s'étalait dans la plaine devant lui.
Alors comme ça, Dani Rinma vivait ici. Il sourit. La souillonne serait bientôt soumise à la justice d'Ariel, et l'horreur de son oeuvre disparaîtrait à jamais de la surface de Ryscior.
Alors que Théoden emmenait au pas Bill à l'écart de la route, Henast se rapprocha de son oreille, et lui souffla qu'ils étaient arrivés à la ville d'Anat-Fayne.
Elle lui expliqua en outre que cette cité-ci, contraîrement à Anat-Krynaë n'était pas connu pour ses guerriers, ni pour la violence de son culte aux démons. Mais plutôt à sa dédication aux sens. Théoden y comprit une forme de perversion, mais sa demi-soeur le corrigea sans tarder. A Anat-Fayne, les sens des adorateurs des démons étaient bien souvent amplifiés, décuplés. Alors cette cité s'était faite le domaine de ceux qui ne cherchaient ni la domination, ni la destruction par le pouvoir des démons. Mais une sorte de paradis idéal, pour tous ceux qui avaient l'amour de la découverte.
En un coup d'oeil, Théoden comprit ce qu'Henast voulait lui expliquer.
Il se trouvait devant ses yeux une cité à l'architecture parfaitement atypique, toute en démesure et exagérations. Les bâtiments étaient souvent hauts, dotés de toits pointus à l'extrême, ou plats comme des têtes de girolles. Jamais Théoden ne vit pareilles façades. Percées de mille et unes fenêtres alambiquées, il pendait parfois des toits d'étranges lières organiques, aux fleurs noires, et aux branches distordues, que des coeurs épars semblaient parfois faire battre.
Ces fleurs dégageaient de bien curieuses odeurs. Que Théoden ne trouva pas nécessairement désagréable, sans trouver particulièrement envoûtantes.
Il avait après tout expérimenté la vrai beauté, jusque dans le parfum, lorsque Filyon lui apparût.
Sans doute, ce jour là, elle lui rendit le plus grand des services !

Henast fut bientôt forcée de descendre de cheval, comme Théoden avait l'intention de préparer son entrée en ville... dignement. Après avoir libéré Bill des lourdes fontes qu'il portait, le Commodore déposa ses effets sur le sol, et se mit à bricoler. Avec toute la concentration du monde.
Henast, qui se trouvait tout à côté l'observa un moment, avant de reconnaître la poudre noirâtre qu'il disposait ici et là dans des sacs de toile, avec des doses de balles en fonte et une longue mèche.

"-Tu te prépares à affronter une armée ?" lui lança-t-elle, curieuse.

Théoden, qui ne releva pas la tête, trop concentré sur ses mélanges, se justifia de son mieux. Il ne pouvait pas affronter une cité pareille sans un plan. Ni un minimum d'atouts de son côté !

"-Tu sais..." elle s'approcha un peu "Ton plan aurait probablement plus de chances de succès si je te disais à quoi ressemble cette ville, non ?

-Si tu as des informations à me donner, eh bien je t'en prie !

-C'est ici que j'ai grandi, donc je pourrais t'en parler pendant des heures si tu me laisses faire. Que veux-tu savoir ?"

Théoden eut l'air satisfait. Elle connaissait bien l'endroit, ce qui était normal si elle avait grandit à Anat-Fayne. Son plan, le Commodore l'avait conçu fort simple :
Faire sauter les stocks d'alcool de la ville. Créer le plus de chaos possible, et filer à la forteresse pour attraper sa proie. Il suggéra donc à Henast de lui indiquer les tavernes, sans lui expliquer pour autant ce qu'il en ferait. Et surtout, l'endroit où il pourrait trouver Dani Rinma.
Mais Henast semblait gênée par un détail. Elle sentit donc le besoin de revenir sur un point important, concernant le monolythe au coeur de la cité.

"-Tu te souviens du monolythe, à Anat-Krynae ? Eh bien à travers lui, les démons font passer leurs pouvoir, pour nourrir ceux qui habitent autours de violence, et d'un goût prononcé pour le massacre. Eh bien ici, les démons offrent à leurs adorateurs le pouvoir d'accroître leurs sens, de ressentir des choses que personne d'autre ne pourrait expérimenter. Alors au coeur de la ville, derrière les murailles du fort, tu ne trouveras pas de guerriers, mais ceux qui ont le plus su transcender leurs sens, et entrer en communion avec l'enseignement des démons.

-Je vois. Et ta mère se trouve au delà de l'enceinte intérieure, j'imagine ?

-Non. Elle ne comprend pas assez la nature des démons pour ça."

Voilà qui était largement arrangeant. Théoden sourit.

-Saurais-tu me guider jusqu'à elle, alors ?

Henast se contenta d'hocher la tête, laissant Théoden à la fin de ses préparations.
Mais tout en finissant de concevoir ce qui serait de terribles bombes à fragmentations, le Commodore s'adressa à sa demi soeur d'un air grave.

"-La vraie question étant de savoir."

Et il releva la tête pour la voir lui répondre, espérant de la sincérité.

"-Que feras-tu, le moment venu ?"

Quand il irait s'en prendre à sa propre mère. Pour la livrer à Ariel.

"-J'improviserai."

Théoden soupira. De la sincérité, il en avait eu. Mais pas dans le sens qu'il espérait. Alors il se ferma d'avantage, se levant enfin ; ses épaules lourdes de ses nouvelles bombes.

"-Dans ce cas" prévint-il "n'oublies pas que j'ai toujours une lame pour toi, si tu devais mal choisir ton allégeance."

Henast le laissa la rejoindre, faisant mine de comprendre ce que son demi frère lui disait.

"-Oui. Je comprends ta colère pour ma mère, mais" plaida-t-elle "la plupart des gens d'ici sont d'innocents pauvres hères qui sont prisonniés de leur recherche de plaisir. Ne leur fais pas de mal, ils ne quittent pratiquement jamais leur ville et ne font de mal à personne."

Théoden dû bien admettre qu'un excès de cruauté, même envers des adorateurs des démons serait aussi inutile que rabaissant. Alors il lui promit de ne s'en prendre à personne d'autre que Dani Rinma, à moins qu'on ne l'attaque. Et la jeune femme en face de lui fut convaincue, ce qui lui permit de se mettre en route, avec son nouveau guide...


~o~


Treville et Guenièvre n'avaient pas été un seul instant ménagés par une Akel furibonde. Au sortir de la salle des trésors, ils étaient si gênés qu'aucun des deux ne su où se mettre l'espace d'un instant.
Dans une coursive, haute de plafond, taillée dans la montagne, ils finirent par s'éloigner de la porte qui se refermaient dans leurs dos. Jusqu'à ce que le Capitaine se retienne, et arrête la Soeur, d'une main ferme.

"-Je n'irais pas par quatre chemins, madame." commença-t-il de façon abrupte, puisqu'il n'oubliait pas non plus quel sort attendait sûrement les siens, au premier niveau. "Je n'ai envie de voir ni vous, ni vos soeurs. Mais je sais que vous détenez deux de nos amis. Alors si vous voulez autant que moi éviter la guerre provoquée par mon commodore et Morgane, je vous supplie de nous les rendre. Les miens ont besoin d'un exemple de bonté pour mettre de côté les armes.

-Vous sous-estimez les besoins de mon peuple." répondit la jeune femme, qui ne perdait visiblement pas le nord. "Ils veulent l'assurance que vous n'attaquerez pas. Un seul des deux otages.

-Vous avez toujours la main mise sur nos vivres je vous rappelle. Et soyez heureuse que ça n'ai pas de nouveau déclenché d'incidents comme la dernière fois. Les deux prisonniers."

Ce que disait Treville était certes un avoeux de faiblesse, mais ça avait surtout pour vocationd d'attirer le regard de Guenièvre sur la vérité de la situation. Même maintenant, Avalon avait toujours l'avantage sur l'Odyssée. Et si ils voulaient éviter que des troupes affamées finissent par s'en prendre aux gens enfermés hors de la ville, dans un recours regrettable au cannibalisme... eh bien elle ferait bien de revoir ses positions.

"-Il n'est pas question de négociation sur ce point. Vous avez entendu Akel, nous perdons trop de temps en discutaille. Dites-moi lequel des deux vous souhaitez, et nous passerons à autre chose."

Seulement, Treville n'avait pas été choquée autant qu'elle par la remontrance d'Akel. Il n'avait pas été touché comme elle. Alors invoquer Akel à ce moment des négociations fut sans grand effet. Mais si elle préférait rester sur ce statu quo, Treville était certain qu'Avalon finirait par le regretter autant que ses hommes. Une consolation pour les faibles d'esprits, mais c'était le mieux qu'ils puissent faire.

"-Les deux otages et...gardez moi à leur place." avança-t-il cependant. "Ecoutez, Brookes est la militaire entre nous deux. Moi je ne m'occupe que du moral des hommes. Tenez moi et vous aurez votre garantie que personne ne risquera d'attaquer.

"-Personne pour maitriser le moral des hommes ? Etes-vous sûr que ce soit une bonne idée ?

-Cassandra et le Doc, notre seul chirurgien, ont toute l'estime des hommes. Ils sauront remplir mon rôle si il y avait besoin."

Ce n'était guère le moment de raconter des histoires. Mais il était persuadé que sa conviction finirait par convaincre Guenièvre, qui finit effectivement par abdiquer, annonçant aller en discuter avec Soeur Viviane.
Treville croisa les bras, en l'attendant. Il l'avait prévenue, avant qu'elle ne parte. L'échange se ferait maintenant, ou ne se ferait pas.

C'est Soeur Viviane qui revint, après quelques instants. Mais après avoir concédé à Treville qu'il était "généreux en affaires", elle déclina son offre. Ce qui excéda un Capitaine déjà à bout de nerfs.

"-Et si votre Soeur Naëlle l'accompagnait ? C'est ma dernière offre. Après il sera trop tard pour éviter l'inévitable." proposa-t-il néanmoins.

"-Alors que vos hommes ont tiré sur les guerrières qui se trouvaient sur le deuxième mur, vous me proposez d'en envoyer une vivre au milieu d'eux. Vous comprendrez, je l'espère, mes scrupules."

Il comprenait, évidemment. Ce qu'il lui fit comprendre, avant de remettre son tricorne, en signe de fin de négociations.

"-Nous nous reverrons sur le peloton d'exécution." lâcha-t-il en partant, à bout de nerfs.

-Si j'ai bien compris les explications de Soeur Guenièvre, il est plus probable qu'à réfléchir comme ça, nous nous revoyons en enfer. Donnez-moi une seule raison pour laquelle je pourrais faire confiance à vos hommes quant au fait de ne pas tuer Naëlle, et j'accepterai votre marché. Mais pour l'instant, j'ai surtout l'impression de l'envoyer à la boucherie."

Treville sourit à demi, avant de se retourner, presque au niveau de la porte.

"-Il va vous falloir me croire sur parole. Comme je vous crois sur parole que vous n'allez pas nous laisser mourir de faim.

-Ce que je ferais si Soeur Naëlle ne vient pas elle-même chercher les vivres tous les matins. Avons-nous un accord ?

-C'est un accord qui me va."

-J'espère que Morgane saura s'y tenir.

-Elle le saura, si je lui en donne l'ordre. Pouvez-vous en dire autant de vos hommes ?"

Treville se défait alors de son sabre, ainsi que de sa médaille dorée. Celle la même qui ornait jusque là sa poitrine d'un éclat doux.

"-Donnez mes armes au Capitaine Brookes, elle comprendra."

La Soeur, qui s'empare elle même de la lourde épée hoche la tête, tandis que des gardes passent aux poignets de Treville des menottes de fer noirci.

"-Parfait. Il faudra aussi que nous parlions de ce qu'a dit Akel, au sujet du fait que nous étions condamnés si nous ne...

-Je ne vois pas l'intérêt d'une telle discussion." la coupe le pourtant courtois Treville "Où serais je détenu ?"

Viviane, qui reprend avec calme retient les gardes qui allaient emmener Treville.

"-Je vois l'intérêt d'une telle discussion, parce qu'actuellement, nous n'avons aucun moyen de calmer l'atmosphère. Et vous devriez le voir d'autant plus que si les démons arrivent et devaient submerger le premier mur, le plus long et donc difficile à défendre, ce seront vos hommes qui mourront.

-Depuis quand est ce que cela vous preoccupe ?" intervient Treville, devant la paisible Viviane.

Il croise les bras.

"-J'ai apporté les solutions que je pouvais. Et comme vous l'avez souligné j'ai été plus que généreux.

-Cela me préoccupe depuis que nous avons tous été traités d'imbéciles par Akel. Cette réponse vous convient-elle ?"

Treville pouffe, un rictus jaune fendant son visage buriné par les âges.

"-Non." lâche-t-il "Mais je ferais avec."

Il tend alors ses mains à Viviane, liées par des fers.

"-Allons nous rester ici à bavarder plus longtemps ou allez vous enfin faire votre part du marché ? Vous verrez la suite avec le Capitaine Brookes.

-Ma foi, soit. Mais nous terminerons cette conversation."

Treville la salue alors d'un signe de tête, tandis que des guerrières l'emportent vers les geôles, où il devrait rester en attendant d'autres conditions, ou qu'un traité ne soit conclu avec Brookes. Eve n'était malheureusement pas la plus flexible des deux... pour tout dire elle était la guerrière des deux capitaines. Elle comptait bien défendre l'Odyssée avec tout ce qu'elle avait. Même si cela devait signifier faire appel à une Cassandra toute récemment libérée, et en chemin vers le premier niveau, où elle retrouverait la sûreté.


~o~

Parcourir Anat-Fayne s'avéra être un périple aussi perturbant qu'aisé. La cité n'avait véritablement pas de réel moyen de défense, et les quelques gardes qui croisèrent la route de Théoden étaient tellement obnubilés par l'effervescence sensorielle alentours qu'ils ne remarquèrent même pas l'homme encapé qui les approchaient.
Ceux-là ne faisaient pas long feu, puisque le long manteau du Commodore ne faisait que dissimuler la fine dague qu'il serrait entre ses doigts, et qu'il enfilait par coups secs en travers de la gorge des sentinelles.
Si elle en fit, Théoden n'écouta pas les protestations d'Henast, bien trop occupé à se repérer dans le dédale de ruelles tortueuses d'Anat-Fayne. Pour une raison ou pour une autre, les atraits de cette cité étaient muets aux oreilles du Commodore. Sans doute était-ce parce qu'il rejetait les bienfaits de la servitude. Ou alors était-ce que le souvenir encore vivace de sa rencontre avec la Déesse Filÿon l'avait rendu imperméable aux plaisirs que toutes les créatures alentours semblaient éprouver.
C'en était écoeurant.

Frère et soeur arrivèrent bientôt à un hôtel particulier, situé loin de la bordure de la ville. Henast y reconnu là le foyer où vivait sa mère, là où Théoden ne trouvait là qu'une autre façade abominable.
Mais peut-être que ce dégoût général lui était procuré par la proximité de celle qui avait brisé son père ? Henast pu le trouver plus fermé que d'habitude. Une flamme dansait dans son regard. Elle ne le quitta pas, alors qu'ils grimpaient des escaliers tortueux, et qu'ils passaient dans des couloirs aux décorations macabres. Macabres, dérangeantes, mais quelque part indiscutablement plaisante à l'oeil.
Puis ils furent arrivés. Dans les étages supérieurs de l'hôtel, Henast trouva une porte et arrêta son demi-frère devant. Théoden, qui ne la regardait plus, rengaina sa dague, au profit de cette longue rapière rongée qu'il portait en travers de son dos.
Il la tira de son fourreau, alors qu'Henast lui expliquait brièvement les pouvoirs qu'avaient acquéri Dani Rinma. Théoden n'écouta pas, persuadé qu'il n'y aurait rien qui saurait l'empêcher de s'emparer d'elle.
La rapière du Capitaine James sortit péniblement de son fourreau. Elle était si usée que sa lame rapait contre le cuir de son étuit, produisant un grincement terrible, que les couloirs de l'hôtel portèrent en écho jusque dans le hall d'entrée.

Théoden trouva vite le moyen d'entrer, la porte ne résistant véritablement pas longtemps à son pas déterminé.
Dani, elle était là effectivement. Son beau-fils s'approcha d'elle, malgré son air surprit. Il affichait un air carnassier, la détaillant un instant du regard. Elle était prise au dépourvue, à peine vêtue. Mais ça ne ferait rien, il était temps de régler des comptes.

"-Qui êtes-vous ?" lui lança-t-elle, en se retournant, avant de jeter un oeil à la rapière et d'ajouter avec une voix redoublant de surprise "Et que faites-vous ici ?

-Je suis venu te traîner devant tes bourreaux, Dani Rinma. Prêtresse souillonne d'Ariel."

La traîtresse tira un couteau de la commode contre laquelle elle avait trouvé refuge, le serrant avec tant de force que les jointures de ses phalanges en blanchirent.
A la vue de tant d'affolement, Théoden eu un sourire amusé. N'avait-elle véritablement que ça pour se protéger ?

"-Ca ne répond pas à ma question. Qui êtes-vous ?

-Qu'espère-tu faire avec ça ?

Il soupèse un peu l'arme de son père.

-Si j'ai su récupérer ce sabre, c'est qu'une garce avec un couteau ne peut pas grand chose contre moi. Moi qui suis venu venger mon père, depuis l'autre bout du monde."

Dani se mit soudainement à blémir, ses yeux ronds comme des coupelles détaillant de la tête aux pieds l'homme qui se tenait face à elle.

"-Venger ton... Tu es le monstre qui l'a tué ! Toi !

-Le monstre ? C'était de la pitié !" lance Théoden en retour, pesant chacun de ses mots avec soin.

Il pointe de plus belle sa rapière vers elle, sans arrêter d'avancer.

"-Et maintenant, tu t'en vas retrouver ta déesse."

La prêtresse maudite eut alors un rire sarcastique, à vous en décrocher la peau des os.

"-De la pitié ? De la pitié d'abattre un homme sans défense ? De faire une veuve et deux orphelins ? Espèce de brute épaisse. Continental typique. Ce que tu ne comprends pas, tu le tues sous prétexte que c'est les démons. Tu crois que je m'en vais retrouver cette putain sans coeur que tu sers comme le petit lèche-botte de déesses que tu es ? Si tu me tues, je m'en vais me réincarner en un démon, voilà la vérité. Et tu en veux une autre ? Ta déesse est faible. Quand une de ses plus puissantes prêtresses se fait massacrer par un démon, elle ne peut rien faire. Parce qu'elle est moins puissante qu'eux, et donc condamnée. Ce que j'ai fait à ton père, je l'ai fait pour le sauver. Parce que je l'aimais. Tu peux comprendre ce concept ou ton esprit est trop obtus pour le saisir ? J'aimais ton père. D'un amour sincère. Il était tout pour moi, et pour le protéger, j'ai dû lui montrer le véritable visage d'Ariel, et celui des démons. Je me suis donnée à lui parce que c'était ce qu'une épouse aimante doit faire. Même quand il doutait, même quand il m'a frappée, j'ai continué à l'aimer, parce qu'il était un homme idéal pour une femme. Tu prétends avoir fait preuve de pitié, mais tu n'es qu'un monstre venu tout gâcher. Nous allions survivre dans le nouveau monde proposé par les démons. Et toi tu... Je n'ai pas les mots pour qualifier ce que tu es.

-Dis-ce que tu veux. Il n'y a qu'Ariel qui ait le pouvoir de me juger désormais."

Théoden fait alors un écart en avant, son pied avant prenant fermement appuie sur le sol. Il jette son bras en avant et frappe Dani, avec la rapidité qu'on lui connait. La seule pointe de sa rapière suffit à la priver de sa dernière défense, qui s'en va rebondir lourdement sur le sol.

"-Je ne suis de toute façon pas venu faire connaissance."

Alors il la frappe, dans son élan, plongeant brusquement son poing dans l'abdomen de la jeune femme. Dani se trouve alors pliée en deux, ses poumons se vidant de tout leur air. Mais avant qu'elle ne puisse reprendre son souffle, Théoden s'est glissé derrière elle et a passé autours de sa gorge son bras gauche, qu'il resserre inexorablement jusqu'à ce qu'elle soit privé de tout oxygène.
Et tandis qu'il l'étranglait, Théoden se souvint des souffrances de son malheureux père. Il se souvint du sang sur le plancher de sa cabine, des trous dans les murs, et du récit sanglant de sa lente extinction. De sa lente disparition, aussi douloureuse qu'inexorable. Alors qu'il y pensait, encore et encore, sa prise se resserait. Dani, qui avait depuis longtemps tourné de l'oeil risquait maintenant de se trouver la nuque brisée. Rien ne lui aurait plus fait plaisir, alors, que d'étouffer une bonne fois pour toute cette petite flamme d'orgueil et d'égoïsme.
Mais ce fut ce moment là que choisit Henast pour intervenir. Alors qu'elle passait la porte, elle assista à cette scène bien macabre. C'est avec zèle qu'elle se jeta sur Théoden pour le ramener à la raison, et l'empêcher de mener son entreprise sinistre à terme.
Le Commodore, qui sentit une main amicale sur son épaule revint dans l'instant à lui et lâcha brusquement Dani, qui tomba comme une morte sur le sol, presque bleue.


"-Tu sais..." lui souffla Henast "Elle a beaucoup de défauts, mais elle disait la vérité quand elle t'affirmait qu'elle aimait notre père."

Ses mots tombèrent dans des oreilles sourdes. Celles d'un homme qui sombrait peu à peu dans la folie de la rancoeur et dans l'amertume du deuil.

"-Aimer ne donne en aucun le droit de choisir la vie de l'autre. Ce qu'elle a fait, c'est lui voler tout ce qu'il était."

Ficeler Dani se montra bien plus aisé maintenant qu'elle était inconsciente. C'est à peine vivante que Théoden lui passa d'épais fers, et lui lia les pieds avec de la grosse corde.

"-Allons-nous en, maintenant." conclu-t-il, en la jetant par dessus son épaule, bien déterminé à ne pas laisser Henast questionner son point de vue sur la question.


~o~


Sortir d'Anat-Fayne, Henast et Théoden y parvinrent sans plus de soucis qu'à l'allée. Même avec le corps inerte de Dani Rinma, que le Commodore portait sur ses épaules.
A vrai dire, personne ne les remarqua.
Une fois auprès du brave Bill, qui avait patiemment attendu à l'écart de la cité, Théoden jeta en travers de sa croupe la malheureuse traîtresse, qui était toujours inconsciente. Son nez et ses oreilles saignaient abondamment, après qu'elle se soit presque faite rompre la nuque par son beau-fils.
Recouvrant peu à peu ses esprit, contrairement à sa belle mère, Théoden trouva la galanterie de proposer à sa soeur de monter en selle à sa place, et se proposa de guider Bill depuis la terre ferme.
C'est ainsi que le voyage reprit, dans un calme pesant puisque personne ne parlait. Henast tout à ses songes, quand à ce qui allait arriver par la suite. Théoden tout à sa revanche, élaborant pas à pas dans sa tête ce qu'il allait faire subir à cette garce de Dani, avant de la livrer à Ariel.
Son plan commençait tout juste à mûrir dans sa tête lorsqu'un grondement sourd se fit entendre, dans les collines alentours. Henast et Théoden se consultèrent, surprit de sentir le sol trembler sous leurs pieds, et sous les sabots de Bill.
Il se trouvait alors sur le bord du sentier qu'ils suivaient un talus, haut comme une muraille et qui suintait d'une poussière sale. C'est au sommet de ce monticule de roches mortes qu'apparu la haute silhouette d'une bête hideuse, à la gueule béante et aux membres forts. Cette créature, Théoden l'identifia comme une sorte de singe géant, difforme et emplit de rage. Mais pour une fois, il fut prit de vitesse. Le monstre bondit des hauteurs, et tomba sur le sentier, juste devant le nez de Bill qui se cabra, sous le coup de la frayeur. Dani tomba alors dans la poussière. Normale, elle était inconsciente et ne pouvait pas se tenir. Mais Henast aussi, malgré toute son adresse, se trouva prise au dépourvu et chuta lourdement sur le sol.
Le problème, c'était que Théoden ne pouvait plus tenir Bill, qui cherchait alors à fuir ce monstre à la gueule béante qui semblait vouloir s'en servir de dîner.
Il recula, d'un pas, de deux... mais son sabot se heurta à la tempe d'Henast, qui ne s'y attendait visiblement pas. La tempe ouverte, la pauvre femme gisait à son tour à côté de sa mère. Et Théoden se trouvait face à un choix difficile.
Il devait fuir, plutôt que d'affronter seul cette bête. Mais Bill ne pourrait porter trois corps. Restait donc le choix. Celui de préférer sa vengeance à sa demi soeur, à qui il devait la vie. Ou celui de préférer quelqu'un qu'il pourrait sauver des démons, à quelqu'un qui avait sacrifié son père sur leur autel.
Mais le temps, Théoden ne l'avait pas. Réfléchir, ce n'était pas un luxe qu'il avait. Regretter, il aurait dans tous les cas tout le temps de le faire.
Alors il se saisit d'Henast et la jeta sur la croupe de Bill. Bill qui, contre toute attente se débattait peu, et se contentait de hénir, et de marteler le sol de ses sabots.

En selle, Théoden n'avait pas d'autre choix que la fuite. La fuite en avant, qui forcerait le singe à le suivre, au dépend de Dani qu'il devrait chasser à nouveau.
Fort heureusement, c'est ce que fit la créature. Comme le Capitaine talonnait sa monture, pour qu'elle parte au galop, le singe leva son immense main, menaçant de l'abattre sur les corps frêles de ses proies. Ce fut en vain. Lorsque son coup tomba, Bill était déjà partit avec fougue, et Théoden n'eut qu'à se baisser pour éviter les griffes crochues qui allaient le transpercer.

"-Viens me prendre, saloperie !" lança-t-il, lui qui se dressait sur ses étriers pour alléger Bill le plus possible de son poids.

Sa logique fut bonne. L'étalon prenait de la vitesse, alors même que le singe dédaignait le seul corps de Dani, pour la prise juteuse que constituaient les chairs d'Henast, de Théoden et de leur brave bête de course.
S'entama alors une course poursuite exaltante, un véritable rodéo entre les monts et les vaux pour échapper à la créature. D'un oeil, Théoden cherchait à atteindre l'horizon, où il distinguait une haute montagne, où il espérait trouver refuge. De l'autre, il surveillait le singe.
Par deux fois, le Capitaine tenta de le blesser, avec les mousquets que Bill transportait dans des étuis sanglés à la selle. Par deux fois le singe encaissa, avec un rugissement toujours plus puissant.

"-Je crois qu'on l'a bien énervé, Bill !" s'exclama Théoden, avec un rire idiot.

Pourquoi seulement riait-il ? Etait-ce donc le souvenir de cette course poursuite avec des trolls qui l'égayait ? Que dirait Gaunt, si il le voyait se mettre dans un tel pétrin ?
Théoden sourit en y repensant. Ces souvenirs heureux, il s'y rattachait plus que jamais pour survivre à Albion, qui s'appliquait chaque jour un peu plus à digérer la moindre parcelle d'humanité qui lui restait.
Alors il talonna de plus belle le valeureux Bill, qui s'élança l'écume à la gueule.

"-Viens Bill, montrons à cette chose de quoi on est fait sur le Continent !"

Ce n'est qu'en se retournant que Théoden réalisa à quel point il s'était laissé distraire. Ces souvenirs l'avaient tant détaché de sa détresse qu'il avait permit au singe de se glisser hors de son champ de vision. Mais dans ce dédale de rochers et de vallées, c'était un risque inconcevable.
Peut-être qu'alors, Virel veillait sur lui. Parce qu'un hurlement bestial, qu'il perçu du coin de l'oeil lui fit tourner la tête. En haut d'une butte, qui longeait sa piste, Théoden vit une ombre. Une ombre qui le menaçait de ses yeux de braise, et qui plongea droit sur lui. Le soleil de Lothÿe fut masqué par la largeur du prédateur, et par son imposante musculature.
Le Capitaine ne pu que trouver sa rapière pour lui résister. D'un seul geste, il la tira de son fourreau, et frappa de taille le monstre qui allait rater de peu ses proies. La lame décrivit un grand cercle, et trancha profond dans l'abdomen de la créature, qui en hurla de douleur. Théoden avait frappé bien, et juste. Si bien que le singe mordit directement la poussière, avant d'être emportée par son poids et son élan dans une ravine proche.
Dans sa chute, le singe laissa une large trace de sang caillé sur le sol, et son cris retentit jusque dans les entrailles d'Albion, où il se brisa, et fut broyé par des apics de roche.
L'effet de ce coup, même Théoden en fut surprit. Les yeux ronds, il arrêta Bill d'un coup sec. La poussière n'eut pas même le temps de se dissiper, avant que l'euphorie ne prenne le Capitaine, qui venait à n'en pas douter d'abattre une de ses plus grosses créature.
Bill se cambra, ressentant sans doute du soulagement, et Théoden leva haut sa rapière vers le soleil dans un cris de joie emplit de fierté.

"-On l'a fait Bill, on l'a fait ! Bien joué mon vieux !"

Théoden mit là pied à terre, pour soulager son ami à quatre pattes, et s'en alla vérifier la mort du monstre. Ses bottes blanchies par la poussière foulèrent le sang du singe hideux. Le monstre avait laissé un souvenir à Théoden, fiché dans les graviers. De sa mâchoire, une dent s'était délogée, grosse comme le crochet d'une hallebarde. Pas de doute, ce singe là n'eut rien d'autre à mordre ce jour là que de la poussière.

"-Pas top comme dernier repas, hein Bill ?"

Et comme si le cheval le comprenait, il hénit.
Alors Théoden se pencha au dessus du gouffre, apercevant au fond les restes brisés du corps de son adversaire, sur un tapis de sang.
Ils étaient sauvés. Et le Commodore, rompu par la fatigue se décida à dresser son camp derrière un aplomb rocheux voisin, où du bois sec traînait en abondance, parmi les gravas sabloneux.

~o~

Cette nuit là, une belle lune brillait dans le ciel. Haute, bien haute. Trop haute pour être atteinte par les maléfices d'Albion. Cette pensée seule était d'un grand réconfort pour tous les Odysséens qui s'étaient perdu en ces lieux maudits.
Théoden le premier trouvait rassurant d'imaginer le domaine des dieux, immaculé au dessus de cette fange démoniaque qui rongeait son monde.
Il était difficile pour un Homme de se figurer à quoi ressemblait le plan des Dieux. Etait-ce une sorte de cité, bien haut dans les nuages ? Une forteresse, dans les étoiles ? Ou au contraire, un temple sous terrain, baignant dans le silence et la quiétude ? Ce que le Capitaine se figurait bien, en revanche, c'était la déception d'Ariel, devant la perte de Dani Rinma lors de cette dernière échauffourée.
Quelle serait sa colère, lorsqu'il réapparaîtrait devant elle les mains vides.
Cette pensée contrariait énormément Théoden, alors qu'il ramassait quelques boisseaux de branche pour alimenter le feu de son camp de fortune. Il espérait au moins avoir fait le bon choix.
De retour au campement, il trouva une Henast qui dormait sur sa couche, un bandage de fortune autours du crâne.
Sur le feu, Théoden a mit à griller quelques morceaux de viande salée, dans l'espoir de s'éviter de mourir de faim avant le retour à Avalon. Bill, pour sa part se contente d'herbe morte, et des quelques friandises que le Commodore peut lui donner.
Henast se mit soudainement à remuer, alors que Théoden réapprovisionnait le feu en bois bien sec.

"-Ouch..." grommela-t-elle, en se prenant la tête "Que s'est-il passé ?"

Théoden, qui ne l'examina que le temps d'un coup d'oeil retourna vite à son occupation.

"-On a été attaqués." répondit-il malgré tout, avec un ton distant et froid. "Tu as fait une vilaine chute.

-Par quoi ?

-Un de ces monstres géant, du val de tout à l'heure."

Les réponses fusent, tandis qu'Henast se redresse pour retrouver ses esprits.

"-Il nous a suivis jusqu'ici ?

-Il ne suivra plus grand chose, maintenant." lui répondit Théoden, en lui lançant la dent que le monstre a perdu dans sa chute, alors qu'elle dégouline toujours d'un sang putride.

Henast commença à l'examiner, avant que ses yeux clairs ne se mettent à parcourir le petit renfoncement où ils ont trouvé refuge. Elle constate alors la disparition de Dani. C'est pourtant sans s'en affoler qu'elle s'enquiert de son devenir.

"-On dirait que ma mère a connu un destin tragique durant l'attaque.

-Pas si tragique que ça. Il n'y avait de la place sur mon cheval que pour deux personnes, pas trois.

-Je suis certaine que nous la retrouverons sur notre chemin." fait Henast après un léger silence, comme si elle cherchait à apaiser les regrets de son demi-frère "Maintenant qu'elle sait qui tu es, elle va vouloir te tuer."

Amer, Théoden se relève.

"-Très bien, ça m'évitera au moins l'ennui de la chasse."

Il se saisit alors de son arme, et s'en va retrouver Bill, pour flatter un peu sa crinière. Visiblement, il appréhendait durement le regard de sa déesse sur ses actions, persuadé qu'elles lui coûteraient cher.
Ariel, de fait, n'est pas connue pour sa compassion, ni pour sa patience face à l'échec.

"-On fera encore mieux demain, Bill..." murmure Théoden à l'oreille de son compagnon. "Je te promets qu'on rentrera, couverts de lauriers, et que jamais plus tu n'auras à te soucier des démons." Un beau rêve, si seulement...
Jeu 17 Aoû 2017 - 22:58
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Dargor
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Le Maitre de l'Intrigue
Dargor
La visite à sa mère s’était fort bien passée, à son goût. Henast s’attendait honnêtement à être orpheline à l’issue de cette confrontation. Si elle fut effectivement proche d’atteindre ce statut, il n’en fut rien, car après que Théoden ait à moitié brisé la nuque de sa mère, elle avait réussi à la convaincre de la relâcher. Il l’avait alors ligotée, le duo était parti avec cette prisonnière, elle était montée en croupe de Bill et là une ombre était passée. Avant qu’elle ne réalise ce dont il s’agissait, Bill avait fait une ruade, l’avait désarçonnée, et au moment de se relever, elle avait ressenti un violent choc contre sa tempe et avait juste vu un voile noir tomber devant ses yeux.
Elle s’était relevée la tête bandée, avec Théoden qui faisait cuire de la viande à côté d’elle. Apparemment, un grand singe les avait attaqués. Elle l’écouta en silence faire le récit du combat. Il ignorait hélas ce qu’était devenu sa mère. Elle ne lui en dit rien, mais si la bête était bien ce qu’elle pensait, alors il y avait de fortes chances pour que sa mère soit en morceaux au fond de son estomac désormais mort. Et elle était d’ailleurs très respectueuse du fait qu’il avait triomphé de la bête seul. Mais elle n’en dit rien, car elle devinait bien qu’il n’était pas d’humeur à parler de cela.
Puis ils s’étaient remis en route.

La région était désormais de plus en plus marquée par l’emprunte des démons. Le ciel, chaque arbre, chaque brin d’herbe présentait des excroissances qui n’étaient plus horribles au regard (encore que, d’aussi loin qu’elle soit concernée, ces excroissances n’étaient pas horribles pour deux sous), mais qui était juste mauvaises. Quelque chose de purement mauvais était à l’œuvre ici. Et elle sentait que Théoden le sentait. Pour sa part, elle savait surtout que l’on approchait de la vérité. Lorsqu’il le verrait, alors à n’en pas douter, il comprendrait. Et là, côte à côte, frère et sœur parviendraient à être des véritables champions pour les démons. Elle n’en doutait pas. Mais pour l’heure, il y avait un bras de mer à franchir, qui se dressa soudain devant eux, au terme d’une lande de rochers dévastés, bloquant la vue, et donc empêchant de savoir que l’on approchait de cette étendue d’eau.
Mais était-ce vraiment de l’eau ? En fait de mer, elle était plus poisseuse que liquide, et de gros bouillons éclataient à sa surface, alors même qu’elle semblait fraiche. Au loin, on pouvait apercevoir une terre qui contenait deux collines. Henast savait ce qu’il en était, et prit alors la parole.

« De l’autre côté de ce bras de mer, dit-elle à Théoden, se trouvent deux cités, puis les terres qui appartiennent totalement aux démons.
-Combien de temps cela nous prendrait pour faire le tour ? demanda Théoden, qui cherchait du regard un moyen de contourner l’eau. »

Mais Henast savait qu’il n’y en avait pas. Tout comme elle savait que Bill, le cheval, devrait les accompagner plutôt que d’être laissé ici. Mais elle n’avait pas peur.

« Je crois bien qu’il tranche le continent en deux, dit-elle. Mais un passeur devrait venir nous chercher.
-Ma reine quitté ces eaux depuis longtemps, dit Théoden, méfiant. Il est presque impossible de la sentir murmurer dans les galets…
-Ce n’est pas son domaine, dit Henast, sur un ton calme. »

En fait, c’était tout à fait son domaine ! Elle en était certaine. Mais simplement, c’était un domaine qu’elle ne maitrisait plus. Qui ne lui appartenait plus. A l’avenir, pensait-elle, ce serait son domaine entier. Et que deviendrait la déesse à ce moment ? Le cours de ses pensées fut interrompu par un soupir de Théoden, qui souhaitait savoir ce qu’ils attendaient. Elle lui désigna l’horizon. Un bac était en train d’apparaitre. Il était conduit par un homme encapuchonné, dans un manteau qui lui recouvrait absolument tout le corps, sauf le visage. Ce manteau n’avait pas de couleur propre, ou plutôt les avaient toutes à la fois, et changeait en permanence.
Dès qu’il accosta, Théoden examina son petit bac, ou si le passager portait une arme. Il avait d’ailleurs sorti la sienne. Mais Henast chercha à le rassurer en s’asseyant dans le bac elle-même. Elle lui expliqua qu’il n’était pas agressif, car c’était juste le passeur.

« Ne me demande pas de ne pas m’en faire, dit Théoden en amenant Bill avec lui dans le bac. Tu me traînes dans le spires endroits de ce monde pourrit, sachant pertinemment que je suis l’ennemi de tes maîtres et sans me donner de raison valable de te faire confiance.
-Ne t’ai-je pas mené à ma mère ? demanda-t-elle tandis que le passeur, à coup de rame, commençait la traversée. Sans rien faire pour l’aider ? Allons, tu sais que je ne te veux aucun mal.
-Tu ne m’as pas mené à ta mère, pesta Théoden. Tu m’as mené à la ville où elle vit, tout comme tu me mènes dans cette prochaine cité au-delà de ces eaux. Je suis bien fou de faire ça, mais tu me montres des choses intéressantes. Il est bon de connaître les deux faces d’une pièce, quand on parie dessus, n’est-il pas ? »

Et ils repartirent dans un de leurs sujets de conversation les plus fréquents, à savoir la théologie. Par principe, elle lui fit remarquer que peut-être qu’un jour, il lui montrerait ses dieux, mais il n’en était pas convaincu. Apparemment, les dieux n’étaient pas connus pour dialoguer avec les serviteurs des démons. Elle s’en étonna. A travers elle, les démons parlaient à Théoden. Pourquoi les dieux, s’ils étaient si puissants, ne pouvaient pas faire la même chose ? Théoden répondit en sortant une boussole. L’aiguille de cette dernière tournait en tous sens sans discontinuer.

« Leur magie n’a plus de portée, ici. Ce compas a été enchanté il y a longtemps par un mage, désireux de créer le parfait outil de navigation. Et de servir Ariel. Le fait qu'il ne fonctionne plus ici indique bien que mes dieux sont loin de ces terres. Je devine que toutes ces failles démoniaques ont fini par entraîner tout ce continent, petit à petit vers une sorte de... plan d'existence intermédiaire. C'est la seule explication que j'ai. Enfin bref. Ils ne craignent rien, mais c'est ainsi. Je suis les yeux et les oreilles d'Ariel ici-bas. Mais jamais je ne pourrais être sa langue ou son bras. »

Elle comprenait. Les dieux ne souhaitaient donc pas s’aventurer dans les terres des démons. Peut-être craignaient-ils de devoir les affronter ? Elle n’eut pas le temps de poursuivre cette réflexion, car il reprit la conversation en lui demandant pourquoi ses maîtres à elle ne venaient pas lui parler en personne.

« Eh bien, dit-elle, il faut croire que les tiens ont encore assez de pouvoirs pour les empêcher de venir nous rejoindre en personne.
-Sans doute est-ce mieux pour moi, dit-il dans un petit rire. Après tout, si le domaine de tes maîtres devait se répandre ici, je ne donnerais pas cher de la peau des miens. Surtout vu la férocité dont font preuve les démons qui gardent les cœurs des failles.
-Allons, dit-elle. Les tiens font tout pour empêcher les miens d’avancer, et jusqu’à maintenant, ils rencontrent un certain succès.
-Espérons que ce statu quo demeure encore un moment, dit-il. Je n’ai toujours pas envie de voir des démons débarquer dans le Vieux Monde. Et encore moins d’aller coloniser celui de tes maîtres.
-C’est pourtant là ce qu’ils veulent, dit-elle. Les tiens n’auraient pas besoin de défendre leur domaine si les miens ne venaient pas l’envahir, n’est-ce pas ? Tu avais l’air d’accord avec cela la première fois que nous nous sommes rencontrés.
-Et je le suis toujours, dit-il. »

Le reste du voyage se déroula en silence, jusqu’à ce qu’ils arrivent sur le rivage d’en face. Là, le Passeur leur tendit sa main enveloppée de tissu. Henast sortit son couteau, habituée, et se trancha la peau, versant quelques gouttes de sang dans la main du passeur, puis tendit son couteau à Théoden, qui l’imita. Quand il s’enquit de la nature de ce prix, elle lui expliqua qu’en fait, il était désormais lié au Passeur. Qu’il se rassure, ce n’était pas un démon, mais un mortel muté. Mais désormais, à chaque fois qu’il demanderait ses services, il pourrait faire appel à lui, et où qu’il soit, le Passeur viendrait l’aider. Il demanderait juste à chaque fois un peu d’énergie vitale comme prix pour son service.

« Autant m’en passer, donc, dit Théoden. Je n’ai pas envie de souffrir de fatigue chronique.
-Tu ne sais jamais quand tu peux avoir besoin de lui, dit Henast. C’est toujours bon de l’avoir.
-Nous verrons cela, répondit-il, sortant son carnet de voyage, et prenant des notes. Nous sommes encore loin de ta prochaine cité ? »

Henast lui montra du doigt les deux cités qui les contemplaient, sur leurs collines respectives. Deux cités avec un obélisque… Il demanda s’il devait s’attendre à se battre, mais elle savait que ces cités valaient mieux que ça… Et elle allait le lui montrer. Théoden hocha la tête, mais ce faisant, il jeta un regard qui n’échappa pas à Henast.
Il regardait vers Avalon…

---

Elle avait les mains qui baignaient dans le sang. Le sang des personnes qu’elle avait sacrifiées. Elle leur avait ouvert la gorge, à toute cette dizaine. Mais ça n’était pas un pur sacrifice. Ce massacre avait un but.
Dani Rinma se considérait comme heureuse d’être en vie. Quand elle s’était éveillée, en pleine campagne, tout son corps lui faisant mal, surtout la partie du cou, elle n’y avait pas cru. Au moment où son beau-fils l’étranglait, et qu’elle se sentait partir, elle était persuadée qu’elle ne se réveillerait jamais. Mais elle le fit. Elle ignorait pourquoi l’avait-il laissée en vie, mais une chose était certaine, c’était qu’elle ne pouvait pas ignorer qu’il y aurait un prochain affrontement. Et il ne la laisserait pas en vie deux fois. Alors elle devait s’assurer qu’il meure. Et pour ce fait, elle ferait appel à ce lui qu’il avait prétendu venger.
Comme s’il le connaissait aussi bien qu’elle le connaissait ! Il était vrai que ça n’avait pas toujours été facile dans leur histoire, mais elle aimait Nathan bien plus que ce sale gosse ne l’aimerait jamais. Et elle allait le lui prouver en le ramenant à la vie. C’est donc ainsi, les mains rouges de sang, qu’elle parla avec une succube qu’elle était parvenue à invoquer. Elle lui proposa de lui rendre l’âme de son amour afin qu’il tue son propre fils. Un plan qui plut à la créature, qui disparut avec un rire.
A cet instant, la dernière femme que Dani avait égorgée se mit à tousser. Aussitôt, Dani s’empara d’elle et l’assit sur l’autel où elle était allongée. La femme porta la main à son cou où sa plaie béante achevait de cicatriser, puis avec une voix qui n’était pas la sienne, mais celle de Nathan, regarda Dani, et lui demanda ce qu’elle lui voulait.

« Nathan, mon amour, demanda-t-elle, inquiète. Est-ce bien toi ?
-Da… Dani ? demanda Nathan, prenant sa tête dans une main. Je suis mort je crois. L’es-tu aussi ? Ça ne ressemble pas aux enfers.
-Tu y étais allé, confirma Dani, mais je t’en ai ramené. »

Nathan, à ce moment, se leva totalement, et se dirigea vers la sortie, en quête d’air. Dani l’y suivit, le laissant avec bonheur prendre appui sur son bras. Durant sa marche, il sembla que Nathan constatait qu’il s’était réincarné dans un corps qui n’était même pas de son sexe. Cela l’amusa. L’humour des démons… Dani fut heureuse qu’il le prenne ainsi, confessant que si elle avait su qu’il se réincarnerait dans la dernière personne sacrifiée, elle aurait choisi un homme. Mais il ne sembla pas lui en vouloir.

« Une seconde chance avec toi, je ne pouvais pas demander mieux, ma belle Dani, dit-il.
-Toujours plus belle, dit-elle en souriant, grâce à nos maitres. J’ai pourtant bien failli te rejoindre…
-Comment cela ? demanda Nathan en fronçant les sourcils. »

Dani dût expliquer à son amour que c’était son fils, le petit James, qui lui avait fait cela. Il l’avait tué lui après tout. Il avait failli faire de même avec elle. Il effleura alors les ecchymoses qui couvraient certaines parties de son corps, dont son cou, demandant si c’était lui qui avait fait cela. Elle confirma. Elle lui parla, doucement, l’entrainant vers ses appartements, de la façon dont elle avait souffert entre les mains de James, mais aussi de celle par laquelle tout allait s’arranger, maintenant qu’il était de retour…

« Si je le revois, confirma Nathan, dans un frémissement que Dani interpréta comme étant de pure fureur, il n’a pas intérêt à lever de nouveau la main sur toi. Je le tuerai.
-Je n’en doute pas un seul instant, mon amour, dit-elle, heureuse d’apprendre qu’il n’avait pas la moindre affection pour ce maudit fils.
-Mon sabre ? demanda Nathan, à cet instant. »

Dani comprit qu’il ressentait le besoin de l’avoir pour se sentir prêt à aller combattre son fils. Mais elle dû lui avouer que ce fils l’avait sur lui. Il était probablement à Avalon à l’heure qu’il était. Le prochain siège arrivant, elle lui affirma qu’elle planifiait de se mêler, avec lui, aux combattants pour aller frapper ce maudit gamin.

« Toi aussi ? s’écria-t-il. Non, je ne veux pas te mettre en danger !
-Avec toi à mes côtés, dit-elle en l’asseyant sur son lit, je suis sans danger, j’en suis sûre. Et tout le monde n’est pas aussi fine lame que James. Je sais quand même me débrouiller.
-Sans armes, dit-il, en la repoussant d’un air grave. J’ai peur de ne pas pouvoir te protéger… Sans parler des vêtements ! Je sais que tu préfères les gens dans leur habit le plus simple, mais pour un soldat, il est difficile de concevoir le combat nu comme un ver de roche !
-Des armes, dit-elle en lui passant un bras sur l’épaule, s’asseyant avec lui, nous en trouverons.
-Alors, dit-il, à tous les deux, nous apprendrons à ce fils ingrat qu’il ne faut pas se mettre entre toi et moi.
-Nous lui apprendrons, oui, dit-elle en se penchant sur lui, sans qu’il la repousse cette fois. Que plus rien ne pourra nous séparer… »

---

IL les observa arriver sur son territoire. IL lui souhaita la bienvenue à sa manière… Mais alors qu’il aurait dû se mettre à muter alors même que lui et son maudit poney avaient mis le pied dans SON territoire, IL sentit une résistance. IL insista. Encore et encore. Puis comprit. Le maudit homme était protégé, de très près désormais, par les dieux. IL se retira, se faisant discret. IL n’était pas encore assez fort pour redéclencher une guerre avec les dieux… IL devait attendre son heure…
Mar 29 Aoû 2017 - 23:17
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Capitaine Theoden
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La traversée avait été riche en apprentissage pour Théoden. A force de discussions avec Henast, et de débats intérieurs, de nombreuses conclusions sur l'ordre du monde vinrent s'imposer au
Commodore. Par exemple, si ses dieux étaient supposément omnipotents, la présence démoniaque en Albion suffisait à les mettre en échec. A l'inverse, si les démons étaient une menace terrible pour les territoires libres de Ryscior, la seule existence des dieux suffisait à les contenirs entre les rivages des terres de l'Ouest.
Une impression curieuse traversa Théoden, qui ressenti un frisson de frayeur en imaginant toute une portion de son monde ainsi tirée entre deux plans d'existences. Il savait ce conflit aussi insoluble que l'écoulement du temps lui même, et pourtant il éprouvait une certaine fascination vis à vis de ce problème.
Surtout, un profond réconfort le saisit. Un réconfort étrange, puisque consisté d'un orgueil valeureux, qui le poussa à considérer que sa présence même était ordonnée par le destin.
Mais pas le destin que dictait Finil, non. Un destin libre des dieux, et des démons. Une entité, à la limite des dieux et des démons, qui seule définissait le parcours de tout être vivant.
Peut-être devenait-il fou, peut-être pas. Mais il ressenti chez Henast une importance semblable. Peut-être qu'elle aussi avait-elle été choisit.
Peut-être devaient-ils tous les deux constituer les premiers symptômes d'une nouvelle alliance ? Une alliance entre deux mondes qui, finalement, finiraient par ne plus être si différents ?
L'idée de voir l'intégralité de Ryscior, suspendue dans cet état intermédiaire que connaissait Albion lui effleura l'esprit... mais il la rejeta aussitôt. Assurément, Henast la concevait-elle avec beaucoup de plaisir.
Mais ce n'était pas envisageable. Pas pour lui. Après tout, il apportait la lumière dans ces terres obscures. Dans son orgeuil, Théoden se fit seul le porteur du flambeau divin. Après tout, seul... il l'était bien n'est-ce pas ?

~o~

Avalon connaissait depuis maintenant une lune entière une situation de crise sans précédents. Le Capitaine de Treville, qui s'était constitué prisonnier des Dames de la Cité Blanche avait négocié une paix fragile, qui s'émaillait de plus en plus. En cause, des dizaines de petits incidents, qui maculaient la ligne de séparation entre les niveaux Avalorrims et le niveau habité par les Odysséens.
Le dernier incident en date fut cependant plus grave que les habituels échanges de feu et les insultes. Le sort de plusieurs centaines de fermiers, que la fermeture de la grande porte avaient coincés dans les champs firent enrager les Soeurs Supérieurs. La terrible Morgane en tête. De fait, le Capitaine Brookes refusait de laisser rentrer les Avalorrims coincés dans les plaines alentours de la cité. Avançant de trop grands risques pour l'intégrité des défenses des siens. Alors, à la veille d'une attaque sans précédent sur les réfugiés du Vieux Monde, ce fut la Soeur Viviane qui vint trouver le vieux Treville, dans sa cellule, pour trouver à nouveau une issue pacifique à cette crise.
Treville aimait bien Viviane. Il aimait son côté rationnel, sa patience... Et par dessus tout sa compassion. Elle le logeait avec respect, dans une cellule dotée de meubles et même de livres Avalorrims dont la lecture le fascinèrent... et jamais il ne fut maltraîté.
La discussion fut au début courtoise, même si ce fut sans détours ni concessions que Viviane annonça ses conditions à Treville pour le retours de ses compatriotes dans l'enceinte de la cité. Mais le Capitaine, littéralement et symboliquement dépourvu de ses armes n'avait plus le pouvoir de négocier pour les siens. Alors il ne pu qu'opposer à ses exigences des conseils, qui souffraient malheureusement du tempéramment chaud du marin. Il s'offusquait souvent vite, et le ton monta.
Mais au terme de nombreuses heures de discussions, un projet d'apaisement fut trouvé.
Un projet qu'Eve, depuis son camp de base ne su contredire. Alors en échange du retour des fermiers dans leurs foyers, et d'une ouverture des barricades Odysséennes, Avalon promit un retour de l'approvisionnement, sous la forme de convois de guerrières. En plus de cela, il fut conclu que tous les jours, et ce jusqu'au début des combats, des groupes désarmés de chaque camps allaient séjourner chez ses voisins. C'était là une tentative d'apaisement audacieuse, dont Viviane était la grande instigatrice, mais qui montrerait sans aucun doute des résultats.
Pour cela l'avenir le dirait. Car les deux camps y étaient farouchement opposés. Aussi fut il nécessaire, par exemple, de contraindre le Mousquetaire Tobias à ses quartiers, tant le souvenir de l'insulte de Morgane était encore vive chez lui, et tant il risquait de provoquer de nouveaux incidents. Mais pour l'heure, le calme revenait sur Avalon.
Un calme gêné et fragile. Mais il y en eurent pour montrer l'exemple. Et ni Maxwell, ni Brujon ne purent faire plus d'efforts pour ramener le calme chez les leurs.
Ils furent, avec le Major les premiers à se présenter pour loger chez les Avalorrims. Leur retour allait sans aucun doute annoncer du bon, pour la coopération entre les peuples libres... et pour la guerre qui approchait.

~o~

Théoden posa un pied assuré sur la berge. Après ce qui lui parut être de longues journées de voyages presque paisibles, le Commodore se trouva dans une plaine plus souillée encore que celles qu'il avait jusque là foulées. Bill, qui se tenait bien sage à l'autre bout de sa bride trouva en ce débarquement une opportunité très bienvenue de se dégourdir les pattes. Et Henast, pour sa part, affichait une mine contente. La mine de quelqu'un qui rentrait chez elle. Théoden pu la comprendre. Ce royaume d'abomination était chez elle, autant que Kelvin était sa patrie.
Mais à aucun moment ne perdit-il des yeux son objectif. En l'occurence, il prit la forme de deux cités gigantesques, posées de part et d'autre d'une vallée profonde. Les berges, qui se trouvaient noyées dans leurs ombres tordues étaient balayées par un vent fort qui faisait voleter derrière les talons du Commodore son long manteau élimé.

"-Mais quelles sont ces cités, où tu m'emmènes cette fois ma soeur ?" murmura-t-il, en les détaillant du regard.

Henast, qui ne perdait pas son demi sourire lui annonça les noms de ces forteresses démoniaques. Les deux dernières, avant leur objectif final. Au loin, par delà l'horizon, Théoden devina le tumulte du tempête perpétuelle. Des nappes de nuages noirs, qui obscurcissaient le ciel jetaient en tous sens des éclairs marbrés, qui se claquaient comme des fouets, se tordaient comme sous le coup d'une douleur intense, et rugissaient de mille voix sinistres. Sans doute était-ce là bas que son voyage se terminerait, à la lisière du monde des Hommes, où la nature même livrait son plus intense combat contre la pollution démoniaque. Sans doute était-ce là bas que l'influence des enfers serait la plus forte. Et quelque chose, au fond de son coeur, fit songer à l'élu qu'il trouverait là l'objet de sa quête : la vérité sur toutes choses, et le corps de Sildael la Radieuse.
Une sorte de résolution impérieuse poussa Théoden à s'avancer vers la première des deux cités qui s'offraient à eux. Comme un choix de ce destin, qui ne le lâchait pas, et l'emmena vers des tours obliques, et des demeures de chairs purulentes. Henast le suivit d'un pas léger, lui expliquant qu'ils allaient rencontrer là une sorte de Haut-Prêtre, commandant un ordre de penseurs et de mages dévoués tout entièrement à un pan majeur de la pensée démoniaque.
Une pensée dont la dichotomie fut des plus aisées à saisir, puisqu'elle fut expliquée avec force d'éloquence par le grand prêtre en question.
De fait, les démons visaient à dominer deux aspects cardinaux du monde de Ryscior. Sa matière même, qui constituait toutes choses, vivantes ou inertes. Et son esprit. Que ce fussent les énergies magiques qui animaient les êtres, les âmes, les esprits... Théoden fut fasciné par cette façon nouvelle de décomposer le monde. Alors face à ce prêtre, qui représentait le premier pan de cette pensée, tout sembla prendre du sens. L'aspect purulent de cette cité exprimait cette façon particulière qu'avaient les démons de refaçonner Ryscior. Alors bien que cette façon sembla des plus extrêmes et laide au Commodore, il dû avouer que cela donna aux adeptes des démons des traits de civilisation normée et logique.
La présence de philosophie, chez les serviteurs des démons, et le contraste avec Anat-Krynae où tout n'était que violence lui prouva qu'il y avait de la raison dans l'influence des démons.
Une raison dérangeante, et contredisant tout ce que son coeur lui soufflait... mais une raison logique et douée de sens.
C'est fort de cette résolution que Théoden s'en alla aborder la seconde cité. Suivant le guidage patient et ouvert d'Henast, Bill et son maître se mirent à arpenter les rues vaporeuses de ce fort qui devait symboliser l'influence des démons sur le monde des esprits. Ici, où l'énergie de toute chose avait été refaçonnées selon la volonté des maîtres des enfers, les tours semblaient flotter sur des nuages d'illusion, volant droit vers les cieux avant de se disperser en des dizaines de passerelles, et de finalement disparaître à nouveau. Rien n'était stable, rien n'était fixe, tout se mouvait et évoluait, dans un motif d'ombres et de vapeurs... mais rien n'inspirait plus Théoden que l'ordre et la logique dans cette cité.
Il en alla de même avec le Grand Maître des penseurs de cette cité. Un homme mystérieux, drappé d'autant de mystères que les brumes nappant sa cité.
Face à cet étrange magicien, capable de lire dans le passé de parfaits inconnus comme Théoden, et de prédir un futur incertain où deux mondes s'affrontaient encore sans relâche, Théoden fut plus troublé encore que jamais auparavant. La doctrine démoniaque l'avait certes rendu austère et froid, mais l'avait doté de grands pouvoirs. Des pouvoirs qui donnaient à réfléchir, tant ils se rapprochaient de ceux de la Reine Blanche, la glorieuse Malene, ou de Tesla Eilun, l'élue divine même qui prédit à Théoden la capture de Nynaeve, qui allait le précipiter dans de grands tourments. Et Tesla, justement, n'était-elle pas elle même austère et froide ? Les pouvoirs des dieux, et ceux des démons n'étaient-ils pas les mêmes au bout du compte ?
Théoden dû s'asseoir un instant, lorsque le grand prêtre disparu. Il affichait une mine soucieuse, pratiquement perdue. Les dieux étaient-ils cela ? Etaient-ils eux même des démons sous des habits de lumières ? Ou les démons étaient-ils eux-même des dieux, offrant à voir un monde différent en tout points à celui qu'il avait connu jusque là ?
Quelle importance, alors, avait la lumière ? Le grand flambeau de gloire qu'il portait valait-il encore la peine d'être traîné, à travers ces limbes ?
Théoden réfléchissait à toute allure, effondré sur son banc. Prostré, dans ses idéaux blessés, le Commodore faillit sombrer corps et âmes. Mais alors qu'il réfléchissait, ses poings serrés soutenant sa mâchoire, une lueure douce juste sous son nez le ramena à la raison. Sa bague. Celle-là même qu'il ressut de Malene lors de sa première visite de Teikoku.
Il la regarda luire, un moment. Ce fut comme si elle lui parla, et qu'à travers d'infimes éclats de rires divins, sifflants paisiblement entre ses phalanges, elle lui rapporta un peu de cette chaleur que lui inspirait la Reine des Elfes Blancs. Cela lui réchauffa le coeur, et l'âme.
Non, Malene n'était pas comme ce grand prêtre démoniaque. Et non, les dieux, ne pouvaient pas faire partie d'une engeance pareille à celle des démons. Il le cru, parce que la seule existence de la Reine le poussa à le croire. Malene avait beau de pas être une déesse, sa nature profonde avait le mérite d'être compréhensible. Elle vivait, riait et pleurait comme n'importe quel être vivant. Et cela, à l'inverse d'Ariel ou de Mystin, Théoden pouvait l'appréhender. Alors il se releva, après avoir symboliquement baisé sa bague et embrassa à nouveau la lumière. Douter des dieux, de leur nature mystérieuse et de leurs pouvoirs assourdissants était une chose. Mais il ne pouvait douter de personnes comme Malene.
Alors Henast lui jeta un regard qu'il interpréta comme une sorte de déception. Le flambeau ne tomberait pas ce jour là. Et leur route pu reprendre, vers les ténèbres grandissantes de l'ouest.

"-Allons, Henast, ma chère soeur. Allons trouver ce pour quoi tu m'as guidé à travers tes royaumes d'ombres et de brumes. Une quête m'attend, et quelque chose me souffle au creux du coeur que nos destins seront liés pendant encore de longs tours, avant que tout cela ne prenne fin."

Alors, dans un Elfique maladroit, mais déterminé, que Telthis, Belaner et d'anciens ouvrages s'appliquèrent à lui apprendre, le Commodore se mit à clamer un poème ancien, dressé droit sur le dos du brave Bill.

"Quand le jour Point, les ombres se retirent,

Effrayées par les Feux de l'aurore.

La Nuit ignorait que sa fin était amenée

Par un Seigneur de Lumière porteur de Flambeaux.

Le jour point, oui, mais c'est de l'Est qu'il Luit

Et Avance toujours vers l'Ouest, éternel et lumineux."
Jeu 4 Jan 2018 - 0:52
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Dargor
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Henast était heureuse de ce qu’elle avait réussi à faire. Son frère, qui confessait haïr les démons au plus haut point, et qui était sans doute sincère dans cet aveu, s’était laissé emmener au plus profond de leurs territoires, là où la chair qui polluait la terre prenait la teinte du ciel, rendant difficile de déterminer où s’arrêtait le sol et où commençait l’air. Là où la puanteur la plus infâme, semblant venir de mille cadavres en putréfaction, se mêlait aux senteurs de fleurs les plus exquises. Là où l’air était tantôt chaud, tantôt froid. L’on entendait tout à la fois le silence, mais aussi des rugissements bestiaux monstrueux. Il faisait tantôt humide, tantôt sec. Et un goût de cendres teintées des plus fines saveurs de vin naissait par la simple respiration de cet air. Les sens ici n’en avaient justement plus, car odorat, ouïe, vue, toucher et goût étaient perdus, et ne savaient que faire ressentir à qui y marchait. Théoden semblait être capable d’affronter cela. Et même si Bill, son cheval, était nerveux, il continuait à obéir à son maître.
Cela convenait à Henast, qui était heureuse d’apprendre que son frère serait capable d’affronter la terrible vérité. Cela commença par les portes. Ces cités, Henast n’en dévoila pas le nom à Théoden quand il les demanda. Et non pas parce qu’elle l’ignorait, ou qu’elle souhaitait le lui cacher. Ces cités n’en avaient simplement pas. Elles étaient connues sous le nom des portes. L’une d’elles était vouée à la corruption de la chair, l’autre à la corruption de l’esprit. C’est en rencontrant Festus dans la cité de la chair, qui lui expliqua pourquoi les mutations étaient une marque de bénédiction, et Zalakir, le seigneur de l’esprit, qui l’impressionna par sa maitrise de ce domaine, que Théoden se laissa selon Henast planter les premiers germes du doute. Et ce doute, elle en était certaine, lui ferait voir le mensonge que représentaient ses dieux. Et ses maîtres à elle accepteraient sa servitude avec plaisir, car c’était un homme de conviction. Servir les démons, il ne le ferait pas à moitié, elle le savait, et son talent aux armes serait certainement un avantage considérable.
C’est sur ces pensées qu’elle le fit descendre de la cité de l’esprit. Au loin, silencieuse et rugissante à la fois, vrombissait une tempête. Sans un mot, le duo se dirigea vers cette dernière. Henast ne disait rien, sachant qu’ils trouveraient là-bas les réponses à toutes leurs questions mutuelles. Et Théoden devait deviner que l’issue de sa quête était proche.

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Bill ne souhaitait pas hennir, ni renâcler. Son cavalier l’avait guidé ces derniers mois au milieu d’une région rongée par la folie. Le brave étalon n’avait jamais connu la peur, mais depuis ces temps, il la connaissait. Il tâchait seulement de l’ignorer. De toute façon, quel choix avait-il ? Les rêves qui étaient régulièrement tirées, les coups de talon sur ses flancs, tout lui indiquait qu’il était obligé de continuer à avancer. Alors, malgré sa peur, et mue et par un long dressage, au cours duquel il avait dû suer sang et eau jusqu’à satisfaire les bipèdes qui lui donnaient son fourrage, l’étalon continuait à avancer.
Son cavalier et la femelle bipède qui l’accompagnait étaient silencieux depuis quelques heures, eux qui avaient pour habitude de ne jamais cesser de jacasser. Bill se demandait bien pourquoi les bipèdes à la peau blanche et lisse ne cessaient jamais de parler. Mais là, ils étaient silencieux. Peut-être sentaient-ils la chose étrange ? Cette étrange impression, Bill ne l’avait jamais connu.
Au plus profond de lui, Bill savait qu’il n’aurait pas dû être ici. Que ce n’était pas sa place dans ce monde. A moins que cet endroit n’y ait pas sa place. Même sans être capable de mettre des pensées dessus, l’étalon sentait, au plus profond de son âme, que cet endroit était maléfique. Ce qui expliquait son silence sinistre. Cette sensation de dérangement l’avait mis à l’affut du moindre danger. Il se préparait à tout moment à ruer, et à s’enfuir, vers l’eau qu’ils avaient traversée peu avant, symbole de sûreté. Mais le danger ne venait pas encore.

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L’odeur de la mort planait sur ce bras de mer. Telthis avait suivi la piste de Théoden pendant des jours. Et cela avait été bien compliqué pour l’elfe. Il pestait contre lui-même. Il aurait dû rattraper le commodore bien plus tôt, mais jamais, non jamais il n’avait pu l’approcher à portée de voix. Et pourtant… Combien de fois avait-il réussi à l’apercevoir, sur son propre cheval, avec cette inconnue en croupe, au loin ? Mais à chaque fois, tout s’était ligué contre lui. Des monstres avaient émergé de nulle part, semblant en embuscade. Et pourtant, ils n’avaient pas surgi pour le commodore.
Une fois, l’un d’eux l’avait même purement et simplement laisser passer. Cela avait choqué Telthis. Il avait pu voir, depuis le sommet d’une colline, le commodore avancer dans une vallée. Sur sa gauche, un monstre à la taille impressionnante, sorte de chien haut comme une maison, à la peau rouge et au bec d’aigle garnis de crocs. Sur son dos, des tentacules enduis d’une substance noire, chaude et collante. La bête avait simplement regardé le commodore passer, la flamme de ses yeux suivant le mouvement de l’équipage. Mais bien sûr, hors de question de le laisser passer lui, Telthis. Ce dernier savait trop bien ce qui se jouait ici.
Les démons souhaitaient attirer le commodore dans un endroit précis, et lui facilitaient le voyage. Lui par contre, n’était pas invité à cette fête. Voilà pourquoi toutes les embûches auquel Théoden échappait, Telthis devait les affronter, ce qui expliquait la lenteur de sa progression. Et maintenant, il craignait d’être arrivé trop tard. Mais il savait qu’il ne fallait pas renoncer avant d’avoir vu le cadavre, ou la version mutée, de Théoden devant lui. Alors, palpant le collier que Malene lui avait donné secrètement avant son voyage, il invoqua le pouvoir de sa reine, s’il était possible que ce dernier puisse lui répondre en ces lieux sinistres.
Elle lui répondit. Ses pouvoirs étaient grands, et il en fut heureux. Un pont de lumière pure apparut devant lui, et enjamba le bras de mer. Ignorant, en dessous de lui, l’homme dans sa barque, qui le regardait d’yeux invisibles sous sa capuche, passer, Telthis s’élança, priant les dieux qu’il ne soit pas trop tard, et si c’était le cas, alors qu’ils protègent le commodore tant que lui ne pouvait le faire.

---

Devant eux, un mur noir, assez grand pour se dire que les habitants de la cité qu’il cachait devaient être des géants. Mais ce n’était pas le plus majestueux dans ce spectacle, selon Henast. Etait-ce le fait qu’il semblait fait d’une seule et même pierre ? Qu’il soit lisse comme le marbre ? Ou que sa noirceur soit d’une pureté absolue ? Non. Ce qui la rendait admirative des lieux, c’était le silence qui régnait ici. Rien ne venait le troubler. Plus de rugissement de la tempête. Plus de sons de démons embusqués. Plus de monstres. Plus d’humains. Juste ce mur, et le silence qui s’en dégageait.
Ils en firent le tour, jusqu’à arriver aux portes de la cité. Ou plutôt, au portail dans le mur, qui aurait dû les contenir. Car il s’agissait simplement d’un trou taillé, sans porte, ni herse, ni pont-levis. Juste une arche dans le mur, qui invitait à passer. Au-delà, on pouvait apercevoir une cité taillée dans ce qui semblait être la même pierre que le mur. Ses rues pavées étaient larges, et encadrées par des maisons à l’échelle de l’enceinte de la ville. Elle baignait dans une lumière rouge. Une lumière de sang, qui semblait venir du plus profond de la ville. Alors qu’ils contemplaient ce spectacle, Bill s’immobilisa. Henast comprit que s’il avait réussi à trouver le courage de les amener jusqu’ici, il ne foulerait pas cette pierre maudite.
Théoden sembla approuver la décision de l’animal. C’est avec un air particulièrement soucieux, et un regard sinistre et froid, qu’il descendit de cheval, et mena Bill par la bride un peu loin de ces murs, avant de rejoindre Henast et de rompre le silence qui régnait ici.

« Alors ça y est ? demanda-t-il. Nous y sommes ?
-Oui, répondit Henast. C’est au cœur de cette cité. »

Théoden jeta un dernier regard à Bill, mais Henast lui assura que rien ne devrait lui arriver pendant leur absence. Elle était bien placée pour le savoir. Si le démon qui dormait en ces lieux avait voulu faire du mal à un membre de ce duo, ou même à Bill, il aurait pu le faire depuis de longues heures, à présent.

« Cet endroit porte un nom ? demanda Théoden en franchissant la porte.
-C’est juste la cité, répondit Henast, haussant les épaules. »

Et ils se mirent donc à marcher dans la cité. Même le bruit de leur pas sur ses pavés noirs ne pouvait rompre le silence, ici, pas plus que celui de leurs respirations. Henast fut amusée du fait que dans cette lumière, son frère semble avoir la peau rouge comme celle d’un démon. Qu’en était-il d’elle-même ? Elle leva son bras normalement d’une blancheur laiteuse héritée de sa mère. Comme la dernière fois, ce même rouge le teintait désormais. Elle sourit. Qu’il était bon de se savoir proche de la maison.
Autour d’eux, la ville était toujours aussi silencieuse. Des maisons de taille géante, mais aussi des statues et des fontaines crachant un liquide s’écoulant dans le silence sacré des lieux, un liquide rouge dont il était impossible de dire si c’était sa couleur naturelle ou non. Ces statues et ces fontaines figuraient des humains, des elfes, des orcs, des nains, des halfelins, des gobelins, des ogres… Toutes les races qui peuplaient Ryscior, et s’enorgueillissaient de le défendre, en train de se tordre de douleur, sous l’emprise de quelque maléfice à l’origine de leur souffrance.
Peu à peu, des éléments nouveaux apparurent cependant sur la pierre. Des morceaux de chair, rosée, et non rouge, ce qui tranchaient dans ce paysage rouge et noir tristement uniforme. Ces morceaux ne trainaient cependant pas au hasard. Ils étaient comme cramponnés à la pierre noire de la cité, tels des parasites. Des gueules et des yeux en dépassaient régulièrement, qui claquaient et tournaient selon une volonté autre. Et ils étaient vivants, car les veines qui les traversaient semblaient battre au rythme d’un cœur, qui rompit peu à peu le silence, bruit sourd dans le lointain, toujours plus profondément dans la cité.
Alors que la chair se faisait de plus en plus présente, et semblait fusionner avec la pierre à mesure que le duo s’avançait dans la cité, et que le bruit du cœur battant augmentait en intensité, marchant depuis de longues heures, le regard de Théoden se mit à s’alourdir.

« Je regrette presque le marbre noir et ses grands silences sinistres, dit-il dans un demi-sourire, qui s’effaça quand il vit une veine monstrueusement grande les séparer. Alors quoi, toute la cité a pris vie ?
-A-t-elle jamais été non vivante ? demanda Henast.
-Hm, rassurant répondit Théoden. Nous voilà donc dans les entrailles d’un monstre de la taille d’une ville ? »

C’était amusant qu’il dise cela maintenant, car comme par coïncidence, le bâtiment que cherchait Henast apparut peu à peu devant eux. Pour la première fois depuis que la chair était apparue, il fallait d’ailleurs noter que ce bâtiment en était intégralement recouvert. Il n’y avait plus aucune trace de la pierre noire dans sa structure. La structure était d’ailleurs celle d’un immense bâtiment circulaire, entièrement ouvert, car ne reposant sur aucun autre mur que des piliers, et dont le toit était un grand dôme. C’est une fois entrés dedans, entre ses colonnes, qu’Henast répondit à la question de son frère.

« Nous n’étions pas encore dans ses entrailles, dit-elle. A présent, nous le sommes.
-Risquons-nous quoi que ce soit là-dedans ? demanda Théoden après une grande inspiration.
-Probablement la mort, la folie, la perte de nos âmes, énuméra-t-elle, souriante, en s’arrêtant devant un trou dans le sol, dans lequel descendait un escalier de chair, si profondément qu’on ne voyait pas sa dernière marche.
-Le lot habituel, donc, dit Théoden en souriant. Descendons-nous donc salut cette bête ? »

Ils descendirent en effet. Descendre l’escalier fut long, mais une fois en bas, ils étaient complètement arrivés dans le labyrinthe de chair. Du pied de l’escalier partaient pas moins de sept couloirs fait d’entrailles. Sans hésitation aucune, elle s’engagea dans l’un d’eux. Il se poursuit sur une demi-heure de marche, puis une nouvelle salle, avec sept couloirs là encore. Ils pénétrèrent plus profondément dans le labyrinthe, et les heures passaient. Les pattes d’oies se firent plus nombreuses, les possibilités qu’elles offraient également, allant parfois jusqu’à quelques dizaines d’ouvertures par salles. Ils descendaient, montaient, puis redescendaient, tournaient souvent à droite, à gauche… Henast se serait elle-même perdue si elle n’était pas mue par une volonté de fer désormais. Et elle savait que derrière lui, son frère avait depuis de longues heures réalisé qu’elle connaissait sans doute bien trop les lieux pour leur bien à tous deux.
La fatigue de la longue marche s’accumulant, il fallut cependant bien penser à bivouaquer dans les lieux. Théodne se trouva un coin de tripe, au détour d’un couloir, derrière une glotte purulente. Il s’y assit, fatigué, mas jamais départi de son sens de l’humour.

« Ce n’est pas le genre d’endroits que j’espérais pour des vacances… Mais on peut dire que je ne suis pas trop dépaysé au moins avec toi !
-Si j’étais une élégante, dit-elle en riant également, cela confinerait à l’insulte, fais attention.
-Je m’en contente largement, acquiesça-t-il. Ce genre d’expéditions n’est pas très courante chez-moi. J’aurais de quoi écrire pour toute l’éternité après ce que tu m’as montré. »

Ouvrant sa sacoche, il sortit un peu de nourriture, qu’il lui offrit, manifestement pas dégouté par les murs du labyrinthe dans lequel ils marchaient depuis de longues heures. Elle mangea elle-même avec plaisir, attendant sa prochaine remarque, qui vint vite, à présent que la conversation était engagée.

« Un jour peut-être t’emmènerais-je dans mes contrées. Tu trouveras peut-être cela ennuyant, comparé à ces endroits cela dit. Nos villes sont faites de pierre, et nos montagnes de roche. Les démons ont un goût particulièrement prononcé pour la chair, je me trompe ?
-Le monde n’en est qu’un amas, philosopha-t-elle, auquel les dieux donnent forme. Les démons préfèrent pour leur part la laisser errer telle qu’elle est.
-C’est esthétiquement douteux, ne penses-tu pas ? demanda-t-il en haussant les épaules. »

Elle sourit. Il s’aventurait sur le même terrain que celle qui était sa pire ennemie du moment, ce qui était une ironie assez amusante.

« Certains adeptes le trouvent, répondit-elle, avant d’ajouter, ne parvenant pas à résister à la provocation, que sa mère en faisait partie. Ils essayent de copier la beauté qu’ils voient en certains démons, qui eux-mêmes singent les mortels en copiant ce qu’ils définissent comme la beauté.
-Je vois le genre, dit-il. L’idée est belle, je dois bien l’admettre. Mais c’est difficile de l’accepter, si l’on ne naît pas dans cette doctrine.
-Un jour, dit Henast, ma mère sera peut-être changée en une succube, incarnation démoniaque de la beauté, si nous la laissons continuer à vivre sa vie. Qui sait ? »

Il était évident que Théoden ne comptait pas la laisser faire, et même s’il n’évoqua pas directement le fait qu’il serait un obstacle, il fit remarquer que cela l’étonnerait, ce qui était déjà en soit un aveu. Elle haussa à son tour les épaules, dévoilant que sa mère avait de toute façon déçu ses maîtres depuis longtemps.

« Ah oui ? demanda Théoden.
Son apprentissage est trop long à leur goût, dit-elle. Elle ne se rend même pas compte qu’ils se sont désintéressés d’elle. Comment expliquer cela… Elle vit dans une cité dédiée aux sens, les démons cherchent à les exacerber chez les mortels. De la stimulation des sens, elle doit tirer du plaisir. D’où cette vision que les mortels ont souvent des serviteurs des démons qui se contentent de se livrer à des orgies. Je sais que vous avez cette vision de discours de certains marins qui accompagnaient notre père et ont suivi ma mère dans sa voie. Et c’est vrai qu’il y a de ça, dans la philosophie de ma mère. Mais elle doit tirer du plaisir de toutes les stimulations, même celles que nous appellerions désagréables, comme la douleur. Elle est incapable de la supporter. Surtout que les succubes, démons qu’elle aspire à devenir, ressentent toute sensation liée à nos cinq sens de façon démultipliée par rapport aux mortels. Les arômes sont plus forts dans leurs bouches, les odeurs plus puissantes, les sons plus audibles, les couleurs plus variées… Et le plaisir charnel est démultiplié, en même temps que la douleur. Mais là où les succubes tirent du plaisir de cette douleur, ma mère n’y arrive pas, ce qui déçoit ses maîtres.
-Alors, dit-il, ils ne m’en voudront pas de les débarrasser d’une mauvaise élève de plus.
-Ils ne s’en rendront sans doute même pas compte, sourit Henast. »

Théoden conclut, en achevant son repas, que tout cela était formidable. Puis il consulta l’heure, sur sa montre-gousset, avant de suggérer d’en prendre quelques-unes de repos immédiatement, afin d’écourter leur séjour dans cet endroit. Henast prit le premier tour de garde. Et ainsi passèrent les heures suivantes.

---

Les mouches se faisaient de plus en plus nombreuse, et leurs essaims noircissaient le ciel de la Cité Blanche. Le branle-bas de combat y était général, car les guerrières ne savaient que trop bien ce qu’annonçait cette invasion. En fait, ce n’était pas tant une invasion que l’avant-garde de ce qui arrivait. Cette fois, il n’était plus question d’anticipation, ou d’une quelconque autre stratégie à établir. Il y avait urgence, car les armées démoniaques avaient tendance à suivre les mouches de quelques jours à peine.
Une telle activité, alors que le plan de Sœur Viviane, pourtant engagé depuis deux semaines, peinait à porter ses premiers fruits, fut une occasion de collaboration forcée pour les guerrières avec les guerriers de l’Odyssée. Les premiers niveaux de la cité, où vivaient les odysséens, ne pouvait en effet pas tomber, autrement les démons et leurs serviteurs pourraient utiliser le couvert des maisons pour éviter les flèches des avalorims. Quant aux odysséens, ils ne se faisaient pas d’illusion. Le premier mur de la ville était long de presque un kilomètre au total. Indéfendable sans avoir une armée nombreuse pour en tenir la totalité, et sans les guerrières avalorims donc.

C’était un spectacle que Johei trouvait des plus intéressants à observer. Elle qui n’était pas guerrière voyait ces gens qui s’étaient appréciés mutuellement, puis haïs au point d’en venir presque à la guerre soudainement coopérer comme si ces dernières semaines n’avaient pas existées, motivés à faire cela par l’imminence de l’attaque et de la mort qu’elle amènerait. L’instinct de survie avait pris le dessus sur l’orgueil des guerrières d’Avalon autant que sur celui des marins de l’Odyssée. Les vieilles rancœurs avaient-elles disparues ? Johei était d’avis de dire que non, et que les deux peuples ne se feraient plus jamais confiance comme avant. En revanche, elle trouvait particulièrement intéressant que tout d’un coup, il n’y ait plus de négociation d’un côté comme de l’autre. Fis des insultes, on n’en parlait plus. Elles étaient bien gardées dans un coin de la tête de tous les acteurs, c’était une chose certaine. Mais pour l’instant, ils étaient tous mus par autre chose.

Les démons arrivaient. Et face à cela, malheur à celui qui privilégie son orgueil à la survie. Car il est certain d’y perdre son âme autant que sa vie.

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Dani Rinma était heureuse, enfin. Elle marchait sur la cité d’Avalon, aux côtés d’une immense armée, et de son amour de toujours. Servir ses maîtres ainsi, elle ne l’avait imaginé que dans ses rêves jusqu’à maintenant. S’étirant langoureusement, elle se laissa tomber sur les coussins de leur caravane. Elle savait que cela ne lui plaisait pas. Son amant était peut-être devenu une amante, mais son instinct de militaire ne l’avait pas quitté. Quand les troupes de leurs villes s’étaient mises en routes, dans leurs chariots de soies aux couleurs éclatantes, il les avait qualifiés de « baladins et nobliaux plus que d’armée ». Ayant vu les armées du Vieux Monde, elle savait bien sûr ce qu’il voulait dire là. Mais c’était ainsi.
Au final, il avait rejoint les troupes d’élite de la ville. Comme toujours, ces dernières rôdaient habituellement auprès de l’obélisque. Elles s’étaient mises en route de leur côté. Comme Dani aurait souhaité être avec son amant ! Mais il n’aimait pas l’idée de marcher à la guerre dans de tels attelages, et ne la rejoignait qu’à la nuit tombée. Le reste du temps, il allait marcher avec ces fameux soldats d’élite. Et ces derniers refusaient la présence de Dani, la tenant pour une faible. Elle les jalousait pour cela.
Eux avaient réussi à atteindre une maitrise satisfaisante des cinq sens aux yeux des démons, raison pour laquelle ils recevaient peu à peu le pouvoir de s’en séparer, et donc de s’affranchir des lois qui régissaient les corps des mortels. Telles étaient les natures de leurs mutations. Ceux qui les utilisaient pour des visées guerrières devenaient donc d’improbables machines à tuer, qui ne ressentaient ni la douleur ni la peur, et par-dessus le marché étaient capables de contraindre leur propre corps à faire des mouvements qui auraient dû leur être impossibles, leur donnant accès à des techniques d’escrimes incroyablement fourbes et irréalisables pour un être humain normal. Et ceux qui maitrisaient la magie savaient retourner les sens d’un adversaire contre lui. Pas étonnant que son mari se plaise parmi cette troupe. Il devait déjà observer tout l’intérêt qu’il y avait à avoir de tels soldats avec lui. Mais il l’abandonnait pour cela, seule ombre à son bonheur.

Elle restait heureuse, cependant. Et pour se consoler quand son amant lui manquait en journée, pensait au moment où elle le verrait plonger lui-même sa lame dans le cœur de Théoden, son fils bâtard. Ce serait un bon moment, et elle faisait le déplacement uniquement pour cela. Elle ne savait pas se battre, mais monterait à l’assaut des murs avec son époux.
Pour savourer ce moment.

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Les quelques heures de repos qu’Henast et Théoden s’accordèrent passèrent très vite. Il faut dire que ce dernier n’était pas heureux, fatigue ou non, de dormir dans un endroit aussi répugnant. Henast feignit de partager son sentiment. Avait-il réalisé qu’elle jouait la comédie ? N’en avait-il rien vu ? Il ne fit rien savoir, et le duo continua sa marche, dans le silence. Ils se mirent alors, à mesure des heures, à descendre toujours plus en profondeur. Une odeur malsaine venait d’ailleurs de cette dernière, tandis que le bruit du cœur qu’ils entendaient depuis la surface de la ville se faisait toujours plus puissant, battant jusque dans leurs entrailles à présent, comme un tambour de guerre.
A ce bruit de battement s’ajoutèrent soudain des bruits de trottements, de pas, et des voix rieuses, qui mirent les sens de son frère en alerte. Il posa la main sur son arme et lui fit remarquer qu’ils n’étaient pas seuls, ce à quoi elle répondit par une question, lui demandant s’ils l’avaient selon lui jamais été depuis qu’ils étaient entré dans la ville. Il n’aima pas cette réponse, car il finit par dégainer sa lame, sans ajouter un mot.

« Ils ne sont pas vraiment avec nous, tu sais, dit Henast, se voulant rassurante. Ils sont à l’intérieur des murs, tout autour de nous.
-Jusqu’à quand y resteront-ils, cependant ? demanda-t-il d’une voix sinistre.
-Cela dépendra de nous, dit-elle pour clore la conversation. »

Que pouvait-il en savoir ? Et accepterait-il d’entendre la vérité ? Que les trottements autour d’eux n’étaient que le système immunitaire de la bête qui se préparait à se défendre contre ces deux corps étrangers à l’intérieur du grand dans lequel ils se trouvaient ? Savait-il seulement ce qu’était un système immunitaire ? Elle-même ne l’avait jamais vraiment compris, mais elle en avait accepté l’idée. Et accepterait-il d’entendre la terrible vérité sur la taille véritable de ce monstre ? Que les tentacules qui dépassaient des obélisques qu’ils avaient croisés dans les différentes cités, ceux-là même sur lesquels il avait jadis jeté de l’eau bénite, et qui avaient manqué de le tuer pour cela, étaient une excroissance de ce monstre ?
Pourrait-il entendre que la bête était jusque dans le sous-sol d’Avalon depuis des siècles, attendant un jour où les démons se lasseraient de ce petit jeu de sièges réguliers, et décideraient d’y mettre fin en faisant jaillir une implacable main du sol, qui broierait la cité dans son poing ? Que toute résistance au final, était inutile… Il n’accepterait certainement pas d’entendre cela. Pas tout de suite.

Et il était de toute façon trop tard, car finalement, le silence, le même que l’on pouvait remarquer à l’entrée de la ville, se fit, alors qu’ils entrèrent dans la salle que cherchait Henast. C’était une salle d’une vingtaine de mètres carrés, au centre de laquelle flottait une sphère d’un mètre sur un mètre environ, terrible à regarder. Insoutenable. Frère et sœur durent d’égale façon en détourner les yeux, de peur de devenir fous. Car cette sphère, c’était un trou dans le monde. Ryscior était ici comme un puzzle, auquel il manquerait une pièce. Cette sphère.

« Qu’est-ce que cela ? demanda Théoden, qui essayait de toutes ses forces de lever les yeux. Encore une faille ? Est-ce pour m’entrainer aux enfers que tu m’as accompagné ici ? »

Tout en disant cela, il sortit une poignée de coquillages de son manteau, et les serra contre sa paume gauche. Henast supposa que c’était pour appeler à l’aide sa déesse, mais elle avait autre chose à penser. Sans parvenir plus à la regarder, elle marcha vers la sphère, expliquant à son frère que non seulement ce n’était pas vraiment une faille, mais qu’elle le mènerait à Sildael la Radieuse. Puis elle pénétra la sphère. A moins qu’elle n’y tombât.
Tout autour d’elle ne fut plus que ténèbres. Elle ne vit plus la porte qu’elle avait franchi, qui la menait au monde réel. Venant de partout à la fois, elle entendit la voix de son frère.

« Elle est de l’autre côté ? Qu’est-ce que c’est si ce n’est pas une faille ?
-Elle est ici, dit-elle, espérant qu’il l’entende. Il est compliqué de décrire ce que c’est que cet endroit, car un bout de fin du monde. »

Finalement, Théoden apparut à ses côtés, semblant sortir de nulle part. Souriante, elle le laissa apprécier le spectacle du lieu dans lequel ils se trouvaient. Ils étaient dans quelque chose qu’elle ne pourrait qualifier autrement que rien. Ni dessus, ni dessous. Ni lumière, ni ténèbres. Ni vie, ni mort. Pas de bruit, mais pourtant, pas de silence pour autant. Et surtout, pas de temps, juste un rien sans fin.
Tandis qu’ils exploraient l’endroit, marchant sur un sol qui semblait solide et pourtant tombant en même temps, Henast sentit un délicieux frisson la parcourir. Elle sourit. Elle ne pouvait plus cacher ses mutations à Théoden, car elle était trop proche de ses maîtres. Alors, elle laissa ses excroissances se développer. Qu’il voit alors que sa beauté n’était qu’apparence, car elle n’était en fait qu’un monstre de chair vaguement humanoïde sur la moitié droite du corps, pourvus de cent gueules sans crocs, et de cent yeux, qui pourtant lui renvoyaient un regard dont il ne pouvait douter qu’il s’agissait du sien. Elle avait également une paire d’ailes gigantesques dans son dos.

« Fascinant, venait de dire Théoden.
-N’est-ce pas ? répondit Henast. Pour moi, ce sont des retrouvailles.
-Des retrouvailles ? demanda-t-il.
-Avec moi-même, oui. Je ne suis jamais vraiment ressortie de ma première venue en ces lieux.
-Ce lieu est un vide infini, dit Théoden en s’approchant d’elle. Mais qu’a-t-il de plus spécial que cela ?
-Comme je te l’ai dit, dit-elle, c’est un bout de fin du monde. Et si tu cherches Sildael, sache qu’elle est dans les parages. Si tant est que parage soit un concept qui ait un sens en ces lieux.

Théoden se mit à chercher Sildael. Des yeux bien sûr, mais en même temps en se déplaçant. Si seulement il réalisait, songea Henast, que de par la nature même de cet endroit, Sildael était partout et nulle part à la fois. A côté d’eux, à leurs pieds, sans y être pour autant.

« Alors ce sera ça Ryscior ? demanda Théoden. Ce sera ça si les démons l’emportent ? Où est Sildael ? Je ne la vois pas. »

Levant un bras dans la première direction venue, car sachant pertinemment qu’elle y serait sans y être, tout comme eux, ils étaient là sans vraiment y être, Henast lui répondit qu’elle était quelque par là-bas, ni vivante ni morte.

« Elle n’aura pas été tuée par les démons ? demanda Théoden.
-Tu sais, répondit Henast, en le suivant alors qu’il se mettait en route dans la direction qu’elle avait indiquée, les démons ne s’intéressent pas vraiment à ce qui se passe ici. Ils peuvent y venir, mais quel serait leur intérêt à faire cela ?
-Alors pourquoi, demanda-t-il, est-ce que ce bout de néant se trouve au cœur de leur royaume sur Ryscior ?
-Parce que c’est le monde à l’état primaire, dit-elle, sachant que le temps de la vérité était en train d’arriver. Celui qu’ils voudraient retrouver.
-Je ne comprends pas, dit Théoden, qui cherchait vraisemblablement à combler cette ignorance. Cet endroit a-t-il une sortie ?
-Elle est tout autour de nous, confirma Henast, sans mentionner le fait qu’elle ne soit en même temps nulle part. »

Le temps des vérités était donc venu. Alors elle lui parla longuement, quand il demanda ce que cet endroit avait de si spécial. Elle lui parla de la nature du monde.
La chair se nourrissait sur la chair. Quand Henast était enfant, elle avait grandi dans la cité des cinq sens, la cité de sa mère. Mais elle avait trouvé que ces gens avaient tort, les démons étaient forcément plus que cela. Elle avait alors fait le tour des cités, découvrant différentes philosophies, avant d’arriver dans la cité noire, et d’y découvrir que toutes avaient raison et tort en même temps.
Une fois arrivée dans ce lieu pour la première fois, elle avait en effet compris que la vérité sur le monde était bien plus terrible que tout. Cet endroit n’était pas un endroit dans le temps ou dans l’espace. C’était la fin du monde, car la levée d’un vide qui allait l’engloutir tout entier. Les hommes, dieux et démons n’étaient que les acteurs d’un cycle éternel qui était appelé à se briser, le cycle de la réalité. Le monde n’était qu’un amas de chair, auquel les dieux donnaient forme pour leur propre plaisir. Pour se défendre de cette exploitation, cet amas de chair créait les démons afin de combattre les dieux et de redonner à la chair sa consistance originelle, c’est-à-dire le rien dans lequel ils étaient, car cette chair était issue de ce rien. Les démons pouvaient donc gagner, ou perdre, face aux dieux. Aucun camp n’y survivrait de toute façon, car la victoire des dieux voudrait dire la fin de la chair, et donc du monde, puisqu’il mourrait. La victoire des démons, quant à elle, voudrait dire que les démons ne serviraient plus à rien. Ils mourraient alors d’eux-mêmes, n’ayant plus d’essence.
La victoire… Des dieux comme des démons, ajouta-t-elle alors que Théoden retrouvait Sildael, inconsciente, et la prenait dans ses bras, était une notion fantomatique et ridicule. Dieux et démons étaient nés de ce vide, ils en étaient faits, tout comme les peuples mortels. Et tous, un jour, y retourneront, lorsque les étoiles s’aligneront dans leur formation inexorable, et que ce qui dormait, à savoir la victoire finale mettant fin à la guerre entre dieux et démons, amène la destruction du monde entier.

« C’est ce qui définit notre héritage, d’une certaine manière, dit Henast. Nous sommes les porteurs de cette vérité, à présent. Tous les deux.
-Tu sais, dit Théoden après un long silence, la théorie que nous exposent les dieux strictement la même, mais les choses sont inversées. Nul ne peut lutter contre le néant, je l’admets. Quant à y retourner… Nos maîtres, si ce que tu m’as dit est vrai, y retourneront tous tôt ou tard.
-Et nous aussi, confirma-t-elle, avec eux.
-Le plus tard possible, dit-il. J’ai encore beaucoup à faire ici-bas. Et toi aussi, je pense.
-Retarder l’inévitable est-il si intéressant que cela ? demanda-t-elle, ne comprenant soudain pas l’étrange résistance à la folie dans laquelle elle avait elle-même sombre de son frère.
-Tout dépend des raisons, dit-il d’ailleurs. Veux-tu retourner au néant dès maintenant ? »

Elle paniquait soudain, ne comprenant pas. Comment son frère pouvait-il résister à la vérité qui se dégageait de cet endroit ? Maintenant qu’elle la lui avait dite ? Que pouvait-il s’être passé dans son esprit ? En regardant dans ses yeux, elle vit soudain une force plus puissante, et comprit. Ce débat était perdu d’avance, car quelqu’un s’était mêlé à son frère pour pénétrer ici. Un esprit d’une puissance extraordinaire, qui ne sombrerait pas dans la folie comme elle, et retiendrait Théoden.

« Je n’ai jamais quitté cet endroit, dit-elle finalement.
-Pourtant, tu m’as l’air bien réelle, et en chair. Tu n’as pas été suffisamment consumée encore.
-Tu te trompes, dit-elle, sachant ce débat terminé. J’appartiens à cet endroit à présent, aussi sûrement que tu appartiens à tes dieux. Rejoins-moi, et rejoins le néant.
-Pourquoi donc ? demanda-t-il. J’ai déjà ma place dans ce cycle que tu m’as décrit.
-Ta part n’est pas de n’être qu’un pion.
-J’ai beau n’être qu’un pion pour l’heure, dit-il, j’en suis un du mauvais bord. Et je sais ce que les démons font de leurs ennemis. Pourrais-je un jour être plus qu’un élu divin ? J’en doute. Et pourtant… J’ai tellement de projets pour ce monde.
-Tu ne peux te contenter d’être un simple serviteur jusqu’à la fin de l’éternité, dit-elle, jouant sa dernière carte, celle de la provocation. C’est le destin qu’a choisi ma mère.
-Et l’alternative que tu me proposes est d’être le serviteur du néant, de plonger le monde que je connais dans la guerre, jusqu’à ce que tout soit réduit à ce qu’est Avalon en ce moment ?
-Jusqu’à ce que tout soit réduit à cet endroit, dit-elle, l’espoir renaissant dans son esprit.
-Echanger une servitude contre une autre, refroidit-il cet espoir bien vite, je n’y gagne rien. Si ce n’est le fait de trahir tous ceux qui sont mes amis et qui croient en moi.
-Tu ne serais pas un serviteur, dit-elle. Cet endroit néant n’est rien, et donc certainement pas un maître. Tu as le choix. Rien ne t’est imposé.
-J’accomplirai ce que je dois, répondit-il fermement. Puis je reviendrai, si mes dieux continuent dans leur voie d’injustice et d’égoïsme.
-Dans ce cas, dit-elle, je dois te dire que nous nous reverrons. Car les démons m’ont choisi pour mener l’assaut sur Avalon. »

Cette nouvelle jeta un froid entre eux. En l’annonçant distinctement, Henast savait que c’était une déclaration de guerre, et qu’à présent, ils devraient se battre jusqu’à la mort. Mais qu’est-ce qu’était la mort, quand on avait vu cet endroit ?

« C’était à craindre, en effet, dit-il. Leur obéiras-tu ?
-Cette cité fait partie de ce qui doit retourner au néant.
-Ne peux-tu donc rien voir de la beauté de ce que je défends ?
-Mais qu’est-ce que la beauté ? demanda-t-elle. Tout cela n’est qu’un amas de chair errant dans le vide, buvant le sang du monde.
-Te satisferais-tu de voir ainsi le monde, sachant que tu ne le verras jamais libre ? Je m’efforce juste d’apprécier ce qu’il est possible d’apprécier, tant que cela existe, dit-il. Parce que la création est pleine de beauté, si tu sais la regarder. »

Cette dernière phrase fut un adieu. Ils se quittèrent ainsi, se promettant de se revoir très bientôt, dans un contexte hélas bien différent d’une conversation entre demi frères et sœurs. Car à Avalon, ce serait pour un duel fratricide qu’ils se reverraient.

« Tout cela aura été des plus enrichissants, dit Théoden, disparaissant, et la laissant dans le rien dans lequel elle se trouvait, tandis qu’il retournait au monde réel, emportant Sildael avec lui. »

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IL sentit l’humain qui remontait de ses entrailles. L’humain avait été malin, sa sœur moins. L’humain avait pensé à noter le chemin entaillant SA chair sur son passage, pour marquer les intersections dont il venait. Sa sœur ne s’était aperçue de rien. IL nota pour lui-même qu’il faudrait la châtier pour cette incompétence. En attendant, IL aurait aimé abattre cet humain, le noyer dans SON sang ou le broyer dans SA chair, mais IL savait que cela était impossible. Pas tant que l’humain était sous la protection des dieux.
IL avait toujours su que ce plan était risqué. Attirer un élu divin dans SES entrailles, c’était prendre le risque de le laisser faire venir sa divinité avec lui. Mais IL avait estimé que le jeu en a valait la chandelle. Après tout, IL n’avait rien à y perdre, à part un danger de descente des dieux. IL était soulagé que cela ne soit pas arrivé. Si les dieux étaient vraiment descendus, IL n’aurait pas pu lutter bien longtemps, et le Roi et la Reine lui auraient fait part de leur mécontentement, une fois de retour dans les enfers.
Cependant, le risque avait été calculé. Les dieux savaient, tout comme IL savait, que le fait que le portail sur le grand néant soit ouvert signifiait bien qu’ici, dans ce petit mètre cube de réalité, la victoire d’un camp était scellée. Celle des démons. IL ignorait si l’humaine avait dit à l’humain tout ce en quoi elle croyait. IL s’en fichait. Que les mortels croient ce qu’ils voulaient croire. Dieux et démons en sauraient toujours plus sur la nature du monde.

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« Mon bon ami Zalakir, que pensez-vous de ce spectacle ? demanda Festus, en rôtant, avec sa voix rauque, comme à son habitude, car dévorée par la pourriture. »

Devant eux se dressait un camp hétéroclite. Les serviteurs des démons s’étaient massés en bas des murs de la Cité Blanche, et n’attendaient plus que l’arrivée de l’élu des démons pour que ce dernier donne l’ordre d’attaquer. Mais pour autant que Festus et Zalakir le sachent, l’élue en question était loin d’ici, et son armée livrée à elle-même, en plein chaos. Comme il se devait, dans un sens. Les quelques démons qui avaient accompagné les mortels, les premiers jours, avaient vite été abattus par les défenseurs de la cité, qui avaient donc cru pouvoir tenter une sortie.
Sortie motivée par l’espoir de briser le siège des mortels avant que les démons n’arrivent. Cela n’avait pas été possible. Une femme de la cité des plaisirs avait réussi à motiver les guerriers d’élite de sa cité, et de celle du sang. Les premiers, armés de leurs impossibilités sensorielles, et les seconds, de leur capacité à tuer, tuer et tuer sans être tués, avaient réussi à tenir en respecter les troupes de la Cité Blanche, guerrières comme étrangers venus d’ailleurs. Puis Festus et Zalakir étaient arrivés, à la tête de leurs armées de mages, qui respectivement faisaient pourrir la chair et brisaient l’esprit. Après la bataille, les deux maîtres étaient remontés sur une colline proche, observant la zone.

« J’en pense, dit Zalakir, que bien que mes yeux soient crevés, j’ai assisté aujourd’hui à un premier acte d’une qualité exceptionnelle, en termes d’émotions à décrypter.
-Je n’en doute pas, dit Festus. Et je peux t’assurer que le second acte, non seulement apportera la victoire à l’un des deux camps dans cette guerre futile, mais sera passionnant.
-Tu parles du fait que la femme qui semble destinée à être commandante des armées du plaisir soit en fait le père de l’élu des dieux ? Ce sera passionnant, oui… »

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Telthis avançait, à dos de cheval, tenant Bill par la bride. Il faisait le tour de la cité noire, refusant d’y entrer, car sachant trop bien ce qui s’y trouvait, quand il entendit les rumeurs d’un combat non loin. Lançant les deux animaux au galop, il vit effectivement ce qu’il craignait. Dans une plaine, la chair de la cité avait tout envahi, des êtres de chair sans yeux ni bouche se levaient par milliers, pour attaquer un Commodore Théoden bien trop seul au goût de l’elfe. Bien trop seul pour défendre un corps inanimé à ses pieds. L’instinct dit à Telthis qu’il ne pouvait s’agir que d’une personne. Mais même s’il n’avait pas su cela, le devoir lui aurait recommandé d’aller au secours de celui qu’il avait juré à sa reine de protéger.

Bientôt, aux rumeurs de combat se joignirent le galop de deux chevaux. Concentré sur son œuvre, Théoden ne l’entendit pas. Pas plus qu’il ne vit se dresser derrière lui un de ces golems de chair. Heureusement, Telthis était arrivé. Sans se presser, sans se laisser démonter par l’enjeu, il abattit la bête.

« Eh bien commodore ! lança-t-il, aussi gaiement que la situation le lui permettait. On dirait que je vous retrouve dans une situation que l’on pourrait qualifier de compliquée ! »

D’abord surpris de l’entendre surgir dans son dos, l’intéressé finit par se montrer ravit, et lui rendit son enthousiasme tout relatif.

« Telthis, par tous les dieux ! Je m’en serai voulu de vous traîner aussi loin de chez vous sans un brin de danger d’aventure ! Sildael est avec moi, il faut l’emmener loin d’ici sans tarder, je crains poru sa santé !
-Je le crains également, dit Telthis en mettant pied à terre, mais nous sommes encerclés, j’en ai peur.
-Vous pensez pouvoir la réveiller ? demanda Théoden, conscience de leur impuissance à tous deux. Si elle a pu aller à elle seule jusqu’au cœur de cette cité, elle a dû passer par là. Ses conseils nous seraient précieux, nous ne retiendrons pas cette marée autrement ! »

Telthis, en silence, solennel malgré l’urgence, se pencha sur la Dame. Enfin il la retrouvait. Même si les circonstances ne le permettaient pas vraiment, l’instant se devait d’être particulier. Il prit le pouls de Sildael la Radieuse, et fut comblé de joie en sentant un battement, même faible. A nouveau, il fit appel à son médaillon. Malene, il le savait, avait dû être vidée par l’effort nécessaire pour lui construire le pont qui l’avait mené ici. Il n’aimait pas la solliciter à nouveau. Mais peut-être que pour sa sœur, elle pourrait…

« Je vais vous demander de les retenir autant que possible, répondit-il simplement à Théoden. »

Ils se releva après avoir contacté sa reine, et espérant qu’elle agisse, se joignit à la danse de Théoden. Telthis savait ce qu’étaient ces golems de chair. Des émanations de la cité qui se trouvait non loin d’ici, et du démon qui s’y trouvait, qui ne souhaitait vraisemblablement pas les laisser s’en sortir aussi aisément. Voilà pourquoi le nombre de ces bêtes était infini. Il pouvait en générer autant qu’il le souhaitait, tant que lui-même se trouvait sur Ryscior. Autant dire que ce combat serait forcément perdu, à l’usure, si Sildael ne se réveillait pas. Mais soudain, il entendit, légèrement sous lui, alors qu’il était dos à dos avec Théoden, arc-boutés tous les deux au-dessus de Sildael, dans une position protectrice, avec leurs chevaux qui ruaient contre ces bêtes étranges et terrifiantes non loin, il entendit un gémissement elfique, et des bruits de craquements. Comprenant ce qui allait arriver, il bouscula Théoden. Il fallait quitter les lieux et vite ! Il l’encouragea à s’engager plus profondément dans la mêlée de chair, peu importait Sildael. Pas le temps pour les explications.

Alors qu’ils pénétraient ainsi dans cet océan d’ennemi, ramant élégamment avec leurs lames, taillant la chair et répandant le sang, ce qui devait arriver arriva, et un éclair de lumière les aveugla tous les deux. Théoden, surpris, trébucha sur lui, vraisemblablement sonné.

« Par Ariel, c’est pour ça que l’on l’appelle la Radieuse alors ? »

---

Après avoir utilisé son feu radieux pour aveugler le démon non loin, Sildael prit son envol. Délicatement, elle prit d’abord les deux chevaux, paniqués et aveuglés, dans ses pattes arrière. Sentant que les bêtes ne souhaitaient que fuir, elle leur envoya de puissantes vagues d’apaisement spirituelles, les calmant, les rassurant, et bientôt, les deux braves bêtes étaient en train d’apprécier leur premier vol. Pendant ce temps, elle avait saisi Telthis et l’humain dans l’une de ses pattes avant, et elle tourna le dos à cette terre maudite, prenant de l’altitude à mesure qu’elle s’éloignait.

Elle put entendre Telthis et l’humain commencer à parler à nouveau. Lisant rapidement dans les pensées de ce dernier, mais en prenant soin de ménager son esprit afin de ne pas lui voler une information qu’il aurait souhaité garder personnelle, elle en apprit rapidement sur lui. Il paniquait. Il essayait de garder son calme, mais ce premier vol n’était pas une expérience agréable pour lui aussi. Comme pour les chevaux, mais en utilisant cette fois des mots et non des émotions pures, elle s’employa à le rassurer.

« Calmez-vous commodore, dit-elle, dans son esprit. Tout est sous contrôle.
-Personne ne m’avait parlé dans ma tête depuis Malene ! réagit-il en riant. Vous les elfes, vous faites vraiment des trucs pas nets !
-Dame Sildael la Radieuse n’est pas tout à fait une elfe, répondit Telthis, tandis que Malene sentait qu’il l’invitait à escalader sa patte pour monter sur son dos. Elle approuva d’un grognement l’idée, ils seraient tous deux mieux installés.
-Je crois que ça se saurait mon ami, si elle n’était en effet qu’une elfe, dit le commodore. Je peux me targuer d’avoir la peau épaisse, mais ça… Ça c’est hors compétition ! »

Amusée, Sildael lui expliqua ce dont il retournait. Que les dragons pouvaient se changer en n’importe quelle créature au monde. Y compris en elfe, ou en humains. Que lorsqu’une dragonne s’accouplait, sous une de ces formes, avec un elfe, l’œuf qu’elle pondrait plus tard verrait sortir un enfant mi-elfe, mi-dragon. Le commodore aurait tout autant été sous le choc s’il avait reçu une flèche dans le genou, le handicapant à vie.

« Vous êtes une Enfant de dragon ? demanda-t-il.
-Exactement, dit-elle. »

Elle continuait à battre des ailes, se volant vers l’est, vers la lumière et l’espoir de trouver des alliés.

« La providence est avec nous, dit le commodore, il faut le croire. Et cela explique pourquoi vous avez pu survivre ainsi dans le néant, à flotter seule dans le froid du grand rien.
-Nous autres dragons, dit-elle, sommes des dures à cuire.
-Ne nous enflammons pas trop, surenchérit-il, amusé. Nous ne sommes pas encore sortis de cet enfer !
-Nous en sortirons bientôt, dit Sildael, ramenant la conversation à de plus sages ambitions. Où est votre camp ?
-Avalon ! dit Théoden. Nos forces y sont regroupées, pour la bataille finale… Des siècles de plongée dans le néant. Je me demande comment vous avez pu faire. Je n’ai dû y rester que quelque heures, mais cela m’a largement suffit. »

Tandis que Sildael battait de l’aile vers Avalon, observant au sol des colonnes de démons qui suivaient le même chemin, mais ne les attaquant pas, préférant jouer la sécurité pour les hommes et les chevaux qu’elle transportait, la conversation tourna autour du néant. Telthis affirma que le fait que le Commodore ait pu s’en sortir sans devenir fou signifiait qu’Ariel veillait sur lui. Et il avait sans aucun doute raison, songea Sildael. Rien que le fait que l’humain ait pu pénétrer dans la Cité sans devenir fou indiquait qu’il avait les faveurs des dieux. Théoden fut persuadé que la cité étant un démon, il pourrait le frapper.

Sildael se remémora de terrifiants souvenirs. Elle n’était qu’une enfant, mais elle avait vu des milliers de milliers de guerriers partir pour affronter la même cité, à l’époque des anciens. Seuls quelques milliers en étaient revenus. Mais le Commodore n’en démordait pas. Avec l’appui des dieux, disait-il, il saurait mener l’assaut final sur cette chose, sans s’enorgueillir de rien, affirma-t-il toujours.

Sildael en grinça des dents et mit fin à la conversation. Autant parce qu’elle n’aimait pas sa tournure que parce qu’Avalon, encerclée par les hordes ennemies qui grossissaient désormais d’heures en heure, était en vue.
Jeu 11 Jan 2018 - 22:59
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Capitaine Theoden
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Le vol de Sildael était aussi silencieux que celui de la chouette dans la nuit. Fendant les cieux avec agilité, la semi-elfe porta Telthis et Théoden jusqu’au relatif refuge d’Avalon. Et ce serait en effet un refuge, si la Cité-Blanche n’était pas à présent cernée par une masse purpurine obscure. En contrebas, les défenseurs des dieux auraient le temps de contempler l’ampleur de leur damnation qui approchait. Car elle approchait bien, nombreuse, grouillante. Elle noyait les verts champs d’Avalon sous des millions de pieds. Des milliards d’yeux, comme des cendres ardentes, étaient à présent tournés vers l’Arbre Blanc. Aussi loin que leurs yeux pouvaient voir, Telthis, Sildael et Théoden ne parvenaient pas à distinguer la rive de cet océan maudit. C’en fut assez pour plonger le Capitaine dans les songes les plus profonds. Car les mots d’Henast ne quittaient pas son esprit, et que ses révélations mettaient en danger la fibre même de sa conscience. Il était brave, cela était vrai, mais la bravoure ne pouvait rien contre cela.
C’est donc sans remarque particulièrement audacieuse qu’il laissa Sildael prendre la direction de la Haute Place de la Citadelle.


En contrebas, on ne sut pas ce qui approchait depuis les cieux. Arrivant contre le soleil, Sildael la Radieuse avait l’apparence d’une masse ailée noire comme la nuit. Et ses deux cavaliers faisaient figure de champions du chaos. C’est donc sans trop de discussions que Dame Morgane et le Capitaine Treville s’accordèrent sur la nécessité d’accueillir cette surprise avec la plus grande des méfiances.
Comme ces derniers jours l’avaient montré, la meilleure façon pour les défenseurs de joindre leur force avait été de former des murs, à l’aide des lourds boucliers Avalorrims et des longs mousquets Odysséens. Sur ce modèle-ci, les Capitaines Brookes et Tréville avaient pu former avec Dame Morgane des pelotons mobiles, appelés à contenir d’éventuels débordements dans les ruelles les plus étroites de la cité. Ces pelotons, il fut en mobiliser une dizaine pour pouvoir accueillir cette menace inconnue qui leur fondait dessus. Mais c’est ce qu’ils feraient. Par la menace de la lance, et les tirs de sommation. Mais les trois Capitaines en charge de l’infanterie d’Avalon ne pouvait pas empêcher ce dragon d’atterrir. Il ne pouvait que le forcer à le faire au bout de l’éperon rocheux, au plus loin du palais. Là où les milliers de civils et les infirmes avaient été enfermés en sécurité.
Il fallut bien ces premiers tirs pour extirper Cassandra Renrin du demi sommeil qu’elle avait réussi à trouver, entre tous ces préparatifs. Elle qui jusque-là serait seule à batailler dans les airs, elle devrait également assurer aux défenseurs le minimum de couverture qui leur permettrait de manœuvrer sans craindre d’être pris à revers. Ainsi donc tirée de sa torpeur, l’élue de Lothÿe quitta l’ombre de sa demeure, suivie par la Sœur chargée de la surveiller. C’est lorsqu’elle assista à cette scène que les choses virèrent différemment. Car une élue de Lothÿe savait reconnaître un dragon, qui plus est un de cette taille-là. Son intervention stoppa aussitôt les tirs de sommation des Odysséens, qui se tournèrent avec stupeur vers l’élue, tandis que Sildael se posait finalement dans un équilibre précaire au bord de l’éperon rocheux, loin au-dessus du sol. Pour les personnes rassemblées là, mais tenues à l’écart par la garde de la cité, il sembla que Dame Morgane et le Capitaine Tréville se portent au-devant de ces arrivants inattendus.
Mais le plus inattendu se produit lorsque le dragon se fit soudainement femme, perdant peu à peu toute son envergure et troquant ses écailles contre une peau laiteuse et de longs cheveux rayonnants. Naturellement, il faudrait couvrir cette femme car elle ne portait pas vêtements. Mais Telthis, que tout le monde avait reconnu, s’en chargerait sans attendre tandis que le Capitaine traitait avec les Sœurs Supérieures de la Cité. Et ils discuteraient longtemps, car tous avaient craint que le commandant de l’Odyssée se soit abandonné aux démons. Mais il n’en était réellement rien, et bientôt les Odysséens abandonnèrent leurs formations de défense, afin de regagner leurs postes. Le Capitaine Telthis était rentré, avait ramené le Commodore et les Odysséens l’honoreraient pour cela.
Mais quand la conversation fut achevée, le petit groupe se sépara. Les Sœurs Supérieures guidèrent Sildael vers l’intérieur du palais, Telthis s’en retourna s’occuper de ses affaires, et le Capitaine fila sans attendre vers les niveaux inférieurs afin de revoir les préparatifs de la bataille à venir.



Ce qu’il se dirait entre les Sœurs Supérieures et Dame Sildael, nul ne l’entendrait. Néanmoins, leur échange serait bref, car l’Elfe avait eu l’occasion de voir dans le Grand Hall du Palais la majestueuse tapisserie qui ornait la coupole derrière le trône. Et quelque chose l’y marqua. Un passage antique, parlant des évènements suivant la mort du regretté Seigneur Nataï. Dessus étaient figurés les actes et décisions que prendraient ses descendants. Evidemment, on s’y étendait beaucoup sur la bravoure et les actes pleins de mérite de ses sept filles, les mères de l’Avalon actuelle. Mais elles tombèrent rapidement sous le coup de la sorcellerie des démons, et la perte de leur force animale semblait expliquer en partie leur défaite. Néanmoins, un certain passage de la tapisserie, fort abimé par le temps, contait les actes d’un autre descendant du Seigneur Nataï. Anonyme sur la toile, il était pourtant figuré deux fois. Lors de la première fois, il chevauchait le dos d’un dragon doré que Sildael reconnaîtrait sans mal. Mais à la seconde, il reposait au fond d’une crypte.
Evidemment, quiconque n’avait pas vécu en ce temps ne reconnaîtrait pas cet endroit particulier, ni ne saurait de qui parlait ce passage. Mais l’Elfe avait vécu en ce temps, et combattu avec les derniers véritables Avalorrims. Et c’est sans hésiter, ni plus tarder qu’elle prit la direction des sous terrains d’Avalon.
C’est par une porte dérobée, sans doute restée close pendant les cinq derniers millénaires que l’Elfe quitta la relative sécurité du dehors, au profit des ténèbres humides des sous terrains de la forteresse. Les torches y avaient cessé de se consumer il y avait de cela des temps immémoriaux, et un silence désormais sinistre y occupait l’air. Tout y tombait là en morceaux. L’humidité avait fait son œuvre sur les fins bas-reliefs des Hommes-Animaux et les avait rendu pour ainsi dire illisibles. Le pavé du sol s’était fait glissant, et les pieds nus de l’Elfe s’y trouveraient bien en peine. Car même si sa vision était particulièrement adaptée aux ténèbres, le sol s’était grandement disloqué dans les couloirs. Néanmoins, et comme partout dans la cité, les allées étaient très hautes, et bien plus larges que dans n’importe quelle crypte Elfique ou Humaine. Cela s’expliquait par la stature autrefois imposante des habitants de la cité, dont il ne restait plus que des statues anonymes.
Tout au long de sa descente, Sildael verrait sur sa droite et sa gauche apparaître les portes de cryptes familiales. Elle était entrée dans cette partie de la cité où les morts étaient enterrés, sous les pieds des vivants. Malheureusement, le temps avait condamné la plupart de ces portes, dont les gonds et les serrures avaient comme fondu sous le coup de l’humidité. Et cela la forcerait à continuer sa descente, toujours plus loin, vers un lieu où la pierre blanche semblait commencer à montrer des signes d’infection démoniaque.
Après peut-être une heure d’escaliers, de petits corridors étroits et de mémoriaux divers, Sildael arriverait au plus profond du cimetière antique d’Avalon. Devant elle, l’escalier débouchait sur une antichambre richement ornée, d’où tombait à présent des lambeaux de chair putride. En face, une double porte fine s’ouvrait sur ce qu’elle reconnaîtrait comme le tombeau antique des Seigneurs d’Avalon.
A l’intérieur, la Crypte semblait elle avoir été figée dans le temps. Etrangement épargnée par l’humidité et l’infection des démons, cette petite capsule temporelle transportait à elle seule toute la gloire des temps anciens. Les hautes statues d’Hommes-Lynx, soutenant une coupole majestueuse, les bas-reliefs précis, taillés d’un bloc dans le marbre le plus pur, les réhaussements d’or et de platine jusque dans les jointures des dalles du sol, les tapisseries élégantes… Cet endroit avait tout du Temple de Filÿon, et il n’était pas étonnant d’y voir entreposés les corps des Seigneurs d’autrefois. Quel plus grand honneur, après tout, y avait-il pour ce peuple ?
Mais quelque chose d’inhabituel attendait là l’Elfe. Au centre de la salle, entre les cercueils disposés en rond tout au long des murs, un caveau demeurait ouvert. Et un souffle léger troublait là le silence. En approchant, elle discernerait la lumière d’une unique bougie, posée là sur le bord du cercueil par une main qui avait depuis longtemps rejoint l’au-delà.
Au fond de ce cercueil, elle trouverait un Homme-Lynx plongé dans un profond sommeil. Le poil noir, haut de plus de deux mètres et demi, cette montagne de muscles était allongée là dans une somptueuse armure noire comme l’ébène, couverte d’une cape brodée. Et bien qu’un profond sortilège pesait sur le sommeil de la créature, Sildael reconnaîtrait sans mal celui qui dormait là comme étant le Seigneur Sangar, surnommé autrefois « Œil-de-Nuit » par ses compagnons chasseurs. Il tenait entre ses pattes un long arc, façonné dans une unique pièce de bois par les menuisiers d’autrefois. Un arc qui faisait aisément la taille d’un Halfelin, couvert de cuir tressé et dont les veines étaient ornées par de l’or pur, donnant un reflet lugubre au bois.
Sildael, qui avait senti le sortilège peser sur Sangar, fit passer sa surprise de le retrouver au second plan et choisi de défaire le maléfice. D’une main délicate, elle vint effleurer le pelage de l’Homme-Lynx, avant de se figer au-dessus de son cœur. La magie de l’Elfe ferait l’effet d’une délicate chaleur qui traverserait le corps glacé de Sangar afin de le purifier. Et après quelques instants d’efforts, la Sœur de Malene pourrait sentir son ami reprendre peu à peu conscience sous sa paume.
Le corps de Sangar se tendit d’abord, comme un arc. Sous l’impulsion d’une seule pensée, le Prince d’Avalon reprenait pieds dans le monde réel. Mais cette seule pensée était tournée vers la guerre qu’il avait autrefois quitté, et la menace de ses pattes griffues qui se resserraient sur la pierre forcerait Sildael à reculer. Puis, arqué dans son caveau, la gueule de Sangar s’ouvrit, aspirant soudainement de l’air. Il écarquilla les yeux, ces deux billes au jaune intense. Il cherchait encore son air, et ses yeux n’étaient encore guère habitués aux ténèbres de la crypte, mais ce fut le moment que choisit Sildael pour faire entendre sa voix.

« -Maître Sangar ? » appela-t-elle alors, d’une voix aussi calme que possible.

Et ce serait assurément une intuition judicieuse. Car les oreilles de Sangar se tournèrent vers elle, cherchant à mieux capter ce timbre de voix si familier.

« -Où suis-je ? » appela-t-il alors d’abord, dans ce langage étrange qu’utilisaient autrefois les habitants d’Avalon « Qui me parle ? »

Sangar finit par trouver son souffle, malgré les monticules de poussières qu’il soulevait en remuant. Ce serait un répit que l’Elfe pourrait utiliser afin de se préparer à ce qu’elle avait elle-même dû affronter à peine quelques heures auparavant. Se réveiller dans un monde inconnu, cinq millénaires trop tard. Elle devrait à présent aider son vieil ami à faire de même… et à en juger par les tombeaux autours d’eux, la tâche ne serait pas aisée. Mais quelle tâche pouvait bien être trop grande pour Sildael la Radieuse ?
Son nom, ce serait justement ce qu’elle choisirait de dire en premier.

« -Je suis Sildael la Radieuse. » énonça-t-elle, observant avec un œil attentif les moindres gestes de Sangar.

« -Dame Sildael ? » répéta justement Sangar, dont les griffes puissantes commençaient à marquer la pierre « Ce n’est pas possible… » souffla-t-il « Je vous ai vue tomber… »

« -J’ai été soignée. » répondrait-elle, avec ce calme qui lui était bien propre.

« -Soignée ? C’est…c’est très bien… nous allons pouvoir… » il toussa, à cause de la poussière, et voulu se redresser. Il rencontrerait la résistance de Sildael, qui souhaitait le ménager, et ne le laissa guère plus que s’asseoir « Nous allons pouvoir reprendre la chasse… »

Sildael pourrait remercier l’obscurité de la crypte, et l’aveuglement temporaire de Sangar. Car l’ignorance de l’Homme-Lynx frappait en elle un traumatisme qu’elle n’avait pas encore su assimiler. Aussi, elle posa sa main sur l’épaule de Sangar, qu’elle regarda longuement en silence.

« -Bien du temps a passé. » lui dit-elle, déterminée à ôter ce pansement le plus vite possible. Malheureusement, Sangar ne semblait pas comprendre la gravité du ton de l’Elfe. Il s’imagina avoir dormi un, ou peut-être deux jours, tandis que la vérité était…

« -Essayez cinq millénaires. » asséna-t-elle finalement, les lèvres pincées. La réaction de Sangar serait d’abord silence. Il ne parvenait pas à y croire et dû faire répéter plusieurs fois Sildael. Le choc était trop grand, certainement trop pénible, et un cœur plus faible que le sien aurait assurément lâché. Mais dans son malheur, Sangar était robuste. Juste assez pour vivre, et affronter la peine que lui apportait la nouvelle de Sildael « J’ai eu le même choc que vous. » lui dit-elle, dans l’effort de lui sauver au moins cette certitude : il n’était pas seul à affronter la peine, et le chagrin.

Mais Sangar… n’avait pas la sagesse des Elfes. Il était encore un jeune prince lorsque le sommeil des démons le frappa, et son cœur était encore la flamme indomptée de ceux qui se croyaient capable de tout. Sildael en mesurerait bientôt toute l’intensité. Quand il réaliserait que tout était perdu, que son peuple s’était éteint, que sa famille avait trépassé et que les démons l’emportaient… toutes les étapes habituelles du deuil se firent chaos les unes contre les autres. D’abord froidement, Sangar se lèverait et ferait plusieurs pas. Son souffle était puissant, car il bataillait pour refouler tout ça. Mais forcer ainsi sur ses poumons rappelleraient à son esprit l’effort de la bataille, et de toutes celles auxquelles il aurait dû participer. C’en serait trop. Ses genoux s’effondrèrent, et il poussa un profond rugissement. Un rugissement don l’écho ne cesserait de se répéter à travers tous les tunnels d’Avalon, gagnant en profondeur à mesure que les instants passaient. Un rugissement qui s’en irait frapper jusqu’au plus profond des ténèbres les démons qui assiégeaient la cité… et qui monteraient jusqu’au plus haut dans le ciel. Les dieux seraient-ils frappés par ce tumulte si soudain ? Les démons seraient-ils effrayés ? Ni l’un, ni l’autre assurément. Mais le Prince d’Avalon vivait. Et il venait chercher sa vengeance.

Sildael et Sangar auraient l’occasion d’échanger encore longuement après cela. Car le passage du temps épuiserait la rage du colosse animal. Mais ce qu’ils se diraient demeurerait entre eux. Car la prochaine chose que l’on verrait serait l’Elfe, ressortant de la crypte suivie par une bête la dominant de plus de trois têtes, les épaules couvertes par une longue cape et armé d’un arc massif.


Si pour Sildael la journée serait particulièrement épuisante, personne ne serait épargné en Avalon par la fatigue. Car à son arrivée, le Commodore Théoden avait examiné les défenses installées par Morgane et Treville. Il les avait considérées, longuement, et les avait jugées insuffisantes. Aussi, et au regard de ce que son voyage avec Henast lui avait enseigné, il avait décidé de changer du tout au tout les dispositions prises pour stopper, ou à défaut ralentir l’avancée inévitable des démons. Pour cela, et avec le concours indispensable de Telthis, le Commodore descendit la cité étage par étage et prit plusieurs décisions. Pour commencer, il déciderait de faire démonter tous les trébuchets supposés tirer depuis les remparts supérieurs.

« -Les projectiles que ces armes projetteront se montreront bien inefficaces contre les hordes qui nous attendent. Faute de pouvoir bénir d’aussi grosses munitions, et sans pouvoir pour autant projeter des flammes magiques, nous allons recycler ces armes autrement. » avait-il dit à l’Avalorrim qui assurait l’entretien d’une de ces pièces.

« -Allons nous donc les démonter entièrement ? » demanda la jeune femme, à la fois surprise et inquiète.

« -Qui a dit cela ? Non. Vous allez les renverser et les cheviller aux murs des derniers niveaux. » fit le Capitaine, avec un éclair de ruse dans le fond de l’œil.

Dans son idée, transformer ces trébuchets en pièges allaient permettre de retarder le plus gros de la Horde, lorsque les défenseurs seront inévitablement débordés. Des pièges, à usage uniques, qui permettront de former convenablement les troupes à affronter les Enfers en personne. Mais ce ne serait pas tout.
Car plus bas, Théoden vit les forgerons de la cité s’attacher à sceller les portes et les poternes des plus grands niveaux. Ce qui en soi n’était pas une mauvaise idée, mais que le Commodore jugeait peu avisé. Car les démons passeraient de toute façon, et qu’il n’était pas question de les laisser enfoncer toutes les barricades qu’ils trouveraient. Aussi, et dès la tombée du jour, le Commodore fit dynamiter les poternes les moins importantes afin de les condamner définitivement. Les portes, cependant, il choisit d’en laisser deux entrouvertes, condamnées dans cet état d’entre-bâillement incomplet.

« -De telle sorte que nous puissions concentrer le flux de démons qui se jettera sur nous. » expliqua-t-il à Telthis « Nos armes feront ainsi meilleur effet, et nous garderons le contrôle sur les forces de ma demie-sœur. »

Bien sûr, la méthode pouvait être jugée peu orthodoxe, et cela ferait peut-être froncer Morgane des sourcils. Mais le Commodore commandait encore à une bonne moitié des défenseurs. Et si ses sous-officiers se portaient encore garants de sa fidélité…
Mais les idées de Théoden n’étaient pas encore totalement exploitées. Car il serait décidé cette fois de carrément effondrer nombre de bâtisses dans les premiers et seconds niveaux. L’idée serait toujours la même : contraindre les démons dans un couloir, où leur nombre compterait moins. Et si dans le processus leurs colosses pouvaient périr ensevelis sous une demie tonne de roche… qu’y avait-il à perdre ? Ce siège serait assurément le dernier, quoi qu’il advienne. Demain, la cité serait sauvée. Ou elle tomberait à jamais.
C’est dans cette optique que Théoden avait décidé de trancher sans regards pour le long terme dans les installations d’Avalon. Il fallait absolument jeter tout ce qu’ils avaient dans la première bataille, ou ce serait la fin.
Finalement, après les derniers ajustements, à savoir placer des barricades, réaligner les Espingoles des Odysséens et replacer les réserves de flèches des Avalorrims, Telthis et Théoden se firent face, sur la grande place du premier niveau. L’Elfe avait déjà bien des batailles comme celle-ci, et cette expérience pesait alors sur ses pupilles. Théoden, pour sa part, n’avait jamais connu que le besoin de survivre. En toutes circonstances, et jamais contre pire que la Horde des Peaux-Vertes du nord. Mais ses amis n’étaient pas avec lui. Et en cela, il rejoignait Telthis qui était lui aussi privé de ses frères d’armes habituels. Contraints de faire front l’un avec l’autre, ils échangèrent pourtant une puissante poignée de main. Deux avants bras qui s’entrechoquent, tandis que les poings se resserrent. Et par-dessus cela, les mots les plus simples se mirent à porter les sens les plus lourds.

« - Dringo maë, Argonuì. » déclara Telthis, avant que Théoden ne relâche son avant-bras.

« -Toi aussi, mon ami. » répondrait justement le Commodore.

Une pluie drue commençait alors à tomber. Mais une pluie comme en Albion, où l’eau se teintait d’un rouge sang révulsant. Ce serait le prétexte parfait pour rentrer, et se préparer à ce qui devrait arriver au lendemain.


Mais le lendemain serait encore loin pour Théoden, lorsque l’on toqua à la porte de sa demeure. Lui qui était assit derrière son bureau avait prit le temps de repenser à la journée qui s’était écoulé. Un dernier regard en arrière, qui ramenaient avec eux les graines du doute qu’avaient semé Henast. Des doutes sur tout, de la plus simple des choses du quotidien jusqu’à la nature même des dieux. Il semblait se demander s’il luttait effectivement dans le bon camp lorsque Johei entra, apportant avec elle la lumière d’une petite lanterne. Une lumière bienvenue, sans aucun doute. Car au dehors, les ténèbres s’étaient faites épaisses. Denses. Pratiquement palpables. Elles aussi, elles combattraient demain.

«-Bonsoir, Commodore. » commença Johei, poliment, en approchant.

« -Ah, Johei. Bonsoir. » répondrait Théoden, avec un enthousiasme tout à fait mesuré.

Le moment n’était en effet pas aux réjouissances, ni à l’espoir. Le Commodore se noyait sous les questions qu’il se posait, prit au piège dans la toile qu’Henast lui avait tissé. Mais Johei avait toujours défaire ce genre de maladies. Elle était, en cela, bien plus précieuse à l’Odyssée que la plupart des hommes qui y servaient. Elle allait assurément encore le prouver ce soir… quitte à employer l’humour.

« -Exprimez-vous par là un simple souhait de bonne soirée, ou le constat que la soirée est bonne ? » lui répondrait-elle, en prenant place devant lui, écartant de sa main délicate la bouteille avec laquelle il essayait de noyer sa misère.

Johei avait cette manière, parfois, de défaire les plus mauvaises habitudes. Par sa simplicité, sa bienveillance… elle s’était ouverte les portes du cœur du Commodore comme personne auparavant, sinon peut-être Malene. Et considérer que Johei faisait aussi bien que Malene en la matière, c’était déjà assez mal considérer le travail que parvenait à accomplir la Teikokujin.

« -Je dis que ce peut-être notre dernière soirée, mais que je suis néanmoins content d’en partager un peu avec vous. » répondrait-il, cédant déjà un brin face à la présence de Johei, qui le regardait avec des yeux qui dissiperaient toutes les ténèbres du monde.

« -C’est pour vous que je suis venue, Commodore. » dit-elle finalement, décidant de rentrer dans le vif du sujet. Car elle voyait clair dans les tourments de l’élu d’Ariel « J’ai eu une vision de l’avenir cet après-midi, et je vous promets une chose. Je vous ai vu vivant, dans l’avenir, aux côtés d’une Déesse. Je ne l’ai pas reconnue, mais elle régnait sur un monde en paix, débarrassé des démons. »

Johei pouvait-elle vraiment voir l’avenir ? Ou inventait-elle tout cela pour apaiser Théoden ? Cette question, Théoden ne se la posait pas.  Johei avait toujours su se montrer pleine de surprises, mais les révélations qu’elle lui fit posaient d’autres questions encore. Mais des questions… qui avaient le mérite de le détourner des doutes et des germes d’Henast.

« -Pareille chose est-elle seulement possible, Johei ? » finirait-il par demander, après s’être dégagé de ces pensées « Vous semblez si confiante… je ne saurais l’être autant. »

Après tout, traverser le corps d’un Prince Démoniaque, se tenir dans le Néant alors qu’il consumait peu à peu le monde… ces considérations attaqueraient elle-même l’esprit de n’importe quelle personne. Théoden n’y ferait pas exception, même s’il se jugeait lui-même déjà trop fou pour s’y penser vulnérable. Mais Johei voyait la chose autrement. Elle voyait bien les effets que ce voyage commençait à avoir. Mais une chose lui permettait encore d’avoir conscience. Car si Ariel avait su être là pour le protéger, elle savait que les songes du Commodore étaient tournés vers Teikoku, où la présence de la Reine Blanche avait quelque chose de plus tangible encore. Car Malene, et tous ceux qui avaient un jour eu la chance de la connaître, avait cela de merveilleux qu’elle apportait autant de réconfort que la Mère en personne… tout en sachant qu’elle vivait sur le plan physique de Ryscior. Cela signifiait, et Théoden l’avait déjà considéré, que peu devaient importer les ténèbres qui les attendaient, il était toujours possible de faire voile dans l’autre sens et d’aller trouver la lumière rassurante de Naraën.

« -Ce n’est pas mon rôle de douter. » ferait sobrement la Teikokujin.

« -Les rôles n’ont pas vraiment de sens dans ces terres. Mais… » il soupira « J’aimerais croire que ce que vous dites n’est pas seulement… un vœux sensé soulager l’esprit avant la bataille. »

« -Je ne mens jamais. »

Théoden vit là l’occasion parfaite de prendre une assurance supplémentaire. Un dernier préparatif, avant que la bataille fatidique ne s’entame. Il souhaitait assurer le retour de Johei. Que jamais ce petit brin de femme n’ait à travers les vallées des enfers. Aussi, il porta sa main à sa ceinture et en défit l’étui d’une courte dague qu’il glissa sur la table, jusque sous le nez de Johei.
Là, il avait posé Lame-d’Or, cette arme d’une facture riche qui appartenait autrefois à Phadransie la Noire.

« -Alors vous allez pouvoir me promettre ceci. » expliqua le Commodore « Lorsque la bataille tournera en notre défaveur, je veux que vous abandonniez tout ce que vous faites et que vous fichiez le camp. Au bout de l’éperon rocheux, si j’en donne le signal, Sildael viendra vous chercher, Cassandra et vous. Vous partirez, loin d’ici. »

Johei hocha la tête, posant sa main sur la dague. Mais avant qu’elle ai pu la prendre, Théoden prit la main de Johei dans la sienne, fermement.

« -Vous ne mourrez pas ici, suis-je bien clair ? »

« -Entendu. » serait la réponse de Johei, avant que le Commodore ne libère sa main.

« -Vous partez, et vous ne revenez jamais. » répéta-t-il, en hochant la tête.

Mais Johei n’était pas du genre à s’enfuir ainsi. Elle ne portait peut-être pas les armes, mais sa volonté n’était pas moindre que celle des grands soldats d’Avalon. Ce fut donc son tour d’insister sur un point.

« -Nous ne ferons cela que s’il devient clair que nous allons perdre, par contre, Commodore. » dirait-elle « Car il n’est pas question de vous abandonner à la première difficulté venue. »

« -Je savais que vous diriez cela. » avoua le Commodore « Peut être ais-je vu l’avenir, également ? Dans tous les cas, Tobias, Maxwell et Brujon auront ordre de ne pas vous quitter. Votre vie sera comme la leur, et cela ne souffrira aucune discussion. »

L’affaire serait entendue ainsi, et ces deux là discuteraient encore longtemps. Longtemps, oui, car ce n’était qu’à minuit que devait se tenir une dernière office.


Ils étaient tous là. Tous les défenseurs d’Avalon, rassemblés dans l’antique Théâtre de la cité. Du plus petit gabier aux Sœurs Supérieures. De la plus simple écuyère aux plus grands guerriers Elfes. Tous, et toutes, avaient en cet instant le regard tourné vers la grande scène où à tour de rôle Cassandra et Théoden allaient prier pour la victoire. Entourés des prêtresses de l’Odyssée, mais aussi de Sangar, de Sildael, de Telthis…
De l’encens brûlerait, en grande quantité. Et l’on prierait. Cassandra au soleil, et la chaleur éternelle du Seigneur Lothÿe. Elle priait avec une ferveur qui serait rarement observée chez elle. Bien entendu, Théoden prierait avec elle. Tous les deux, côtes à côtes, invoqueraient évidemment leurs dieux de longues minutes durant. Mais alors que les prières pour Lothÿe se finissaient, et que l’algue d’Ariel cessait de se consumer, les deux élus poussèrent leurs dévotions plus loin. Suivant Théoden, Cassandra pria donc ainsi Canërgen, car le Commodore savait que le dieu de l’au-delà avait souhaité cet Odyssée. Ils prièrent Filyon, dont le règne n’était pas étranger à cet endroit. Ils prièrent également Prarag, Edus, Naraën… et le rituel tarda jusque tard dans la nuit.
Seulement, à force de prières, les Odysséens et leurs amis Avalorrims seraient finalement entendus. Tout d’abord par un silence. Et puis, aux commissures des fourreaux de tous ceux qui étaient rassemblés là, une lumière intense se mit à briller. Morgane, la première, tirerait son arme de son étui. Elle la tirerait et verrait que sa lame entière avait été noyée dans cette bénédiction. Le temps de réaliser ce qu’il se passait, des centaines de traits de lumières illuminèrent l’enceinte du théâtre, imitées par des milliers. Théoden, finalement, ferait de même. Seul Sangar demeurerait de marbre, renonçant à tirer sa lame qui pourtant l’appelait. Il était de rage, et bouillonnait depuis son éveil. Mais peu importait. Car demain, tout le monde aurait son lot de sang et de mort. Demain, le sort d’Avalon serait scellé et l’un des deux camps allait s’y effondrer.

Avalon était calme cette nuit-là. Mais pour combien de temps encore ?
Mar 24 Sep 2019 - 18:04
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Dargor
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Le Maitre de l'Intrigue
Dargor
Trois grands anneaux de lumière s’élevaient de la plaine, et ils étaient mis en valeur par la fumée qui montait du premier niveau de la cité, rapidement envahi par les monstruosités aberrantes qui s’étaient déversées au cours des dernières heures sur ses murs.
Qu’il était paradoxal, que ces anneaux de lumière pure brillent au milieu des flots nourris des forces des ténèbres, amenées par les démons et leurs serviteurs ! Mais le dragon maléfique à la tête de cette armée, Henast, les avait pourtant soufflés sur la plaine, jadis verte, maintenant boueuse, qui se trouvait ici.

Tout avait commencé à l’aube, par un cri de guerre. Mais pas le genre de cri de guerre qui était poussé par un individu seul. Dans une unité remarquable, les forces des démons, et l’armée de leurs serviteurs, avaient poussé un monstrueux cri dans la langue indicible qui était la leur. Un cri si insupportable à l’ouïe que les défenseurs de la cité, en grand nombre, durent se boucher les oreilles pour refuser de l’entendre plus longtemps. Et pourtant, il ne dura quelques secondes.
Après le cri vint la dragonne à deux têtes, Henast. Elle volait au-dessus de la plaine, dans un silence inquiétant, uniquement rompu par le bruit de ses ailes monstrueuses qui battaient lentement. Elle se mit à souffler dès le début de l’assaut. Il était clair qu’elle traçait dans le sol alors vert ce qui devait être des cercles, et qui serait plus tard des anneaux.

Les défenseurs de la cité, sachant le premier mur beaucoup trop grand, car déployé en un anneau autour de la cité sur près de deux kilomètres, n’avaient en fait choisi que d’y opposer une résistance symbolique. Ils savaient qu’il était impossible de tenir un tel mur face aux puissants démons qui viendraient, et les démons le savaient. Aussi, seuls les plus faibles furent envoyés pour prendre ce mur, dans ce qui n’était alors qu’un avant-goût de la bataille à venir.
Et ce premier anneau protecteur de la ville, cette première bataille qui n’était qu’une farce, combien de vies coûta-t-elle cependant ! Les premiers assaillants étaient certes parmi les plus faibles, de simples diablotins à des petites gargouilles, en passant par leurs serviteurs humains les plus misérables, ceux qui doutaient et qui ne savaient que faire, ceux qui étaient trop fanatiques pour comprendre la grandeur de ce qu’ils servaient, et les faibles de corps et d’esprit de façon générale. Mais ces derniers, ce qu’ils n’avaient pas en force ou en talent, ils le compensèrent en férocité.

Fût-elle causée par la peur, ou par la servitude aveugle ? La réponse à cette question était-elle aussi simple ? Cela n’aurait aucune importance pour les défenseurs, pas plus que cela n’avait d’importance pour celles et ceux qui, lieutenants de l’armée démoniaque, avaient envoyés sans remords cette masse errante et pensante de chair, dans laquelle ils ne reconnaissaient pas des êtres dignes regrettés, à une mort certaine. Mais c’est avec un certain plaisir que les soldats, les vrais, de l’armée démoniaque, les virent tenter de poser les grandes échelles sur les hauts murs de la cité blanche. C’est même avec une joie toute perverse qu’ils virent les cadavres s’entasser tant et tant que les survivants en firent une rampe pour l’escalader. C’est à ce moment que les défenseurs, qui croyaient que le premier anneau pourrait tenir, durent se résoudre à l’abandonner.
Ce ne fut pas une débâcle, bien sûr. Tout cela était prévu, anticipé. Des milliers de vies avaient ainsi été perdues par les armées démoniaques, simplement pour que les défenseurs de l’anneau appliquent à la lettre leur plan, en perdant un grand nombre des leurs, bien sûr, dans l’absolu, mais au regard de ce qu’ils avaient craint, ces pertes se trouvaient être légères. Tant de vies ainsi gaspillées…

L’amiral, père humain de la dragonne Henast, en blâmerait sa fille, qui avait pris une si mauvaise décision. Son amante, en revanche, s’en réjouit. Elle qui, prêtresse déchue, ne connaissait pas la stratégie guerrière, ne voyait qu’une chose. Le premier anneau était tombé, et les vrais guerriers de l’ost démoniaque, lentement, se mirent à marcher vers la Cité, et le deuxième anneau qui la protégeait. Il était temps, cette fois, que la vraie bataille se déroule. Et celle-ci nécessitait une meilleure préparation.

Henast, la dragonne, était plus maligne que son amiral déchu de père ne le pensait. Voilà pourquoi elle avait anticipé cette chute, qu’elle savait inévitable. Elle avait tracé ces trois cercles, qui petit à petit se firent anneaux de lumière au milieu d’un flot de couleurs ténébreuses. Et des trois anneaux s’élevèrent bientôt trois colonnes de fumées, noires cette fois, et qui éteignirent les anneaux, éteignant leur lumière, et appelant à une grande crainte parmi les défenseurs, qui résistaient pour l’instant bien à l’horreur indicible qui s’imposaient à leur esprit, sous la seule forme pour l’instant de la peur. Mais les dirigeants des armées démoniaques, Henast en tête, savaient bien que le nouvel assaut qui s’annonçait, que la vraie bataille qui commençait, se ferait sur tous les plans.
Et quand la fumée rejoignit, depuis les anneaux de lumière éteinte, le premier anneau qui enfermé, désormais protecteur futile, la cité, la peur devint panique dans le cœur des hommes les plus faibles qui la défendaient. Et ceux qui inhalèrent la fumée par bouchées entières se mirent à tousser. Et de la morve qui sortait de leur bouche, des gémissements se mirent à monter, ajoutant à la terreur.
Certains commencèrent déjà à perdre la raison, en voyant leur propre bave se rassembler au sol, formant des démons aberrants, malades, verdâtres et visqueux. Ces démons se battaient avec des langues gluantes, des griffes suintantes de pus, des cornes dont la matière évoquait non pas l’os, mais cette peau morte, qui sous forme d’ampoules ornait normalement les mains des honnêtes travailleurs de la terre.
Ces démons paraissaient peu dangereux, mais qu’ils arrivent au milieu de la foule, et qu’ils soient l’incarnation de la maladie, faisait qu’ils avaient un effet sur tous les hommes. Ils ne tueraient sans doute que peu de défenseurs.

Mais qui pouvait dire, alors que sous le coup de la fumée, déjà, les combats se déroulaient à l’intérieur du second anneau, qui pouvait dire qu’il n’avait pas peur, pas d’inquiétude, face à la preuve des pouvoirs des démons ? Face à ce que les plus faibles d’entre eux pouvaient inspirer à leur armée ?
Mar 1 Oct 2019 - 20:19
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Hënmellon
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Elle avait vu les dommages que les démons feraient sur Avalon. Elle avait lu tout ce qu’elle avait pu concernant cette bataille fatidique, au cœur des Terres d’Albion. Elle avait sondé le passé de tous les survivants qu’elle avait pu rencontrer. Et pourtant, la réalité de l’invasion démoniaque en Albion était plus terrible qu’elle n’aurait jamais pu le penser.
Nichée parmi les vents, Lexi observait le triste spectacle qui se déroulait en dessous d’elle. La lente avancée des démons, lorsque la Grande Porte céda. Elle voyait les défenseurs tomber un par un, avalés par cette marée sans forme. Et pourtant, il y avait autre chose. Chez les défenseurs, l’espoir tenait. Un espoir qui reposait sur les épaules de gens comme Dame Morgane, qui à chaque instant était plongée dans la mêlée aux côtés de ses sœurs. Et elle était farouche ! Avalon n’avait plus connu pareille furie depuis les premiers temps de l’invasion. Mais si la furie de Morgane était palpable, elle était encore dominée par une forme de raison. Celle que les grands généraux de l’histoire eurent, en leurs moments les plus critiques. La faculté de discerner son environnement, et de continuer à commander malgré la lutte.
Il y en eu un pour demeurer en arrière. Un qui refusa la retraite lorsqu’elle fut donnée. Et même si Lexi ne s’attendait pas à le trouver éveillé aussi tôt, elle dû admettre que sa présence fut heureuse. Car dans son monde, Avalon n’avait pas été défendu par son Prince, et cela coûta bien des vies aux alliés de la Cité Blanche. Mais comme il était là, le Prince d’Avalon allait avoir sa chance de montrer pourquoi l’appelait-on Sangar Œil-de-Nuit.
Car si de fait les Odysséens couvrirent la retraite des Avalorrims, leur propre retraite serait elle couverte par le Capitaine Théoden. Capitaine qui, depuis son cheval, déclenchait sur leurs talons les détonateurs qui feraient sauter les fondations des plus grosses bâtisses bordant leur route. Ce piège, pour ainsi dire simpliste, allait provoquer un certain nombre de victimes… Mais surtout ralentir les démons. Les ralentir encore et encore, jusqu’à ce que les défenseurs aient pu se retrancher au second niveau. Mais concernant Sangar, qui lui refusa la retraite, Lexi écrirait ceci :

« Jamais je ne vis pareille fureur. Et pourtant, Sangar glissait sur les toits du premier niveau avec le même silence que le vol de la chouette. Son arc devait bien faire ma taille, et pourtant il le bandait avec un naturel déroutant, décochant flèches après flèches… Il abattrait bien des colosses démoniaques, après leur avoir infligé la plus douloureuse des cécités. Ses yeux à lui n’étaient pas de nuit, car ils embrasaient tout ce qu’ils parcouraient. Œil-de-Nuit… Je compris enfin qu’il infligeait la sentence des ténèbres à ses proies, avant de les mettre à mort. Je n’avais pas vu pareil chasseur depuis Dortan… »

Au second niveau de la cité, les choses commenceraient à se corser. Retranchés derrière des murs bien plus défendables, les défenseurs pouvaient faire usage de petites pièces d’artillerie afin de toujours plus tenter de tarir ce flot d’ennemis qui avançait sur eux. Lexi verrait les balistes se tendre, propulsant des dards agiles sur les bêtes maudites qui approchaient. Elle sentirait l’air crépiter à travers elle, lorsque les espingoles feraient feu, pressant contre les démons un barrage de grenaille dévastateur. Les archères tiraient depuis l’abris de leurs créneaux, tandis qu’en contrebas le Capitaine Théoden guidait ses fusiliers jusqu’à leurs postes de tirs. Ainsi placés, ils formeraient de redoutables lignes de feu. Concernant ces fusiliers, Lexi commenterait ceci :

« Leurs uniformes, je ne les avais jamais vu. Ces fusiliers Kelvinois ne portaient ni le bleu clair des troupes de la Navy ni le brun des régiments terrestres. Ils n’arboraient que le blanc le plus pur. Qu’était-ce que cela ? Cent ils étaient, et pourtant leurs lignes de mousquets abattaient autant de cibles que s’ils avaient été mille. Dans un roulement parfait, ils chargeaient et déchargeaient leurs armes sans interruptions aucune, forçant plus d’une fois l’avancée des démons à l’arrêt dans ces goulots d’étranglement que le Capitaine avait fait former. Était-ce cela la véritable force de ces humains que Telthis aurait formé en personne ? Ils me montreraient bientôt que même avec un mousquet déchargé, ils savaient vendre leurs vies au prix le plus cher. Mais leurs vies étaient trop peu nombreuses, et beaucoup d’entre eux ne verraient pas le lendemain arriver… »

C’est à ce moment que Lexi su pourquoi elle devait être là. Dans les rangs des troupes, la Ménestrelle verrait les lignes se rompre et des luttes éclater. En cause ? Ce devait être ce gaz nauséabond qui venait frapper par vagues les murs de la cité et en infectait les défenseurs. Beaucoup d’entre eux se retrouvaient à combattre des créatures formées par la bile qu’ils étaient forcés de régurgiter. C’était là l’œuvre d’Henast, Lexi ne se permit aucun doute à ce propos. Mais ses pouvoirs plus ceux d’une jeune femme. Cette fois, elle ne saurait contenir le pouvoir des vents.
Alors elle se concentra, voyant filer en dessous d’elle le Capitaine Théoden sur son cheval blanc, encourageant ses hommes à se couvrir le visage et à ne pas paniquer. C’était là une solution, mais une Lexi en disposait d’une bien meilleure. Elle leva lentement les bras au-dessus de sa tête, laissant sa harpe jouer sa volonté. Comme une cheffe d’orchestre, elle commanda à tous les vents d’Albion de venir se soulever jusqu’à elle. Elle les fit danser du bout de ses doigts avant de finalement les faire retomber sur Avalon. Le coup frappa avec une telle force que les défenseurs et les attaquants seraient fixés sur leurs positions, devant parfois même poser le genou à terre.
Cette mesure aurait également l’intérêt d’écraser sur le sol et sur les toits les centaines de gargouilles démoniaques qui commençaient leur assaut. Henast, évidemment, serait frappée par ce sortilège. Et même si elle n’en sembla pas heureuse, sa forme de dragon lui permit d’éviter le crash. Lexi jurerait, mais elle aurait l’occasion de recommencer. Le principal était que le gaz putride avait été dispersé… et que les défenseurs puissent reprendre leurs positions.
Dans ce regain d’efficacité, les Odysséens seraient copieusement soutenus par le travail appliqué de Telthis. L’Elfe, dont l’apparition fit sourire Lexi, besognait méthodiquement parmi les combattants d’Avalon. Sabre au clair, il s’était fait pour ainsi dire impossible à suivre du regard. Pour le commun des mortels, il semblait seulement que le vent avait prit corps en une lame acérée. Et ainsi, par brises agiles, l’Elfe s’affairait à effondrer l’offensive Démoniaque. Un peu comme Sangar le faisait, un niveau plus bas, Telthis ciblait en priorité les colosses de chair qui menaçaient le bon ordre des lignes Avalorrims. Il lui fallait fort peu de temps pour en abattre un, et à peine plus pour en renvoyer dix aux enfers. Mais face à des milliers ? Des centaines de milliers, même ? Il fallait bien cela pour stopper un Telthis qui avait tiré sa lame. Une armée. Une invasion.
Néanmoins, Lexi verrait bientôt un renfort substanciel voler au secours de l’Elfe. Suivant le signal que le Capitaine Théoden ferait lancer, Sildael la Radieuse se pencha au-dessus du bord du grand pic qui surplombait la cité. Et à nouveau, sa transformation se ferait dans la plus pure des lumières. Une lumière qui s’éteindrait bien après l’envol d’un grand dragon. Un dragon aux écailles d’or et dont le rugissement couvrirait l’espace d’un instant la clameur de la bataille.
En la voyant passer au-dessus d’eux, projetant son ombre sur les démons, Sangar aurait un grand sourire. Car ce qui suivrait…

Des flammes. Sildael les crachait par épaisses volutes depuis les cieux. Des flammes si denses que la pierre se fit lave, que le métal se liquéfia et que la chair se vaporisa. Les rangs des démons en furent ébranlés le temps d’un instant. Un instant dont Lexi choisit de tirer parti grâce aux vents qu’elle maniait. De telle sorte que le prochain souffle de Sildael souleva une monumentale tornade de braises magiques qui emporterait haut dans le ciel les corps difformes de l’armée démoniaque. Assurément, Sildael aurait remarqué que quelque chose d’autre était là à l’œuvre. Mais Lexi ne se signala pas, ni ne se présenta. A son retour, cependant, Dame Oranie l’entendrait à de nombreuses reprises conter ce moment où la cousine de Malene avait embrasé le ciel d’un second soleil :

« Dame Sildael… je l’ai vue plonger ! » dirait-elle à sa mentor « depuis le plus haut pic d’Avalon, je l’ai vue fondre et déployer… de grandes ailes au-dessus de la Cité Blanche ! Si vous aviez vu cela… Si vous aviez senti l’espoir renaître chez les Odysséens… Je comprends mieux à présent pourquoi les derniers fusiliers avaient proclamés appartenir au Régiment du Dragon d’Or. »


Et pour un dragon, Sildael faisait rudement bien son office. Le ciel appartint l’espace d’un instant aux Avalorrims, débarrassés des gargouilles et d’Henast, couverts par cet éclair d’or qu’était devenu Sildael… Malheureusement, le moment inévitable du combat arrivait. Les deux dragonnes allaient se livrer une lutte sans merci au-dessus des cieux, tandis qu’en dessous le Capitaine Théoden appelait déjà à un repli général vers le troisième niveau. Car le second s’était déjà fait trop grand à couvrir et il n’était plus question d’y perdre la moindre vie…
Mer 9 Oct 2019 - 22:32
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Dargor
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Alors que l’évacuation du second niveau de la ville était observée depuis la plateforme, en haut de cette dernière, par Cassandra Renrin, la magicienne des flammes, elle fut étonnée de voir, sans que rien ne soit apparemment arrivé, toutes les gargouilles démoniaques tomber du ciel, et la fumée se dissiper. Apparemment, ce ne fut cependant pas du goût des commandants des osts démoniaques. Car alors, une deuxième vague se mit à avancer vers les murs de la ville, alors même que la première, celle de leur chair à canon, ne s’était pas encore tarie. Se tarirait-elle jamais ? Mais ces géants qu’elle voyait se détacher parmi les silhouettes, bousculant leurs congénères et leur marchant dessus pour avancer plus vite, n’étaient clairement pas de la même trempe. Il lui était bien à elle, magicienne et pour l’instant spectatrice de l’action, impossible de dire quel était leur valeur au combat. Mais si cette dernière était à la hauteur de leurs lourdes armures et de leurs armes d’hast, en plus de leur silhouettes massives… Les démons les avaient dotés de tels dons pour une raison, non ? Elle décida qu’il était donc temps d’intervenir. Visiblement, Sildael, la dragonne, avait pris la même décision, car elle s’élança… Droit sur le dragon démoniaque qui volait dans la plaine depuis le début de la bataille.
Tandis qu’elle invoquait le phénix qui lui servirait de monture pour aller au combat, Cassandra observa ce duel. L’impact fut rude, et aurait fait trembler la terre s’il n’avait eu lieu en l’air. Mais tout de même, le choc des deux corps draconiques l’un contre l’autre fit un bruit mat, qui couvrit l’espace d’un instant les rumeurs de combat qui montaient du bas de la cité. Cassandra avait déjà vu des dragons, et elle en avait même combattu un, une fois (Si le fait de devoir se contenter de cacher un groupe de personnes SOUS les flammes du dragon pour faire croire à leur disparition le temps qu’il s’en aille pouvait être qualifié comme un combat !). Ces bêtes gigantesques étaient majestueuses et incroyablement destructrices à la fois. Quand ils étaient d’humeur à bavarder avec un humain et non (Ou avant de) à le dévorer, ils revendiquaient souvent le fait d’être les premiers enfants des dieux. Il y avait sans doute du vrai là-dedans. La puissance et la majesté à la fois.

Elle n’avait cependant pas le temps pour s’attarder à ces considérations. Son phénix était prêt, et il flottait dans les airs. Alors, elle s’avança jusqu’à la pointe du promontoire rocheux, au-dessus de la cité, et sans autre forme de procès, se jeta dans le vide. Elle avait bien sûr que son invocation la rattraperait, et l’instant d’après, elle était sur le dos d’icelle, chevauchant vers le combat. Elle espérait brûler un grand nombre de ces guerriers qu’elle avait vu, et aussi des démons qui les accompagnaient, de simples épéistes pourtant montés sur des bêtes infernales, clairement venues d’un cercle des enfers où les seigneurs démoniaques s’amusaient à contrefaire de façon perverse et aberrante la création des dieux, dans le plan matériel. Elle se prépara à y renvoyer les monstres qu’elle avait sous elle, qui parodiaient d’une façon impie et inconcevable, indescriptible, tout ce qu’elle pouvait imaginer, d’animal comme de végétal. Mais elle retint son geste au tout dernier moment.
Elle voulait être sûr de son coup. Ces créatures étaient si dégoûtantes qu’elle n’arrivait pas à se contrer face à elles. Peu d’humains le pourraient. Elle avait envie de vomir, de nier le fait que ses yeux voient un spectacle aussi aberrant, qu’elle n’aurait jamais pu imaginer autrement. Elle dût se frapper les poings devant les yeux pour se rappeler qu’elle n’était pas dans un quelconque cauchemar hallucinatoire. Ce qui se passait autour d’elle était bien réel. Elle volait dans le ciel, avec deux dragons qui se battaient autour d’elle, et si ELLE n’était pas capable de se débarrasser de ces créatures, d’autres guerriers souffriraient du même mal à l’intérieur des murs de la ville qu’ils cherchaient à protéger.

Mais au dernier moment, et alors qu’elle avait enfin envoyé ses flammes, ces dernières furent déviées de leur cible. Et de l’un des cercles tracés peu avant par le dragon démoniaque au sol, une différente sorte de fumée se mit à émerger. Elle était cette fois colorée, et Cassandra ne put regarder cette couleur. Elle le voulait mais n’y arrivait point. Car elle savait qu’il y avait ici une fumée, et que cette fumée devait bien avoir une couleur particulière, puisqu’elle n’était ni noire, ni grise. Mais elle n’appartenait pas au spectre naturel des couleurs. Elle était autre. Une nouvelle insulte jetée par les enfers à la surface du monde. Et la cité qu’elle défendait, maudite, se voulait le seul poste de défense au bord d’une falaise. Une ultime frontière, qu’il fallait tenir. Contre une nouvelle abomination.
Car de cette … Chose en jaillit une autre. Il faisait la taille d’un petit homme. Mais elle savait qu’il s’agissait clairement là d’un démon, car de sous sa cape bleutée sortaient si bras, terminés par des mains aux neuf doigts, dotées non de doigts mais de griffes. Et quand il se mit à léviter dans l’air, elle vit qu’il n’y avait rien sous son manteau. Elle se dit à cet instant qu’elle aurait préféré une masse de chair boursouflée, dotée d’yeux là où il n’y avait pas lieu qu’elle en ait, et d’autres déformations. Mais pas rien, alors qu’il était évident qu’il y avait là un être, dont elle voyait les bras émerger.
Il se plaça en face d’elle. Et les flammes qu’il avait fait disparaître, il les lui renvoya. Mais elle n’était pas née de la dernière pluie, et avait compris ce qui se tramait. Elle ne fut pas brûlée. Alors, derrière l’être là sans être là, se tint le dragon démoniaque. Et elle sentit que derrière elle, Sildael, la dragonne blanche, se mit à voler en suspension. Elle se pinça la lèvre. Elle se sentait soutenue, mais après tout, pour affronter un démon, il y avait meilleur endroit qu’entre le feux de deux des premiers enfants des dieux !
Sam 12 Oct 2019 - 23:02
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Capitaine Theoden
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"Fusilier Jim Carter, Second Peloton du 3eme Régiment d'infanterie Navale. Cité d'Avalon, 13h47

"-Debout Jim, c'est pas le moment de traîner !"

Sept heures après le début de la bataille, nous avions déjà perdu deux niveaux de la cité. Et le troisième commençait à être débordé. Comme tous les pelotons d'Infanterie, le mien avait été affecté à une escouade de guerrières Avalorrims, qui avait pour charge de contenir les forces démoniaques, tandis que nous rechargions nos mousquets. Mais l'arrivée de ces nouveaux guerriers changea tout pour nous. Un seul d'entre eux suffit à percer la ligne devant nous et fracasser le centre de nos défenses. Moi ? Eh bien que pouvais-je faire ? L'assaut de ce guerrier décharné m'avait projeté comme un rien contre la façade voisine d'un immeuble. Je ne sais pas combien de temps je suis resté là. Mais quand mes esprits me revinrent, je ne voyais plus que du rouge. Sur ses mains, sur mon uniforme, sur le sol que je foulais... J'assistais à la démise pure et simple de nos forces. Implacablement, vie par vie, les démons avançaient. Nos petits stratagèmes et nos défenses médiocres les avaient-ils jamais inquiétés ?
J'en doutais. Comme je doutais un peu plus à chaque instant de jamais revoir ma famille. Ma femme, Lara. Et mon fils, Clark. Avant la nuit, mon âme m'aura été arraché et j'aurais mes compagnons dans les abysses ardentes des enfers.
Cette fois-ci, je compris. Était-ce mon esprit de soldat, un réflexe humain ou un instinct plus animal ? Cette voix, je devais lui obéir. Et je m'employa à me relever, mais une main robuste empoigna mon col et me tira sur mes pieds. En levant les yeux, je reconnus mon chef instructeur. Le Capitaine Samada. Il me parla, quelques instants, tandis que défilaient au trot derrière lui les dizaines de Teikokujins que nous gardions en réserve. Je crois, après coup... Qu'il voulu me prévenir. Me prévenir que nos lignes s'effondraient. Que le signal du replis avait été donné. Mais alors... Que faisait-il ici, lui ? Pourquoi déployer nos réserves ?
Je voulu comprendre, oubliant un instant que Samada avait le regard d'un homme qui se préparait à faire le sacrifice ultime. Ce jour là, je rompais pour la première et la dernière fois le serment que tout soldat prête en marchant au combat. La gratitude, sans questions. L'honneur, sans larmes ni débats. Samada avait, je crois, déjà prit sa décision... J'espère qu'il m'aura pardonné ce manquement aux traditions.
Mais la journée n'était pas achevée. Après avoir récupéré mon mousquet, un peu plus loin dans la boue, je pris le parti de rejoindre l'escouade la plus proche. De là, je pris le chemin du niveau supérieur. Je ne reconnaissais pas tous les visages parmi mes nouveaux compagnons. Mais cela importait peu. Ils combattaient encore, c'était là tout ce qui importait... Et cela m'empêcha pour un temps de penser à ceux que je laissais derrière moi. À ce moment, je ne le savais pas encore. Sur les vingt personnes qui composaient mon escouade, seize avaient trouvé la mort lorsque la seconde vague nous frappa. Évidemment, je l'ignorerais longtemps. Dans le chaos de la bataille, d'abord, puis dans le désespoir de la retraite. L'Histoire retiendrait "un grand sacrifice" mais parlerait elle du Caporal du Caporal Winters, qui au dernier instant s'interposa entre un démon et une Avalorrim, souffrant la perte de ses bras avant de trouver une agonie interminable, sous les milliers de pieds difformes qui marchaient vers notre destruction ? L'Histoire retiendrait elle le sacrifice de Bill Garrison, qui se saisit d'une espingole à l'acier bouillant pour tirer une dernière charge de mitraille, avant d'être lui même déchiqueté...? Dame Johei nous encourage à écrire. Elle dit que cela... Peut aiser notre apaisement. Mais je ne vois pas en quoi cela doit m'apaiser. Je suis...
...ce que Dame Johei faisait là, nul ne le savait. Le troisième niveau de la cité s'effondrait, et pourtant elle apparu. Entourée de Tobias, Maxwell et Brujon, elle se porta par delà les portes du quatrième. Allait elle... Rejoindre Maître Samada dans la mort ? Nous ne le savions pas. Ce que nous savions en revanche, c'était que par delà ces battants robustes, la lutte se fit soudainement plus hargneuse. Si seulement ils avaient su, ces pauvres fous... Ils furent sacrifiés. Dame Johei regagna le quatrième niveau, accompagnée de Samada. Mais son escorte ? Ils refermèrent la porte derrière eux. Sans un mot, sans un regard. On ne les revit plus jamais...
Mais nous n'avons guère eu le temps de nous appesantir sur cela :
Après le retour de Samada, couvrant une Dame Johei au visage déconfit, quelques malheureux purent gagner la sûreté du quatrième niveau. Après quoi, et de justesse, nos lignes de défense furent mises en places. Commandées par le Commodore Théoden en personne, nos lignes de feu se firent plus compactes que jamais. Au quatrième, une seule et unique rue principale avait été laissée praticable. Pas plus large que l'est le fond de cale du Blacksmith, notre bastion allait concentrer plus encore de puissance de feu que jamais. Malheureusement, nos espingoles commençaient à manquer de munitions. A présent, il n'allait plus nous rester que notre entraînement et nos fusils.... mais ma musette se faisait toujours plus légère, et l'assaut des démons était toujours plus pesant."
Jeu 17 Oct 2019 - 18:35
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Dargor
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Elle ressentait une immense frustration en regardant son amant et leurs enfants mener l’assaut. Elle aurait dû en être fière. Elle le savait. Mais cette fierté était relativement absente. Si elle admirait celui qu’elle avait toujours continué, même juste dans ses bras, dans sa couche, à appeler par son grande, « Amiral », car dans les contrées des mortels, c’était quelque chose qui pouvait le rendre assez fier pour être utilisé même devant les démons, et si elle admirait la façon dont il pénétrait la cité, en étripant ses défenseurs à la pointe de sa lame, alors même que les démons ne lui avaient en fin de compte accordé que peu de bénédictions, à sa connaissance, elle jalousait fortement leurs deux enfants.

Leur fils tout d’abord ! Kron, l’avait-elle appelée, était un berserk remarquable. Depuis sa petite enfance, il s’était fasciné pour les démons liés au sang, ceux qui incarnaient la férocité et la sauvagerie pure qui étaient dans le cœur de tous les humains. Il s’était fait leur représentant, leur émissaire. Il avait muté dès son adolescence, pour embrasser pleinement la rage qui devait le consumer. Il était devenu gigantesque, dépassant en taille les plus hauts des hommes, puis des elfes, puis des peaux-vertes. Elle avait vu un ogre, du temps où vivait à Kelvin, simple prêtresse d’Ariel. Il était lui aussi dépassé en taille. Devenu adulte, son fils était grand comme une maison, et sa peau était tendue, presque déchirée par endroits, à cause de sa musculature surdéveloppée. Des cornes de bélier avaient poussée sur son front pour faire bonne mesure, ses dents étaient devenues des crocs, et ses ongles des griffes. Sa voix avait muté, et il n’avait plus jamais parlé dans le langage des mortels. Vraiment, entre tous les berserks, il avait été particulièrement béni.
Et qu’avait-il fait pour cela ? Quel sacrifice avait-il dû faire pour ses maîtres ? Rien ! Elle, sa mère, avait dû douter, renoncer à son culte impie d’Ariel pour embrasser la vérité, et rejoindre le chemin des véritables dieux, ceux qui apportaient la consécration des sens au monde. Et en échange qu’avait-elle eu ? Elle était devenue plus belle chaque jour qui passait, malgré deux grossesses pénibles, qui s’étaient soldées par deux naissances plus pénibles encore. Il était vrai qu’elle avait reçu un autre don, mais elle ne savait qu’en faire. Celui des sens. Toutes les sensations purement physiques étaient pour elle exacerbées. Elle n’était pas la seule à avoir reçu un tel don. Elle avait appris, avec le temps, qu’habituellement, les serviteurs des démons qui recevaient ce don s’abandonnaient à une débauche, à des orgies, que d’aucuns auraient qualifié d’impies. Cela n’en avait rien. A quoi bon avoir reçu, après tout, le don de la chair, si cela était pour ne pas en profiter pour atteindre des plaisirs inégalés ? Encore une fois, les mortels, dans leur aveuglement, ne comprenaient pas tout. Mais il y avait un revers de la médaille. Quand on la frappait, la souffrance était pareillement décuplée. Elle savait ce qu’elle risquait.
Et cela, sa fille ne le risquait pas ! Henast, son aînée, elle l’admirait. Et pourtant, elle était peut-être plus encore frustrante, car elle était née mutée. Sa peau était faite de porcelaine pure. Quand elle se blessait, ce n’était pas des coupures qui apparaissaient et laissaient couler son sang noir, mais des brisures. Comment cela pouvait-il seulement se refermer ? Dani n’en savait rien. Mais ce qu’elle savait, c’est qu’Henast n’avait jamais semblé vénérer les maîtres, considérant que sa mère n’avait pas compris. Et que n’avait-elle pas compris au juste ? Qu’il fallait changer de dieux ? Cela elle l’avait compris. Et elle avait compris que les commandements de ces dieux nouveaux étaient différents. Qu’est-ce qui faisait que, alors qu’elle ne les voyait que comme des alliés et non des maîtres, les démons continuaient à bénir Henast ?
Alors qu’elle-même savait ce qu’elle risquait, encore une fois. Dans la cité des sens, dédiée au plaisir, certains et certaines s’étaient trop blessés. Ces derniers n’avaient pas pu soutenir toute cette douleur, et restaient au sol, gémissant à longueur de journée, jusqu’à ce que le froid de la mort les cueille. Ils avaient échoué. L’échec était aisé, car même le son, quand l’oreille mutait au point de devenir trop puissante, devenait douloureux. Il suffisait aussi d’une nourriture trop épicée… Quand les sens sont exacerbés, qui peut dire d’où viendra la douleur ? Cette menace d’échec pesait en permanence sur ses épaules, tout comme la promesse de la récompense.

Car alors qu’elle avait cette pensée, elle voyait les Magnifiques se préparer à monter au front, après les Berserks. Ceux-ci étaient des guerriers et des guerrières qui avaient tant intégré la démultiplication des sens. La douleur ? Les Magnifiques l’avaient vaincue en apprenant à en tirer du plaisir, le même qu’ils tiraient d’un bon festin, d’un récital de musique, ou d’une partie de jambes en l’air. Ils devenaient inarrêtables, et leurs corps se mettait alors à muter, pour non plus refléter la beauté qui était la leur (Ils étaient à ce stade parfaits !), mais en plus pour dépasser la notion de sens. Et cette notion les liait profondément au monde physique. Celui qui était perceptible par les cinq sens. Alors, ils cessaient d’appartenir vraiment à ce monde. Quand ils marchaient, aucun brin d’herbe ne pliait sous leurs pas, car ils flottaient en fait au-dessus du sol. Et quand un simple mortel essayait de les toucher, il ne pouvait que traverser leurs corps, comme s’ils n’étaient que des images.
Ils étaient pourtant bien réels, car lorsqu’un magnifique lui demanda de venir embrasser sa lame, elle qui avait mis au monde la dragonne qui menait leur assaut, elle sentit le froid de l’acier, parfait lui aussi, sous ses lèvres. Et il sourit, avant de mettre son casque. Ce sourire aurait dû la laisser immobile pendant plusieurs minutes, sous le coup de l’émotion. Mais son image lui fut trop vite renvoyée, car on ne pouvait contempler les Magnifiques. Alors, leurs armures étaient des miroirs. Qui lui renvoyaient à elle l’image d’une femme magnifique. Mais pas d’une Magnifique. Car elle n’allait pas au combat avec une lame parfaite, mais un vieux sabre kelvinois donné par son amant. Elle n’avait pas une armure de miroir pour se protéger, mais des bandes de tissus qui protégeaient sa pudeur et la mettaient en valeur en même temps. Avec tout ce qu’elle avait déjà sacrifié, les démons continuaient à la mettre à l’épreuve.

Tout comme ils mettaient à l’épreuve son amant, à moins que ce ne soit son amante, depuis que pour la moquer, et lui faire comprendre qu’ils lui faisaient une faveur, ils avaient choisi, plutôt que de le ramener à la vie en sa véritable chair, de le faire en celle de la dernière personne qu’elle avait sacrifiée… Une femme comme elle. Et cette femme était montée au combat avec les berserks, au côté de son fier fils, Kron, qui avait reconnu, malgré les apparences, son père. Comment avait-il pu ? Comment ? L’Amiral était brun et avait une peau basanée par des décennies de navigation, la femme était blanche comme l’ivoire et rousse. Les yeux de son père étaient marrons, les yeux de la femme étaient verts. Et pourtant, aussitôt que leurs regards s’étaient croisés, Kron et l’Amiral s’étaient reconnus. Père et fils, ou mère et fils, pour ce que cela importait, car il était demeuré son amant après être né à nouveau, combattaient ensembles, pour la gloire de la rage des démons. Mais l’Amiral devait encore faire ses preuves. Elle ne l’enviait donc pas. Il était vaillant, son amant. Et il ferait ses preuves, comme cela était prévu.

Les Magnifiques se mirent en mouvement. Elle les suivit, comme chacun de ceux qui aspiraient à devenir plus tard eux-même des Magnifiques. Après tout, elle enviait ses enfants, mais elle devait aussi faire ses propres preuves. Et une fois devenue une reine parmi les serviteurs des démons, elle demanderait à ses enfants de faire leurs propres preuves.

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Tandis que la bataille faisait rage dans les rues de la cité, et que deux duels fantastiques se livraient dans les yeux, entre un être qui n’était pas vraiment là et une magicienne qui déchainait toutes sortes de flammes, et deux dragons gigantesques dont les rugissements emplissaient al vallée, deux hommes discutaient. L’un d’eux était aveugle, petit, maigre et vieux. L’autre était grand, gras, pustuleux, couverts de plaies purulentes, édenté, et vieux. Ces deux grands prêtres savaient que les démons n’étaient pas uniquement concentrés sur la rage et sur la sensation. Ils amenaient aussi une connaissance de mondes qui dépassait l’imagination des mortels.

En ce sens, l’Aveugle savait qu’ils étaient paradoxalement cousin des dieux, car les dieux aussi étaient des entités dont le concept dépassait toute imagination possible. Ils étaient si absolus… Mais les démons dépassaient autrement l’imagination. Ils créaient des visions et des mondes impossibles, car ils n’obéissaient pas aux lois qui rendait cohérent ce monde. Ce que les scientifiques mortels, mages ou profanes, s’acharnaient à prouver à l’aide de leurs lunettes et de leurs calculs, les démons s’acharnaient à le détruire en modifiant les lois qu’ils étudiaient. Cela était, pour l’Aveugle, la différence fondamentale entre les dieux qui avaient créé ce monde et ceux que lui avait choisi. Les premiers voulaient un monde dans lequel puissent s’épanouir, en paix, leurs enfants. Les seconds voulaient un monde où, lorsqu’un enfant lançait une balle vers le ciel, le ciel pouvait tout à fait avaler la balle. Ou la laisser tomber tout à fait normalement, parfois. Sans qu’il n’y ait matière à prédire ce qui allait se passer. Tel était sa vision des démons, tel était sa croisade, et ce pourquoi il combattrait jusqu’à ce que la mort le saisisse, et qu’il rejoigne ses maîtres. Il était muté, lui aussi, bien sûr. Derrière son bandeau, ses yeux saignaient en permanence, et des larmes de sang coulaient sans cesse sur ses joues, depuis si longtemps qu’elles y avaient creusé des sillons qui le démangeaient atrocement. Mais c’était un prix heureux à payer, car ses yeux voyaient ce qui était. Voilà pourquoi quand il voyait un mortel, il savait son passé. Et au milieu de son front se trouvait un troisième œil, qui lui voyait ce qui pouvait être, si les démons dictaient leurs lois en ce monde. Et il aimait cela, et quand le temps viendrait d’entrer dans la ville, il combattrait en partageant cette vision avec ses adversaires.
Sangsue, lui, voyait les démons autrement. Il avait longuement échangé avec Henast, la fille de la prêtresse, tout comme l’Aveugle l’avait fait. Les trois étaient de très bons amis. Sangsue, lui, savait que les démons étaient une part du cycle naturel des choses. Les dieux créaient des mondes, les démons les détruisaient. La pourriture de sa chair et de ceux qui partageaient sa philosophie était à cette image. Ce monde allait, un jour ou l’autre, finir par pourrir. Telle était l’immuabilité du destin, et les démons finiraient ensuite par se tourner vers d’autres mondes, dans lesquels ils lutteraient pendant une éternité, comme c’était le cas dans ce monde-ci. Et comme dans ce monde-ci, un jour, les étoiles s’aligneraient dans leur course inarrêtable, et les démons triompheraient. Et ce monde mourrait alors, et pourrirait comme Sangsue pourrissait. Puis ensuite, rien de plus que le Néant, quand il aurait achevé de se décomposer. Sangsue combattait pour cette pourriture, pour que vienne le temps où les étoiles s’aligneraient dans la bonne position. Il aurait pu attendre, bien sûr. Certains de ses fidèles pensaient qu’il fallait d’ailleurs le faire. Mais d’autres pensaient que c’était en refusant l’attente que l’on alignerait les étoiles… Sangsue en faisait partie.

Aveugle et Sagnsue n’avaient aucune haine à l’égard de ceux qui défendaient les murs de la ville. A vrai dire, ils respectaient même l’ingéniosité dont ils faisaient preuve, et leur agilité aux armes, quand il s’agissait d’empêcher les serviteurs des démons de pénétrer les murs de leur cité. Mais le temps était peut-être venu pour les démons de triompher, et d’emporter ce monde avec eux. Les deux grands prêtres respectaient grandement, également, les berserks, menés par le tout jeune grand prêtre Kron, qui étaient la rage des démons. Dans toute guerre, il fallait des soldats. En revanche, ils n’avaient que mépris pour les Magnifiques, et ceux qui les servaient. Cela à cause de leur grande prêtresse qui peinait à apprendre. L’ancienne prêtresse d’Ariel avait été choisie pour être une Magnifique, et la meneuse de ces derniers. Mais elle n’arrivait pas à transcender ses propres sens, et l’Aveugle et Sangsue la méprisaient pour cela, tout comme ses enfants, Kron et la Dragonne, la méprisaient. Pour les deux grands prêtres, il ne faisait aucun doute que les démons se lasseraient vite d’elle. Mais en attendant, qui pouvait vraiment croire que les Magnifiques étaient de dignes serviteurs des démons quand ils n’avaient pas de tête réelle à leur groupe ? Alors qu’ils auraient dû incarner l’explosion des sens qui était celele d’un monde où les lois tordaient le monde pour le faire pourrir, ils n’incarnaient rien, car ils n’avaient pas de vrai élu pour les mener.
L’Aveugle soupira en y repensant, et Sangsue comprit pourquoi. Ce n’était après tout pas la faute des Magnifiques eux-mêmes. Et puis si les démons avaient choisi cette femme, c’est qu’elle pourrait peut-être…

« Notre heure arrive, fit remarque Sangsue. Bientôt, ce sera à notre tour de monter à l’assaut, car les berserks sont nombreux et sont de bons soldats. Mais nous devons aussi montrer la véritable puissance des démons. Les Magnifiques ont reçu l’honneur d’être les premiers des trois groupes d’élite absolue à attaquer, car ils ont en eux celle qui a mis au monde la Dragonne. Mais toutefois, ils ne pourront vaincre à eux seuls. Car les dieux sont avec les défenseurs de la cité, et il ne faut jamais sous-estimer les dieux. »

L’Aveugle approuva. Alors, il leva les bras. Sangsue, qui savait que son ami était fatigué, le soutint. Car aussi longtemps que les bras de l’Aveugle seraient levés, loin dans la plaine, un flot continu de démons qui portaient la pourriture avec eux et le changement, mais aussi l’extase des sens, marcheraient avec les élus. Et aux Magnifiques s’ajoutèrent les Pesteux, et les Changeformes…

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Du haut du ciel, du coin de l’œil, Henast vit tout cela, sous sa forme de dragon à deux têtes. Elle pouvait s’y autoriser en plein combat, car elle ne maîtrisait point son autre tête, possédée par un démon qui combattait pour elle. Savait-il seulement qu’elle ne servait point les démons ? Henast était une grande prêtresse du Vide. Car le Vide était ce qui resterait de Ryscior, quand les démons en auraient terminé. Rien que du Vide. Et le silence infini. Plus de maladies, plus de souffrance. Car ils n’existeraient plus, les mortels seraient libérés à jamais de cela. Et l’essence de leurs âmes seraient à jamais au repos, dans le Vide, où elles seraient laissées brutes, faisant partie du grand Rien. Voilà pourquoi elle combattait. Alors, tandis que sa tête démoniaque combattait la dragonne Sildael la Radieuse, elle cracha ses propres flammes sur la magicienne de feu, car il était temps que cette dernière cesse d’affronter l’allié qu’elle avait invoqué, le serviteur du Vide.

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Ce fut un réflexe qui avertit Cassandra Renrin, l’élue de Lothye, que quelque chose d’atroce s’approchait d’elle. Et de fait, ce n’était pas feu démoniaque que la tête de la dragonne noire avait craché. Ce feu était utilisé par l’autre tête, pour lutter contre Sildael. C’était une langue de néant pur. Pendant quelques instants, la magicienne fut pétrifiée de terreur. Comment cela était-il possible ? D’où sortait ce Rien, ce trou dans le tissu du monde, qui fondait sur elle ? Et quelles en seraient les conséquences ? Elle revint à elle juste à temps, avertie par un cri d’alarme lancé depuis les murs. Remerciant Djanela, la chasseresse de démons de Ram, qui tirait à l’arc depuis les remparts sur les gargouilles, et l’avait vue, pour avoir rompu sa terreur, elle ne réfléchit pas. Elle esquiva, sans se poser de questions. Que pourraient faire ses pouvoirs, après tout, face à une magie aussi inquiétante ?
Le temps qu’il lui fallut pour semer cette langue de rien, qui la suivait comme si elle avait une conscience propre, le démon qu’elle avait affronté l’exploita pleinement. Il se posa sur le rocher au sommet de la cité, et là, ouvrit son manteau bleu. Et de ce dernier surgirent les ombres. Des golems constitués d’un alliage d’améthyste pure, d’obsidienne et de rien pour les lier ensemble, s’avancèrent vers les portes du palais, scellées dans la montagne. Car ils savaient que ces dernières renfermaient les femmes et les enfants de la cité, et que les abattre romprait l’espoir des défenseurs…
Dim 3 Nov 2019 - 14:14
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Capitaine Theoden
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Avalon avait changé. Cela, Sangar Œil-de-Nuit le savait bien. Elle avait changé, et cela n'était pas lié qu'au fait que les démons en mènent le siège depuis bientôt deux jours. Au fil des siècles, la maison de ses ancêtres avait perdu de sa superbe. Les statues, les bas-reliefs, les colonnades et les tapisseries... Tout cela avait été emporté. Soufflé par la pestilence de l'attaque des démons. Pour beaucoup, cette guerre était celle d'un Panthéon contre un autre. Une étape, dans la lutte interminable que se livraient les démons et les dieux. Mais pour Sangar, le Prince d'Avalon, il s'agissait d'un génocide culturel. D'une tentative d'effacer son peuple de la face du monde. Le reste ? Il n'en avait cure. Les dieux qui avaient soi-disant donné vie à son peuple étaient restés muets pendant des siècles entiers. Indifférents. Et à présent que les siens avaient disparus, remplacés par ces femmes aux corps fragiles et aux esprits faibles, il lui sembla qu'il ne lui incombait plus qu'à lui de faire en sorte que jamais l'héritage des Hommes-Lynx, et de tous leurs cousins d'Albion, ne s'éteigne. C'était une vengeance, mais aussi la plus sacré des missions.
Dans cette quête vaniteuse et destructrice, Sangar considérait pourtant quelques-uns de ces simples humains comme de potentiels alliés. Des êtres d'autres terres pourtant habitées par "L'Esprit du Chasseur". Cet esprit était celui le plus essentiel à la culture des Hommes-Lynx. On disait qu'il avait le pouvoir de guider les plus incertaines des flèches, qu'il permettait de toujours abattre sa proie... Et on le priait quotidiennement afin d'avoir la patience d'un jour pouvoir bander son arc contre sa cible. Le Chasseur était un ancêtre de Sangar. La vérité était qu'il avait guidé longtemps les Hommes-Animaux d'Albion. On disait de lui que sa crinière dorée suffisait à frapper de terreur n'importe quelle proie. On disait de lui qu'il parlait avec les dieux. Était-ce un mythe ? Les Elfes n'y crurent pas, à leur arrivée en Albion. Mais Sangar savait. Il savait que la Chasse coulait dans ses veines. Et Sildael, pensait-il, avait fini par adopter l'esprit du Lynx.
À présent que les millénaires avaient passés, elle demeurait la dernière personne en vie à jamais mériter son estime à ce point. Non pas par sa puissance, son sang de dragon ni sa faculté à manier la magie. Mais son esprit était vif. Il était tranchant et frappait toujours avec la plus ferme des résolutions. Il l'admirait pour cela. Il l'avait chevauchée, autrefois, pour aller à la guerre. Et ils avaient tous les deux semé la désolation chez les démons. Il lui tardait de repartir à l'attaque. D'enfin cesser d'encaisser les coups, et de recommencer à les porter. Mais il fallait survivre à cette journée, pour cela. Et même si il était déterminé à y arriver, Sangar était heureux d'avoir trouvé sur ce champ de mort de nouveaux alliés.
Dame Morgane était l'un de ces alliés. La Sœur Supérieure avait beau avoir perdu sa fourrure et ses crocs, elle se battait avec fougue. Avec rage, dirait-on même. Il lui rappelait l'aînée des filles de son Oncle, le Seigneur Nataï. Naëlla, s'appelait-elle, était ainsi. Parfois taxée de cruauté, beaucoup avaient pourtant compté sur elle pour ne jamais laisser s'échapper une proie. Pas une fois ne fut-elle battue à la chasse, ni devancée, parmi ses sœurs. Il avait fallu la pleine puissance de l'Invasion Démoniaque pour l'abattre. Et Sangar se demandait si sa descendante serait plus résiliente encore. Il ne faisait pas de paris, cela était futile. Mais il souhaita un instant voir cette femme survivre. Car elle portait en elle la fureur du Lynx. Elle était l'avenir d'Avalon.
Il y avait également cet Elfe. Telthis, l'avait-on appelé. Celui-ci luttait comme aucun Lynx n'avait jamais appris à se battre et cela interrogeait Sangar. Quelle était cette voie qui l'avait rendu aussi vif et précis ? Quel esprit le guidait-il ? Sangar n'en savait rien. Mais il avait pourtant senti quelque chose. Quelque chose qui semblait pousser l'âme de ce guerrier et gonfler son cœur de hargne au combat. Sangar reconnaissait cette odeur. C'était celle d'une femme. Celle de la dévotion. Mais plus que tout, c'était le poids d'un serment. Un serment qui avait façonné une vie et qui n'avait pas une fois été brisée. Ainsi donc, et pour ce seul motif, Sangar apprécia instantanément Telthis. Une appréciation qui ne se vit ni ne s'entendit pas. Sangar jugeait les humains trop enclins à exprimer leurs sentiments. Cela nuisait à leur importance. Ils étaient faibles, car leurs courtes vies les effrayaient. Non. Sangar exprima son respect par la flèche et le sabre. Car depuis les toits, son arc massif était inarrêtable. Et ses flèches volaient sans jamais décrire le moindre défaut. Il les employa donc à dégager un chemin pour Telthis, lorsque l'occasion s'en présentait. Et lorsqu'il le faisait, c'était comme si un morceau de ciel se décrochait et tombait sur la tête des démons.
Car si l'arc de Sangar était massif, ses flèches l'étaient tout autant. Les Halfelins s'en serviraient de lance, pour ainsi dire. Et propulsées à une vitesse pareille, elles ne manquaient jamais de clouer sa cible à un mur ou au sol, lorsqu'elle ne sifflait pas à travers plusieurs épéistes avant de s'arrêter. En même temps, Sangar maniait un arc unique en son genre. Celui des Seigneurs d'Avalon, que l'on disait impossible à bander.
Et de cet arc de légende, quelqu'un ferait bientôt la triste expérience. Car depuis les toits, Sangar avait bien vu le trio des mousquetaires mener une lutte désespérée pour retenir les démons. Mais quelle lutte ! Formidables avait-elle été. Et chacun d'entre eux emporta quinze de ses adversaires avant de succomber. Maxwell, le Brave, n'avait pas cessé de lutter sinon lorsque son fusil se rompit en deux entre ses mains et que l'un des épéistes des démons ne l'embroche sur une des deux moitiés. Mais aussi Brujon, le Massif, dont les rugissements seuls semblèrent faire douter les plus engagés des combattants. De sa lourde hache il fit aux pieds de cette porte l'Office la plus macabre. Empêtré jusqu'aux genoux dans la mêlée, le corps percé de trois lames effilées, rien ne semblait pourtant arrêter ses bras, de sorte que pas même celui qui lui porta le coup fatal ne survive à ce duel. Lui qui était la force tranquille de sa fratrie s'en irait aux enfers sans effroi ni craintes. Car il avait achevé sa vie comme il l'avait toujours menée : sans compromis, sans déshonneur et sans jamais abandonner sa mission.
Mais le sort le plus malheureux serait celui de Tobias le Noir. Dernier des mousquetaires, grièvement blessé et épuisé, celui-ci avait vu tomber ses deux frères d'armes. Et si son cœur pouvait encore souffrir d'avantage, depuis la disparition de sa tendre Salëa... Le malheureux serait mort sur l'instant. Tobias avait été le plus affligé des Kelvinois, et ce depuis le début de l'Odyssée. Tant et si bien que s’il tenait alors encore sur ses deux pieds devant la masse qui menaçait à chaque instant de pénétrer le niveau supérieur de la cité... Ce n'était pas au nom de son capitaine.
Ce n'était pas au nom des dieux, ni même par rage contre les démons. Plus rien n'avait de valeur, pas même la perspective d'une éternité dans un Enfer qu'il vivait de toute façon déjà. Il tenait debout simplement parce que c'était ce que feraient ses amis. Il tenait debout parce que c'était la dernière chose que cette Odyssée maudite lui permettait de faire. Le seul choix qu’on n’avait jamais su lui ôter, c'était celui ça. Et il se battrait encore. Avec bravoure. Avec une technique irréprochable et un cœur libéré. Les démons s'en amuseraient au début. Chacun leur tour, pour impressionner leurs Maîtres, ils voudraient se jouer de ce misérable humain isolé. Mais chacun leur tour, ils trouveraient la plus effroyable des morts.
Alors, les duellistes s'avanceraient par deux. Confiants, trop confiants, ils ne voyaient visiblement pas encore que Tobias n’était pas résolu à se laisser abattre. Voici une leçon que le Mousquetaire leur donnerait à eux aussi. À eux tous ! Il les maudissait, sa rage et son désespoir firent de lui une bête, plus même capable de ressentir la souffrance. Salëa elle-même disparu de son esprit. Son nom n'avait plus de sens. Son esprit venait de mourir, laissant derrière lui un corps enragé. De sorte que, lorsque les démons lancèrent sur lui un assaut total, il ne trépigna pas d'avantage de peur. Dix encore purent tomber. Quinze, vingt. Cela importait peu. Telthis avait forgé son corps dans ce seul but... Et il l'accomplirait jusqu'à avoir rendu sa dernière goutte de sang.
Et c'est alors que Sangar vit Tobias tomber. Disparaissant sous une marée de chair et de métal poli, le Mousquetaire fut taillé en pièces... Et emporté vers l'arrière par des épéistes contrariés par le retard que ce misérable venait de leur causer. Car déjà, le gros de leur troupe repartait vers les combats, tandis qu’eux demeuraient coincés ici. Mais avec eux demeurait coincée Dani Rinma. Sangar y vit sa chance. Car lorsque la garde de la prêtresse déchue s'engagerait dans le niveau supérieur, à la poursuite du gros de la troupe, le Prince d'Avalon s'engagea à sa suite. Depuis les toits, avec une agilité féline, il bondissait, glissait et roulait à la suite de sa proie. Et l'occasion viendrait vite de s'en aller la saisir au collet.
En vérité, Sangar n'avait rien de personnel contre la prêtresse déchue. Il ne comprenait pas même le principe d'une prêtresse. Ces humains avaient-ils vraiment besoin de quelqu'un pour leur apprendre à vénérer les dieux de leur monde ? Non, Dani n'était pour lui que la tête d'un des nombreux serpents qui grimpait jusqu'au cœur de sa cité, et tentait d'y répandre son venin. C'était tout ce dont il avait besoin pour décider que sa vie devait trouver son terme.
Alors tandis qu'elle traversait une place abandonnée, entourée de ses gardes, le Prince d'Avalon donna l'assaut. Seul, depuis les toits, il fit un usage meurtrier de son arc, qui lui permit de mettre à bas l'un de ces épéistes. L'effet de surprise, et la précision de l'assaut lui donna l'ouverture nécessaire pour plonger, tirant au clair sa lame argentée. En quelques passes, deux autres de ces gardiens aux armures de miroir furent abattus. Le dernier souffrirait d'une mort plus bestiale encore, lorsque le Seigneur d'Avalon plongea ses crocs sous les jugulaires de son casque et lui déchira la gorge. Le sang noir lui éclaboussa le visage, et ce fut un bonheur. Car ce sang, il le dédiait au Grand Chasseur.
Alors, trouvant une Dani défaite de sa garde, Sangar se tourna vers elle. Les poils de sa gueule encore fumant de ce repas bestial, il lui lança un sourire carnassier. De toute sa hauteur, couvert de sa cape noire, il jeta l'effroi dans le cœur de la Prêtresse. Elle recula, stupéfaite. "-Qu...qu'est-ce que tu es toi ?!" Lancerait-elle, confondue par l'horreur de cette vision effroyable.
"-Je suis le chasseur tapit dans le bois. Je suis l'arc qui se tend. Et la flèche qui fuse." Répondrait-il, en bandant son arc massif en sa direction "Je suis le Seigneur Sangar, et tu n'es qu'un gibier de plus." Joignant le geste à la parole, Sangar fit jaillir un trait qui vint brusquement disloquer la rotule de Dani. La malheureuse, hurlant sa souffrance, du se maudire un instant d'avoir accepté le don des sensations qui amplifia la morsure qu'elle ressenti alors. Elle ne pu tenir sur ses jambes, transie par cette effroyable sensation et elle s'effondra en gémissant. Lorsqu'elle releva les yeux, Sangar avait avancé jusqu'elle. Ses yeux enflammés abaissés sur elle, il sembla prêt à en finir. Mais les rugissements dans le ciel lui rappelèrent que son amie Sildael menait une chasse d'un autre genre dans les cieux.
Et il désirait l'aider. Alors il empoigna la chevelure de Dani, la débarrassant de son arme tout en la soulevant. Elle serait traînée à même le pavée, comme l'amas de chairs insignifiant qu'elle était. Sangar, d'une main, la souleva de terre et la brandit comme un trophée au-dessus du parapet dominant le vide. Du haut de ce quatrième niveau, la chute serait mortelle. Démone, ou non. Mais Dani le suppliait, se débattant comme elle le pouvait pour échapper au Prince. Sangar l'encouragea, cherchant à la faire hurler. Mais sa nouvelle proie, la fille de cette femme ne répondrait pas à l'appel de détresse.
De frustration, et sous le coup de la colère, Sangar rugit. Malgré les implorations de Dani, qui se débattait pour échapper à sa poigne, le Prince l’abandonna au vide sous ses pieds et disparu. Son incapacité à influencer le combat de façon significative ne faisait que l’enrager d’avantage… tant et si bien que sa fatigue finit par le rattraper. Après des heures à cavaler sur les toits de la cité blanche, il souhaita un instant se reposer. Alors me Prince prit la direction de l’éperon rocheux qui scindait la cité en deux. Passant son arc en bandoulière, il y grimpa jusqu’à trouver une porte dérobée, dissimulée derrière une veine de roche. Cette porte, il le savait, avait été oublié à travers le temps. Car les Avalorrims de ce temps ne savaient pas escalader la roche comme leurs ancêtres le faisaient, et il ne fut pas surprit de retrouver l’entrée de sa cache couverte de poussière et de débris.
Une clé, pendant autours de son cou, déverrouilla la serrure de cette vieille porte. Mais Sangar dû s’arquer sur le lourd battant de pierre afin que ses gonds de métal, que le temps avait grippés, se mette enfin à tourner.
A l’intérieur se trouvait une unique pièce. Plongée dans l’obscurité, cette petite capsule temporelle représentait tout ce qu’Avalon avait été. Des murs taillés avec finesse, des frises d’une grande délicatesse ornant chaque recoin de la pièce. Des statues représentant les seigneurs d’autrefois, contemplant avec gravité la ruine qui menaçait leur royaume. Des tentures aux couleurs exotiques, figurant des scènes de cette vie quotidienne à présent oubliée de tous. Et des encensoirs éteints, dont autrefois se dégageaient les plus exquises senteurs. Mais cela n’était guère ce qui intéressait Sangar. Car le Seigneur savait que parmi les œuvres d’art et les meubles délicats il trouverait de grands râteliers. Des lames robustes pour trancher la chair… et des flèches massives pour reprendre la chasse. Alors il s’enferma dans la plus impénétrable des obscurité et usa d’une pierre afin de rallumer les braséro d’antan. Un seul d’entre eux suffirait à illuminer l’endroit, tandis que Sangar faisait brûler de l’encens. Dans cet instant, lorsque la lumière et les senteurs lui parvinrent, le Prince déposa le fardeau de sa rage. Il tomba à genoux, prit au cœur par le désespoir et le chagrin. Tandis qu’au dehors le front s’éloignait de plus en plus, Sangar se remémora. Il songea à sa première venue avec sa fille, lors de son rite de passage à l’état de chasseresse. Il pensa à la longue escalade et à sa fierté lorsqu’ils atteignirent le sommet… et il baissa la tête. Cette vie là, il savait qu’il ne la retrouverait jamais. Et l’assaut étouffant de cette détresse manqua de le faire… abandonner.
C’est alors qu’une nouvelle lumière vint caresser le pelage de Sangar. Née des ténèbres, elle chantait la plus délicate des mélodies. Sa douceur était celle de la lune, mais sa chaleur était celle des plus grands des cœurs. Ceux que l’on voudrait épouser, car leur présence était le plus grand des réconforts. Sangar leva la tête, à temps pour voir une main délicate lui tendre un linge humide. Un don d’une grande simplicité, que le Prince accepta. Car la fraîcheur de l’eau était bonne pour ses sens en alerte. Et cela l’apaisa. Mais la femme qui lui avait offert ce linge… elle le laissa silencieux. Avait-il déjà vu pareille douceur ? Bien sûr, le visage de Sildael lui apparut. Mais la Princesse, jugeait-il, avait l’éclat d’un soleil à son midi. Une lueur presque aveuglante. Peut-être agressive. Cette femme… avait autre chose. Elle était la lune ronde qui éclairait le chasseur la nuit. Elle était la fumée de l’encens, non la braise. Elle apportait le calme, mais jamais ne le forçait elle. Et il se demanda si elle était réellement de ce monde. Alors il composa ses esprits autours de cette question et, tout en demeurant à genoux, la formula.
"-Vous n'êtes pas vraiment ici belle dame, n'est-ce pas ?"
Belle Dame… oui. Cela lui correspondait. Qui était-elle, en cet instant, sinon un rayon de clarté et un peu de la beauté de ce monde pour lequel il se battait ? Mais l’inconnue, d’une voix qui fit frissonner le pelage de Sangar, lui répondrait sans détours. Elle lui parla dans le langage qu’autrefois l’on parlait à Avalon, et lui apprit qu’elle ne venait pas d’ici. Parlait-elle comme une simple Princesse ? Non, se dit Sangar. Cette inconnue avait l’âme d’une Reine. Mais de Reine, il ne pouvait jamais plus y avoir sur Avalon. Le trône était brisé… et Sangar le savait. Il encouragea l’inconnue à partir sans tarder.
"-Abandonnez ces terres sans tarder. Il n'y a rien ici que votre lumière peut sauver, sinon des fantômes et des âmes perdues. »
« -Je crois pourtant qu'il y a ici de fiers défenseurs.

-Nous tombons, chacun, inexorablement. Et finalement, à quoi bon ? »

Car finalement… pourquoi devait-il continuer à se battre ? Cette guerre n’était plus la sienne. Son peuple était éteint, ses terres ravagées, son foyer perdu… et le reste du monde pouvait bien disparaître lui aussi. Sangar n’avait plus qu’à mourir. Mais il espérait arriver aux enfers entouré d’un cortège innombrable. Qu’une infinité d’âmes maudites précède sa chute, et que le dernier des Princes d’Avalon porte une dernière fois la fureur de son peuple. Cette intention, la belle inconnue semblait la sentir en lui.

« -Vous tuez plus démons et de suppôts des ténèbres que personne ne le fit jamais. » dirait-elle, avec un calme déconcertant. Approuvait-elle le massacre auquel se livrait Sangar ? Le compliment, à tout le moins, flatta Sangar. Etait-ce donc vrai ? Surpassait-il vraiment le redoutable Telthis, qui dansait avec la mort inlassablement depuis toutes ces heures ? Etait-il plus meurtrier que Dame Sildael, dont les flammes faisaient fondre le métal et la roche sans discernement autours des armées des démons ? Faisait-il vraiment mieux que ces humains, dont les mousquets et les arcs n’avaient de cesse de stopper encore et encore l’avancée des démons ? Il était fier. Et ce sentiment fut d’un certain réconfort. Alors, son poitrail se gonfla un peu plus. Et il demanda à l’inconnue si elle-même veillait sur un peuple, d’où qu’elle vienne. Elle dirait ces mots : "Mon peuple, c'est le monde entier." Et ces mots chambouleraient Sangar. Quel cœur était assez grand pour chérir ainsi tout un monde ? Quelle âme était assez généreuse pour se soucier du sort de milliards d’inconnus, sur une terre ravagée par les démons ? Il ne connaissait pas le reste du monde, c’était vrai. Il n’en connaissait que les étendues d’Albion et ses bois verdoyants. Ou plutôt ce qu’elle avait été. Et cela lui fit songer à l’injustice de sa situation. Chamboulé par les mots de Malene, il ne parvenait pas à épouser la valeur de ses mots à cause de cette colère et de ce chagrin. Et bien malgré lui, il l’exprima avec rancœur.

"-Je comprends mieux..." ferait Sangar "Vous venez ici, espérant que ma vieille Avalon ne succombe point à ses blessures. Vous venez faire en sorte que les tourments de ma cité soient sans fin, de sorte que jamais vos peuples n’aient à l’affronter. Je demande pourquoi. Je demande pourquoi devrait-ce être ici, la sépulture d’un peuple qui a déjà tout sacrifié, que devrait se jouer le sort d’une multitude indifférente ? Qui d’autre ferait le sacrifice que nous avons été forcés de faire ? Je ne vois que quelques centaines de ces gens se battre parmi mes enfants. Quelques centaines ? Est-ce là tout l’intérêt que votre monde porte au miens ? Je ne combattrais pas pour eux, car leur sort ne m’importe pas. »

Il baissa la tête, laissant le silence retomber dans la pièce. Mais il pouvait sentir le regard de cette inconnue peser sur lui. Le poids d’un regard qui ne jugeait pas. Qui ne sanctionnait pas. C’était le poids écrasant de la compassion et de la peine. Mais aussi celui de l’espoir. C’était un poids… insupportable.

"Vous êtes un homme intelligent. Ne perdez pas foi en votre cause Sangar. C'est au moment où elle vous semblera la plus désespérée que l'espoir en renaîtra, plus beau encore."

Fusse si aisé que cela de rendre l’espoir à une âme égarée ? Cette belle inconnue avait pourtant fait plus pour Sangar que jamais n’avait-on fait pour rendre quelqu’un à la lumière. Ainsi, et tandis que la vision de cette Reine anonyme disparaissait, le Prince se demandait si ce qu’il avait vu n’avait pas été un tour de son esprit. Mais le linge serré entre ses doigts lui rappela l’incontournable vérité. Elle avait été là. Et le réconfort qu’il sentait était bien réel.
Ainsi donc, aussitôt la femme disparue, Sangar se releva. Se saisissant d’une poignée de flèches, afin de regarnir son carquois, il noua le linge autours de son bras droit et repartit au combat. Sa fureur était renouvelée, doublée de l’éclat d’un espoir inextinguible. Et il en aurait besoin, car le temps de son repos le front s’était effondré. Les Défenseurs d’Avalon étaient contraints à la retraite, abandonnant tour à tour le cinquième puis le sixième niveau. La débâcle n’était plus évité que par les Capitaines qui veillaient au bon ordre de la retraite.
Mais eux-même étaient frappés par l’épuisement. Et certains avaient trouvés la mort. Sur le front Est, le Capitaine Brookes était tombé parmi ses gardes, tentant de clore la porte du sixième niveau. A l’Ouest, le Capitaine Treville commandait au dernier poste de tir des artilleurs de l’Odyssée. Depuis une tourelle assaillie de toutes parts ses espingoles tiraient leurs dernières munitions dans les rangs interminables des démons. Tous savaient que leur sort était joué et tous avaient décidé de s’en aller dans l’orgueil et l’honneur. Plus haut, le Commodore Théoden s’était lui aussi effondré. Sa monture, Bill, avait été foudroyée par un crachat d’acide. Ainsi donc, tandis qu’il tentait de se relever, le malheureux cheval était dévoré par une nuée de gargouilles. Ses hennissements… étaient un véritable crève-cœur. Et Sangar remercia le Capitaine qui déchargea son dernier mousquet dans le crâne de son ami cher. La mort serait moins douloureuse ainsi… mais pour le survivant il ne resterait plus que le désemparrement et la peine. Il avait bien vu les corps de Maxwell et Brujon, démembrés et exhibés en haut de grands étendards. Les têtes…déformées par la souffrance. Plus d’hommes tombaient dans ces derniers quarts d’heures que depuis le début de la bataille. Battre en retraite… mais à quoi bon ? Les derniers des pièges de Théoden s’enclenchèrent, offrant aux Défenseurs un derniers sursit. Le temps de se reformer en haut de l’escalier du septième et ultime niveau. Le temps de monter à la va-vite un étendard en lambeaux sur les branches de l’arbre blanc. Le temps d’une dernière prière… et le temps d’un dernier Ordre.
Sangar arriva juste à temps sur la grande place de la cité pour voir Sildael se poser. Le Commodore escortait auprès de la dragonne l’humaine que l’on nommait Johei et la sorcière appelée Cassandra. De force, si il le fallait, il les ferait monter sur le dos de la dragonne. Trois vies pourraient ainsi être sauvées… trois malheureuses vies, qui partiraient à temps pour voir les derniers braves tomber… Car les démons ne stoppèrent leur assaut que pour mieux le lancer de nouveau… et cette fois rien ne pourrait stopper la déferlante, pas même la furie d’un Prince, ni l’espoir que Sangar venait de trouver…

Que les dieux observent. Et qu’ils le fassent bien. Car leurs derniers braves s’apprêtent à tomber eux aussi.
Mer 11 Déc 2019 - 15:15
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Dargor
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Le son de la fontaine se faisant assourdissant. Et il fallait bien avouer qu’elle ne faisait pas attention à ce qui se passait autour d’elle. Jadis, l’elfe Akel, compagne de voyage de l’elfe Sildael, toutes deux filles de la lignée des anciens, qui menaient des elfes dont le sang s’était affaibli, avaient vu ces derniers succomber à la guerre de la griffe et de l’orgueil, avant que la même guerre ne déclenche l’arrivée des démons. Afin de protéger la cité de laquelle tout était partie et qui pourtant devait être celle où tout se terminerait, Akel avait béni, avec le pouvoir des anciens ses ancêtres, la fontaine qui coulait à son sommet, de sorte que cette dernière, toujours, repousserait les démons.
Parce que la prophétie d’Akel selon laquelle la fontaine, même quand la cité mourrait, survivrait et lui permettrait de se remettre de toute blessure qui lui serait infligée, menaçait d’être oubliée par les habitants de la ville, il avait été décidé que les quatre filles des filles du seigneur Natai garderaient cet endroit aussi longtemps que leur vie de mortelles le permettrait. Et c’est ce qu’elles firent. Et le temps passa lentement, les tours de la roue des saisons se succédant les uns aux autres, puis les âges les uns aux autres. Toujours, la cité était encerclée par les démons, mais toujours, la fontaine et ses gardiennes traditionnelles inspiraient le cœur de ses défenseurs. Il en fut toujours ainsi en Avalon, et ce jour n’était pas si différent des autres.
Et pourtant, il était autre, car jamais les démons n’avaient frappé aussi durement la cité. Ils en avaient vaincu les défenseurs, et voici que ces derniers se préparaient à tenir et mourir autour de la cité. Voici venir le temps où le grand capitaine Théoden, qui commandait la défense depuis le début, ordonne aux dames qui l’ont accompagné ici de s’éloigner à tire d’aile sur le grand dragon bleu, mais cela n’est point réalisé, car elles ne souhaitent pas fuir, pas plus que la dragonne ne souhaite abandonner les lieux. Il proteste ! Mais soudainement, la dragonne voit quelque chose dans le lointain. Et elle fait silence, et en se renvolant pour faire face au dragon des démons, elle scelle son choix. Ici, tous devront s’asseoir sur un trône de douleur, y souffrir et y tomber ensembles, en même temps. Voici ! Les démons, déjà, s’avancent. Le temps est venu que chacun leur fasse face, ou se rende à eux. Mais à ce moment de la bataille, ceux qui étaient trop lâches pour croire à leurs fausses paroles ont depuis longtemps disparu au sein de leurs rangs.
Même les enfants d’Avalon sont ici. Ceux qui ne peuvent se battre, car trop vieux, sont également là. Les démons violets les ont chassés de l’intérieur du palais où ils s’étaient réfugiés. Ils ont rejoint leurs parents, leurs frères, leurs sœurs, les étrangers, qui se battaient car eux le pouvaient. Et même s’ils ne le peuvent plus, la tragédie de leur fin de vie fait qu’ils le devront bien ! Car il n’y a à présent plus d’échappée. Les démons achèvent de les encercler. Il y a là des hérauts de sang, de chair, d’air et de feu. Il y a là des bêtes de toutes les formes, de toutes les silhouettes. L’on en deviendrait fou, de voir certaines des choses qui se trouvent ici, si l’esprit fatigué par cette longue défaite n’était pas déjà prêt à accepter que de telles choses puissent être. Paradoxalement, disent certains, cette longue exposition aux démons les aurait rendus plus résistants.
Elle sait qu’il n’en est rien. Depuis un temps dont elle ne sait plus la durée, elle garde cette fontaine, et sait que le fait d’être si proches d’elle, tous, les protège. La bénédiction qu’Akel proposa jadis est encore forte ! Et ce ne sont pas les démons, leurs prêtres, leurs guerriers, qui la vaincront maintenant. Peut-être même ne pourront-ils jamais vaincre la prophétie.
Fracas des épées ! Piétinement des pieds au sol ! Le combat a commencé, les démons se sont rués à l’assaut. C’est cependant une bataille étrange, qu’une foule si massée autour de la fontaine et de l’arbre entre les racines duquel elle coule, doit livrer, car il est en vérité difficile de bouger à cet endroit. En levant la main pour frapper, l’on a peur de frapper son voisin de sa lame, et de l’éborgner. Mais les démons, eux, ne se soucient point de leurs voisins. Mais voici ! N’est-ce pas à l’avantage des défenseurs ? Ils n’ont qu’à parer, et faire front de leurs boucliers, et de leurs lames qui parent les coups, car les démons, leurs prêtres, leurs guerriers, sont si assoiffés de sang qu’ils se tuent plus entre eux que les défenseurs ne les tuent eux-mêmes. L’espoir est-il permis ?
En vérité, elle sait que oui, car la prophétie en laquelle elle a déclaré croire le jour où elle a pris sa longue garde auprès de la fontaine, protège cet endroit de la défaite. En vérité, elle sait que non, car malgré ses pertes lourdes et stupides, essence même du mal, de son orgueil et de sa fureur, les démons, leurs prêtres et leurs guerriers sont assez nombreux pour pouvoir renverser les défenseurs et les submerger. Et à terme, les tuer. La prophétie d’Akel protège la cité de jamais tomber complètement. Elle n’a jamais évoqué ses habitants, et déjà, l’érudite aveugle qui dirigeait les Avalorrims est tombée sous les coups cruels, et encore, et encore, d’autres tombent. Les démons, leurs prêtres et leurs guerriers ont trouvé la faille dans un endroit du cercle de bouclier qui leur faisait face. Et une fois que l’un est entré, il provoque, de l’intérieur, un carnage, en frappant aveuglément. Et voici que soudain, le grand cercle se retrouve éclaté en une multitude de petits, qui luttent une défaite prévue d’avance. Les flammes de la magie rayonnent, réchauffent et illuminent le champ de bataille. L’élue du dieu du feu ne partira pas sans montrer son titre !
Elle est seule. Elle lutte avec l’énergie du désespoir. Tous autour d’elle sont morts. Mais les guerriers et les prêtres des démons n’osent l’approcher, car devant sa fureur, eux-mêmes ressentent enfin la peur de la mort. Leurs maîtres, les démons, entrent en fureur contre cette femme. Car ils avaient enseigné à leurs serviteurs de ne pas craindre la souffrance et la mort, et voici que par sa gloire, celle que l’on appelle Demoiselle Cassandra leur apprend cette crainte à nouveau. Alors, ils se jettent sur elle, ils s’élancent pour la déchiqueter, et enfin réduire son enseignement au silence. Ils donneront ensuite de bonnes raisons de craindre la souffrance à leurs serviteurs de peu de foi.

Soudain, des voix raisonnent dans l’air. Des voix qui parlent de gloire sans en parler, car elles parlent de la bataille qui se déroule comme d’une grande victoire de jadis. Une femme et un homme. Et ceux qui entendent l’homme entendent dans son propos la noblesse et la nostalgie. Certains croient y reconnaître le capitaine qui les mène encore. Mais est-ce seulement possible ? Car il ne parle pas, il appelle de sa fureur Demoiselle Cassandra, dont les flammes ne se sont point taries, mais qui pourtant a disparu sous une masse de chair désordonnées, et ils sont des dizaines, peut-être des centaines, les démons qui se sont jetés au-dessus d’elle. Elle est enterrée sous une montagne de guerriers qui tous cherchent à l’abattre. Car les flammes ne se sont point taries, elle vit toujours. Mais elle ne peut être secourue. Et de rage, le commandant se montre lui-même ne pas être l’auteur de cette voix qui est pourtant la sienne, pleine de noblesse.
Puis lui répond la voix de la femme, et tous frémissent à son contact, et les démons dressent la tête, et leurs serviteurs prennent peur et fuient, quand d’autres se mettent à pleurer. Les défenseurs d’Avalon, eux, tressaillent alors d’allégresse, car ils savent que leur foi n’a plus échappé aux dieux. Ces derniers qui les observaient sans agir ont décidé de venir à leur récompenser. Car la femme qu’ils entendent ne peut être qu’une déesse, car sa voix est emprunte de choses que l’âme d’un mortel ne peut concevoir, et pourtant elle ne parle point comme le ferait un démon. Mais peut-être n’est-elle qu’un esprit de la flamme, car soudainement, celles qui agitaient la masse de chair qui masquait la demoiselle du feu se tarissent. Alors les démons exultent, et les défenseurs se lamentent, car tous croient qu’enfin, l’élue des dieux qui était présente ici pour voir, pour aider, est morte, tombée sous les coups des démons. Mais voici ! Il n’en est rien.
Soudain, la pyramide de chair explose dans un nuage de flammes, et de ce nuage s’élève un être d’une grande puissance, un être qui terrifie ceux qu’il est venu aider comme ceux qu’il est venu châtier. Mais qui aider, qui châtier ? Car cet être de flammes et de lumière n’a rien de mortel. Est-ce encore une mauvaise plaisanterie des démons ? Non, car alors que les défenseurs tremblent d’alégresse en posant les yeux sur lui, les démons, eux, fuient à son approche, et voici que la chose s’élance derrière eux. Et sur son passage, la mort et le feu frappent les démons, leurs guerriers, et leurs prêtres. Au loin, l’on entend un prêtre aveugle déclarer, dans le vent mauvais, qui souffle toujours sur la ville, que l’accueil est spectaculaire.
Spectaculaire il est en effet, car alors que l’être marche, les morts eux-mêmes viennent s’opposer à l’avancée des démons. Voici en effet qu’ils se relèvent, ceux-là mêmes qui étaient pourtant immobiles, il y a peu, sur le passage de la lumière et des flammes qui attaquent les démons, et ils les suivent ! Et ils combattent à ses côtés ! Tous ces amis, ces proches, ces amants, qui ont fait le bonheur des défenseurs d’Avalon. Mais ils ne parlent point. Et bien vite, l’on voit que leurs yeux ne sont pas les leurs. Ils sont ceux de quelqu’un d’autre. Et dans ces yeux de quelqu’un d’autre, l’on voit des plaines de lumières infinie, et de nombreuses chandelles qui brûlent se consument lentement. Mais surtout, l’on voit les proches dire adieu, et rassurer, ils vont bien. Les enfers n’attendent point les défenseurs d’Avalon tombés au combat, mais plutôt la gloire, dans les royaumes des morts, où ils trouveront le repos que méritent ceux qui ont versé leur sang pour la gloire et le salut de ce monde, et de tous les autres !

Et les démons, enfin, sont chassés d’un niveau de la cité, puis de l’autre, puis d’encore un autre, jusqu’à être renvoyés à la porte de cette dernière. Pour eux, plus de combat, plus de jeu ! Ah, diront-ils ! Si seulement leurs commandants avaient pensé à des difficultés ! Ah, si seulement la grande dragonne n’avait pas été si fière, et si confiante en ses forces ! Mais voici. Les démons, leurs prêtres et leurs guerriers, tous ensemble, sont tombés en trop grand nombre. Peut-être, s’ils avaient été plus sages, auraient-ils pu vaincre cette manifestation venue d’un temps lointain, envoyé par cette femme qui n’était pas là elle-même, mais qui s’était incarnée dans l’élue du feu. Mais parce qu’ils avaient cru en leur force, parce que leurs commandants avaient cru en leur force, avec trop de foi, ils s’étaient retrouvés punis. Et ainsi le mal se faisait-il abattre par sa propre faute, car c’était dans sa nature de sous-estimer son adversaire, le croyant toujours trop faible. Mais toujours, oubliant que la bête à qui l’on avait coupé toute retraite était la plus dangereuse, ils le faisaient. Ils coupaient aux juste toute retraite, et voici ! Les justes s’en remettaient alors à tout ce en quoi ils croyaient, et souvent, cette croyance répondait. Peut-être sa cible ne se manifestait-elle pas, c’était vrai. Mais parce que la croyance en une cause juste et le fait de mieux comprendre la nature du mal que ce que ses défenseurs eux-mêmes le comprenaient étaient les meilleures armes, alors les démons perdaient. Encore et toujours.

Mais voici ! Alors qu’elle écoutait la fontaine recouvrir le bruit de la bataille qui déjà, s’éloignait, loin sur la plaine, elle assistait à un autre combat, d’une autre sorte, sur l’esplanade. Ici, il n’était point questions de dieux et de démons, mais de mortels, qui se regardaient les uns les autres, en trio. Ici, il y avait la dragonne des démons faite chair, et ses parents damnés. Ici, devant eux, il y avait Sangar et Morgane d’Avalon, et le capitaine qui avait mené la bataille. Ces trois femmes et ces trois hommes se regardaient, avec une haine mélangée de respect. Et au lieu de se ruer les uns sur les autres, et de faire parler leur acier, c’était bien leurs langues qui parlaient, et une discussion civilisée tenait place entre eux.
Ils parlaient de choses édifiantes. De dieux et de démons, de destinée du monde. Ils parlaient de la cité, de ce qu’elle devait être. De ce qu’elle devait devenir. De victoire et de défaite. Puis enfin, le combat commença. Et ce fut l’Œil de Nuit qui attaqua la dragonne sous sa forme humaine, et Morgiana qui attaqua sa mère, et enfin le capitaine qui attaqua leur père à tous deux.
Le combat entre les six adversaires devait-il être retenu par l’histoire ? Mais si cela devait avoir été le cas, sûrement, il aurait été vu par d’autres qu’elle, car elle était désormais seule à le contempler. Et pourtant… Quel combat ce fut ! Il serait dit qu’aucun adversaire n’était disposé à céder un pouce. Et pourtant il se déroula en un éclair, car il est dit que de tels affrontements ne peuvent que durer une éternité ou un instant. Ce fut le cas suivant. Alors même que le combat venait de s’engager, un hurlement retentit, et c’était celui de la mère de la dragonne vaincue par Morgiana d’Avalon. Mais cette dernière, à son tour, fut balayée par la dragonne, qui causait mille difficultés à l’Œil de Nuit.
Mais cependant voici que Théoden a vaincu son père, et il se tourna à nouveau vers sa sœur maudite. Alors cette dernière se défit de son adversaire comme elle s’est défaite de l’avalorrim. Et tandis que les deux défenseurs de la cité étaient au sol, elle s’attaqua à son frère. Et ce fut le point le plus majestueux de l’affrontement, tant frère et sœur semblaient de force et de volonté égale, tant ils essayaient tous deux de prendre le pas sur leur adversaire, tant dans les armes que dans le respect et, il fallait l’avouer, l’amour qu’ils semblaient avoir l’un pour l’autre. Mais malgré ce respect et cet amour, il n’y avait à ce moment que le combat, et l’issue qu’il devait avoir. Quelle serait-elle ?
Elle ne fut décidée ni par lui, ni par elle. Car leurs anciens adversaires respectifs n’étaient pas tout à fait morts. Il n’y avait en fait aucun mort sur cet endroit de l’esplanade. Et si certains, tels l’Œil de Nuit ou le père des combattants, étaient trop gravement atteints pour se déplacer, et si la mère de la dragonne était paralysée par la douleur de sa blessure, Morgiana d’Avalon, elle, était prête à se battre. Et elle marcha jusqu’à la fontaine. Ne comprenant que trop bien ce qui se passait ici, la garde de la fontaine lui prêta son casque. Pourquoi ne pas être allée avec elle, tandis qu’elle l’emplissait à la fontaine d’eau bénite, et se dirigeait, en titubant, et en rampant parfois, vers les deux combattants ? Oh elle se rappela ensuite. Elle était elle-même mourante.

Elle emporterait l’issue dans la tombe avec elle, regardant au loin ce qui se passait. Dans son dernier souffle de vie, l’avalorrim envoya toute l’eau bénite sur la dragonne, et la peau de cette dernière brûla sous l’effet du terrible acide. Dans la mort, elle maudit son frère, et celle qui l’avait aidée. Mais les effets de la malédiction, la sœur de la fontaine ne devrait pas les connaître. En revanche, de loin, tandis qu’elle-même s’apprêtait à fermer les yeux devant l’objet de sa garde, sain et sauf, elle vit le père des deux combattants expirer, et sa fille avec lui, et leur femme et mère respective ramper pour tenter de fuir la fureur du capitaine, et celle de l’Œil de Nuit, qui à n’en pas douter avait une haine plus forte que ses propres blessures.

Mais le temps de la vengeance n’était pas encore venu pour eux. Car déjà, l’armée se rassemblait après sa grande victoire. Et pourtant le bilan devait être terrible, car nombreux étaient les morts, et la cité ne survivrait en aucun cas à un second siège. Terrible bilan, qui impliquait que de terribles décisions devaient être prises.

Mais la fontaine était sauve, et son rugissement se faisait toujours plus assourdissant.
Et cela, plus que toute autre chose, importait.
Ven 27 Déc 2019 - 22:48
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